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JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
TYl'OGRAPUie FIRMIN DIDOT. — MESNIL (EURE.)
JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
(1601 — 1628)
EXTRAIT DES MAIfUSCRITS ORIGINAUX
Et publié avec autorisation de S. Exe. M. le Ninislre de riiistructioo publique
PAR
MM. EUD. SOULIÉ ET ED. DE BARTHELEMY
TOME PREMIER
1601 — 1610
PARIS
LIBRAIRIE DE HRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET C«
IMPRIMEURS DE L^IISSTITUT, RUE JACOB, 56
1868
Tous droits résems.
j,y ... . ::■•■
INTRODUCTION.
Après avoir, à la fin de Tannée 1599, obtenu la dissolution de son
mariage avec Marguerite de Valois, Henri IV s'était allié, un an
plus tard, à la princesse de Toscane, Marie de Médicis. La grossesse
de la Reine avait été annoncée dès le commencement de mars
1604 et, au mois de septembre suivant, la Cour était rassemblée à
Fontainebleau , attendant les couches de la Reine. Henri IV dési-
rait vivement un héritier de sa couronne : «Je suis bien en peine de
noire fils, écrivait- il à Marie de Médicis quelques jours avant d'ar-
river à Fontainebleau , mais je me résous à la volonté de Dieu, en
cela comme en toute autre chose. « Le Roi avait, avec Tespoir de
perdre et peut-être par suite de quelque idée superstitieuse, parié
mille écus avec le financier Zamet que la Reine accoucherait d'une
fille; cependant, en choisissant la future gouvernante des enfants
de France, Henri IV ne craignait pas de lui écrire le 49 septembre,
huit jours avant Taccouchoment de la Reine : « Madame de Mont-
glat, je vous ai choisie pour être auprès de mon fils. C'est pour-
quoi je vous fais ce mot pour vous prier, incontinent la présente
reçue, de vous en venir ici et vous y rendre demain au soir. »
Le surlendemain, le Roi s'exprimait en termes presque identiques,
lorsqu'il disait au médecin qu'il avait appelé pour l'attacher à l'en-
fant à naître : « Je vous ai choisi pour vous mettre près de mon
fils le Dauphin ; servez-le bien. »
Ce médecin se nommait Jean Héroard (on prononçait Hérouard) ;
il était alors âgé d'environ cinquante ans et, depuis près de trente
années, il avait été successivement attaché à la personne des rois
Charles IX, Henri III et Henri IV en qualité de médecin ordinaire.
Le 27 septembre 4601, naissait enfin le prince tant désiré qui de-
vait régner sous le nom de Louis XIII, et, dès son entrée en fonctions
auprès du Dauphin, Héroard commençait à écrire un «Journal
et registre particulier » , dont la rédaction, poursuivie pendant
plus de vingt-six années, ne devait cesser qu'avec la vie de l'au-
teur, mort devant la Rochelle « au service du Roi son maître, à la
santé duquel il s'étoit entièrement dédié, âgé de soixante-dix-huit
ans, moins curieux de richesses que de gloire d'une incomparable
affection et fidélité » .
HÉROARD. — T. I. A
II INTRODUCTION.
Le manuscrit original d'Héroard est conservé à la Bibliothèque
impériale; mais il offre quelques lacunes que nous avons pu heu-
reusement combler pour les premières années, grâce à une copie
presque contemporaine , appartenant à M. le marquis de Balin-
eourt. Le Journal d'Héroard ,*connu dès le dix-septième siècle de
Tallemant des Réauxetdes lacdecins parisiens, mentionné au dix-
huitième dans la Bîbliothèqiie historique du P. Lelong et signalé
de notre temps par MM. Cimber et Danjou, Michelct, Paulin Paris,
Armand Baschet, est un volumineux recueil , d'une lecture diffi-
cile, dont la publication complète serait impossible et fastidieuse.
Nous avons essayé d'en extraire tout ce qui , en dehors de la
question médicale qui n'est pas de notre compétence, nous a paru
de nature à compléter par de nouveaux éclaircissements les nom-
breux mémoires que l'on possède déjà sur les vingt-cinq premières
années du dix-septième siècle. La lecture même de ces extraits
fera peut-être reculer quelques-uns de ceux qui y chercheraient
une forme suivie, et c'est ce qui nous a enga'gé , pour montrer
tout d'abord le parti que .l'on peut tirer du Journal d'Héroard,à
rapprocher les faits les plus saillants que Ton rencontre épars dans
ce journal : sur Henri IV et ses relations avec sa famille ; — sur
Féducation , les exemples et les soins donnés au Dauphin ; — sur
le caractère de Louis XIII comme dauphin et comme roi ; — sur
les mœurs, le langage, les usages du temps; — et sur les parti-
cularités relatives aux beaux-arts, aux objets de curiosité, armes,
faïences, etc., ainsi qu'aux premières constructions de Versailles
quis'ytrouvent mentionnées incidemment. Une notice biographique
sur Jean Héroard,sur ses ouvrages imprimés et sur ses manuscrits,
complète et termine notre introduction à ce journal que des tables
chronologique et alphabétique, placées à la ^\n de la publica-
tion, permettront de consulter et d'apprécier facilement.
I.
Au moment de son second mariage, Henri IV était déjà père de
trois enfants, nés deGabrielle d'Estrées, et, un mois après la nais-
sance du Dauphin , la marquise de Verneuil, qui avait succédé à
Gabrielle comme maîtresse du Roi, donnait le jour à un fils, nommé
d'abord Gaston, puis Henri. Dans les années suivantes la naissance
des enfants naturels de Henri IV alterne et coïncide d'une façon
singulière avec celle de ses enfants légitimes. Ainsi M"*^ de Ver-
neuil, autre enfant de la marquise, naît peu après M™® Elisabeth.
Le second fils de Marie de Médicis, Monsieur, duc d'Orléans, vient
au monde le 16 avril 1607, et le fils de la comtesse de Moret, trois
INTRODUCTION. m
semaines plus tard, le 9 mai. Une fille de Charlotte des Essars est,
comme Gaston, frère de Louis XIll, du commencement de Tannée
1608, et Tannée 4609 vojt également naître la seconde fille de
M"'^ des Essars et la dernière fille de Marie de Médicis, M'°« Hen-
riette, depuis reine d'Angleterre. ï/existence de Henri IV avec les
deux Reines, car Marguerite de Valois ne tarde pas à reparaître à
la Cour; avec ses maîtresses ouvertement et crûment avouées;
avec ses enfants légitimes et légitimés, élevés ensemble sous la
même gouvernante; le mélange de faste et de simplicité, d'éti-
quette et de grossièreté qui caractérise cette époque, apparaissent
dans le journal d'Héroard avec une naïveté , une vérité que Ton
ne trouve, à ce qu'il nous semble, dans aucun autre document
contemporain.
Un mois après sa naissance , le Dauphin avait été transporté de
Fontainebleau au vieux château de Saint-Germain-en-Laye où il
devait passer ses premières années. Pendant cette période on voit
le Roi visiter souvent son fils , tantôt seul, tantôt avec la Reine ,
tantôt avec la marquise de Verneuil dont les enfants ne tardent
pas à se joindre à ceux de Gabrielle d'Estrées et de Marie de Médi-
cis. Ces visites donnent lieu à des scènes intimes où Timagination
supplée à la concision d'Héroard. Ainsi, le 12 janvier 1602, la Reine
arrive d'abord de Paris, attendant le Roi venant de Verneuil ;
« elle lui va au-devant, à la porte du cabinet où elle le rencontre »,
et, après quelques mines et bouderies, « ils vont ensemble voir le
Dauphin au berceau », où le Roi manie et considère les pieds de*
l'enfant, dont le médecin avait signalé la ressemblance avec ceux
du Roi. Pourtant la jalousie de Marie de Médicis ne devait pas être
bien forte, car, quelques jours plus tard, le 30 janvier, le Roi, la
Reine et M"® de Verneuil visitent ensemble le Dauphin « qui leur
a fort ri et s'est joué avec eux )>.
Dans ces premiers temps,Marie deMédicisne paraît pas éprouver
pour son premier enfant des sentiments bien maternels. A la date
du 19 mars (le Dauphin a déjà près de six mois), le médecin re-
marque que la Reine a fort caressé son fils, « ce qu'elle n'avoit
encore fait », et trois mois plus tard , le 17 juin, la Reine, ar-
rivant, « trouve au pied des degrés M**" le Dauphin, au grand es-
calier; elle devient soudain fort rouge et le baise à côté du front ».
A ce moment, avant même que l'enfant n'ait accompli sa pre-
mière année, commencent à se produire des détails de mœurs et
d'éducation sur lesquels nous aurons à revenir; mais nous devons
d'abord indiquer ceux dans lesquels figure le Roi « vert galant ».
, Le 22 juin, après que le Roi a voulu manger le reste de la bouillie
de son fils et dit en plaisantant : u Si Ton demande maintenant
a.
IV INTRODUCTION.
que fait le Roi? Ton peut dire : il mange sa bouillie; » après que
M"® de Verneuil a fort caressé le Dauphin , « mais , ce disoit-on ,
avec peine », on fait voir au Roi les caj^esses que Tenfant faisait
à Tiennette Clergeon , fille de chambre de sa nourrice , « le Roi
rayant lui-même fait approcher et la lui présentant». La même
scène se répète quelques jours plus tard pour la Reine, et dans les
caresses que l'enfant faisait à la jeune Tiennette, lui riant et lui
empoignant la joue à pleine main, on se plaisait à voir un présage
que le DaupTiin tiendcait de son père. On sait ce qu'il en fut, et
Tenfant lui-même ne tarde pas à se montrer plus clairvoyant que
ceux qui lui donnent de si singuliers encouragements. Lorsque la
folle de la Reine, Mathurine , lui dit : « Viens çà; seras-tu aussi
ribaud que ton père? » Il répond froidement, y ayant songé :
c( Non. » (9 juin 1604.)
L'antipathie du Daiiphin pour les enfants naturels du Roi com-
mence à paraître dès la seconde année de son%e, et l'insistance
de Henri IV pour combattre cette antipathie amène bientôt, entre
lui et l'enfant, des scènes violentes. Ainsi , le %i décembre 1602,
« le Dauphin danse en branle , donnant la main à Alexandre
Monsieur (second fils de Gabrielle d'Estrées), le Roi lui ayant
commandé de le faire» ; et le 23 janvier suivant, après qu'Alexandre
Monsieur lui a donné sa chemise (car il était élevé à la fois en
frère et en serviteur du Dauphin ), « soudain l'ayant prise, il lui
élance un coup de sa main pour le frapper. Il ne le pouvoit souf-
frir, » ajoute Héroard.
Le Dauphin était également élevé à servir le Roi et la Reine, et,
dès les premiers jours de l'année 1603, on le porte au dîner du
Roi « où il lui donne la serviette ». Le 11 août a porté au lever
de la Reine, il baise la chemise et la lui donne »; le lendemain
(( il va au dîner de la Reine, lui donne la serviette ». L'enfant ne
se prêtait pas toujours à ce service d'étiquette, et un jour (7 dé-
cembre 1604), ce qui le fâcha le plus, ce fut quand le Roi lui
dit : « Je suis le maître, et v6us êtes mon valet, w II s'aigrit extrê-
mement de ce mot-là, ajoute Héroard ; mais il finit par céder, et
lorsque, quelques jours après, on demande au Dauphin : «Qui
ètes-vous? » il répond : « Le petit valet à papa. »
A l'âge de deux ans, le Dauphin est sevré; on lui fait dire ses
prières; on l'exerce à parler par discours; on lui fait prononcer
les syllabes à part, pour après dire les mots; Héroard, tenant la
main de l'enfant, lui fait écrire sa première lettre au R6i, et, triste
complément de l'éducation de cette époque, on commence à lui
donner le fouet, suivant en cela les intentions de Henri IV qui
écrivait encore à M*"* de Montglat , lorsque son fils avait plus de
INTRODUCTION. v
six ans : « Je me plains de vous, de ce que vous ne m'avez pas
mandé que vous aviez fouetté mon fils; car je veux et vous com-
mande de le fouetter toutes les fois qu'il fera Topiniâtre ou quel-
que chose de mai, sachant bien par moi-même qu'il n'y a rien au
monde qui lui fasse plus de profit que cela; ce que je rcconnois
par expérience m'avoir profité, car, étant de son âge, j'ai été fort
fouetté. » Pourtant ce système ne parait guère « profiter » au
Dauphin, autant que l'on peut en juger d'après Héroard ; ainsi le
22 mars i604 : «le Roi le menace du fouet, il s'opiniàtre, veut
aller en sa chambre ; mené en celle de la Reine, il continue. Le
Roi commande qu'il soit fouetté; il est fouetté par M™^ de Mont-
glat, au cabinet. Il est apaisé par de la conserve que la Reine lui
donne, mais non autrement, ayant voulu battre et égratigner la
Reine. »
Dans le premier séjour que le Dauphin fait à Fontainebleau, du
28 août au 9 novembre 1(304, Henri IV se montre tour à tour avec
son fils très-tendre, très-taquin, très-emporté et très-enfant lui-,
même. Un jour, le 4 septembre, on voit le Roi arrivant de lâchasse
et le Dauphin courant à bras ouverts au-devant de son père, « qui
blêmit de joie et d'aise, le baise et l'embrasse longuement, le
mène en son cabinet, le promène le tenant parla main, changeant
de main selon qu'il tournoit, sans dire mot», tout en écoutant
M. de Villeroy rapportant des affaires au Roi ; l'enfant ne peut
laisser son père « ne le Roi lui». Le lendemain, scène bien diffé-
rente. Le Roi vient le matin chez son fils et « le veut forcer à le
baiser; le voilà entré en si fâcheuse humeur qu'il en fut fouetté
par Sa Majesté. Il se défend, l'égratigne aux mains, le prend à la
barbe. M"*^ de Montglat le fouette aussi; il le fut cinq ou six fois.
Le Roi lui demande en lui montrant des verges : « Mon fils, pour
qui est cela? » Il répond en colère : « Pour vous. » Le Roi fut con-
traint d'en rire; cela dura plus de trois quarts d'heure, le Roi
l'ayant pris et laissé diverses fois. »
Mais la journée la plus orageuse, celle qui laissa pour longtemps
au Dauphin un sentiment de crainte envers son père, est à la date
du 23 octobre. L'enfant s'était levé de mauvaise humeur, et, au
moment où il se joue avec un petit tambour, on le mène au Roi
contre son gré. Le Roi lui dit : « Otez votre chapeau ; » il se trouve
embarrassé pour l'ôter ; le Roi le lui ôte, il s'en fâche; puis le Roi
lui ôte son tambour et ses baguettes, ce fut encore pis : « Mon cha-
peau ! mon tambour ! mes baguettes! » Le Roi, pour lui faire dé-
pit , met le chapeau sur sa tête : « Je veux mon chapeau ! » Le
Roi l'en frappe sur la tête, le voilà en colère et le Roi contre lui.
Le Roi le prend par les poignets et le soulève en l'air, comme
VI INTRODUCTION.
étendant ses petits bras en croix. « Hé! vous me faites mal! hé!
mon tambour ! hé ! mon chapeau ! » La Reine lui rend son chapeau,
puis ses baguettes; ce fut une petite tragédie. Il est emporté par
M"® de Montglat; il crève de colère, est fouetté, égratigne au
visage, frappe des pieds et des mains M™® de Montglat, criant :
« Tuez Mamanga; elle est méchante. Je tuerai tout le monde, je
tuerai Dieu ! »
Le bon Héroard constate que le lendemain Tenfant avait des
égratignures aux bras et à la tête , et qu'il souffrait de la fièvre.
Les jours suivants, lorsqu'on parle au Dauphin de son père, « il se
ressouvient toujours d'en avoir été malmené , en a peur, et quand
il le voit, demeure étonné, n'a plus cette contenance gaie, hardie, »
qu'il avait d'ordinaire. De son côté le Roi , aigri encore par les
faux rapports de César de Vendôme, frère naturel du Dauphin, s'en
prend à la gouvernante et , en présence de l'enfant, dit à M™® de
Montglat : a Vous serez cause qu'un jour je Técorcherai. » Aussi
quelques jours après, le Dauphin est-il ramené à Saint-Germain.
Une nouvelle maîtresse du Roi, la comtesse de Moret, vient à ce
moment, comme la marquise de Verneuil, visiter le Dauphin qui
lui témoigne la même répugnance et la nomme avec mépris :
« Madame de foire. » 11 ne se montre pas mieux disposé pour son
alitre frère naturel, et il faut un ordre exprès du Roi pour que M. de
Verneuil puisse garder son chapeau sur sa tète devant le Dauphin.
Un jour (25 février 1605), le Roi commande à M™® de Montglat de
faire manger quelquefois M. de Verneuil avec son fils; il Tentend
et dit : «Ho! non, il ne faut pas que les valets mangent avec leurs
maîtres. » Le lendemain , il répond encore au Roi qui insiste pour
que M"* de Verneuil et son frère dînent avec lui : « Ho ! il n'est
pas fils de maman! » A la fin de la même année (21 novembre
1605) Héroard rapporte une singulière conversation du Dauphin
avec ses deux autres frères naturels ; se jouant après souper avec
M. de Vendôme et M. le Chevalier ( second fils de Gabriclle ), le
Dauphin dit qu'il était fils du Roi. — (( Et moi aussi, dit M. de
Vendôme. — Vous! — Oui, Monsieur, ne m'appelez-vous pas votre
féfé? — Ho! ho! mais vous n'avez pas été dans le ventre à ma-
man comme moi ! Qui est votre maman ? — Monsieur, c'étoit ma-
dame la duchesse de Beaufort. — Duchesse de Beaufort! est-elle
morte ? — Elle est bien loin si elle court toujours, » dit le cheva-
lier de Vendôme, à qui son précepteur ne paraît pas avoir inspiré
un grand respect pour la mémoire de sa mère..
Lors de la naissance du fils de M"<^ de Moret, le Dauphin ne
s'exprimera pas d'une manière moins méprisante ; « sur le bruit
qui en couroit (9 mai 1607), on dit au Dauphin : « Monsieur, vous
INTRODUCTION. vu
avez encore un autre féfé. —Qui ? qui est-il ? demande- l-il, comme
ébahi. — Monsieur, c'est M"« la comtesse de Moret qui est accou-
chée d'un fils. — Ho! ho! il n'est pas à papa. — Monsieur, à qui
est-il donc? — Il est à sa mère », et n'en voulut jamais dire autre
chose. » Dans une autre circonstance (13 mars 1608;, le Dauphin se
fâche contre un page qui revenait de Moret et lui disait que M. do
Moret, son frère, lui baisait très-humblement les mains : « Mon
frère ! il est pas mon frère ; vous êtes un sot ! Je vous fçrai donner
le fouet, et pour chaque mot vous aurez vingt coups de fouet. »
C'est ainsi que le Dauphin réagissait contre les intentions du Roi,
qui voulait établir entre tous ses enfants des liens et une affection
impossibles. Un jour qu'il se promenait dans les jardins de Fontai-
nebleau avec son fils, alors dans sa huitième année, Henri IV ren-
contre M™^ de Moret et, la lui montrant, lui dit : « Mon fils, j'ai
fait un enfant à cette belle dame; il sera votre frère. » Le Dau-
phin honteux se retourne et balbutie : « C'est pas mon frère. »
(2 mai 1C08.)
L'enfant établissait pourtant des distinctions entre ses frères
naturels, et son médecin rapporte à ce sujet, à la date du 18 mai
1608, une conversation bien caractéristique. Avant son coucher le
Dauphin s'est retiré dans un cabinet, et, pendant qu'il est sur sa
chaise percée, on heurte à la porte ; il dit alors à un soldat, nommé
Descluseaux, que le Roi avait attaché à sa personne , de demander
qui c'est : « Vous l'entendrez bien à la voix, je veux que per-
sonne entre. — Monsieur, ne voulez-vous pas que personne
entre? — Hé! oui, féfé Chevalier. — Et M. de Vendôme? —
Non ! — Et pourquoi ? — Il n'est pas si connu » ( il voulait dire
si familier auprès de lui). Descluseaux lui dit : « Mais, Monsieur, ils
sont vos frères. — Ho î c'est une autre race de chiens. — Et M. de
Verneuil? — Ho! c'est encore une autre race de chiens. — Mon-
sieur, de quelle race? — De M™® la marquise de Verneuil; je
suis d'une autre race, mon frère d'Orléans, mon frère d'Anjou et
mes sœurs! — Laquelle est la meilleure? — C'est la mienne , puis
celle de féfé Vendôme et féfé Chevalier, puis féfé Verneuil, et
puis le petit Moret. C'est le dernier; il est après ma m... que je
viens de faire. »
Dans cette énumération le Dauphin ne mentionne même pas
une autre fille du Roi qui était pourtant née, au commencement
de 1608, de M"® des Essars; mais Héroard nous donne, précisé-
ment au moment de la naissance de cette fille, une autre conver-
sation de l'enfant qui n'est pas moins libre et dédaigneuse. Le
gouverneur de Saint-Germain , M. de Frontenac, l'entretenant de
M™* des Essars, lui demande : «Monsieur, la connoissez-vous? —
VIII INTRODUCTION.
Oui, je la connois bien, dit-il en souriant. — Où Favez-vous vue ?
— Je Tai vue à Fontainebleau, à la chambre de Mamanga. — Mon.
sieur, qui la menoit? — Je sais pas, » dit-il en souriant, car il le
savoit bien et jamais ne voulut nommer. M. de Frontenac lui de-
mande à Toreille si ce n'étoit pas M. de la Varennc? — « Oui » ; il
étoit vrai. — « Monsieur, elle est accouchée d'une fille, vous avez
là une autre sœu-sœu. — Non. — Pourquoi? — Elle n'a pas été
dans le vejitre à maman. — Papa la fera porter ici pour la faire
baptiser et veut que vous soyez le compère. — Qui, papa? — Oui,
Monsieur. — Comment la portera-t-on ? — L'on empruntera une
litière pour la porter. — Ah! oui, car si c'étoit la litière à maman,
je monterois sur les mulets, je les ferois tant courir, tant courir,
que tout iroit par terre. » L'huissier Birat dit tout bas au Dauphin :
• « Monsieur, c'est une femme que le Roi aime bien. — C'est une
p , si (donc) je l'aime point. » (11 janvier 1608.)
M. de Frontenac pouvait à la rigueur croire de bonne foi que l€
Dauphin serait « le compère » de la fille de M™^ des Essars, car un
mois avant (9 décembre 1607) le Dauphin et Madame Elisabeth
avaient tenu sur les fonts de baptême, dans la chapelle de Saint-
Germain, M. et M"^ de Verneuil, et, par une singulière association
d'idées, le Roi avait voulu que l'on donnât à ces deux enfants de
la marquise son propre prénom et celui de la belle Gabrielle.
• Lorsque la première femme de Henri IV, Marguerite de Valois,
reparaît à la Cour, le Dauphin se montre d'abord presque aussi
dédaigneux pour elle que pour M™" de Verneuil, de Moret et des
Essars. En effet, un enfant de quatre ans devait avoir quelque peine
à comprendre qu'il dût appeler maman une autre femme que sa
mère; mais il cède bientôt aux marques extraordinaires de ten-
dresse que la reine Marguerite lui prodigue et qu'elle ne cessa de
lui donner jusqu'au moment où elle mourut en 1615. C'est le 6 août
1605 qu'a lieu leur première entrevue. Le Dauphin était allé de Saint-
Germain jusqu'à Rueil au-devant de Marguerite; aussitôt qu'elle
l'aperçoit, elle descend de la litière que Marie de Médicis lui avait
envoyée. « M. le Dauphin de dix pas ôte son chapeau, va à elle; on
le lève, il la baise et l'embrasse : « Vous soyez la bien venue ,
maman ma fille. — Monsieur, lui dit la Reine, je vous remercie, il
y a fort longtemps que j'avois désir de vous voir, w Elle le baise de-
rechef; il faisait le honteux et se cachait de son chapeau : « Mon
Dieu, reprend la Reine, que vous êtes beau ! vous avez bien la mine
royale pour commander comme vous ferez un jour! » Le lendemain
le Dauphin va trouver le Roi et Marguerite qui se promenaient dans
la galerie de Saint-Germain ; «la reine Marguerite lui fait de grandes
caresses et quitte le Roi pour l'aller trouver.» Elle lui envoie le même
INTRODUCTION. ix
jour un magnifique bijou, que décrit minutieusementHéroard et qui
n'avait pu être fait que pour le Dauphin. Quelques jours après le
médecin nous fait assister à une scène qui, retracée par tout autre
que par lui, semblerait irivraisemblable;renfaift, conduit le matin
au château neuf de Saint-Germain pour dire adieu à la reine Mar-
guerite, trouve Marie de Médicis couchée, Henri IV assis sur le lit,
et Marguerite « à genoux, appuyée contre le lit. M. le Dauphin, mis
sur le lit, se joue à un petit chien que le Roi lui avoit prêté. »
L'année suivante Marguerite faisait au Dauphin une donation
de tous ses biens. C'était chez elle qu'il allait de préférence quand
il se trouvait à Paris, et, lors de la foire qui se tenait chaque
année au faubourg Saint-Germain « pour les joailliers, peintres et*
marchands de Flandre et d'Allemagne » , elle lui faisait de riches
présents, promettant en outre aux marchands de payer tout ce
qu'il demanderait. Le jeune Louis, devenu roi, s'adresse à clle,dan8
un jour de paresse, afin d'avoir un prétexte pour ne pas travailler.
« Après souper, raconte Héroard à la date du 19 juillet 1610, il
envoie secrètement prier la reine Marguerite d'envoyer à M. de
Souvré (son gouverneur), le prier de sa part à ce que, le jour sui-
vant, il l'exempte de l'étude, à cause que c'est le jour de Sainte-
Marguerite. Elle- y envoya sur les neuf heures; ce fut au grand
cabinet de la Reine, ce qui lui donna sujet de rire. »
On a déjà pu juger à diverses reprises , dans ce qui précède, "
delà liberté de langage à laquelle le Dauphin était habitué partons
ceux qui l'entouraient, à commencer par le Roi lui-même. Nous
passerons plus rapidement encore sur d'autres détails que nous
révèle Héroard, à propos des relations de Henri IV avec son fils.
Lorsqu'il rentrait fatigué de la route ou de la chasse , le Roi se
couchait au milieu de la journée, dans le premier lit venu, faisait
souvent « dépouiller» son fils, et le mettait nu dans son lit auprès
de lui, pour le laisser gambader en liberté. Lorsque l'enfant n'a pas
deux ans (4 août 1603), ce n'est qu'un jeu sans conséquences, mais
quand on voit cette habitude se continuer presque jusqu'aux der-
niers moments delà vie de Henri IV (26janvierl610), alors que son
fils est dans sa neuvième année ; quand le Roi se fait dévêtir par
lui ou qu'il le mène baigner à la rivière ; quand Héroard nous
rapporte naïvement (une seule fois en latin ) les gestes, les ac-
tions, les « paroles honteuses et indignes de telle nourriture »
qui résultent de cet oubli de toute pudeur, on reste confondu
d'une grossièreté poussée à ce point. C'est peut-être trop déjà d'a-
voir reproduit ces passages lorsqu'ils se présentent dans le journal
du médecin, et nous nous ferions scrupule d'y renvoyer d'une ma-
nière plus précise. Nous préférons rappeler quelques scènes où
X INTRODUCTION.
le bon roi Henri reparaît avec son caractère traditionne et popu-
laire , comme le jour où il part pour assiéger Sedan (lo mars 1606). 11
vient tout ému dire adieu à son fils, « y est fort peu, le baise, l'em-
brasse, lui disant >« Adieu, mon fils, priez Dieu pour moi, adieu,
mon fils, je vous donne ma bénédiction. — Adieu, papa, » répond
le Dauphin. Il étoit tout étonné et comme interdit de paroles. »
Dans une circonstance moins solennelle, un simple départ de
Saint-Germain pour Paris (7 décembre 1608), Hcroard nous mon-
tre le Roi plus tendre encore et les progrès qu'il a faits dans
le cœur de son fils. Le Dauphin « conduit le Roi hors de l'escalier;
il étoit triste ; le Roi lui dit : « Mon fils, quoi î vous ne me dites
mot ! Vous ne m'embrassez pas quand je m'en vais?» Le Dauphin
se prend à pleurer sans éclater, tâchant de cacher ses larmes tant
qu'il pouvoit, devant si grande compagnie. Lors le Roi, changeant
de couleur et à peu près pleurant, le prend, le baise, l'embrasse ,
lui disant : «Mon fils, je suis bien aise de voir ces larmes, je y
aurai égard ; » puis entre en carrosse pour s'en retourner à Paris. »
On aime encore avoir le Dauphin assister pour la première fois au
Conseil (2 juillet 1009), le Roi le tenant entre ses jambes ; et l'on ne
peut se défendre d'un certain attendrissement, lorsque, célébrant
pour la dernière fois Tannivcrsaire de la naissance de son fils
(27 septembre 1009), Henri IV « boit au Dauphin », disant: « Je prie
Dieu que d'ici à vingt ans je vous puisse donner le fouet ! » Le Dau-
phin lui répond : « Pas, s'il vous plaît. — Comment ! vous ne vou-
driez pas que je le vous puisse donner? — Pas, s'il vous plaît, » ré-
pond de nouveau l'enfant. Moins de huit mois plus tard, trois jours
après l'assassinat, la nouri ice du jeune Roi le trouvait le matin assis
sur son lit et lui demandait ce qu'il avait à rêver; il répond : « C'est
que je songeois, » puis demeure longtemps pensif. Sa nourrice lui
dit : « Mais que rêvez-vous? » Il répond : « Dondon, c'est que je
voudrois bien que le Roi mon père eût vécu encore vingt ans. Ha!
le méchant qui l'a tué ! »
n.
Quatre nourrices en moins de quatre mois : la première, dont
le « manifeste défaut de lait » est reconnu par les médecins du
Roi, (( assemblés par le commandement de Leurs Majestés »; la
seconde, qui est obligée de se retirer « pour, n'avoir point été
agréable à la Reine » ; la troisième, qui , bien qu'envoyée par le
Roi lui-même, n'est pas « trouvée propre » ; la dernière, enfin,
amenée par la Reine et qui réussit à remplir les conditions diffi-
ciles exigées par l'avidité de l'enfant d'abord, puis par les avis
INTRODUCTION. xi
opposés des parents et des médecins; tels sont les incidents (\m
signalent le commencement de la vie du Dauphin. Cette nourrice
définitive, Antoinette Joron, femme Boquet,est celle que Tonvient
de voir auprès du jeune Roi et qu'il appelait familièrement Don-
don ou maman Doundoun, Il avait aussi continué de donner à
sa gouvernante. M"® de Montglat, le nom qu'il avait bégayé tout
enfant, celui de Mamanga,
Sans le témoignage d'un homme aussi grave que le médecin
Héroard, tenant son registre jour par jour, notant, lorsqu'elles se
rapportent à l'enfant dont la santé lui est confiée, les actions,
les paroles de. ceux qui partagent ce soin avec lui , on se refu-
serait à admettre certains détails qui reviennent fréquemment
sous sa plume, et les mêmes faits sembleraient au moins fort
exagérés si on les rencontrait dans les Mémoires d'un Bassompierrc
ou dans les Hîstorkttes d'un Tallemant des Réaux. Que l'on
compare les premiers chapitres de Rabelais, ceux qui se rappor-
tent à l'enfance et à l'éducation de Gargantua, avec les pre-
mières années du Journal d'Héroard, et Ton sera stupéfait de
trouver la joyeuse fantaisie de l'un confirmée et presque dé-
passée, à soixante-dix ans de distance, par la naïve exactitude de
l'autre. Il serait tout naturel d'insister sur ce curieux rappro-
chement dans un travail sur Rabelais ou dans une annotation
de son livre , mais on comprendra que nous nous contentions
de l'indiquer ici. Bornons-nous à donner par quelques citations
qui, à la grande rigueur, peuvent être reproduites, une idée de
la conduite, du langage que tiennent devant Théritier du trône
les personnes qui occupent le premier rang auprès de lui; on ju-
gera par la grossièreté des maîtres de ce que devait être celle des
serviteurs.
Le mari de la gouvernante du Dauphin, le baron de Montglat,
premier maître d'hôtel de Henri IV, remplissait auprès de l'enfant
royal les fonctions d'intendant de sa nombreuse maison. Un jour
(27 janvier 1603), le Dauphin, qui depuis quelque temps « com-
mence à cheminer avec fermeté », va après l'une de ses femmes
de chambre, « MWe Mercier, qui glapissoit pour ce que M. de Mont-
glat lui bailloit de sa main sur les fesses ; il glapissoit de même
aussi. Elle s'enfuit à la ruelle, M. de Montglat la suit et lui veut
faire claquer la fesse; elle s'écrie fort haut, le Dauphin l'entend,
se prend à glapir fort aussi, s'en réjouit et trépigne des pieds et
de tout le corps, d« joie, tournant sa vue de ce côté-là, les mon-
tre du doigt à chacun. » Animé par cet exemple , il « se joue à
la petite Marguerite, la baise, l'accole, la renverse à bas, se
jette sur elle, avec trépignement de tout le corps et grincement
XII INTRODUCTION.
de dents. » Le soir il se prend à rire aussitôt qu'il voit M^^® Mer-
cier, « s'efforce de la fouetter sur les fesses avec un brin de
verges. » La remueuse du Dauphin, M**® Bélier, lui demande :
« Monsieur, comment est-ce que M. de Montgiat a fait à Mercier? »
Il se prend soudain à claquer de ses mains Tune contre l'autre,*
avec un doux sourire , et s'échauffe de telle sorte qu'il étoit trans-
porté d'aise, ayant été un bon demi-quart d'heure riant et cla-
quant de ses mains, et se jetant à corps perdu sur elle, comme une
personne qui eût entendu la raillerie. »
Après les déportements du mari et les désordres qui en résultent,
voyons comment la femme parle à son royal élève. Le Dauphin
a trois ans de plus (11 janvier 1607); « peigné, coiffé dans le
lit, à bâtons rompus, par sa nourrice. M"® de Montgiat, pour le
faire hâter, y vient et lui dit : a Je m'en vais chausser ; si vous
n'êtes peigné quand je reviendrai, vous aurez le fouet. » Elle re-
vient, ce n'étoit pas fait; elle lui dit encore : « Je m'en vais p ;
si vous n'êtes peigné et coiffé quand je reviendrai, vous aurez
le fouet. » Le Dauphin dit tout bas : « Ha! qu'elle est vilaine,
elle dit devant tout le monde qu'elle va p.;...; velà qui est bien
honnête, fi ! » On conviendra qu'en tenant un pareil langage de-
vant l'enfant, sa gouvernante était peu fondée à lui donner le
fouet lorsqu'il employait vis-à-vis d'elle des expressions tout à fait
analogues (22 août 1608).
Les moyens dont on se servait pour corriger le Dauphin lors-
qu'il se montrait opiniâtre ou paresseux n'étaient pas moins vul-
gaires. Afin de l'intimider on faisait venir, tantôt un lavandier
qui le menaçait « de le mettre dans son sac, puis au cuvier, »
tantôt un maçon qui faisait mine de l'emporter dans sa hotte,
tantôt un serrurier lui montrant des tenailles et une tringle, et lui
disant : «Voilà de quoi j'embroche les opiniâtres. » Une autre fois,
comme il fait « le fâcheux , l'on fait abaisser une poignée de
verges attachée à une ficelle, sous la cheminée ; l'on lui faisoit
croire que c'étoit un ange qui les portoit du ciel. »
Pour l'amuser ou le distraire, on lui apprenait des chansons
plus que libres, on lui faisait danser la Saint-Jean des Choux, es-
pèce de ronde qui consistait à donner du pied dans le derrière
de ses voisins, ou bien on jouait devant lui quelque vieille farce
comme celle « du badin mari, de la femme garce et de l'amou-
reux qui la débaucha ». Un jour qu'il se promène dans une allée
de Fontainebleau, « on l'amuse à voir .nettoyer un pourceau ;
quand le boucher le voulut éventrer il s'en alla, et ne le y sut-on
arrêter. »
Comme contraste à ce qui précède, Héroard nous montre le
INTRODUCTION. xili
Dairphin recevant dans un îlge assez précoce les premiers élé-
ments de son éducation. Ainsi^ le i4 mars 1605^ « il s'amiuse à un
livre des figures de la Bible ; sa nourrice lui nomme les figures
et les lettres, puis après il nomme les lettres et les connoit
toutes; » un an pins tard ( 18 mai 1606), il commence à écrire
sous Dumont, clerc de sa chapelle , qui lui montrait; il dit : <c Je
pose mon exemple, je m'en vas à l'école, » et fait des 0 fort bien. »
Enfin à Tàge de six ans (22 novembre 1607), il lit couramment,
a appelle les mots sans faillir » et écrit « sans trace ni aide ». Son
instruction religieuse commence aussi de bonne heure, cardes
qu'il peut prononcer quelques mots de suite, c'est-à-dire à l'àgc
de deux ans, on lui apprend le Pater et Vyice, puis cette
prière : « Dieu donne bonne vie à papa, à maman, au dauphin,
à ma sœur, à ma tante, me donne sa bénédiction et sa grâce, et
me fasse homme de bien, et me garde de tous mes ennemis, vi-
sibles et invisibles. » A Fontainebleau on voit le Roi lui-même
et le P. Coton, son confesseur, faire dire le Pater à Tenfant qui
préférait réciter cette prière en français, et disait un soir à
M™* de Montglat : « Mamanga, faites pas dire Pater, faites dire
yotre-Père. » Étant à ces mots ton règne advienne, il de-
mande : « Mamanga, qu'est-ce à dire ton 7^è(jne advienne? »
M"® de Montglat lui en donne raison, et il continue : « Mamanga,
qu'est-ce à dire et nous pardonnez nos offenses ? — Monsieur,
c'est que nous offensons le bon Dieu tous les jours, nous le prions
qu'il nous pardonne. » A ces mots, et nous garde du malin : « Ma-
manga, qu'est-ce à dire malin? — Monsieur, c'est le mauvais
ange qui vous fait dire : Allez-vous-en! Parlez plus haut! » et au-
tres traits de son opiniâtreté. H dit encore à M™^* de Montglat :
« Le bon Dieu a été sur la croix, Mamanga? » Héroard, dont la
femme est présente à cette conversation enfantine, lui demande :
« Monsieur, pourquoi .î* — Pour ce que nous avions tous été
opiniâtres, vous, Mamanga, moi aussi, maman Doundoun et ma-
demoiselle Hcrouard. » A l'âge de cinq ans et lorsqu'il marche
encore avec des lisières, le Dauphin est mené à la chapelle de
Fontainebleau, où « il se confesse à son aumônier pour la pre-
mière fois », et le 12 avril 1607, jour du jeudi saint, le Roi tient
à ce que son fils, malgré « son âge tout foiblet », le remplace dans
la cérémonie de la Cène, qui consistait à laver les pieds à treize
pauvres.
Lorsque, le 24 janvier 1609, le Dauphin, alors dans sa huitième
année, passe des mains des femmes entre celles d'un gouverneur,
son éducation devient plus sérieuse, et l'on voit avec plaisir le
marquis de Souvrc réagir tout d'abord contre une « sale parole ,
XIV INTRODUCTION.
parole de laquais et de palefrenier » dont un des petits gentils-
hommes attachés à la personne du Dauphin veut continuer à se
servir. Aux occupations ordinaires du jeune prince, élevé dès-
lors près de son père, s'ajoutent l'escrime et la danse; ce n'est que
beaucoup plus tard, dans sa quatorzième année, que Louis XllI
prendra de Pluvinel sa première leçon régulière d'équitation ,
bien que dès l'âge de sept ans il ait commencé à monter à
chieval.
Le jeune Louis devait avoir presque autant de précepteurs que
de nourrices. Le Roi avait désigné pour faire l'éducation du Dau-
phin le poète Des Yveteaux qui sortait de remplir les mêmes
fonctions auprès du fils aîné de Gabrielle d'Estrées, César de
Vendôme. Un an après la mort de Henri IV, Des Yveteaux, re-
connu incapable, était obligé de céder la place à un autre pré-
cepteur, le savant Nicolas Le Fèvre, qui, lui, n'avait d'autre dé-
faut que son grand âge. Enfin à Nicolas Le Fèvre, mort en
novembre 1612 dans» sa soixante-dixième année, succède le sieur
de Fleurence qui avait déjà le titre de sous-précepteur du Roi.
Héroard* nous fait assister à quelques-unes des leçons données
par ces trois professeurs successifs, et nous permet de juger leurs
enseignements.
Écoutons d'abord Des Yveteaux donnant sa première leçon à
un enfant âgé de sept ans et quelques mois : « Après déjeuner
M. Des Yveteaux, son précepteur, lui donna la première leçon,
commençant par un petit discours qui lui représentoit comme il
avoit à reconnoître que Dieu l'avoit fait naître chrétien et dans
l'Église apostolique, et fils d'un grandRoi, et par ainsi qu'il avoit
à savoir qu'il lui falloit aimer et craindre Dieu, se rendre véri-
table et juste, à aimer et honorer le Roi et la Reine comme ayant
supériorité sur lui, et puis comme ses père et mère; et que les
vertus s'apprenoienl dans les livres; et commença à lui faire lire
le commencement de l'Histoire de Josèphe , puis lui baille par
écrit à savoir : « S'il faut que les ecclésiastiques soient appelés aux
conseils des princes et ce qui lui en semble. — Je sais pas », ré-
pond le Dauphin. (6 mars 1609).
Le 2 mai suivant, « M. Des Yveteaux lui ayant demandé que
c'étoit à dire en françois : Discite justitiam moniti et non temnere
divos^W répond : « Je ne sais. » M. Des Yveteaux reprit: « C'est-à-
dire, soyez averti à apprendre à faire justice et à ne craindre
point Dieu. » — « Je veux croire que ce fut par mégarde, » ajoute
Héroard, se contentant de relever ainsi l'inadvertance du profes-
seur qui confond temnere avec timere.
L'année suivante, on commence à montrer au Dauphin « la carte
INTRODUCTION. xv
géographique » et a (Sn lui enseigne que la grandeur d'Espagne est
venue lancea carnea , non lancea ferrea, comme les François »;
singulière leçon pour un enfant de huit ans et que le médecin prend
la peine d'expliquer plus clairement dans une note marginale.
Quelques mois après son avènement, c'est le jeune Roi qui veut
faire la leçon à Des Yveteaux. Le 25 juin 1610, « son précepteur
lui demande s'il lui plaisoit pas traduire quelque sentence de
françois en latin ; il répond : « Oui, mais j'en veux faire, » prend la
plume et écrit de son invention ces mots : Le sage prince réjouit
le peuple. Peu après le précepteur lui demande quel étoit le de-
voir d'un bon prince, il répond : « C'est d'abord la crainte de
Dieu,» et, comme il songeoit pour continuer, son précepteur
ajoute : a Et aimer la justice. » Le Roi repart soudain : « Non ! il
faut : Et faire la justice. »
Le 5 octobre i610, « son précepteur lui commença la leçon
par la louange des romans, et lui demanda s'il pensoit pas que la
lecture des romans fût pas suffisante pour instruire un prince?
— (( Non; » répond le Roi, qui commence à n'avoir plus aucun
respect pour son précepteur. Un jour (18 mars 1611), Des Yve-
teaux, poussé à bout par une' plaisanterie que le journal ne rap-
porte pas, répond au Roi « qu'il n'étoit possible pas des plus sa-
vants, mais toutefois qu'il n'étoit pas un homme du commun
ne du vulgaire, car on ne l'eût pas mis auprès de Sa Majesté ».
Lors de sa révocation par Marie de Médicis (25 juillet 1611 ), le
pauvre Des Yveteaux, prenant congé du Roi, le supplie de lui
donner quelque bague comme souvenir, et se plaint qu'il avait
eu la peine de l'instruire, tandis qu'un autre en aurait l'hon-
neur.
Le 12 août 1611, a M. Le Fèvre entend donner la leçon au Roi
par M. de Fleurençe, pour essayer à reconnoître sa portée », et
le 17 il lui « donne la première leçon sur l'Institution de l'em-
pereur Raèile ». C'était une rude tâche que celle de précepteur
du jeune Louis ; il avait peu de goût pour l'étude et il fallait con-
cilier le respect dû au Roi avec la sévérité nécessaire pour faire
travailler l'élève. Le gouverneur du prince, qui assistait aux leçons,
avait lui-même bien de la peine à maintenir son autorité. Ainsi, le
26 septembre Ï611, le jeune Roi, en étudiant, u entre en mauvaises
humeur contre M. de Souvré, qui le reprenoit de ce qu'il s'amusoit ;
il avoitle chapeau sur la tète. Le Roi lui dit : « Vous avez votre
chapeau sur la tète ! — Oui, répond M. de Souvré, et si je le vous
ôterai pas pour cette heure. Ce n'est pas qvie je ne sache ce que je
vous dois , qui est cent, mille fois plus. Plaignez vous- en à la
Reine. — Je ne vous ôterai pas aussi le mien », répond le Roi en
XVI INTRODUCTION.
colère. «M. LeFèvre, son précepteur le voulut aussi un peu presser
sur la leçon ; le Roi lui dit : « Quoi ! et du commencement vous
étiez si doux que vous trembliez tout , et maintenant vous êles
si rude î » Un autre jour, « on lui montroit la carte d'Espagne et
les avenues de la frontière ; il Tétudioit fort attentivement; M. Le
Fèvre lui ayant dit que la France éloit bien un plus grand, plus
beau et plus riche royaume, le Roi dit : « Si voudrois-je qu'elle
fût à moi. » Une aulre lejçon du bon Le Fèvre rapportée par Hé-
roard ( 31 décembre 1611 ) a pour sujet une sentence en latin sur
la clémence, dans laquelle le précepteur insiste sur cette vertu
« et la loue sur toutes, disant qu'un prince doit toujours par-
donner ».
Plus le Roi avançait en âge et plus la position de précepteur
devenait difficile auprès de lui; à plus forte raison celle de sous-
précepteur. Un jour le Roi répond à M. de Souvré, à propos
d'une instruction que devait lui faire M. de Fleurence : « Oui!
Fleurence me dira encore des sottises ! » — Fleurence lui répond :
« Sire , j'aime mieux que vous me haïez homme de bien que si
vous m'aimiez méchant; je gagnerai aussi bien ma vie en Tur-
quie qu'auprès de Votre Majesté. » Lorsque Fleurence remplace
le savant Le Fèvre, le jeune Roi conteste de plus en plus contre
lui à propos de leçons de géométrie et de mathématiques. A l'âge
de douze ans, le Roi étudie « en l'histoire, n'apprend ptus le la-
tin. » M. de Fleurence, qui était dans les ordres, avait aussi la
direction de son instruction religieuse; le 21 décembre 1614, la
leçon semblant trop longue au Roi , il demande à M. de Fleu-
rence : « Si je vous donne une évêché, accourcirez-vous vos le-
çons? — Non, Sire; » et. le Roi ne répond rien. L'année sui-
vante le Roi étudie encore, mais armé en guerre, avec la cuirasse,
les brassards et « un habillement de tète, fait de fer blanc »; à dater
de ce moment il n'est plus question de Fleurence, qui ne mourut
cependant qu'en 1616.
Sous le gouvernement de M. de Souvré le système de correction
recommandé par Henri IV à M™® de Montglat avait continué d'être
suivi, et, même longtemps après soir sacre, on voit encore le Roi
fouetté à l'âge de dix ans pour avoir, la veille, heurté trop fort
à la porte du cabinet de la Reine (19 septembre f611 ) et à plus
de onze ans pour n'avoir pas voulu prendre médecine. Aussi le
jeune Louis craignait-il son gouverneur au point qu'un jour où
son pourpoint le serre trop « il ne le veut point desserrer qu'il
n'ait su si c'est la volonté de M. de Souvré, auquel il l'envoie
demander et qui le lui permet ». Ce joug lui pesait cependant, et le
médecin rapporte à ce sujet un mot caractéristique du prince ;
INTRODUCTION. xvii
il était depuis un peu plus d'un an confié à M. de Souvré lors-
qu'un jour (8 mars 1610) M™° de Montglat vient au coucher du
Dauphin qui s'amusait dans son lit a à de petits engins »^ pen-
dant que son ancienne gouvernante et M. de Souvré devisoicnt
ensemble. >« Je puis dire, commence M™* de Montglat, que Mon-
seigneur le Dauphin est à moi; le Roi me l'adonné à sa nais-
sance, me disant : Madame de Montglat, voilà mon fils que je
vous donne, prenez-le. » M. de Souvré lui répond : « Il a été à
vous pour un temps, maintenant il est à moi. » Le Dauphin, qui'
écoutait tout ce qui se disait sans en faire semblant, murmure
froidement, sans hausser la voix et sans se détourner de sa be-
sogne : « Et j'espère qu'un jour je serai à moi. » L'enfant se trom-
pait dans ses espérances, et, quand; à la fin de 1614, il priait la
Reine « de lui ôter M. de Souvré, qu'il ne pouvoit plus durer avec
cet homme-là », sa colère ne venait que de ce qu'on avait dit au
Roi que M. de Souvré u vouloit empêcher que le sieur de Luynes
n'entrât en sa chambre ».
ni.
Louis Xni en effet, bien que d'un naturel opiniâtre et emporté
. qui se montre de très-bonne heure , devait toute sa vie subor-
donner sa volonté à celle de ses favoris et de ses ministres, et ne
voir jamais le jour où il s'appartiendrait entièrement. Étant enfant,
il disait à ses petits chiens en les caressant : « Ha ! je voudrois que
vous pussiez manger Mamanga; » et comme :son maître d'hôtel
et son aumônier l'entendaient, il se retournait vers eux et leur
recommandait de ne pas rapporter cette parole à la gouvernante.
Que de fois le jeune Roi dut en dire autant, soit à ses chiens, soit
à ses familiers, en parlant tout bas de M. de Souvré et, plus tard,
du connétable de Luynes ou du cardinal de Richelieu ! Héroard,
l'un de ses plus intimes confidents, en laisse entrevoir quelque
chose, malgré la concision des dernières années de son journal,
lorsque, quelques mois après la mort du duc de Luynes, le Roi,
étant au lit, parle de la fortune et de la famille du connétable
( 10 avril 1622) ; ou quand , dans un séjour en Bretagne, le Roi
({ va à la Haye voir M. le cardinal de Richelieu avant de se
mettre au lit ». Le Roi, ajoute Héroard, » se met en colère, ne se
peut apaiser; en soi-même se plaint à moi qu'il avoit tort. »
(18 août 1626.)
Le meurtre de Coneiry avait été la suite de ces plaintes
sourdes que* le jeune Louis laissait échapper contre le favori
de Marie de Médicis, depuis la journée du 22 novembre 1616
BÉROARD. — T. I. b
Jtf
xvin INTRODUCTION.
surtout, où le Roi était dans la grande galerie du Louvre « en
Tune des fenêtres qui regardoit sur la rivière , quand le ma-
réchal d'Ancre entra, accompagné de plus de cent personnes,
et s'arrêta aussi à une des fenêtres, sans aller vers le Roi, se fai-
sant faire la cour par tous, tête nue ; mais il savoit bien que le
Roi étoit là, car on luiavoit dit, l'ayant demandé en la chambre. »
Le Roi s'en était allé aux Tuileries, « le cœur plein de déplaisir»
contre l'insolent, pour qui le Dauphin avait eu déjà une répugnance
précoce, si l'on en juge par la petite scène que raconte Héroard
à la date du l*^*" février 1603 : « Le sieur dom Garcia, le sieur
Conchino arrivent à l'heure de l'habiller. Il se jouoit à un car-
rosse du palais où il y avoit quatre poupées; l'une étoit la Reine,
les autres : M"« et M"« de Guise, et M"« de Guiercheville. On les lui
faisoit montrer, les nommant par leurs noms; il les montroit
du doigt. Le sieur Conchino va lui demander : a Monsieur, où
est la place de ma femme ? » En disant : Jh ! il lui montre une
avance qui étoit par dehors, au cul du carrosse. Il ne veut point
prendre un grain de fenouil confit au sieur Conchino; à qui
k"® de Montglat l'avoit baillé pour le lui donner, s'en recule du
tout, le regardant, comme importuné. »
Bien que le nom de Marie de Médicis se retrouve presque à
chaque page de son journal, sauf la période de l'exil à Blois, Hé-
roard ne cite d'elle qu'un petit nombre de ces traits caractéris-
tiques qui abondent pour Henri IV. On peut juger seulement, en
se reportant à quelques passages antérieurs ou postérieurs à la
mort du Roi , que les actions et les paroles de la Reine-mère
vis-à-vis de son fils n'étaient pas moins libres que celles de son
époux.
Il en est de même pour Anne d'Autriche; la première partie du
journal révèle beaucoup de particularités relatives au projet d'u-
nion avec l'Infante et aux dispositions peu] bienveillantes du Dau-
phin pour les Espagnols ; mais, si Fon en excepte les faits qui se
rapportent à la célébration et à la consommation du mariage,
faits pour la publication desquels nous avons été prévenus par
M. Armand Baschet, dans le curieux livre qui a pour titre : Le Roi
chez la Reine, Héroard n'a presque rien à nous apprendre sur le
caractère et la manière d'être de la jeune Reine.
Son affection toute paternelle pour l'enfant qu'il avait vu
naître n'aveugle pas le premier médecin du Dauphin sur les in-
firmités et les défauts qui se révèlent au fur et à mesure de la
croissance, et Héroard a pris soin de noter en marge de son ma-
nuscrit de nombreuses remarques sur le tempérament et sur le
naturel de Louis XIII. Né sain et robuste de corps, d'après la mi-
INTRODUCTION. xix
nutieuse description écrite au moment même où il vient au
monde, le Dauphin avait dû pourtant^ dès le lendemain^ subir
une pe{ite opération ; comme « il avoit peine à téter, il lui fut
regardé dans la bouche et vu que c'étoit le filet qui en étoit cause ;
sur les cinq heures du soir (20 septembre 1601 ) il lui fut coupé
à trois fois par M. Guillemeau, chirurgien du Roi ». L'opération
avait été mal faite ou l'enfant avait un défaut naturel dans la
conformation de la langue, car, lorsqu'il commence à prononcer
quelques mots, on s'aperçoit qu'il bégaye en parlant et « il se
fâche quand il ne peut prononcer autrement ». Plus tard Héroard
remarque encore {{" décembre 1604 ) qu'il « bégaye fort en par-
lant ». C'est surtout lorsqu'il est ému, qu'il s'anime ou qu'il se met
en colère que le Dauphin mâche « sa grosse langue, comme il avoit
accoutumé de faire quand il faisoit quelque chose avec grande
ardeur ». Le 22 décembre |1609, le Dauphin est « mené chez la
Reine, mandé par elle, pour lui avoir été dit que son bégayemcnt
provenoit pour avoir encore le filet; il fut jugé» qu'il n'était pas
nécessaire de faire une nouvelle opération. « Il craignoit qu'on
lui voulût couper la langue quand on la lui faisoit tirer ; il dit :
« Comment me la veut-on couper? » et commençoit d'en pleurer. »
Cette infirmité persiste et cependant ne devait pas être très-forte
puisqu'elle pouvait disparaître à un moment donné; ainsi, la veille
du jour où il doit « aller à la cour de Parlement pour se déclarer
majeur », le jeune Roi « fait vœu à Notre-Dame des Vertus, s'il
peut, le lendemain, au Palais, prononcer sans faire faute ses
paroles pour sa majorité, » et en effet, le 2 octobre 1614, il pro-
nonce son discours « hautement, fermement et sans bégayer ».
D'un tempérament très-actif, ayant peine à rester une minute
en place, ce qui lui rendait l'étude très-pénible, le jeune Louis
était pourtant sujet à des accès de rêverie maladive, qui font
comprendre l'expression mélancolique de ses traits. Ces accès lui
prennent d'abord à ses repas; un soir, le 2 août 1605, « en sou-
pant, ayant été quelque temps sans dire mot, comme il étoit au-
cune fois réservé et tout ainsi que s'il eût «songé à de grandes
affaires, il dit : « Mais, c'est Thomas! » Voyant qu'il ne disait
plus mot, le médecin lui demande ; « Monsieur, qui est ce Tho-
mas? — C'est un homme de pierre; je l'ai vu à Poissy, dans une
chapelle, rangé là, à un petit coin. » Il y avoit environ quatorze
mois qu'il fat à Poissy, où il vit et entendit nommer cette image
du nom de wnt Thomas et au lieu où il la représentoit. » Un autre
soir i< il soj9geoit en regardant le feu ; sa nourrice lui demande :
« Monsieur, à quoi songez-vous? — Je songe à quoi je me joue-
rai. » On a vu plus haut le jeune Roi s'absorber dans despréoccu-
b.
XX INTRODUCTION.
pations plus graves le lendemain de la morl de son père. Héroard
caractérise cet état par une expression latine : Quasi aliud agens.
Le sommeil de Louis XIII était fréquemment agité par des
cauchemars qui prenaient quelquefois le caractère du som-
nambulisme. Le 3 octobre 1G06, il s'éveille « à une heure
après minuit, en sursaut, avec un cri haut extrêmement et ef-
froyable. Sa nourrice et M^*®de Ventelet (qui aidait à le veiller)
vont à lui, demandant ce qu'il avoit : <( Hé ! c'est que papa s'en
va sans moi, » dit-il en pleurant et fondant en larmes, « héî je
- veux aller avec papa; attendez-moi, papa! » Il le songeoit et s'en
éveille... se rendort à peina, ayant le cœur saisi. Le matin sa
nourrice lui demande : « Monsieur, qu'aviez à songer et à crier
cette nuit? — Doundoun, c'est que je songeois que j'étois à
la chasse avec papa; j'ai vu un grand, grand loup qui vouloit
nianger papa et un autre qui me vouloit manger, et j'ai tiré mon
épée, puis je les ai tués tous deux. » Nous regrettons d'avoir à
dire que le bon Héroard, avec l'esprit superstitieux qui le ca-
ractérise , voit sans doute dans ce cauchemar un présage fa-
vorable, et écrit en marge de son journal : Augurium,
Le 29 juillet i614, le Roi éveillé à une heure, en sursaut, ti se veut
lever sans dire la cause ; ses valets de chambre, les sieurs de Heurles
et Armaignac, l'en veulent empêcher, croyant qu'il rêvât : « Laissez-
moi, laissez-moi, » dit-il ; il se lève en chemise, et ainsi veut aller
à la salle. » Le 8 septembre suivant « il raconte comme il avoit
songé qu'il voyoit des poissons volants et appeloitde Heurles, son
premier valet de chambre; il.dormoit et parloit. Il étoit hors des
draps sur le milieu du lit, se vouloit élancer pour en aller prendre, w
Le 31 novembre 1616, le Roi est pris d'une syncope, à la suite de
laquelle il est saigné pour la première fois. Voici une autre indi-
cation donnée par Héroard à la date du 4 juillet 1622 ; «Éveilléà
trois heures après minuit, il se plaint, criant et me disant avoir
eu froid étant couché dans le lit, et fort peu dormi, les yeux chauds
et la tête pesante. Levé, blême, il se sent foible et lassé. »
Cette lassitude ne l'empêche cependant pas de partir à quatre
heures du matin de la ville de Toulouse, où il était arrivé huit
jours avant, et de faire à cheval une dizaine de lieues jusqu'à
Villefranche de Lauraguais, où « il se plaint encore des mêmes
choses qu'il avoit fait ici dessus » . A son entrée à Arles le 30 oc-
tobre suivant, le Roi, entouré du peuple qui « crioit en son lan-
gage : Vive notre bon roi Louis, » est saisi d'une impression de
sensibilité nerveuse « et l'on lui a ouï dire ces paroles : « Dieu vous
bénie mon peuple. Dieu vous bénie ! » Le soir, pensif, il dit à son
médecin « qu'il avoit été triste tout le jour ».
INTRODUCTION. xxi
Louis XIII passait alternativement et presque sans transition des
exercices les plus pénibles et que le corps le plus robuste pouvait
seul supporter, à un état de langueur qui le faisait se mettre au
lit « avec inquiétude », ou se coucber au milieu du jour « pour
ne savoir que faire ». Une indication du journal d'Héroard qui
peut servir à dater les portraits de Louis XIII et à juger de son
tempérament se rencontre dans le journal au 1*^*" août 1624; le
Roi, alors âgé de près de vingt-trois ans, « se fait raser la barbe
pour la première fois; il ne y avoit que du poil impercep-
tible ».
A cette nature rêveuse et mélancolique, à cette figure silen-
cieuse et qui se déridait rarement (Héroard remarque à plusieurs
reprises que le Dauphin n'est ni parleur ni rieur, et que lors-
qu'il rit, c'est d'un gros « rire d'hôtelier » comme quelqu'un
qui n'en a pas l'habitude), Louis XIII joignait cependant un esprit
assez vif ; il avait parfois des reparties pleines de bon sens, par-
fois aussi il raillait et se moquait; mais en avançant en âge ses
saillies deviennent plus sévères et plus âpres. Un jour d'hiver
(19 février 1605) le porteur de charbon entre dans sa chambre
pendant qu'il se lève et lui dit : « Bonjour, mon maître. —
Qui est son maître ? » demande l'enfant à son aumônier. — « C'est
le Roi et vous. — Qui est le plus grand? — C'est papa et vous
après, répond l'aumônier. — Non, c'est Dieu qui est le plus
grand ! » reprend le Dauphin , qui de sa nature « n'aimoit pas
la flatterie». Le lendemain « l'on parloit d'un homme condamné
à être pendu, le Dauphin demande : « Qui le pendra? »
L'on répond que ce seroit le valet du bourreau, il dit : « Je ne
veux donc point avoir un valet. » Peu. après il appelle Birat,
huissier de sa chambre; il avait l'habitude de lui donner le nom
de valet et de lui dire : Valet, faites ceci ou cela ; ce jour-là il le
nomme par son nom : « Quoi, Monsieur, dit Birat, vous ne m'ap-
pelez pas votre valet! — Hé! c'est le bourreau qui a un valet, »
répond le Dauphin. Un autre jour M"® de Montglat lui demande
après qu'il vient de prier pour le Roi : « Aimez-vous bien papa ?
— Oui. — Comment l'aimez-vous? — Je l'aime plus que Pataut
(le chien de sa nourrice). — Monsieur, reprend la gouvernante ,
il ne faut pas dire ainsi , il faut dire plus que vous-même. —
Plus que moi-même ! Eh! il ne faut pas aimer soi-même ! il faut
aimer des hommes, mais pas soi-même ! »
Le Dauphin se plaisait aussi à jouer sur les mots et sur les noms ;
nous nous bornerons en ce genre à une seule citation où figure le
poète Racan. Le 14 octobre 1606 il y avait à son souper « un page
de la chambre auquel il demanda : « Comment vous appelez-
xxii INTRODUCTION.
vous? — Monsieur, je m'appelle Des Ars. — Vous êtes donc
un arc? Il vous faut attacher une corde au nez et au bout des
jambes, et puis y mettre une flèche et tirer. » D'un autre page
de la chambre qui se nommoit Racan , il dit à sa gouvernante ;
« Mamanga, velà l'arc en ciel, pour ce qu'il tournoit le nom en
son entendement, imaginant Arcan et ajoutoit ciel en sa petite
fantaisie. 11 se plaisoit à des pareilles rencontres. »
Voici, à la date du jour des Rois, une jolie conversation sur le
nombreux personnel de la maison du Dauphin : « Il tenoit une pein-
ture du Roi sur du papier, où étoient les nom , surnom et qualités;
il les lisoit. M. de Ventelet lui demande : « Monsieur, quand vous
serez un jour le Roi, comment mettrez-vous?» II répond brusque-
ment :*« Ne parlons point de cela! — Mais, Monsieur, vous le serez,
s'il? plaît à Dieu , un jour après papa. — Ne parlons point de
cela î — Monsieur, c'est que vous voulez dire qu'il faut prier Dieu
qu'il donne longue vie â papa? — Oui, c'est cela. » En dînant
il demanda si , pour son souper, il ne y auroit pas un gâteau
pour faire les rois; M. de Ventelet lui dit que oui et qu'il seroit
le roi^ « Ho ! non, dit-il, c'est papa. — Monsieur, j'entends le
roi de la fève, ce n'est que pour jouer; » et là-dessus je lui dis :
i( Monsieur, il faudra s'il vous plaît des charges à tous vos ser-
viteurs; que donnerez-vous à M. Birat? — Ce sera le fou. —
Et à M. de Ventelet? — Ce sera le bon vieux homme. — Et
à moi/ Monsieur? — Vous serez l'imprimeur. » M. Boquet, mari
de sa nourrice, lui demande une charge. — « Vous serez maître
liuillaume^ » c'étoii le fou du roi. Je poursuis à lui demander : « Et
à M. d€ Malleville, que lui donnerez-vous ? ( Il étoit exempt aux
gardes écossoises servant près de lui.) — Ce sera Pantalon; » il
avwt la barbe assez grande. — a Et M. de la Pointe? (archer
du corps qui étoit gros). — Ce sera le gros ventre. — Et
M. d'Origny? (son compagnon). — Ce sera le cuisinier; » il
étoit un peu malpropre. — « Et maître Jean ? ( son somme-
lier ). — Ce sera l'ivre. — Et maître Gilles? (son panne*
tier). — Il sera confiturier. — Et votre huissier de salle? (il
faisoit des vers). — Féfé Vaneuil a un petit chien qui s'appelle
Joly; quand ils seront ensemble ils feront des vers et Joly les fera
par le c... — Et de Vienne? (c'étoit son cuisinier). — Ce sera
Sibilot;*» c'étoit le fol du feu Roi. — « Et Champagne? (garçon
de garde-robe). — Ce serai mon verseur de m... — Et
M. Guérin? (son apothicaire). — Ce seraFrely; » c'étoit, le nom
que ledit Guérin avoit donné à l'un des chiens. — « Et M. de
Cressy ? (enseigne de la compagnie qui étoit fort grand ). — Ce
sera le petit Marin; » c'étoit le nain de la Reine. — « Et M. Aude?
INTRODUCTION. xxiii
( huissier de chambre de Madame qu'il voyoit souvent enveloppé
au visage ). — Ce sera Tenrhumé. » M. Bqquet, qui n'étoit pas
content d'être maître Guillaume, le pressoit pour lui en donner
une autre; M. Birat entre en la chambre, M. Boquet lui dit :
« Monsieur, voilà M. Birat; quelle charge lui donnerez-vous? —
Ce sera maître Guillaume. — Et moi, Monsieur, lui dit Boquet,
que serai-je maintenant que je ne suis plus maître Guillaume?
— Vous serez maître Guillaume Dubois, le poète de mousseu de
Roquelaure ( c'étoit un fol qui avoit été maçon et se faisoit
croire qu'il faisoit bien des vers); mousseu Héroua, il me venoit
voir souvent à Fontainebleau, sur la terrasse de ma chambre; il
me montroit des vers qui étoient si mal faits, si mal faits, » me dit-
' il avec action, comme s'il se y fût connu et en souriant. — « Et
à M. de Bernet? (porteur de M. d'Orléans). — Ce sera le nou-
veau tondu; » il avoit ses cheveux et sa barbe faits de nouveau.
— « Et Bourgeois? ( l'un des huissiers de sa chambre qui étoit
vêtu de noir, portant le deuil ). — Ce sera la corneille. — Et
Montalier? (valet de garde-robe, portant le deuil). — Ce sera le
corbeau. » (5 janvier 1608.)
Une autre repartie du Dauphin pourrait s'appeler le Dauphin
terrible. Le 30 juillet 1608, il jouait avec des figurines en faïence
dont une représentait un singe. Henri IV le vient voir et lui dit
que ce singe ressemblait à M. de Guise. « Peu après M. de Guise
arrive et lui demande : « Monsieur, qu'est cela? — C'est votre
ressemblance. — Comment le savez-vous ? — Papa le dit. » Le
21 décembre suivant, le Dauphin se fâche contre les petits gen-
tilshommes attachés à sa personne, « veut qu'ils aient le fouet.
M"® de Montglat lui dit qu'il leur falloit pardonner et que le Roi
pardonnoit à tout le monde. — A tout le monde ! il n'a pas par-
donné au maréchal de Biron ! »
Le 28 avril 1610, peu de temps avant le couronnement de
Marie de Médicis qui devait être suivi d'une entrée solennelle, on
disait au souper du Dauphin « que les enfants de Paris qui dé-
voient être à l'entrée de la Reine auroient des éperons ,dorés.
« Ho ! dit-il, s'ils en ont de dorés , j'en veux avoir de fer noir. »
Citons encore trois ou quatre mots du jeune Roi qui achèvent
de peindre une des faces de son caractère et la tournure que
prend peu à peu son esprit. Le 15 juillet 1610, il fait donner à
boire à son petit chien et demande : « Pourquoi d^nne-t-on à
boire aux chiens ? » Il lui fut répondu : « De peur qu'ils n'enra-
gent. » 11 repart soudain : « Les ivrognes donc n'ont garde d'en-
rager, car ils boivent toujours. »
Le il décembre 1612 « la Reine avoit commandé qu'on lui fît
XXIV INTRODUCTION.
la mine pour n'avoir point voulu prendre sa médecine ; il s'en
aperçut ou il le sut, et s'adressant à M^'® de Vendôme , lui dit
tout bas : « La Reine ma mère a commandé que l'on me fasse la
mine, mais ils seroient bien tous étonnés si je la faflsois. » Soudain
il va à M"® la douairière de Guise : « Eh bien, madame de Guise,
êtes-vous de celles qui me font la mine? » et s'en va, lui faisant la.
moue et le hausse- bec. »
Le 9 avril 1616, il construisait un petit fort et y plaçait (c des
petits canons tirés par des chiens, l'un desquels fait difficirtté de
passer outre sur une planche qui faisoit du bruit. Il le bat rude-
ment et en colère, le chien passe sans difficulté; lors il dit
froidement et de façon sérieuse : « Voilà comme il faut traiter les
opiniâtres et les méchants,» et, lui donnant du biscuit, a et récom-
penser les bons , les hommes aussi bien que les chiens. »
Le 30 décembre 1622, il y avait eu « dispute entre les sieurs
d'Ecquevilly et de Sourdis. enfants d'honneur qui portoient des
oiseaux de la chambre » ; d'Ecquevilly avait été appelé en duel, et
on disait au Roi qu'il fallait les empêcher de se battre : «Non, non,
répond-il en colère. Qu'on ne les empêche pas; laissez-les battre.
Je les séparerai bien; je leur ferai trancher la tète. »
Les Inclinations de Louis XIII pour les armes et pour la chasse
se montrent chez lui de très-bonne heure; mais, malgré son ca-
ractère hautain, il apportera dans ces exercices, comme en toutes
choses, des instincts au-dessous de son rang, un esprit subalterne,
et il sera plutôt soldat que capitaine , plutôt piqueur que grand
veneur. Héroard remarque à plusieurs reprises que le Dauphin
u se familiarise de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec
toute autre sorte de personnes, faisant du pair et du compagnon
avec eux ». Son premier favori est un soldat aux gardes, qu'il ap-
pelle son mignon Descluseaux; « mais il ne vouloit pas qu'il fut
assis à table avec lui pource que, disoit-il, il est pas gentil-
homme. » Un jour qu'il faisait ses exercices militaires devant le
Roi, avec ses frères naturels MM. de Vendôme et de Verneuil, et les
deux petits Frontenac, fils du gouverneur de Saint-Germain, « le
Dauphin disoit qu'il vouloit être mousquetaire., et néanmoins il
avoit accoutumé de reprendre ceux qui ne faisoientpas bien; le Roi
lui dit : « Mon fils, vous êtes mousquetaire et vous commandez! »
C'est exactement ce que Louis XIII sera toujours, et roi iljoueencore
au soldat. J^e 23 janvier 1611, après déjeûner, il prend un bâton, se
fait mettre en sentinelle par le jeune Loménie, qu'il fait caporal,
• fait demander à M. de la Curée (lieutenant des chevau-légers) par
M. de Préaux (son sous-gouverneur) s'il connoit point ce soldat.
M. de la Curée répond que non. — « Il a été aux guerres de Flan-
INTRODUCTION. xxv
dre, » dit M. de Préaux. — « Il a bonne mine, » répond M. de la
Curée, puis adressant la parole au sentinelle : a Mon compagnon,
d*où êtes- vous? — De Gàtinois, répond le Roi. — Comment vous
appelez-vous? — Capitaine Louis. — Vous êtes bien habillé ! il y
a quelque sergent qui est votre camarade, qui vous fournit ce qu'il
vous faut? — Oui. »
A rage de quinze ans et encore dans sa seizième année, le Roi
continue le même jeu. Le 2 septembre 1616 , « il s'amuse à faire
la garde lui-même, se couche sur la paillasse, s'endort; Descluseaux
qui faisoit le caporal l'éveille , le tire par les pieds hors de la pail-
lasse, le met en sentinelle où il se rendort. Descluseaux le y
trouve, le met en prison ; ce fut en son lit. » Le 20 juin 1617, après
avoir, dans la journée, été au conseil et donné une audience à
l'ambassadeur de Savoie , et après la cérémonie de son coucher
terminée, il se relève dans la soirée et « vêtu légèrement, il
descend au jardin, s'amuse à faire la garde, se fait mettre en
sentinelle, reçoit le commandement du sergent (c'étoit Desclu-
seaux ), y est jusques à une heure après minuit. »
Cinq ans après le jeu devient plus sérieux et produit même
une impression pénible. Le Roi qui assiège la ville de Saint- Anto-
nin, occupée par les protestants, descend du rôle de commandant
d'armée à celui de simple « artillier »; le 16 juin 1622 « il va au
camp à dix heures, au-dessus d'une batterie où il y avoit deux cou-
leuvrines, en pointe par deux fois, tire sur des paysans qui rem-
paroient; à la deuxième fois il en tue deux. » Héroard cite pourtant
beaucoup de traits d'humanité de Louis XIII envers les hommes
et même envers les animaux, mais ici le désir de prouver son
adresse,de se montrer bon soldat, lui fait oublier qu'il n'appartient
pas à un roi de tirer sur ses sujets, même révoltés.
Dans son goût passionné pour la chasse, Louis XIII se montre le
même. Enfant, il entretient de préférence le veneur maître Martin,
lui parle « de tousses chiens, sait ou demande leurs noms, ce qu'ils
savent faire, comme il dresse les jeunes». Roi, ilélève lui-même ses
oiseaux et leur donne a la mangeaille ». Il va seul au bois et à la
volerie, en si simple appareil qu'un jour, à Saint-Germain (19 février
1619), un meunier court après lui a le prenant pour un fauconnier,
disant et opiniâtrement que c'étoit lui qui lui avoit pris* sa poule;
à quoi il prenoit plaisir et à le faire contester » . Dans un âge plus
avancé, il va de Saint-Germain coucher le soir à Versailles, y dort
tout vêtu afin d'être plus tôt prêt pour aller à la chasse, et le lende-
main (3 août 1624), « éveillé à trois heures, il prend son limier et va
au boispour détourner le cerf, y est deux ou trois heures, et revient
tout mouille à,Marly. Il se jette sur un méchant lit sans dormir et.
XXVI INTRODUCTION.
après dîner, va courir son cerf qu'il avoil détourné. Il ne le prend
point et revient à Saint-Germain . »
Héroard nous montre encore le Dauphin « curieux de vouloir
tout savoir », ayant « Tœil et Toreillc à tout », se plaisant a tou-
jours à quelque exercice pénible». Son goût pour « les œuvres
mécaniques » lui (ait, tantôt suivre « un maçon qui raccoustroit »,
tantôt regarder « des charpentiers qui mettoient doe cloisons ».
Voici par exemple une journée où Ton voit la diversité de ses oc-
cupations et de ses instincts : Le iO août 1607 « il se fait mettre
dans son petit carrosse découvert jusqu'à la chapelle où il entend
la messe, faisant des gambades sur son carreau. Il va à son car-
rosse, y fait mettre dedans Madame, la petite Vitry et le petit Gra-
mont de la Franche-Comté. Il dit à Toreille à Hindret, son joueur
de luth, qui le menoit : «Je veux être le valet de pied, mais le dites
pas. » Deux pages tirent le carrosse, il va à côté branlant les bras et
marchant de Tair d'un laquais, se fait appeler le petit Louis. Mené
en sa chambre, il se met sur les outils de menuiserie; il a deux
pages et deux garçons de la chambre auxquels il commande, leur
fournit la besogne et se fait appeler maître Louis. Il vient en taa
chambre, me demande papier et encre, se meta peindre, fait
un oiseau, puis se met à faire Dondon, sa nourrice. » Une autre
fois, « il s'amuse à maçonner une maison, porte lui-même les
pierres », ou bien il pave lui-même un chemin, « porte le pavé, le
met en oeuvre ». Roi, il s'amusera « à faire des paniers de menu
jonc », clouera «les tapis du pied de son lit avec le tapissier », tra-
vaillera avec un émailleur ou avec un excellent tourneur allemand
qui lui apprendra à tourner. Le 15 octobre 1614, « il s'amuse
lui-même à travailler avec le menuisier, à dresser le jeu de bil-
lard, » et le 12 janvier 1617 à établir « une batterie de petits ca-
nons qu'il avoit lui-même fondus à sa forge ».
Nous avons vu Louis XIÏI demander à sa mère de lui ôter son
gouverneur M. de Souvré, parce qu'il ne « pouvoitplus durer avec
cet homme-là » ; quinze jours avant il lui avait servi de cuisinier et
de maître d'hôtel. Le 13 octobre 1614 il était allé faire collation
'dans une maison particulière ; après avoir mangé, « il entre en la>
cuisine, met M. le comte de la Rocheguyon à la porte pour huis-
sier, et lui se fait porter des œufs, ayant été auparavant au pou-
lailler pour en prendre. Il donne deux écus à une femme qui lui
en apporta six et un poulet, se prend à faire des œufs perdus et
des œufs pochés au beurre noir, et des durs hachés avec du lard,
de son invention. M. de Frontenac, premier maître d'hôtel, fait
une omelette ; le Roi commande au petit Humières de prendre un
bâton et de servir de maître d'hôtel, au sieur de; Montpouillan
INTRODUCTION. xxvii
d'huissier^ à d'autres de prendre des plats, et lui prend le dernier
et marche ainsi à la salle où étoit M. de Souvré, auquel il avoit
commandé d'attendre ce qu'on alloit lui servir. H fait l'essai du
plat qu'il portoit >>.
Le Dauphin montre des goûts plus élevés dans ses dispositions
naturelles pour la musique et .le dessin. Suivant l'usage de l'é-
poque, deux musiciens étaient attachés à sa personne « pour
l'endormir»; l'enfant les écoutait avec transport, retenait les
termes de leur art et voulait même faire sa partie avec eux. Le
23 février 1608, il joue du « tabourin de basque fort bien, en con-
cert avec Hindret, son joueur de luth, et Boileau, son violon; il
avoit appris de lui-même. Mené pour donner le bonsoir au Roi et
jouer leur concert, il s'arrête à la porte du cabinet et ne voulut ja-
mais entrer pour jouer, comme ayant reconnu que c'étoit chose
messéânte à sa qualité ; le Roi le sut et le trouva bon ». Le 1 1 août
1609, « il fait chanter et chante en concert des chansons d'a-
mour; mis au lit , il fait encore chanter Laudate en concert de
voix, d'un luth et d'une mandore ».
Un jour de là fête de Sainte-Cécile, icM. de Souvré le vouloit mener
à Notre-Dame »; le jeune Roi s'y refusait « à cause, disoit-il, qu'il
y auroit une grande messe. — Oui, Sire, lui dit M. de Souvré,
mais il y aura de la musique que vous aimez tant ! — Oui, mais il
y en a de deux sortes ; il y en a une que j'aime point » ; c'étoit
le plain-chant. » La musique que le Roi préférait était celle que
lui faisaient à son coucher La Chapelle, « excellent joueurd'épinette
qui étoit à lui », et Bailly qui chantait en s'accompagnant du luth.
t< Quand ils cessoient : « Chantez, chantez, » disoit-il, ainsi que
souloit faire le feu Roi son père, duquel il avoit toutes les mêmes
actions. » Le 1^"" septembre 1612, le Roi « commence à apprendre
à jouer du luth par Ballard, » et à la fin de, l'année 1616 on le
voit encore chanter en concert avec les orgues, « sur lesquelles
jouoit le sieur de La Chapelle ».
Louis XllT enfant avait moins d'ardeur pour la danse, peut-être
parce que cet exercice faisait partie de son éducation , tandis que
la musique et le dessin n'étaient que des arts d'agrément qui ne
lui étaient pas imposés. Cependant, le 21 février 1606, il danse fort
bien son ballet des Falots devant Henri ÏV qui « en pleure de
joie )» ; mais plus tard Héroard écrit à la date du 5 janvier 161i :
« Dansé à regret ; il n'aimoit pas la danse de son naturel, et si il
faisoit bien ; il le fait pour faire les révérences à M. de Souvré qui
le forçoit à les bien apprendre. » Dans les années suivantes au
contraire le Roi figure lui-même dans plusieurs oallets, et on sait
qu'il se plaisait à en composer.
xxviii INTRODUCTION.
Dès rage de trois ans, le Dauphin commence à « crayonner sur
du papier » et Héroard a conservé précieusement ces premiers
griffonnages, dans lesquels il voit déjà une « merveilleuse inclina-
tion à la peinture » ; on les retrouve dans le manuscrit de son
journal, ainsi que les premiers essais d'écriture de Tenfant. Ces
dispositions pour le dessin se développèrent un peu plus tard ,
pendant les séjours à Fontainebleau où de nombreux artistes, à la
tète desquels se trouvait Martin Fréminet, continuaient les travaux
de décoration commencés sous François 1**". Le 14 décembre 1606,
le Dauphin s'amuse à peindre « ayant fait venir un peintre qui lui
apprend ; il l'écoute et suit ce qu'il lui dit^ maniant aussi dextre-
ment le pinceau que l'ouvrier, et tenant les couleurs au pouce
comme le peintre, qui lui fait tirer un visage ». Le matin, il avait
dit à M™® de Monlglat : k Je peindrai, je vous ferai un beau petit
chérubin. — Ho! lui dit la gouvernante, vous êtes mu beau
peintre ! Vous ne sauriez peindre le beau temps. — Si ferai.
— Comment ferez-vous? — Je prendrai du blanc, puis des
couleurs de chair et du bleu. — Mais vous ne sauriez faire le
soleil ne la lune. — Si ferai. — Comment ferez-vous le so-
leil?— Je prendrai du jaune et du rouge, et je les mêlerai. —
Et la lune? — Je prendrai du blanc et du jaune, je les mêle-
rai, puis je ferai un visage, puis ce sera la lune». » Le lendemain,
« il envoie. quérir deux jeunes peintres, dit qu'il veut apprendre à
peindre; étant arrivés, il prend les couleurs au pouce , peint des
cerises après le crayon du peintre , demande : « Que faut-il que je
fasse? Faut-il du blanc , du rouge? w et besogne dextrement et
avec attention. »
Deux jours après, c'est Fréminet lui-même qui vient donner
au Dauphin une leçon dont Héroard a conservé les dessins, et
son journal nous fait assister à la petite scène d'intérieur qui
se passe entre le prince et le premier peintre du Roi. Aussitôt
que Fréminet entre dans sa chambre , le Dauphin lui montre
ses peintures des jours précédents et lui dit : « J'ai fait ces cerises,
j'ai fait cette rose. » M. Fréminet, « peintre du Roi,» excellent per-
sonnage », lui dit : (( Monsieur, vous plaît-il que je vous fasse
faire un oiseau avec la plume ? » Il lui répond gaiement : « Oui ;
Mamanga, envoyez quérir mon écritoire ; » il met son papier sur
sa petite table » et commence à griffonner tout seul un oiseau
dont le corps est semé de grosses taches d'encre : « Les taches
noires du milieu, dit-il, ce sont les plumes. » Fréminet lui pro-
pose alors de lui conduire la main et lui fait dessiner un perro-
quet, mais ce n'est pas sans peine, à cause de l'impatience de
l'enfant qui veut aller plus vite que l'artiste. Fréminet dessine en-
INTRODUCTION. xxix
suite^une tète de profil et dit au prince : « Faites un visage comme
celui-là. — Ho! ho! dit-il en souriant, je ne saurois. » Frémi-
nethii reprend alors la main et lui fait dessiner deux profils, puis,
pour terminer la leçon, Tartislte retourne le papier et dessine une
belle tète de guerrier coiffé d'un casque; l'enfant ravi lui donne
pour le remercier une grosse poire.
Le 6 février 1607, le Dauphin, qui est toujours à Fontainebleau,
parle dans son lit, avant de s'endormir, « sur les peintures qu'il a
faites , d'un bois, d'une montagne, du ciel; qu'il n'avoit pas les
couleurs pour faire les ombrages du soleil et de la lune; que de-
main il achèvera, peindra la chasse au blaireau pour la présenter
à papa; il n'en pouvoit sortir tant il y prenoit de plaisir ». En
effet, le lendemain , « il s'assied et accommode une petite toile
carrée, et la cloue sur un petit ais pour peindre dessus, ayant au-
près de lui le petit-fils de l'un de ses jardiniers, qui savoit peindre
et qui lui montre. Il le suit avec son pinceau; froidement, attentive-
ment, dextre ment et avec vouloir et affection d'apprendre. Ce désir
l'avoit fait lever lever plus matin que de coutume, il y avoit de l'in-
clination comme aux^ autres sortes de mécaniques. Ayant achevé
son bocage, il dit au petit peintre : « Faites l'accoustrer. — Mon-
sieur, lui dit le peintre, y fcrai-je faire un châssis? — Oui, oui.
— Monsieur, je n'ai point d'argent. -^Mamanga, donnez-moi de
l'argent pour faire un châssis à mon petit tableau. » Elle lui baille
deux quarts d'écu ; il va au peintre et lui dit : « Tenez, velà deux
quarts d'écus, gardez-en un pour en faire un autre. » Trois jours
après le Dauphin « tire de son pupitre le paysage qu'il avoit fait
avec le petit peintre ; M"® de Montglat lui dit : « Monsieur, il vous
faut écrire. — Non, Mamanga, qu'on aille quérir le petit peintre ; »
il aimoit la peinture », répète encore Héroard.
Une autre fois c'est Du pré, le graveur en médailles, qui donnera
au jeune prince, toujours à, Fontainebleau, une leçon de modelage.
Le 6 juin 1G07, le Dauphin, qui pose pour un sculpteur en cire
.nommé Paolo , s'amuse pendant ce temps à « tirer en cire » son
mignon Descluseaux. Dans l'après-midi « il s'amuse, avec de la
cire, à faire un visage, pendant que M. Dupré, statuaire du Roi,
le tire pour en faire une médaille ;. il sait tout ce qu'il faut faire
et. travaille fort dextrement, polit, fait les cheveux, perce les yeux,
les oreilles, tout sur la trace grossière que M. Dupré lui en avoit
faite ». Le lendemain il dit à son médecin qu'il le « veut peindre
en cire pendant que M. Dupré l'achèvera » et qu'il lui fera la barbe
pointue comme une épingle.
Plus tard le Dauphin fait faire par Boileau , son joueur de vio-
lon, et fait lui-même des copies d'après quelques-uns de ces des-
XXX INTRODUCTION.
«
sins dont la mode s'était conservée depuis le seizième siècle et que
Ton nommait des crayons; c'est tantôt Duguesclin ou Louis XII,
tantôt ses deux grands-pères Antoine de Bourbon et le duc de
Toscane ; lui-même pose pour Boileau et il fait attacher ces crayons
sur la tapisserie de sa chambre. Héroard a joint à son manuscrit
une copie de la main du Dauphin d'après un crayon représentant
la marquise de Ménelay. Une autre fois le Dauphin copie le por-
trait de la reine Jeanne de Sicile et a en huile le portrait du Roi
qui étoit devant lui ; il étoit fortreconnoissable ».
Louis XIII conserva toute sa vie son goût pour la peinture et le
dessin. Lorsqu'au mois de février 1611, Marie de Médicis veut lui
acheter à la foire Saint-Germain une chaîne d<î diamants, u il n'en
veut point, dit mieux aimer des tableaux», et à diverses reprises il
se remet à peindre « ayant fait venir Bunel , l'un de ses peintres
et excellent ». Le 25 juillet 1622, étant à Béziers, le Roi «s'amuse
à peindre en crayon, ne laisse pas d'entendre ses affaires par
M. de Puisieux, secrétaire d'État » ; et au mois d'août 1627 on le
retrouve à Versailles, s'occupant encore « à peindre ». Si Héroard
avait vécu jusqu'aux derniers jours de son maître il l'aurait vu,
quelques semaines avant sa mort, ainsi que le rapporte Dubois,
l'un des valets de chambre du Roi, « travaillant fort longtemps à
peindre certains grotesques , à quoi il se divertissoit ordinaire-
ment ».
IV.
•
La liberté de mœurs et de langage qui régnait sous Henri IV
commence à disparaître avec Louis le Juste, que l'on a aussi Sur-
nommé Louis le Chaste. Dès la première année de son avènement
au trône, un jour que le Roi « fait faire la musique de voix et
d'instruments » et qu'il parle des chansons qu'il vient d'entendre,
M. de Souvré lui demande : « N'avez-vous point fait chanter de
celles du feu Roi, qui étoient pour les amours de M"« la princesse
de Condé et autres? — Non, répond le Roi. — Pourquoi?
— Je les aime point, » dit-il brusquement. L'année suivante,
Concini s'étant permis au coucher du jeune Louis une indécente
plaisanterie sur la nourrice du Roi et sur les femmes qui veillaient
encore près de son lit, le Roi, « le regardant en colère, lui tourne
le dos » en lui reprochant ces « vilainies » ; et encore, le 25 dé-
cembre 1619, comme il dînait à sa petite chambre où le prince de
Condé et plusieurs seigneurs « se parloient de mots qui dépas-
soient la gaillardise », le Roi dit : « Je ne veux point que l'on dise
'des saletés et des vilainies. »
INTRODUCTION. xx\i
Louis XIII n'avait non plus aucun goût pour les fous de Cour, les
faiseurs d'horoscopes, les soi-disant poètes à cervelle dérangée qui
étaient admis familièrement auprès de son père. Étant Dauphin,
on le voit chasser à coups de pied Engoulevent, prince des sots,
^qui était entré en sa chambre; « il haïssoit naturellement, dit
Héroard, les plaisants et bouffons. » Une autre fois il renvoie de
sa chambre « un gentilhomme de Normandie , nommé le sieur de
la Valée, qui se mêloit de prédire par horoscopes et nativités;
il s'adresse à lui parmi la troupe, lui dit : « Allez-vous-en, » et le
presse si fort qu'il fallut sortir. »
L'accès des résidences royales était alors d'une facilité inouïe.
Les épousées de village y venaient danser le jour de leurs noces;
les merciers, les porte-paniers y entraient pour débiter leurs
marchandises, les mendiants pour demander l'aumône; les mu-
siciens ambulants pénétraient jusque dans l'intérieur des appar-
tements. Le 10 juin 1604, on voit le Dauphin faire sortir de la salle
du Roi, à Saint-Germain, « un cul-de-jatte qui jouoit du flageolet,
disant : « Mettez dehors ! qu'il joue, mais je ne le veux pas voir. »
Il ne veut point voir Olyvette, folle de feu M'"*^ de Bar (sa tante),
ne veut point voir maître Guillaume (fou de Henri IV), n'aime
point les fols de cette sorte. » Son goût pour la musique lui fait
pourtant un autre jour, pendant son dîner, écouter ce même cul-
de-jatte avec plaisir jusqu'à ce que, a après avoir joué longtemps
et deux violons avec lui , » l'estropié lui dit d'une voix rude :
« Monsieur, buvez à nous. » Il devient rouge , disant soudain :
« Je veux qu'il s'en aille. » Son médecin lui dit : « Monsieur, il est
pauvre; il ne les faut pas chasser. — Il ne faut pas que les pau-
vres viennent ici. — Monsieur, non pas tous, oui, bien ceux qui
vous font jouer comme lui. — Qu'il aille donc jouer là- bas. »
M"* de Montglat l'en veut aussi distraire , "il lui répond : « Ma-
manga, il m'étourdit; » et puis après il dit : « Je ne bois qu'à papa
et à maman. »
Héroard note dans son journal non-seulement les grands per-
sonnages qui viennent visiter le Dauphin , mais encore les plus
infimes. Pendant la première année c'est une véritable procession
de gens de toute sorte qui font le voyage de Paris à Saint-Germain
en « grande troupe » ou en « compagnie », et qui sont admis à voir
l'enfant au berceau ou dans les bras de sa nourrice. Tantôt ce sont
des courtisans qui rendent au Dauphin le plus singulier hommage ;
tantôt c'est une vieille revendeuse de Paris, à moitié folle, qu
« se prend à danser devant lui », avec les mots et les gestes les
plus indécents. A côté de ces scènes burlesques le médecin nous
en montre de touchantes, telles que celle du 28 avril 1602, où le
xxxii INTRODUCTION.
lieutenant-général de Fonte nay-le-Comte « âgé de quatre-vingts
ans, arrive en jupe, se meta genoux et à pleurer, le voit remuer,
et s'en retournant dit à M"® de Montglat qu'il plût à Dieu de donner
à Monseigneur le Dauphin le bonheur de son père, la valeur de
Charlemagne et la piété de saint Louis; et s'étant retourné pour«i
s'en aller, étant au coin du grand pavillon , il lève Icfs mains au
ciel et dit : « Dieu m'appelle quand il lui plaira , j'ai vu le salut
du monde. »
Une autre visite d'un caractère bien particulier est celle que Sully
fait au Dauphin le 20 juillet 1606 : « A midi, M. de Sully, revenant
de Rosny, le vient voir. M'"'' de Montglat fait ouvrir la grande porte
de la salle; M. le Dauphin y est mené en attendant M. de Sully;
comme il est au milieu de la cour, elle le fait courir au-devant de
lui, pour l'embrasser comme il faisoit au Roi. Il s'arme à l'accou-
tumée, est piquier, fait armer la compagnie, entre en garde, va à
la charge, fait les exercices. M de Sully lui donne cinquante écus
en quadruples, ses soldats les lui arrachent des mains; il n'eut
presque pas le temps de les manier; il ne] lui en demeura qu'iine
pièce qu'il tient ferme contre Montailler, tailleur de M™* de Mont-
glat, dont il s'écrie : « Hé ! maman, Montailler me l'arrache; » elle
y vient, la prend et fait rendre les autres, qu'elle retient. 11 n'en
dit mot, ne s'en plaint point, mais peu après il dit : « Mais moi je
suis soldat et je n'ai point eu d'argent; » M. de Sully lui donne un
doublon, puis s'en va. » Après avoir constaté cette u grande in-
discrétion» envers le Dauphin, Héroard aJQute en marge de son
manuscrit que M"« de Montglat eut quatre de ces doublons, le
chevalier de Vendôme un, le musicien « Hindret, un, etc. »
On a d'autres exemples de cette incroyable avidité de la gouver-
nante; le 30 septembre de la même année, après avoir soupe avec
le Roi, le Dauphin suit son père « en la chambre de la Reine,
laquelle lui donne deux pièces de monnoie d'or. Ramené en sa
chambre, querelle pour ces^eux pièces d'or entre M'"*^ de Montglat
et sa nourrice, lui bien empêché pour les contenter toutes deux. »
Moins de deux mois plus tard, le 20 novembre, le Dauphin est mené
dans la chambre du Roi où se trouve Sully. M'"** de Montglat lui
dit : « Monsieur, l'on dit que vous êtes avaricieux, demandez à
M. de Sully de l'argent pour donner. » Il ne dit mot et ne veut
point; il ne demandoit pas aisément, de peur d'être refusé; il
s'en offensoit. M™*^ de Montglat l'en presse, et sur cela il entend
que M. de Sully disoit : « Il n'est pas encore temps; » il se retourne
soudain, comme dépité, disant : « C'est pas du sien, c'est de celui
à papa, » et s'en va. M™*^ de Montglat le retire vers M. de Sully :
« Monsieur, dit-elle, dites à M,, de Sully qu'il fasse pour moi ce
INTRODUCTION. xxxiii
que je lui demanderai. — Qu'est-ce? — Monsieur, dites-lui
seulement cela. » Il demanda toujours ce que c'étoit, et enfin,
fort presse, dit par acquit et se retournant : « Faites cela pour
Mamanga, et s'en va tout dépité. »
• Le Dauphin n'aimait pas à s'adresser à Sull^, et disait de lui :
« C'est un glorieux. » Quelques jours avant l'assassinat de Henri IV
il est « mené en carrosse à l'Arsenal où M. de Sully lui demande :
«Monsieur, voulez-vous de l'argent? — Non, dit-il par dé-
dain. — Mais, Monsieur, dites si vous en voulez, » et il le lui de-
mande par plusieurs fois. — « Si vous en voulez bailler, répond le
Dauphin, faites l'apporter à xVfonsieur de Souvré. » Il avoit cueilli
des brins fleuris d'un arbre qui lui avoit plu ; M. de Sully lui dit :
« Monsieur, quand vous reviendrez ici, vous trouverez cent
bourses pleines d'écus sur cet arbre-là que vous avez trouvé
beau. — Ce sera un bel arbre, » dit-il, négligemment et sans le
regarder. Cependant lorsqu'au commencement de 1611, Sully
est « démis de la garde de la Bastille et de la surintendance des
flnances, le Roi dit à M. de Souvré : « L'on a ôté mousseu de Sully
des finances? — Oui, Sire. — Pourquoi? » demande-t-il, avec con-
tenance d'étonnement. — « Je n'en sais pas les raisons, répond
le gouverneur, mais la Reine ne l'a pas fait sans beaucoup de su-
jets, comme elle fait toutes choses avec grande considération. En
êtes-vous marri? — Oui. »
La figure du brave Crillon, lorsqu'il visité le Dauphin, est un peu
celle d'un capitan de comédie. Le 19 avril 1605, « arrive M. de
Crillon, mestre de camp du régiment des gardes, qui ne l'avoit pas
encore vu ; le Dauphin lui ôte son chapeau, lui donne sa main à
baiser, disant : « Bonjour, moHcheu de Crillon. » M. de Crillon
lui dit : a Monsieur, voulez-vous que je tue cettui-ci, cettui-là? »
en montrant les personnes qui sont autour de lui. — « Non , >>
répond l'enfant étonné. — « Qui donc? demande Crillon. —
Les ennemis de papa. » Ces manières semblent si étranges au
Dauphin, qu'un peu plus tard, lorsque Crillon accompagnant le
Roi revient à Saint-Germain et que Henri IV demande à son fils :
« Qui est celui-là ? » il répond : « Le fou. » M. deCrillon lui dit
brusquement s'il vouloit qu'il battît M. de Souvré. — Non. — Si
je ne le bats point, m'aimerez- vous? — Oui. » Le 6 avril 1606,
Crillon vient encore voir, pendant son goûter, le Dauphin qui
ne veut pas lui dire adieu ; M'"*" de Montglat « l'en tance dans sa
petite chambre : « Mais, Mamanga, c'est un méchant homme. Je
suis brave, je suis furieux ! » dit-il, en faisant les contenances de
M. de Crillon. »
Le Dauphin est en perpétuelle opposition contre toutce qu'il voit
HÉROARD. — T. f. • C
xxKiv INTRODUCTION.
et ce qu'il entend, au grand élonnement de son médecin lui-
même. Un jour, à Fontainebleau , une troupe d'Égyptiens vient
danser au château et les gens de service se divertissent avec les
bohémiennes. Le Dauphin regarde danser ces Égyptiens, mais il
défend que « pas un des siens danse avec leurs femmes » ; le soir
on parlait devant lui a de ce qu'il n'avoit permis la danse aux
siens avec ces femmes ». Héroard lui demande : « Monsieur, vou-
driez-vous bien que j'eusse dansé avec elles? — Non , dit-il, je ne
voudrois pas que vous eussiez touché la main à ces vilaines fem-
mes; elles sont si sales! » Le lendemain on fait entrer ces bohé-
miens pendant son dîner, alors « il ne veut plus manger que l'on
Bè fasse sortir trois Égyptiens, disant qu'ils sentoient mauvais ».
Cette répugnance du Dauphin fait comprendre la résistance ;:iue
Henri IV rencontre chez son fils la première fois qu'il veut lui faire
laver les pieds aux pauvres à sa place, le jour du jeudi saint : « Je ne
veux point, dit-il, la veille, ils sont puants, » et le lendemain lors-
qu'on lui demande s'il lavera bien les pipds aux pauvres, il répèle
encore : u Non, je ne veux point, ils ont les pieds puants. » On juge
de ce que. Roi et à peine âgé de neuf ans, il dut souffrir lorsque,
quelques jours après son sacre, il eut à toucher plus de neuf cents
malades des écrouelles. « Il se reposa quatre fois, dit Héroard ,
mais peu, ne s'assit qu'une seule fois. Il blemissoitun peu du tra-
vail, et nç le voulut jamais faire paroitrc, ne voulut pas prendre de
l'écorce de citron. » Le jour.de l'Assomption IGll, le Roi touche
quatre cent cinquante malades, « se trouve foible; ilfaisoitune ex-
trême chaleur » ; ayant « lavé les mains avec du vin pur et respiré
du vin, il revient à lui ». En 1613, il touche jusqu'à onze cent
soixante-dix malades; mais lorsqu'en 1619, Héroard lui demande
« s'il toucheroit les malades ( il y avoit de la peste à Paris), le Roi
lui Irépond avec colère : « Non ! mais ces gens-ci me pressent si
fort, si forti Parlez à eux, ils me persécutent si fort! Us disent que
les rois ne meurent point de la peste; ils pensent que je sois
un roi de carte ! »
V.
Tous ceux qui s'occupent de l'histoire de l'art français savent
par expérience combien sont rares les renseignements qu'on peut
trouver sur ce sujet dans les collections de mémoires et de chro-
niques, et l'on ne songerait ^uère à aller chercher des indications
de ce genre dans le journal d'un médecin. Héroard ea donne
cependant de très-précieuses, de très-nouvelles et de très-inat-
tendues. On a déjà pu voir d'après lui un Louis XIII artiste, que
liMROpUCTION. AXXY
l'on connaissait à peine sous ce rapport; assistons maintenant
aux séances dans lesquelles le Dauphin pose pour les dessina-
teurs, les peintres, les sculpteurs chargés successivement de re-
produire son effigie.
Le premier en date est Charles Decourt, « peintre du Roi », dont
les dessins, s'il en suhsiste encore aujourd'hui, doivent être
attribués à l'un des Du Monstier. En effet les quatre portraits du
Dauphin que Decourt fait de 1602 à 1607, le premier « par com-
mandement de la Reine, pour l'envoyer à Florence », sont tous
« peints en crayon ».
Le 27 mars 1602, c'est a le peintre du Quesnel » qui peint le
Dauphin en pied, de grandeur naturelle, « il avoit deux pieds et
demi » ; ce poi-trait paraît destiné à la duchesse de Mantoue, sœur
de Marie de Médicis et tante de l'enfant.
Le 2o février 1603,1e Dauphin est «amusé dans sa petite
chaise ,. auprès du peintre nommé Charles Martin , demeurant à
Paris, sur le pont Notre-Dame, près Saint-Denis de la Chartre » ;
l'indication est précise et ne peut se rapporter qu'à un portrait.
En 1604, le Dauphin est encore « peint par le sieur Martin », et un •
an plus tard l'enfant se rappelle cette circonstance ; « en goûtant
il entend parler de M. Martin et dit : « C'est celui qui a fait la
peftiture de mouche u le Dauphin. » Le 3 mars 1605, « il s'amuse
seul, sans dire mot, avec un petit puits d'argent... donnant une
extrême patience à se laisser peindre par maître Jehan Martin » ;
ce maître Jehart Martin est-il le même que le Charles Martin cité
deux ans avant, et y a-t-il dans le journal une erreur de prénom?
Quoi qu'il en soit, ce doit bien être ce dernier « maître Martin »
qui, au mois d'août 1605, fait le portrait de M™*^ Elisabeth, âgée de
deux ans, et qui, le 10 mai 1606, peint d'après le Dauphin un
portrait dont Héroard nous donne cette minutieuse description :
« Maître Martin, son peintre, vient pour le peindre, le peint armé
de son corcelet, sous sa robe de velours cramoisi garnie d'or,
répée au côté et la pique de la main droite, la tenant droite, la
tète couverte de son bonnet de satin blanc, d'enfant, avec une
plume blanche; c'est la première fois qu'il ait été ainsi peint. »
Le Dauphin « se fait donner des couleurs et un pinceau, imite le
peintre mêlant ses couleurs, regarde parfois la besogne de son
peintre. Il tenoit sa chienne Isabelle, la caressoit, la baisoit, l'ap-
peloitsa mignonne, car il aimoit extrêmement les chiens; il disoit
à son peintre qu'il peignît sa chienne auprès de lui. M"^ Mercier
lui dit : « Monsieur, il ne faut pas que ceux qui sont armés aient
des chiens avec eux; » il répond soudain : « Mais ce sera pour
prendre les ennemis par les jambes. »
c.
\xxvi INTRODUCTION.
Voici deux autres crayons d'après le Dauphin : Le 20 mars 1604,
« il voit le jeune Du Monstier, peintre, » se posant devant lui avec
un portefeuille, et, croyant que c'est pour écrire, il lui dit: «Ecri-
vez.» Héroard lui explique : « Monsieur, il veut écrire votre visage,
votre nez, vos yeux. » Alors le Dauphin dit au peintre : « Écrivez-
moi ; » y « lui soutient doucement le portefeuille et a peur de
Tempècher ». Le lendemain il s'amuse à ses échecs [d'argent
« pendant que le jeune Du Monstier tire son crayon ». Le 27 sep-
tembre suivant, jour où le Dauphin a trois ans accomplis, il s'a-
muse encore « à ses échecs d'argent », pendant que « Mallery
en tire le crayon » .
Voyons maintenant les sculpteurs : Le 20 août 1604, le Dauphin
« baise un portrait en cire de la Reine , assez mal fait, qu'il re-
connut ; il est tiré en cire , avec sa nourrice , par le sieur Paolo,
pour être porté en Italie ». Une autre fois, « il se joue, tenant un
portrait du Roi, fait en cire, dans une boîte d'ivoire, et s'amuse à
travailler sur de la cire, comme il avoit vu faire au sieur Jehan
Paulo ». Ce Paolo fait encore un portrait en cire du Dauphin, à
la date du 6 juin 1607.
Le 21 septembre 1604, c'est une figure en terre, destinée sans
doute à être cuite à la poterie de Fontainebleau, où l'on fabriquait
de rustiques figuiines dans le genre de Bernard de Palissy. Ce
jour-là le Dauphin, après avoir été dire adieu au Roi et à la Reine
qui allaient à la chasse, est ramené « pour être retiré tout de son
long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains jointes, l'épée
au côté, par Guillaume Dupré, natif de Sissonne près de Laon. A
trois heures et demie goûté ; il donne la patience au statuaire tout
ce qui se peut ». On a vu, plus haut, ce même Dupré, « statuaire du
Roi », modeler le 6 juin 1607 une médaille du Dauphin. M.. A. Jal,
dans son utile Dictionnaire critique de biographie et d'histoire,
nous apprend que le célèbre graveur en médailles Guillaume
Dupré était protestant; mais il n'a pas trouvé son acte de décès
sur les registres du temple de Charenton, et il en conclut que
Dupré n'est pas mort à Paris. 'Quant au lieu de naissance de
Dupré Mariette prétend qu'il était de Troyes, et la date de cette
naissance est également inconnue. Peut-être l'indication formelle
donnée par Héroard servira-t- elle à retrouver des dates précises
pour la biographie d'un de nos plus éminents artistes.
11 est un autre sculpteur du nom de Dupré ou de Després qui
vient modeler encore une statue du Dauphin, mais malheureuse-
ment Héroard ne donne cette fois que des renseignements vagues
et difficiles à éclaircir. Le 10 mars 1605 « arrive un sculpteur
envoyé de la Reine; le Dauphin lui demande : « Peintre, comment
INTRODUCTION. xxxvii
vous appelez-vous? » Il répond : « Després ». Il est tiré en bosse de
cire pour jeter en fonte par Després. » Cinq jours après, nouvelle
mention de ce « statuaire » dont le nom est laissé en blanc, et qui
est désigné comme Flamand de naissance et retiré à Florence. Il
continue à travailler à son modèle de cire « de la hauteur d'un
pied et demi » qui, « par le commandement de la Reine », doit
être jeté en or pour renvoyer à TAnnonciade de Florence. Le
Dauphin dit : « C'est mon frère de cire, » s'amuse à son petit mé-
nage d'argent et dit à M. de Vendôme : « Allez- vous-en. » M"* de
Montglat l'en reprend, il répond : « Ce n'est pas moi , c'est mon
petit frère de cire qui l'a dit. » Enfin, le 17 mars, troisième et der-
nière séance de deux heures, pour achever de « tirer sa figure de
cire » par « Du Pré » , dont le prénom reste en blanc.
Héroard ne donne pas non plus le nom de famille d'un peintre
italien attaché à un neveu de Marie de Médicis, le prince Ferdinand
de Gonzague; le 21 août 1606, pendant que le Dauphin s'amuse à
peindre, cet artiste, du prénom de Francesco, « le pourtrait de son
long » .
Le lendemain du jour où Ton a vu le premier peintre de
Henri IV donner une leçon de dessin au Dauphin ( 18 décembre
1606), « M. Fréminet commença de le peindre », et le Dauphin
ayant dit : « Mamanga, je voudrois bien avoir des couleurs, mais
je voudrois des siennes, elles sont plus belles, » on luien envoie qué-
rir au logis du sieur Fréminet, au jardin des Canaux; il s'en
amuse avec le pinceau. » Le 23, « M. Fréminet achevoit de le
peindre, lui s'amusant à peindre, et il fit un oiseau sur de la toile
avec de la craie ». Nous ne pouvons quitter Fréminet sans montrer
le Dauphin fuyant son maître d'écriture pour aller voir travailler
le peintre delachapellede la Trinité, ou bien se promenant dans les
appartements de Fontainebleau en faisant ses observations enfan-
tines. Le 16 août 1608, « il ne se peut mettre à l'écriture ; y ayant
demeuré un quart d'heure, il sort et dit à M. de la Court, exempt
des gardes : '( La Court, je ne sarai rien faire qui vaille, allons voir
Fréminet; » c'étoit une excuse. 11 vient en ma chambre, y joue à
la paume, va à la galerie qui mène à la volière, puis s'en retourne
à la chapelle y trouver Fréminet ; ce n'étoit que pour fuir l'é-
cole». Trois jours après, le 19 août, « il monte tout au haut de son
pavillon, à la chambre de sa nourrice et à celle des peintures de
M. de Franco, peintre du Roi ; y a goûté. »
Le lendemain il vient dans la chambre d'Héroard « pour y
écrire, y trouve M. Fréminet, peintre du Roi, celui qui a fait les des-
seins et les peintures de la chapelle. Il est bien aise de trouver cette
occasion et demande à voir ce qu'il en avoit fait, y va, monte par
xxxviii INTRODUCTION.
un escalier de bois tenant à la garde-robe de M. d'Anjou, au bout
de la galerie lambrissée, sur un échafaud près de la voûte de la
chapelle, sans peur ne étonnement, se plaît à voir les peintures, y
estassez longtemps; s'en retournant il dit : a Aussi vrai, velà qui est
bien fait; » descendu il s'en va voir les peintures qui étoient là où
se. mettent les musiciens, y monte par une petite échelle, y voit
une Annonciation et dit encore : « Aussi, vrai velà qui est bien fait. »
Il se fait descendre par un trou entre deux planches. »
L'année précédente, comme le Dauphin se promenait dans la
galerie de Fontainebleau, « M^"® de Montglat lui montre la pein-
ture d'un léopard, lui demande que c'est, il répond : « Je sais pas.
— Monsieur, c'est un léopard. — Il ressemble à de Hoey. »
C4'étoit un peintre ; il étoit vrai. Il avoit l'imagination fort bonne.
M. de Malleville lui montre une voile de navire et lui demande :
« Monsieur, à quoi sert une voile? — C'est pour faire aller le
navire, car le vent le pousse. » Il y avoit des H peintes , M"*' de
Montglat lui demande : « Quelle lettre est cela? — C'est un H;
quand je serai grand je ferai mettre des L auprès. »
Le dernier portrait du jeune Louis comme Dauphin est de bien
peu antérieur à son avènement au trône; le 16 février 1610 « en
étudiant, il est peint par Buncl, peintre excellent qui est au Roi » .
Dans la seconde partie de son journal, Héroard ne mentionne
que deux portraits de Louis XIII : l'unde Porbus, « flamand, peintre
excellent», qui le 11 février 1611 « le tire de sa hauteur pendant
qu'il se joue à des. petites besognes » ; l'autre de Fernand, aussi
« peintre excellent » ; pendant que le Roi est au bain (2 août 1617)
il le peint « étant dans l'eau ».
Le médecin rapporte encore un trait d'humanité du jeune Roi
envers un artiste , mais il dédaigne de doijner le nom de ce
pauvre diable; le 16 juillet 1611 « un certain peintre lui ap-
porte un portrait de cire de son visage ; le Roi lui demande :•
« Combien en voulez-vous? — Sire, il vaut bien deux pistoles.
— En velà sept. — Sire, ma pauvre femme est bien malade; s'il
vous plaît de me donner quelque chose pour la faire assister?
— Tenez, je vous donne tout ce que j'ai, » dit le Roi en vidant sa
bourse ; il y avoit encore sept pistoles. »
Cen'est pas seulement à propos des portraits de Louis XIII que le
journal d'Héroard nous fournit çà et là des renseignements utiles
à recueillir pour l'histoire des arts, et lorsqu'il nous montre
le Dauphin jouant avec « ses petits marmousets de poterie » , le
bon médecin ne se doute pas qu'il va jeter quelque lumière sur
une question dont on se préoccupait peu de son temps, mais qui
de nos jours a le plus vif intérêt pour les amateurs de curiosités.
INTRODUCTION. xxxix
Nous voulons parler de ces nombreuses pièces de faïence fran-
çaise, datant évidemment du commencement du dix-septième
siècle, et classées jusqu'à présent, faute de documents certains,
sous le nom àQ faïences de T école de Palissy. Les collectionneurs
pourront désormais désigner avec certitude sous le nom de
faïences de Fontainebleau quelques-unes de ces pièces, et entre
autres le plat représentant Henri IV, Maiie de Médicis portant le
Dauphin, et à côté d'eux fefé f'endôme, ce frère naturel de
Louis XIII dont il est si souvent question dans Héroard. Divers pas-
sages de son journal servent à reconnaître les produits de cette
« poterie de Fontainebleau » où le Dauphin va fix^quemment
acheter ses jouets. Ainsi, le 20 mars i 608, « il s'en va à la poterie ;
on lui demande ce qu'il veut ? — « Attendez, j*y songe : Combien
vendez-vous cela? » dit-il en montrant la figure du Roi. On lui en
demande trois écus ; il commande de les bailler, prend l'effigie du
Roi, l'embrasse, la donne à porter à sa nourrice ». Le 7 mai sui-
vant la princesse de Conty devait danser un ballet dans la chambre
de la Reine et venir après dans celle du Dauphin. «On W\ propose
de faire préparer une collation de petites pièces qu'il avoit prises en
la poterie,)) et, le ballet fini, il mène toutes les personnes qui
l'avaient dansé à sa collation; «et de rire, et de faire des exclama-
tions : c'étoient des petits chiens, des renards, des blaireaux, des
bœufs, des vaches, des écurieux, des anges jouant de la musette
et de la flûte, des vielleurs, des chiens couchés, des moutons , un
assez grand chien au milieu de la table, un dauphin au haut bout,
un capucin au bas ».
Ce petit catalogue se trouve complété à diverses reprises; ainsi,
le 23 octobre 1604, le Dauphin mené à la poterie « s y joue long-
temps et voulut avoir un cheval blanc ». Le7 novembrel606, « il s'a-
muse à mettre en bataille, file à file, toute sa compagnie de pièces
de poterie, et le Dauphin étoit à la tète ». Le 12 décembre sui-
vant, « il s'amuse à un chandelier de poterie, dont il fait une
fontaine, siffle d'un rossignol de poterie où il fait mettre de l'eau,
s'amuse au buffet du roi , fait du temps du rpi François I*^% qui
s'ouvroit par un marmouset ». Le 29 mai 1607, « il va à la po-
terie, où il prend plusieurs pièces, chiens, lions, taureaux, puis
revient en sa chambre où, sur le tapis de pied, il les fait com-
battre )^. Le o juin suivant, le fils de M. de Saint-Luc, âgé de
quatre ans, vient dire adieu au Dauphin. Héroard lui .demande
bas à l'oreille : « Monsieur, vouS plaît-il pas de lui donner quelque
chose? — Oui. — Monsieur, quoi? — Un cheval marin (qui
étoit de poterie). — Monsieur, vous plaît-il que je Taille quérir?
— Oui, mais ne prenez pas celui qui est cassé. » Enfin, le 2i avril
XL INTRODUCTION.
«
1608, le petit duc d'Orléans, frère puîné de Louis XIll, donne à la
fille de M"»* de Montpensier « une petite nourrice de poterie qu'il
tenoit » ; on sait que cette figure a été attribuée jusqu'à présent
à Bernard de Palissy.
Héroard nous signale aussi à diverses reprises (et quelquefois par
des descriptions qui pourraient servir à les reconnaître si on les
rencontrait aujourd'hui dans quelque collection) les bijoux, les
pièces d'orfèvrerie, les objets précieux de toute sorte, donnés en
présent au Dauphin. C'est d'abord Henri IV qui envoie à son fils
âgé de deux ans « une croix du Saint-Esprit, premier présent que
le Roi lui a fait> la croix tenue par un dauphin émaillé de bleu ».
Marie de Médicis lui donne « une enseigne de diamants avec un
bouquet de plumes d'argent » , une autre fois le « petit coffret d'ar-
gent où elle mettoit ses pendants d'oreille, » puis « une petite
montre couverte de diamants ». Le 15 septembre 1610 « la Reine
lui veut donner des petites besognes, comme des Âgnttë Dei, garnis
de diamants » ; il ne les prend pas et demande « un petit livre cou-
vert de diamants », que la Reine lui refuse, « disant que le feu Roi
son père le lui avoit donné; il le désiroit pour le mettre en son
oratoire ».
Ce' n'est pas la reine Marguerite qui aurait eu le courage de re-
fuser, et les présents qu'elle fait au Dauphin sont les plus magni-
fiques de tous. La première fois qu'elle le voit c'est : « un Cupidon
parsemé de diamants , assis sur un dauphin , et tenant un arc
d'une main et un brandon de l'autre^ parsemé de diamants; au
ventre du dauphin il y avoit une émeraude gravée d'un dauphin
couronné et entouré de petits diamants. » Elle lui donne encore
« un petit cimeterre parsemé de diamants et à Madame un serre-
tète de diamants ». Un autre jour elle lui envoie <f un navire d'ar-
gent doré, sur roues, allant au vent à la hollandoise » ; lors de la
foire de Saint-Germain, elle lui donne k une enseigne et un cor-
don de diamants, le tout estimé à deux mille écus, » et elle com-
mande à l'orfèvre de lui « bailler tout ce qu'il demanderoit , pro-
mettant de le payer ».
La princesse d'Orange, fille de l'amiral Coligny, a aussi pour le
Dauphin une amitié singulière ; en revenant de Flandre elle « lui
apporte des ouvrages de la Chine, à savoir : un parquet de bois
peint et doré par dedans, peint des feuillages, arbres, fruits et
oiseaux du pays, sur de la toile qui lioit les ais de demi-pied ; l'on
s'en servoit comme de cabinet. Elle donne à Madame de la vais-
selle tissue de jonc et crépie, par le dedans, de laque, comme cire
d'Espagne. M™« de Montglat demande au Dauphin : « Monsieur,
9,imez-yous bien M'n« la princesse d'Orange? — Oui. » — Hé-
INTRODUCTION. xli
roard lui demande : « Comment raimez-vous? — De tout mon
cœur. » M'"*^ la princesse d'Orange en rougit et en pleura de joie. »
On « lui avoit donné le matin de petites besognes de bois qui, se
font en Allemagne »; le lendemain (16 août 1605) « il fait porter
son petit cabinet de la Chine, se met dedans et se joue avec ses
petits jouets d'Allemagne et d'argent ».
Un autre présent fait à la soeur aînée du Dauphin^ M*"* Elisa-
beth^ par sa marraine l'infante Isabelle^ gouvernante des Pays Bas^
est « une chaîne de diamants^ où tenoit au bout une enseigne de
diamants^ en laquelle étoit une relique des os de sainte Elisabeth ».
Lorsque César de Vendôme épouse M"« de Mercœur, le Dauphin
reçoit de M"'® de Mercœur « une petite chaîne de chiffres d'or, où
pendoit un Hercule enrichi de petits diamants, et à la base au-
dessous étoient écrits ces mots : La grandeur de ton père et ta
vertu te font plus grand qu' Hercule ». Enfin le Dauphin reçoit en-
core de l'éleeteur de Brandebourg « un échiquier où les carrés
étoient d'ambre jaune, et au-dessus les rois de France en ivoire ».
On peut aussi, avec Héroard, reconstituer en partie le riche
cabinet d'armes de Louis XIII. Sa première épée lui est donnée à
rage de un an par la belle Corisande, ancienne maîtresse de
Henri IV, qui lui envoie aussi sa première arbalète. La duchesse de
Bar, tante du Dauphin, lui envoie, le 26 janvier 1603, un charmant
joujou, tt des armes complètes de la hauteur d'un demi-pied, » et
à la fm de la même année les députés de Moulins lui offrent, au
nom delà ville, sa première armure : a une épée, une lance et une
paire d'armes complètes » qu'il revêt le 14 juillet 1604, et dont il
se joue encore deux ans après : le 5 juillet 1606 , « il monte tout
en haut de sa garde-robe, où il fait prendre ses armes toutes
complètes, faites à Moulins, les fait porter en sa chambre avec la
croix (pour les suspendre), les fait accommoder dessus, y travaille
lui-même, va quérir en son armoire son épée rouge et la y fait
ceindre, puis fait apporter sa pique, la met lui-même sous le
brassai, toute droite comme s'il eût été en sentinelle. »
Le 31 octobre 1604, « M. de Blainville, maréchal des logis de sa
compagnie de gendarmes, lui fait présent d'une belle et petite ar-
quebuse d'un pied et demi de long », et c'est avec cette arquebuse,
« faite à Rouen par Timothée » , et qu'il appelait la Blainville^
que, le 21 octobre 1611, le jeune Roi tirera pour la première fois
à balle.
Le 18 septembre 1605,1e duc de Lorraine envoie au Dauphin
c< un mousquet dans un fourreau de velours vert et une bandou-
Hère brodée d'or et d'argent, les charges d'or émaillé et la four-
chette qui étoit un dauphin ». En 1606, M. de Rosny, que l'on
XLH IJNTRODUCTION.
n'appelle pas encore Sully, lui donne « un petit canon d'argent » ;
en 1G07, le prince de Galles, frère aîné de Charles P*", lui envoie
une escopette et une couple de petits pistolets.
Héroard indique encore- deux armures complètes données à
Louis Xlll : Tune présentée au Dauphin en 1609, de la part du
duc de Lesdiguicres, avait été faite à Milan et avait coûté mille
doublons ; l'autre est envoyée au Roi, en 161! , par le prince Mau-
rice de Nassau.
A la fin de l'année 4611, Louis XIII possédait sept arquebuses;
lel*"* janvier 1614 il en a quarante, et six semaines après cinquante-
cinq. Le Roi avait sans doute fait cette nombreuse acquisition à la
foire de Saint- Germain, car le 4 février 4616, il va « en carrosse
à la foire Saint-Germain des Prés où il a acheté quatre arque-
buses, ayant méprisé toutes autres sortes de marchandises ». Son
cabinet d'armes] le suivait dans ses voyages, et une des occupa-
tions favorites du jeune Roi était de démonter et de nettoyer lui-
même ses arquebuses.
Cet instinct particulier, qui le porte en toute circonstance à faire
lui-même « œuvre de ses mains », devait naturellement dé-
tourner le jeune Roi de concevoir et d'entreprendre ces grands
travaux de bâtiments affectionnés par son père Henri IV et repris
depuis avec tant de passion par son successeur Louis XIV, le ûls
tardif de Louis XIII et d'Anne d'Autriche. Dans la seconde partie
de son journal Héroard nous montre assez fréquemment le Roi,
posant la première pierre do divers monuments, tels que : le bâti-
ment neuf de Vincennes et le collège de Cambrai (1610), l'aqueduc
d'Arcueil (1613), le soubassement de la statue de Henri IV sur le
Pont-Neuf (1615), le portail de Saint-Gervais (1616), le pont Saint-
Michel (1617), les Récollets de Saint-Germain (1621), les Carmélites
de Toulouse (1622). Ces cérémonies devaient plaire au jeune Louis
qui y trouvait une occasion publique de montrer son adresse et
faisait « merveilles » , en jetant « le mortier pris dans un bassin
d'argent, avec une petite truelle d'argent ». Ua dernière mention
de ce genre est à la date du 28 juin 1624. Dans cette journée le
Roi « monte à cheval; part du Blanc-Mesnil (résidence du secré-
taire d'État Potier d'Ocquerre ), arrive à Paris à une heure, va au
Louvre pour mettre la première pierre du pavillon du côté du
jardin, avec une médaille de la face et du revers du pavillon faite
par M. Grotius, flamand, homme très-docte. Au partir de là il est
allé à l'Hôtel de Ville, y a goûté, y met la première «pierre d'une
fontaine que l'on avoit fait venir en la place des eaux de Roungy,
puis monte à cheval, va au galop à Versailles, y arrive à cinq
heures, va à la chasse au renard, revient souper à huit heures. »
IMRODrcllON. XLiii
Le château de Versailles, où l'on vi<*nl<lc Aoir le Roi se retirer et
chasser encore après une journée aussi t'ati^ante, est la seule cons-
truction ie quelque importanc<' à laquelle Louis XIII ait attaché
son nom. On sait par Félibien av<N> (luelle <• piété pour la mémoire
du feu Roi son père » Louis XfV voulut conserveries bâtiments qui
s'élèvent encore au centre de ce château cl entourent la cour de
marbre. Dès le mois de février Hi2i, Héroard nous montre le Roi
chassant et dînant pour la preniicre fois à Versailles, terre qui ap-
partenait alors à Tévèque de Paris, Jcau-Krançoisde Gondi, mais
dont le « vieil » château était depuis loniçt^împs « ruineux et inha-
bitable »; puis le nom de Versailles ne revicut qu'au commence-
ment de Tannée 1624, après une lacune de plus de onze mois dans
le manuscrit du médecin. Sans cette interruption si regrettable,
on saurait de source certaine comment Louis XIU peut, en moins
d'une année, créer à Versailles une installation assez rapide et
assez complète pour qu'à la date du y mars 1024, Héroard écrive :
« H entre en carrosse et va pour la chasse à Versailles, y dine,
par après monte à cheval, va courir un cerf, le prend, revient de
bonne heure et prend un renard. Apr«>s souper il va en sa chambre,
fait faire son lit qu'il avoit envoyé quérir à Paris, y aide lui-même. »
Cette installation est définitive au milieu de la même année,
et le Roi passe à Versailles une senmine entière ; le 30 juin 1624,
le Roi t( étant à son château de Versailles » fait tenir sur les fonts
de baptême par un de ses gentilshommes la fille de François
Mongey, «concierge du château de Versailles » ; le 2 juillet « il va
à la messe, va faire donner la eurée du cerf à ses chiens, revient
au château, va faire faire Texercice à ses mousquetaires, puis a
tracé le plan de la basse cour de sa maison de Versailles ». Le
2 août suivant, « après souper il monte a cheval, part de Saint-
Germain, va au déçu de chacun à Versailles, où il arrive à huit
heures et demie, s'amuse à voir toutes les sortes d'ameublements
que le sieur de Blainville, premier gentilhomme de la chambre,
avoit fait acheter, jusques à la batterie de cuisine. » En 1620, le
Roi fait la Saint-Hubert à Versailles, y donne « un excellent festin
aux Reines et princesses, où il perte le premier plat, puis s'assied
auprès de la Reine. Il y lit garder un ordre merveilleux, puis
leur donna le plaisir de la chasse. »
Pendant la dernière année du journal et de la vie d'Héroard, on
voit encore Louis XIII, malade, languissant de corps et d'esprit,
se traîner à Versailles où un jour, pour se distraire, u il mange d'un
pâté que M. le cardinal de Richelieu avoit envoyé à ses mousqui>-
taires. » Le 24 août 1627, le Roi arrive en carrosse à Versailles,
« se met auprès du feu, puis sur son lit, à midi dîne à table, puis
XLTV IKTRODUCTION.
va en sa chambre, se couche sur son lit, se fait couvrir les jambes
de sa robe fourrée, y est environ une heure, s'amuse à peindre. A
quatre heures et demie il sort à pied, va à la porte entretenir les
soldats du corps de garde, puis entre dans son petit carrosse
tiré par un cheval et va se promener, voir son plant. » Enfin la
fièvre disparaît, et le 15 septembre 1627 le Roi renvoie « tous les
médecins qu'on avoit appelés » ; le surlendemain Louis XUI re-
tourne à Versailles pour quelques jours, et y fait encore « faire
Texercice à ses mousquetaires » , avant de les emmener au siège
de la Rochelle, où le fidèle premier médecin du Roi devait ter-
miner ses jours.
VI.
Dans ses Mémoires pour servir à rkistoire de la faculté de
Montpellier, un ancien professeur de cette école de médecine,
Jean Astruc, écrivait vers 1760 : « Il est fâcheux d'être obligé,
comme je le suis, de prendre les particularités de la vie de Jean
Héroard dans les ouvrages d'un de ses plus grands ennemis. »
Cette fâcheuse obligation, ajouterons-nous, se rencontre dans pres-
que toutes les questions biographiques, et, que le personnage dont
on s'occupe soit des plus célèbres ou appartienne à un ordre se-
condaire, Ton est à peu près certain de se trouver en présence de
renseignements incomplets, contradictoires, erronés, dictés par la
légèreté, ou par la passion. Les documents qui peuvent servir à
composer une notice sur le premier médecin de Louis Xlll offrent
les mêmes difficultés de contrôle et vont nous laisser dans l'in-
certitude sur bien des points.
« Jean Héroard étoit de Montpellier, dit le docteur Astruc. Il
fut immatriculé dans le registre de la Faculté le 27 août 1571, et
prit ses degrés en 1575. » Ces dates sont positives et doivent avoir
été relevées sur les registres de la Faculté de Montpellier; il n'en
est pas de même de celle de la naissance d'Héroard qu'un manus-
crit de la Bibliothèque impériale place au 12 juillet 1552. L'erreur
manifeste qui précède cette date, relativementà l'âge d'Héroard au
moment de sa mort, permet de la mettre en doute, et celle donnée
par le P. Lelong semble plus vraisemblable; il dit Héroard « né
le 22 juillet 1551 ». Si la note qui termine le manuscrit original
est exacte, Héroard, mort en 1628 « âgé de soixante-dix-huit ans »,
serait né vers 1 550.
D'après le médecin Charles Guillemeau qui est le « grand en-
nemi » signalé par le docteur Astruc, et qui a écrit contre Hé-
roard plusieurs diatribes en latin, le père du « futur premier mé-
INTRODUCTION. XLV
decin de Louis XllI » était un barbier de Montpellier qui appar-
tenait^ ainsi que son fils et toute sa famille^ à la Religion « pré-
tendue réformée ». Après avoir étudié quelque temps les lettres et
la médecine « en dépit des Muses et d'Apollon », Héroard se serait
enrôlé comme simple soldat dans l'armée de Coligny, et, saisi de
frayeur à la bataille de Moncontour, il se serait enfui à toutes
jambes jusqu'à Montpellier, où il aurait repris ses études. Peu de
temps après, le chirurgien Jacques Guillemeau, père de celui qui
raconte à sa manière la vie d'Hcroard, étant venu dans sa jeu-
nesse à Montpellier « curieux de voir et d'apprendre du nou-
veau » , s'y serait lie avec Héroard ; puis, de retour à Paris et
nommé chirurgien ordinaire de Charles IX, il aurait bientôt ren-
contré son camarade de Montpellier battant le pavé de la capitale.
Après l'avoir embrassé et lui avoir demandé pourquoi il était à Paris,
ce qu'il y faisait et ce qu'il savait faire, Jacques Guillemeau (toujours
suivant le récit de son fils) annonce à Héroard que le roi Charles
avait chargé son premier chirurgien, AmbroiseParé, de lui trouver
un jeune homme capable, et disposé à s'adonner à l'étude des che-
vaux et de leurs maladies; puis il lui propose de le présenter à
son ami et collègue Paré pour cet emploi. Héroard . saisit avec
empressement cette occasion* d'entrer dans la maison du Roi; il
est amené par Guillemeau au logis d'Ambroise Paré,- qui le con-
duit à Vincennes, où le Roi se plaisait d'ordinaire à jouer à la
paume : a Sire, lui dit Paré , je vous amène, ainsi; que vous me
l'avez commandé, un futur médecin de cheval; » et le Roi, ne
voulant pas se dédire, ordonne de coucher Jean Héroard sur l'état
de sa maison, en lui assignant quatre cents livres de traitement
par an.
Abandonnons ici le mauvais latin de Charles Guillemeau, que
nous abrégeons et traduisons tant bien que mal, pour rappeler ce
que nous apprend Héroard lui-même, dans la préface de son Hip-
posiologi€y sur ses rapports avec Charles IX : « Le feu roi Charles,
lequel sur toutes choses prenoit un singulier plaisir à ce qui est
de l'art vétérinaire, duquel le sujet principal est le corps du che-
val, me commanda, quelques mois avant son décès, d'y em-
ployer une partie de mon étude, pour en dresser après quelque
instruction'aux maréchaux et autres qui travaillent, et sans raison
et sans science, aux maladies des chevaux... J'avois déjà conçu le
gros de l'œuvre et fait dessein de l'ordre que je devois tenir pour
élever cet édifice, quand il décéda; de telle sorte que je me vis
frustré par son trépas de l'espérance que j'avois de rendre té-
moignage^de mon ardent désir à satisfaire et obéir au vouloir de
mon Roi. »
XLVi INTRODUCTION.
Si l'on en croit (iiiilleineau , le successeur de Charles IX n'ayant
pas pour la chasse, les chiens et les chevaux la même passion
que son frère, Henri 111 se serait tout d'abord privé des services
d'Héroard qui n'aurait réussi à rentrer dans la maison du Roi
qu'après avoir passé par celle du duc Anne de Joyeuse, qui « était
pour le Roi un- autre Héphestion ». Guillemeau insinue ensuite
que Hcroard se montra lâche et ingrat envers le duc de Joyeuse
et qu'il l'abandonna, lors de sa campagne de 1586 en Guyenne,
comme il avait abandonné (^ohgny à Moncontour. Héroard rap-
pelle une seule fois dans son Journal ses services sous Joyeuse :
tt M. ,1e marquis de Renel et uioi, écrit-il le 25 octobre 1607, par-
lions des voyages où nous nous étions vus aux armées, du
temps du feu Roi, conduites par feu M. de Joyeuse. » On voit, aussi,
à la date du 20 octobre itiO.*;, Héroard conserver précieusement le
livre d'heures de Henri lit, « un livre jaune » où « il y a un roi
qui prie Dieu » que le médecin avait eu à Tours et qu'il tenait
probablement du Roi lui-uiéuie. Contrairement à ce que prétend
Guillemeau, Henri lit a\\ait chargé son médecin de continuer
l'ouvrage sur l'art vétérinaire commencé sous sçn prédéces-
seur. « Le feu Roi, dit-il, me commanda de le poursuivre, de
façon que dès lors j'en tirai les premiers traits par un recueil
sommaire du nombre et de la figure des os du cheval, leur don-
nant noms françois pour, puis après, comme sur un premier
crayon, représenter les vives couleurs, non-seulement par le dis-
cours entier de l'anatomie, mais aussi de tout l'art vétérinaire. »
Le célèbre bibliographe Antoine Du Verdicr avait vu et, suivant
son expression, « tenu à son aise » , bien avant la mort de
Henri HI, le manuscrit de ce livre ; « Jean Héroard, dit-il dans sa
Bibliothèque^ imprimée a Lyon en lo8o, conseiller, médecin ordi-
naire du Roi , a écrit Hippostologie c'est-à-dire discours des os
du cheval, dédié au Roi, non encore imprimé, selon une inscrip-
tion latine mise au front du livre avant l'épître liminaire, » et
Du Verdier reproduit cettr inscription d'où il résulte que :
Henri lU, roi de France et de Pologne, voulant rétablir et re-
mettre en lumière le noble art hii)piatrique, obscurci depuis tant
de siècles par l'ignorance et l'incurie, a commandé pour l'usage
public cet ouvrage, composé par Jean Héroard, de Montpellier,
sous les auspices de Marc Miron et d'Alexis Gandin, premiers mé-
decins du Roi et de la Reine.
Il est encore un ténioignag< précieux à recueillir pour prouver
que Jean Héroard n'était pas autant l'ennemi des Muses que le veut
Charles Guillemeau. Après la mort de Ronsard (27 décembre 1585), un
grand nombre de pièces en vers latins furent composées par les
INTRODUCTION. XLVii
amis du poète vcndûmois et imprimées l'année suivante sous ce
titre : Tumulus Pétri Ronsardi et Syntagma Carminum, Elegia^
rum^ Éclogarum, ab Àmicis, in ejus obitum. Parmi toutes ces
pièces il s'en trouve une signée : Jo. Heroardus Régis Medicus
P. et c'est précisément celle qui fut choisie pour figurer sur le
tombeau^ érigé au poète dans le chœur de l'église de Saint-Cosme
de Tours, dont Ronsard était prieur. Pendant les guerres de Re-
ligion, dit M. Prosper Blanchemain dans son Jitude sur la fie
de Ronsardy « les huguenots envahirent le monastère de Saint-
Cosme et détruisirent le tombeau que de pieuses mains avaient
élevé à sa mémoire, et ce fut seulement en i609 que Joachlm
de La Chétardie, conseiller-clerc au Parlement de Paris, étant
alors prieur eommendataire de Saint-Cosme , lui fit ériger un
monument de marbre orné de son buste et do cette inscrip-
tion : .
EPITAPHIUM PETRI RO.NSAHDI
POETARUM PRINCIPIS ET Hl'JUS COENOBII OlONDAM
PRIORIS.
D. M.
CAVE VIATOR, SACRA H.EC HUMUS EST,
ABI, NEFASTE, QUAM CALCAS HUMUM SACRA EST,
RONSARDUS emm jacet hic
Quo oriente oriri thus.*:,
ET OCCIDENTE COMMORl,
AC SECUM INHUMARl VOLL'ERUNT.
HOC NON INVIDEANT, QUI SUNT SUPERSTITES,
NEC PAREM SORTEM SPERENT NEPOTES.
IN CUJUS PIAM MEMORIAM
JOACHLM DE LA CHETARDIE,
IN SUPREMA PARISIENSI CURIA SENATOR
ET ILLIUS, VIGINTI POST ANNOS,
IN EODEM SACRO COF.NOBIO, SUCCESSOR
POSUIT.
« Cette épitaphe, sauf les six dernières lignes, a été insérée
dans le Tombeau de Ronsard, comme ayant été composée par
J. Héroard, médecin du Roi. Il est vraisemblable que La Chétardie
se sera borné à reproduire l'inscription originale, en ajoutant
XLViii INTRODUCTION.
que le monument avait été reconstruit par ses soins. Le biographe
et Tun des derniers admirateurs du maître^ Guillaume Colletet, la
traduit de cette façon :
Epitaphe de Pierre de Ronsard,
Prince des poètes et autrefois prieur de ce monastère.
Arreste, passant^ et prends garde; cette terre est sainte. Loin
d'icy, prophane! cette terre que lu foules aux pieds est une terre
sacrée puisque Ronsard y repose. Comme les Muses, qui naquirent
en France aoecque luy^ voulurent aussy mourir et s'ensevelir
avecque luy, que ceux qui luy suroioent n'y portent point d^enhie,
et que ceux qui sont à naistre se donnent bien de garde (tespérer
jamais un pareil advantage du ciel, >
Cest à la mémoire de ce grand poète que Joachim de La Ché-
tardie, conseiller au souverain Parlement de Paris e/, vingt ans
après^ son successeur en ce mesme prieuré^ a consacré cette ins-
cription funèbre.
« De môme que la première, continué M. P. Blanchemain,
cette nouvelle sépulture devait disparaître à son tour. L'orage
révolutionnaire de 1793 emporta le prieuré de Saint-Cosme; nul
ne s'inquiéta du buste érigé par LaChétardie, et le marbre tumu-
laire à demi brisé n'obtint l'hospitalité d'un musée de province
qu'après un depii- siècle d'oubli. » L'épitaphe latine de Pierre de
Ronsard, composée par Jean Héroard, existe en effet , « très-
fruste, mais en partie lisible encore, » au Musée de Blois.
Héroard était de service auprès de Henri III lorsque le Roi fut
frappé par Jacques Clément, et le docteur Astruc nous apprend que
c'est en qualité de «médecin par quartier » qu'il fut présenta l'ou-
verture du corps. Il conserva ses fonctions sous le roi de Na-
varre avec le titre de a conseiller, médecin ordinaire et secré-
taire du Roi », et dédia à Henri IV son Hippost ologie ,\m^nv[iét
enfin en 1599. Deux ans après il était nommé premier médecin
du Dauphin, etGuillemeau prétend que ce fut grâce à la protection
du grand écuyer de Bellegarde. Vers la même époque Jean Héroard
devint seigncurde Vaugrigneusc,par son mariage avec Anne Du Val,
fille et héritière de Guillaume Du Val, trésorier de la généralité de
Tours et seigneur de Vaugrigneusc.
Avec la naissance de Louis XIII commence pour Héroard une
nouvelle existence qui va nous permettre de laisser de côté les
diatribes de son ennemi Charles Guillemeau, La tendresse du
INTRODUCTION. XLix
médecin pour Tenfant qui lui est confié a un caractère tout pa-
ternel et vraiment touchant. Lorsque, quelques années plus tard,
il sera question de donner un précepteur au*Dauphin, Héroard
écrira : a Je lui fais offre ( à ce précepteur ) d'un journal d'où il
pourra tirer, fil après autre, des conjectures évidentes des com-
plexions et des inclinations de notre jeune Prince; et si l'affec-
tion se pouvoit transporter, je lui en fournirois à suffisance et
autant que nul autre, voire de cette tendre et cordiale passion
que naturellement les pères ont pour leurs propres enfants. »
Héroard a développé ses idées sur l'éducation, dans un livre
qui a pour titre De rinstitution du Prince, qu'il devait dédier au
Dauphin et imprimer à la fin de l'année 1608. « 11 faut,'dit-il dans
les preipières pages de ce livre , bégayer avec les petits enfants ,
c'est-à-dire s'accommoder à la délicatesse de leur àgc et les ins-
tituer plutôt par la voie de la douceur et de la patience que par
celle de la rigueur et de la précipitation; » suivant cette méthode
le Dauphin est à peine âgé de deux mois que le médecin lui
parle déjà comme si l'enfant poqj^ait le comprendre et il com-
mence à lui dire « qu'il falloitétre bon et juste, que Dieu l'avoit
donné au monde pour cet effet et pour être un bon roi; que s'il le
étoit Dieu l'aimeroit »; on comprend combien le digne médecin
est heureux de constater que l'enfant « l'écouloit fort attentive-
ment et sourioit à ses paroles » .
Quand le Dauphin commence à souffrir des dents, Héroard
passe la nuit entière à le veilley; « j'ai toujours, dit-il le 13 avril
1602, demeuré debout, accoudé sur le bord de - son berceau,
tenant sa main droite dedans la mienne. » Aussi son médecin
est-il un des premiers que l'enfant reconnaît et nomme en son
jargon. Après une absence de quelques jours, Héroard note
en ces termes, à la date du 29 avril 1603, l'accueil que lui fait
le Dauphin : « A onze heures et un quart j'arrive, de retour de
Paris; je le salue, lui disant : <( Monsieur, Dieu vous donne
le bonjour. » Il ne fait pas semblant de me voir, mais se prend
à courir et se cacher deçà delà, me guignant des yeux pleins
d'allégresse et en^ passant tout riant, il me tendoit la main pour
la baiser. Il en faisoit ainsi à ceux qu'il aimoit. » Il faut dire que
presque toutes les fois que le médecin s'absente, il rapporte à
l'enfant quelque jouet ; c'est tantôt un suisse, un lion ou un che-
val de poterie, tantôt un petit arc avec des flèches et quelques
jours après ce un bracelet d'ivoire pour mettre au bras à tirer de
l'arc», tantôt un trompette turc à cheval ou un gendarme sur un
cheval noir, tantôt, lorsqu'il commence à grandir, une arbalète à
jalet.
HÉROARD. —T. I. d
L INTRODUCTION.
Le Dauphin va souvent dans la chambre de son médecin re-
garder des livres d'images : ceux de Gesner sur l'histoire na-
turelle, dont les estampes d'animaux et d'oiseaux amusent et ins-
truisent l'enfant; le livre des bâtiments de Vitruve et celui des
antiquités de Rome, dont il demande « la raison de chacune des
figures », ou encore des livres et des cartes de géographie, et même
VHippostologie, dont l'auteur lui « rend raison de toutes les
figures ». Aussitôt que l'enfant peut comprendre que son mé-
decin tient un registre «journalier » de ses faits et gestes, Héroard
essaye d'user de ce moyen pour exercer sur lui une influence sa-
lutaire ; ainsi, le 16 juin 1604, le Dauphin vient en la chambre de
son médecin. « Je tenois sur ma table, dit Héroard, la liasse de
man journalier pour le montrer à M"** de Panjas { dame d'hon-
neur de la duchesse de Bar ) qui étoit avçc M™*' de Montglat. « Ce
livre. Monsieur, lui dis-je, c'est votre histoire pisseusse. » Il ré-
pond : « Non. — C'est votre histoire breneuse. » Il répond : « Non.
— C'est ITiistoire de vos armes. » Il répond : « Oui. » En s'expri-
mant ainsi sur la forme de soji journal, le médecin allait, sans
s'en douter, au-devant du reproche que Tallemant des Réaux
devait lui adresser un jour dans son Historiette de Louis XIII.
L'e 23 janvier 1606 le Dauphin demande à Héroard : ^(( D'où
venez-vous? — Monsieur, je viens de mon étude. — Quoi faire?
— Monsieur, je viens d'écrire en mon registre, — Quoi? —
Monsieur, j'étois prêt à écrire que vous avez été opiniâtre. » Il me
dit, à demi pleurant : « Ne l'écrivez pas. » Le 25 septembre. 1607,
le Dauphin, dit encore Héroard, « s'amuse à écrire et à peindre,
m'appelle pour me montrer son ouvrage, et me le donne en intention
de le mettre en mon registre. » Cependant, il faut bien l'avouer,
Héroard transcrit parfois, et sous la dictée même du Dauphin, quel-
ques-unes de ces « paroles honteuses » dont, en d'autres occa-
sions, il cherche à le reprendre.
Héroard, qui voulait élever les enfants plutôt par la voie de la
douceur qus-par celle de la rigueur, devait cruellement souffrir
dans ses principes et dans sa tendresse pour le Dauphin, lorsque
l'enfant était châtié. La première fois que le Dauphin est fouetté
(9 octobre 1603), c'est en l'absence d'Héroard, et un peu plus tard,
le 7 janvier 1604, jour où « on met le Dauphin en si mauvaise hu-
meur qu'il fault de crever à force de crier », le médecin ajoute :
« Tout fut en si grande confusion que je n'eus point le courage de
remarquer ce qu'il fit, sinon qu'il vouloit battre tout le monde,
criant à outrance ; fouetté longtemps après. » Héroard devait in-
tervenir souvent pour demander grâce; sous prétexte de santé, et
on se cachait un peu de lui pour punir l'enfant. Ainsi il écrit, le
INTRODUCTION. u
2 mars 1607 : « Fouetté comme je'suis entré en la chambre; j'ai
trouvé M™® de Montglat en colère contre lui et marrie de ce que
j'ai rencontré la chambre ouverte. » Le 28 juin 1607 Héroard est
plus heureux; le Dauphin éveillé à huit heures « se jette du lit à
bas , fait fermer les portes de peur que M"® de Montglat ne lui
donnât le fouet ^ qu'il craignoit pour des fautes faites le jour
précédent; elle vient, il y court pour Fempècher; j'obtiens grâce^
il ouvre ».
On peut juger, par quelques autres passages du journal, de la
profonde affection que le médecin éprouve pour l'enfant et de
rattachement toujours croissant du Dauphin pour lui. Voici, par
exemple, à la date du 20 décembre 1606, Une scène où figurent
Héroard et sa femme : le soir, en le déshabillant pour le coucher,
la nourrice du Dauphin « lui tire tant soit peu un cheveu ; il s'en
prend à crier et plaindre fort dolentement. Ma femme lui dit :
«Mais, Monsieur, vous criez tant pour un cheveu, vous ne sauriez
plus crier pour un coup d'épée? — Je m'en soucie bien, d'un
coup d'épée ! » répond le Dauphin. Ma femme réplique : « Mon-
sieur, et pourquoi ne vous soucieriez-vous pas d'un coup d'épée?
— Pour ce que je serois mort, » dit-il avec façon, comme ne se
souciant et se déplaisant de la vie », et le bon médecin, tout at-
tendri, ajoute en marge : « Il m'en arracha des larmes. »
Le 21 juillet suivant, autre scène qui demande une petite ex-
plication préliminaire. Le médecin craignait beaucoup pour
1 enfant l'usage du vin ; Henri IV, au contraire, toutes les fois
que son fils dînait avec lui, en faisait verser au Dauphin qui y
prenait goût, et alors Héroard effrayé ne manque jamais d'ins-
crire en marge de son journal : « JVo/a, nota. Son goût pour le
vin; il y faudra prendre garde. » Donc, le 21 juillet 1607, le Dau-
phin s'avise de demander du vin à son dîner, et à la première ob-
servation qu'on lui fait, répond : « Bien, c'est tout un, donnez
m'en, d et, raconte Héroard, « il me regarde et me commande de
lui en faire donner. Je lui dis : « Monsieur, il vous feroit mal.
— Papa le veut. — Monsieur, c'est quand vous mangez avec
lui. » Il commence à s'échauffer de colère : « Vous êtes un homme
de neige, vous êtes laid! — Oui, Monsieur, mais vous ne
boirez pas de vin, car il vous feroit mal. » Sur ce refus il
prend un couteau et, tout ardent de colère, m'en menace. Je lui
dis: « Adieu, Monsieur, je m'en vais tout à fait. » Je pars et m'en
allai en ma chambre; il envoie plusieurs fois vers moi, et, après
plusieurs refus, je retourne. Il dit qu'il est bien marri de ce qu'i
a fait et que jamais il n'y retournera, demande à boire. On lui
sert de son breuvage dont il ne vouloit pas, en boit fort peu ot
LU INTRODUCTION.
par menace. Il -est toujours sur ce vin, il en vouloit, je lui ré-
siste encore : « Je vous aime point, vous êtes un bel homme de
neige. — Monsieur, je l'écrirai au Roi , ou je m'en irai le lui
dire. — Je m'en soucie bien. — Rien donc. Monsieur, puisque
je ne vous sers plus de rien , adieu , je m'en vais tout à bon
trouver le Roi. » Je pars, il envoie plusieurs fois après moi; je
ne y retourne plus, cependant il continue à dîner. A deux heures
il vient en ma chambre, après s'être informé de lui-même si je
m'en allois ; on lui dit que oui, et que c'étoit en carrosse : « Ho !
son carrosse est à Vaugrigneuse et celui de Mamanga est à
Paris ! » Mî"® de Montglat le conduisoit, il marchandoit à entrer ;
il entre, je le salue sans dire mot; il s'en vient enfin à moi ; « Je
vous prie , ne vous en allez pas ! — Monsieur, que voulez-
vous que je fasse ici, auprès de vous, puisque vous ne voulez
pas faire ce qui est pour votre santé? je ne y sers plus de rien.
— Je fairai plus; » et la paix fut faite. »
Une autre fois, pendant que le Dauphin est à Fontainebleau,
son frère naturel le chevalier de Verneuil est pris de la rou-
geole, et le Roi écrit le 20 mars 1608 à M™® de Montglat : « Pour ce
que M Hérouard à cause de cela ne le peut voir, de peur d'ap-
porter du mal à mon fils le Dauphin et à mes autres enfants,
j'envoie Hubert, l'un de mes médecins que vous connoissez, et
qui vous rendra cette-ci de ma part, pour avoir soin de la santé
de mon fils de Verneuil et lui ordonner ce qu'il jugera à propos,
avec l'avis dudit Hérouard. » Le médecin Hubert arrive avec
cette lettre et le Dauphin demande à Héroard ce qu'il- venait
faire. « Monsieur, lui dis-je, c'est pour me relever ; il vient en ma
place. » Rougissant et souriant, il me saute au col : « Haï vous
vous moquez, je veux pas! »
Quelque temps avant que le Dauphin ne fut remis entre les
mains des hommes,^Iéroard, et cette fois nous le savons par son
journal même, à la date du 1.^ juillet 1608, avait été maintenu,
grâce à l'intervention de Marie de Médicis, dans la place de pre-
mier médecin du Dauphin. Une première lacune, assez inexpli-
cable, se rencontre dans son registre pendant les dix jours qui
précèdent la prise de possession du Dauphin par M. de Souvré.
Quel que soit le motif de cette lacune, c'est ici le moment de
donner un aperçu du livre que méditait sans doute le médecin de-
puis son entrée en fonctions près de l'héritier du trône, et dont
il lui avait présenté un exemplaire le premier jour de l'an 1609.
Ce livre, dont nous avons déjà cité quelques passages, est fort rare,
et il est resté ignoré des biographes d'Héroard qui ont seulement
connu la traduction latine qui en a été faite en 1617 par un
INTRODUCTION. lui
autre médecin du Roi, Jean Dcgorris. C'est ce qui nous a déter-
miné à reproduire intégralement l'original dans l'appendice du
journal.
Le livre De t Institution du Prince est écrit en forme de dia-
logue et divisé en six matinées. L'auteur suppose que, des la pre-
mière année de la vie du Dauphin, il rencontre dans le parc de
Saint-Germain le futur gouverneur de l'enfant, M. de Souvré, et
que celui-ci le consulte d'abord sur la santé et sur le caractère
du prince, puis qu'il lui demande ses conseils sur la manière de
l'élever. Dans le premier dialogue, Héroard, après avoir signalé
avec toutes sortes de précautions le tempérament colère du
Dauphin, trace de la gouvernante un portrait idéal qui n'est pas
celui de M"*' de Montglat et qui est par conséquent une critique
indirecte du choix fait par le Roi. Il passe ensuite au commen-
cement d'instruction que, dès l'âge de deux ans, on peut donner
à l'enfaot, en ce qui concerne la religion, la lecture et l'écriture. Il
recommande, pour cet âge « tendrelet)),les Proverbes deSalomon,
les histoires tirées de la Bible , les quatrains de Pibrac, les fables
d'Ésope; et en effet on voit dans les sept premières années de son
journal le Dauphin à peu près élevé dans le sens de ce dialogue
préparatoire.
Dès la seconde matinée l'auteur, qui jusque-là s'est renfermé
dans une période sur laquelle il n'y a plus à revenir, entre dans
le vif de la question et trace à M. de Souvré la route qu'il doit
suivre pour « d'un enfant fait en former un homme, et de cet
homme prince en façonner un roi ». Les fonctions de gouverneur
et de précepteur le préoccupent tout d'abord, et l'on pense bien
que, pour le premier, Héroard se contente d'indiquer à son inter-
locuteur ce qu'il désirerait qu'il fût pour son prince. Quant au
précepteur, le médecin dit modestement : « Il me seroit plus
malaisé de le trouver que de le peindre. Je désire pour cette
charge un homme mûr d'âge et de sens, de bonne vie et louable
réputation; un homme sans reproche et droit en ses actions,
d'honnête extraction, instruit aux bonnes lettres, l'esprit poli, de
courage élevé, sans vanité, non pédant ;..... qui soit d'une agréable
conversation, de bon et ferme entendement; industrieux, après
avoir bien su connoître le naturel; l'inclination et la portée de
l'esprit de ce prince, à lui faire goL.tor la douceur des semences
de la piété, des bonnes mœurs et de la doctrine ; ayant fait naître
dextrement en son âme le désir d'apprendre et de bien retenir
ce qu'il jugera propre; et en somme de telle vie qu'elle prêche à
l'égal de ses enseignemens. »
La troisième matinée est consacrée par l'auteur à exposer le
Liv INTRODUCTION.
plan des études que, suivant lui, le prince doit suivre pendant une
période d'environ six années, et le programme qu'il trace est
traité avec une grande connaissance du caractère du Dauphin et
un esprit que l'on appellerait aujourd'hui très-lihéral.
Héroard demande qu'on enseigne d'abord au prince la piété
et la « prudhomie » par « un petit Catéchisme fort abrégé, et qui
contienne seulement les choses nécessaires, et celles que le long
et légitime usage a-fait passer en nature de loi, ayant à prendre
soigneuse garde de ne point faire un superstitieux au lieu d'un
homme pie et vraiment religieux; ne se trouvant aucune chose
plus contraire à la religion chrétienne pure , sans fard et sans
macule, comme est la superstition : celle-là forme l'homme doux,
débonnaire, hardi et charitable, engendre en lui l'amour, la ré-
vérence et la crainte de Dieu, et la paix en son âme; et celle-ci
le transforme en une bète brute, plein de félonie, de cruauté, de
lâcheté et bête impitoyable, lui laissant dedans, sa conscience
l'inquiétude perpétuelle qui la remue par la peur et l'effroi qu'il
va s'imaginant de la seule justice et vengeance divine. »
Le médecin qui avait composé pour le tombeau de Ronsard l'é-
pitaphe que nous avons rapportée devait insister sur l'étude des
<( bonnes lettres », et il le fait avec un sentiment de retour vers le
passé et de regrets sur le temps où il écrit. Les Lettres ont, dit-
il , « cette vertu de donner l'embellîssemçnt , la vigueur et la
force à l'esprit de l'homme, si elles y rencontrent un bon sens
naturel, et la tète bien faite;» il conseille « de l'en instruire
'autant qu'il se pourra, étant très-raisonnable que celui qui
doit un jour commander à tous, les surpasse aussi trétous en
suffisance. C'est un bien certes plus aisé à souhaiter qu'à espérer
pour notre jeune prince, vu le siècle où nous sommes, où la
vieille rouillure d'une cuirasse est plus en prix que l'excellence de
la splendeur et lumière de la doctrine ; ce sont malheurs qui
suivent à la queue des guerres intestines. Mais espérons que le
Roi son père appellera auprès de sa personne des pareilles lu-
mières à celles-là que nos pères ont vues reluire de leur temps
autour de celles de quelques-uns de ses prédécesseurs; et tout
ainsi comme il travaille incessamment pour le repos et la gran-
deur de son empire , qu'il ne sera moins curieux d'épargneï*
quelques heures pour. les donner à son Dauphin, et aviser à faire
tout ce qu'on peut imaginer pour élever ce fils au degré le plus
haut de la perfection où l'homme puisse atteindre par les voies
humaines : pour,^après infinis labeurs soufferts en celte vie,
remporter dans le ciel, pour le comble de ses trophées, cette joie
en s'jn âme d'avoir remis entre les mains de ce cher enfant un
IJSTUODUCTION. LV
royaume assuré, florissant et paisible, et de tous ses sujets l'o-
bligation d'une étreinte éternelle de leur avoir laissé un fils pour
successeur, c'est-à-dire un prince des plus parfaits et accomplis,
et rétabli en sa personne l'honneur des bonnes lettres sur le
trône royal, leur estime à la Cour et par toute la France. C'est
toujours acte digne de gloire en un bon père de laisser un enfant
semblable à soi. »
Cependant Héroard désirerait que le Dauphin continuât à être
élevé loin de la Cour. Je souhaiterais, dit-il, un lieu particulier
« pour y laisser ce jeune prince jusqucs à ce qu'il eut apprins ce
que Ton peut savoir, pour être aucunement capable d'apprendre
de soi-même, et tant que Tâge avec l'instruction eut un peu fa-
çonné ses actions, formé son jugement, et du tout égoutté ces
petites humeurs qui accompagnent communément les premières
années de la vie; ce qui seroit, à mon avis, fort à considérer en
cette nourriture. Car si le Roi trouvoit bon de ne le voir que par
fois, il n'en rapporteroit que le contentement du profit remar-
quable qu'il y verroit de temps , et n'auroit pas le déplaisir des
mauvaises créances qui pourroient échapper aucune fois, en sa
présence, à la foiblesse de son âge J'estime toutesfois qu'il le
voudra retenir auprès de sa personne, là où j'espère que, pour
l'amour extrême qu'il porte à Sa Majesté et l'incroyable crainte qu'il
a de lui déplaire, et sur la c'onnoissance que je puis avoir acquise
de son bon naturel , de la portée et de la force de son entende-
ment, et assuré de votre vigilance, il réussira selon nos vœux et
nos espérances. Et pourtant, Monsieur, ne laissez pas à renforcer
vos gftrdes à ce que la bonne semence que vous aurez jetée dans
ce bon fonds ne soit enlevée par les vents des débauches, natura-
lisées aux Cours des grands. » >
Après avoir indiqué de quelle manière on doit enseigner au
Dauphin les préceptes de la langue latine « sans perdre le temps
sur ces principes, par les longueurs dont usent ceux qui ont mis
en trafic l'instruction de la jeunesse, » et avoir recommandé l'é-
tude de Cicéron, « le plus pur et le plus élégant entre tous les
Latins», Héroard indique comment doit être employée la journée
du prince et ne demande pas plus de quatre heures de travail
pour l'enfant : « Vêtu et tout prêt à sept heures , » il doit se
mettre à Tétude jusqu'à neuf, aller à l'église , puis se récréer jus-
qu'à onze, heure de son dîner, reprendre l'étude de une heure
après midi jusqu'à trois, puis être « libre jusques à six, heure de
son souper; et son coucher à neuf».
Le médecin revient ensuite à son plan d'études. Il regarde
celle de la langue grecque comme inutile, « d'autant qu'elle n'est
LVi INTRODUCTION.
que pour ceux qui font particulière profession des lettres, et sans
usage aujourd'hui;... mais on lui apprendra, au lieu de celle-là,
les langues vulgaires des nations voisines, avec lesquelles les af-
faires de ce royaume se mêlent ordinairement le plus ». Pour les
sciences mathématiques, Héroard recommande d'abord que l'étude
« des nombres tienne le premier lieu, comme l'entrée pour pé-
nétrer à toutes », puis la géométrie, la géographie, l'astronomie et
la mécanique qui « lui sera, dit-il, nécessaire, pour être la science
qui donne les inventions de composer et fabriquer toutes les sortes
de machines, étant ici à remarquer l'inclination extrême qu'il y a de
la nature ». Le médecin termine son programme par cet éloge re-
marquable de l'élude de l'histoire ; « Je tiens, ajoute t-il, que l'his-
toire est l'école des princes et que le nôtre y doit être nourri pour y
apprendre à vivre et la manière de bien faire sa charge, et se rendre
meilleur par l'imitation ou dommage des autres. C'est où il trou-
vera des yeux pour tous cejux qui seront sous son obéissance; c'est
une glace de cristal, le miroir de la vie, où il verra en la personne
d'autrui louer ses actions sans flatterie, et les blâmer sans crainte.
C'est un bon conseiller, sans passion, et ami très-fidèle, duquel
il apprendra les dits, les faits et les conseils des princes- et des
grands personnages. Sa connoissance est si utile et nécessaire
que, la savoir parfaitement, c'est, vivant notre vie, vivre de celle
des autres qui ont vécu, et acquérir les siècles tout entiers par
l'emploi fait à la lecture d'un petit nombre d'heures, hâtant notre
vieillesse sans abréger la vie, en tant qu'elle est la vieillesse
des jeunes gens;.... cette seule école.... lui fera voir les choses jà
passées pour se savoir souplement gouverneivsur le train de* pré-
sentes et pourvoir aux futures. Et de ce lieu il tirera ce maître
conducteur pour le tenir inséparable auprès de sa personne et lui
donner à faire le ménage de ses actions et de ses pensées , et en
effet pour lui confier sa fortune et sa vie. C'est en somme te que
je pense qui se peut proposer comme un projet pour l'accomplis-
sement de la première partie de cette instruction. »
Comme délassement et récréation, Héroard recommande la
musique « non pour chanter, mais pour l'écouter et prendre
plaisir », puis « le promener, danserai sauter, courir, jouer aux
barres, à la paume et au pale-mail, se promener à cheval, la chasse
de l'oiseau, celle du lièvre avec des lévriers ». Le médecin a oublié
parmi ces distractions une de celles qui plaisait le plus au Dauphin,
celle du dessin et de la peinture.
La quatrième matinée est employée par l'auteur à revêtir le
prince a de sa robe royale », c'est-à-dire à indiquer les vertus
et les conseils qui doivent a le rendre capable de pouvoir digne-
INTRODUCTION. lvii
ment à Tavenir tenir le trône de ses pères». On peut croire que
dans les trois derniers dialogues^ qui deviennent de plus en plus
des monologues, Héroard s'adresse moins à M. de Souvré qu'au
Dauphin mêmc^ puisque ce livre est, dit-il dans son journal, « fait
pour lui ». L'auteur cherche à lui inspirer l'amour de ses futurs
sujets, et lui dit « qu'étant né, comme il est, dedans cette royale
et ancienne famille qui domine sur les François, c'est pour y
être le maître un jour et commander sur eux, non point en
étranger, les gourmandant outrageusement pour satisfaire à l'a-
bandon de ses cupidités, mais en père et en roi, ayant toujours
devant les yeux ces paroles du peuple saint et celles de son roi :
Nov^ sommes, sire, vos os et votre chair, et vous êtes, mes
frères, et ma chair et mes os; pour y apprendre que le devoir
d'un bon et sage roi, c'est de conduire et gouverner son peuple*
avec amour de frère et charité de père , s'il en veut retirer une
franche et prompte obéissance. Nourrissant donc dedans son
âme une si sainte intention, il régira ses peuples, les contenant
en leur devoir par une juste égalité, mère, nourrice et gardienne
de toutes choses, armé de la Justice et tenant en sa main cette ba-
lance qu'il a portée du ciel à sa nativité. »
Il lui conseille de faire « peu de nouvelles lois , la multipli-
cité étant indubitable marque d'une insigne corruption dans
le corps d'un État; les vraies lois, ce sont les bonnes mœurs. Et
puis un jour il doit entrer en la possession d'un [royaume comblé
de bonnes lois, toutes fois accablé dessous la pesanteur du tas
de ces formalités qui en ont prins la qualité et occupé la place,
par la malice industrieuse de quelques-uns, qui ont rendu vénale
la poursuite de la justice, et convertie en un métier de sordide
déception. C'est un mal envicilli où il faudra qu'il remédie à
temps, avec prudence et bon conseil, faisant faire une élection de
toutes les meilleures lois, pour en garder l'usage » .
Il lui prêche la clémence, en lui citant pour exemple « les ac-
tions du Roi son père, lequel donnant par préférence ses intérêts
particuliers aux offenses publiques, n'a point trouvé plus de
secours en sa grande valeur qu'en sa rare clémence ; ayant par
les rayons d'icelle, comme un puissant soleil, dissipé les épaisses
obscurités et profondes ténèbres où ce pauvre royaume étoit en-
seveli, lui redonnant le jour et la sérénité dont il jouit et s'éjouit
par toutes ses parties ».
Il recommande encore au prince, entre autres vertus, la foi
dans la parole jurée, la libéralité, la chasteté « comme l'une
des tutrices de la santé du corps et l'un des contrepoisons des
souillures de Tàme », le prévient contre son inclination à la co-
LViii INTRODUCTION.
1ère cl surtout contre les flatteurs et les effets de la flatterie.
Voici les moyens qu'il lui indique « pour découvrir Thypocrisie
de ces galants )^ et lui apprendre à « reconnoître les flatteurs
dessous le masque de l'affection » : Vous les verrez en général ,
dit-il, c( souplir comme couleuvres et complaire en toutes façons,
couler toujours sans résistance aucune de fait ne de parole, et
surpasser aucunes fois les vrais amis et les plus fidèles serviteurs,
en soin, en diligence, et en tout autre témoignage qui se peut
rendre d'une sincère affection. Ayant connu qu'il n'y arien entre
les hommes qui les oblige plus étroitement que de se voir aimés
et voir aimer pareillement les mêmes choses qui leur sont agréa-
bles, ils s'étudient à imiter entièrement et à tromper, en imi-
tant les mœurs, les complexions et les façons de faire, et tous les
exercices où ils s'apercevront que le prince prendra plaisir. S'il
est voluptueux, ils seront des Sardanapales ; s'il est d'humeur
colère, 'ils seront furieux; s'il est mélancolique, ce seront des
Timons; s'il contrefait le borgne, ils se feront aveugles ; s'il a la
goutte au bout du doigt, ils feindront de l'avoir nouée par toutes
les jointures; si les Lettres lui plaisent, ils auront toujours en pa-
rade un livre pendant à leur ceinture; et s'il se plaît à la chasse
du fauve ou de la bête noire, ils porteront dedans leur .sein les
meutes à douzaine et, sans partir d'un cabinet, avaleront les
forêts toutes crues. Ces gens ici, gens sans honneur, qui n'ont
non plus de honte qu'ils ont de conscience, pleins d'artifices dis-
simulés et doubles, on les verra railler, mentir effrontément, mé-
dire, bouffonner et tirer de leur forge des petits contes pour lui
donner à rire, frappant aucunes fois sur leurs intimes amis et sur
eux-mêmes, plutôt que de n'avoir aucune chose à lui dire, ne
tachant qu'à complaire à quel prix que ce soit; faire parfois de
bons offices en public pour être crus, et assommer après,
comme on dit, dessous la cheminée; dire du bien pour avoir
loi de nuire, ne parlant qu'à demi ; tous variables à dessein en
leurs opinions, donnant au noir la blancheur de la neige, à la
blancheur la noirceur de l'ébène, et réprouvant, selon l'occasion,
ce qu'ils auront auparavant loué; puis exaltant jusques au neu-
vième ciel les mêmes choses qu'ils auront réprouvées et ravalées
jusques au centrede la terre Ilssontmouvans, actifs et assidus,
et vont chauffant la ceirtture à chacun, s'entremêlent de tout. Ils
savent faire tout, ils sont tout, ils font tout, et devant lui les bons
valets, faisant valoir impudemment des services non faits ou à
faire, en parole, se présentant souventes fois sans respect et sans
sujet à des imaginaires, jusques à souffler sur le manteau, ou le
poil ou la plume qu'ils n'y auront point vue. Jamais tant ser-
INTRODUCTION. Lix
viables, voire invincibles, que aux choses déshonnètcs, ne moins
qu'aux vertueuses ; car s'il se parle de porter le poulet, ils élan-
cent la main tout les premiers pour en faire roffice... . Voilà ce peu
d'observations qui s'est pour cette fois représenté à ma mémoire,
touchant cette sorte de faux visages qui, par le grand malheur
des princes et des rois, font leur repaire coutumier au milieu
de leurs Cours, dans leurs conseils, dans leurs palais, dedans leurs
chambres, dedans leurs cabinets, où, en toute saison, elles trou-
vent de quoi à faire proie de tout âge. » Donc, « quand il en-
tendra quelqu'un louer son nom, admirer ses vertus, magnifier
toutes ses actions, le nommant prince juste, clément, fidèle, li-
béral, courageux, courtois, doux, et galant entre les dames, et
l'honorant de telles ou de pareilles qualités vertueuses, qu'il
entre en soi-même pour y faire une vive recherche de la vérité,
éprouvant ces paroles sur la pierre de touche du jugement in-
térieur, qui ne peut s'abuser, pour reconnoître si elles sont de bon
ou de mauvais aloi, et considère à froid s'il ressent en son âme du
repentir ou de la honte de n'être rien moins que cela. » Louis XJII
aurait pu faire plus de profit de cette verte tirade, dans laquelle
son médecin cherchait à le prémunir contre sa propension naturelle
à choisir parmi ceux qui l'approchaient un « mignon » comme le
soldat Descluseaux ou des « favoris » comme Luynes et Cinq-Mars.
Les cinquième et sixième matinées sont consacrées à exposer
l'art de gouverner, et l'auteur s'y flatte de l'espoir que c'est de
Henri IV lui-même que le Dauphin apprendra « à connoître en
masse quelle est la composition et la situation » du royaume, les
lois et coutumes des provinces, a les humeurs des hommes » qui
y commandent, la nature du peuple français, « ses changemens,
ses inégalités et mouvemens divers, par où ce prince puisse
juger de l'instabilité des dominations, étant fondées sur la mo-
bilité d'un sujet si bizarre, et apprendre que toutes prennent fin,
mais plus tôt ou plus tard, selon les bons ou mauvais moyens, les
forts ou lés foi blés liens que chaque prince employé pour établir
et maintenir la souveraineté; et que cet établissement et conser-
vation dépend de la prudence, du bon entendement et de l'ex-
périence du prince souverain, pour savoir retenir à l'ancre du
devoir l'inconstance de ce vaisseau par les câbles de bonnes lois
divines et humaines, et former son autorité par la bonne opinion
dont il rendra aimable sa personne, admirable par sa vertu, et
redoutable par la réputation et la propre puissance de son État,
non-seulement à ses sujets, mais envers les peuples voisins et na-
tions lointaines, étant certain que sans l'autorité il n'y a plus de
domination. »
LX INTRODUCTIOIN.
Héroard continue cependant à exposer ses propres idées sur le
choix des personnages à nommer aux dignités, aux « charges
d'importance, » aux ambassades, au commandement des armées,
dans les conseils de TÉtat et dans la maison du prince. En ce qui
concerne les impôts il conseille que les « tributs soient modérés,
assis également, et demandés à une seule fois, non imposés sur
un fond déshonnête » ; que le prince « se tienne aux anciens, évite
les nouveaux , et de nom et d'effet, autant comme il pourra, et
que la seule nécessité des affaires publiques lui en fasse la loi. Si
elle est si grande qu'elle le force, pour le salut commun, d'avoir
recours aux nouveautés et moyens extraordinaires, ayant fait re-
connoître, non par prétextes déguisés, ains par causes notoires,
le péril de l'État, c'est aux peuples alors à les donner à double
main, au prince à les contraindre quand ils refuseront, sans en
venir, s'il est possible, à cette extrémité de saisir le troupeau, ne
le bœuf, ne la vache, ne d'enlever le couvert des maisons, ne se
prendre aux personnes pour leur faire épouser l'effroi d'une triste
prison, ou faire souffrir quelque peine. Il choisira des gens de
bien pour les lever et recueillir, et pour les mettre après en son
épargne, sous la clef de personnes fidèles'; et que ce soit un ré-
servoir pour subvenir aux soudaines émeutes et aux affaires de
l'État; les dépense à propos et les ménage mieux que si c'étoitson
bien particulier, se rendant libéral tant seulement du sien, mais
chiche de celui de la république. Ainsi faisant, il bâtira un autre
trésor dans le cœur de ses 'sujets, qui ne tarira point, et se verra
par ces moyens extrêmement puissant, pour autant que le prince
qui a leur cœur est assuré d'en avoir à sa discrétion la bourse. »
L'auteur indique ensuite l'emploi de cette a épargne » destinée à
munir les (c arsenaux de toutes sortes d'instrumens et de ma-
chines propres à la guerre, et de matériaux pour en faire à loisir w ;
à « fortifier à bon escient, ou faire de nouveau des places fortes
dessus les avenues, pour empêcher l'invasion soudaine et arrêter
ou rompre les desseins d'une force ennemie » ; à garnir « les havres
et les ports de certain nombre de navires et de galères ». Puis il
descend dans le détail des « régimens de gens de pied et de gens
de cheval », de leurs exercices, et va jusqu'à prévoir les circons-
tances dans lesquelles le prince pourra se trouver un jour à la
tête de ses armées. Puisque le Roi, dit-il en terminant, veut que
son fils « entre en son conseil à l'âge de douze ans, et qu'il se
façonne et fasse son apprentissage dans cette école de la chose
publique, depuis cet âge jusqu'à celui qui le rendra majeur par
les lois du royaume », on peut penser que « Sa Majesté, pour
couronner cette œuvre , prendra plaisir aucunes fois d'employer
IJNTRODUCTION. LXI
en la personne de son Dauphin tout ce que le long temps et la
pénible expérience lui ont si chèrement apprins, et plus par
aventure qu'à nul autre des princes qui vivent sur la terre. Mais
pource que je sais qu'il n'y a rien dessous le ciel qui ne soit pé-
rissable et sujet à sa fin, même que les grandeurs des plus puis-
sans empires ont leur point Utilité , je. prie Dieu et le supplie de
vouloir différer le décret final préordonné sur ccUc monarchie, à
ce que la tempête n'en tombe sur ce prince, et que jamais elle
ne puisse choir sur les rois de son nom, de le garder et conserver
toujours sous l'abri de ses ailes, gouverner et conduire toutes
ses actions, et lui permettre de régner après Sa Majesté paisible-
ment, heureusement et à longues années. » Toutes ces leçons du
sage et fidèle médecin , toutes ces prévisions qu'il se plaisait à
émettre dans son livre De V Institution du /'n'wce devaient être dé-
jouées un an plus tard par la mort prématurée de Henri IV, l'a-
vénement au trône d'un enfant de huit ans et la régence de Marie
de Médicis.
Dès que le Dauphin passe sous le gouvernement de M. de Sou-
vré, le journal d'Héroard commence à devenir plus concis et l'on y
rencontre de moins en moins ces conversations, ces reparties, ces
détails de mœurs qui, pendant les premières années de la vie de
Louis XIII, font de ce journal un document unique eh son genre.
Jean Héroard devait cependant conserver longtemps encore
auprès du Roi les fonctions qu'il avait remplies auprès du Dau-
phin ; le 25 mai 4640, écrivait-il dans son registre, je reçus de
la Reine « l'honneur du commandement qu'elle me fit de servir
le Roi en qualité de premier médecin ». Bien qu'alors âgé d'en-
viron soixante ans, il passa encore dix sept années dans ce ser-
vice, rendu de plus en plus pénible par les voyages et les campa-
gnes de Louis XIII. Lors d'un de ces voyages, celui fait en 4614
par le Roi dans les provinces d'Anjou, de Poitou et de Bretagne,
le premier médecin se trouvant indisposé avait, le 40 septembre,
quitté Louis XIII à la Ferté-Bernard et il était venu se reposer dans
sa terre de Vaugrigneuse, située sur le chemin de Chartres à
Paris. Cinq jours plus tard, le Roi, qui rentrait à Paris pour la dé-
claration de sa majorité, « passe par Angervilliers, et là, enre-
gistre Héroard avec un bonheur facile à comprendre, nous fait
l'honneur non espéré ne attendu, et de son propre mouvement,
de venir à Vaugrigneuse... 11 arrive à neuf heures et demie, va
au jardin, au clos, déjeune de ce qui se trouva de prêt. » Le Roi
trouva si bon le pain de son médecin a qu'il en fit prendre et em-
porter trois » .
Nous pourrions revenir ici sur les diatribes latines dirigées contre
LXil liSTRODUCTION.
Héroard par Charles GoiIIemeaa> alors premier chirurgien de
Louis XIII, et qui, dit Éloy dans son Dictionnaire historique de la
médecine ancienne et moderne, « ne cessoît de blâmer la conduite du
premier médecin dans toutes les incommodités du Roi, «et de le pour-
suivre'de ses basses manœuvres et de ses sourdes détractations » ;
mais en ce qui concerne la vie d'Héroard, comme dans les extraits
de son journal, nous nous abstenons, autant que possible, de tou-
cher à des questions médicales qui ne sont pas de notre ressort. Il
est certain, d'après le Journal d'Arnauld d'Andilly, que le premier
médecin avait des ennemis auprès du Roi ; Tony lit à la date du 19
octobre 1616 : a Le Roi se trouve mal d'une fort grande colique qui
lui donne quelque peu de tranchées. M. Hérouard étoit lors à Vau-
grigneuse; onse voulut servir de cette occasion pour lui faire un
mauvais office; » et plus loin, au commencement de septembre de
la même année, Arnauld d'Andilly ajoute : « On continue à vouloir
faire de mauvais offices à M. Hérouard, lequel, voyant le Roi guéri,
lui fit demander son congé par M. de Luynes, dont le Roi se
fâcha extrêmement et dit qu'il ne souffriroit jamais qu'irl le
quittât. »
Dans son Histoire des Secrétaires d'État, publiée en 1668, Fau-
velet du Toc prétend que lorsque Charles le Beauclerc fut nommé
secrétaire d'État en 1624, il lé fut « avec un applaudissement si
universel que le cardinal de Richelieu, qui commençoit à s'intro-
duire au ministère, en eut de la jalousie ; il appréhenda qu'il ne
fît quelque obstacle à son élévation, et ne put s'empêcher de dire
qu'il ne craignoit que deux hommes auprès du Roi, M. le Beau-
clerc et Hérouard, premier médecin de Sa Majesté < » Si ce mot
est historique, il faudrait peut-être ajouter foi à un document
d'après lequel « le sieur Hérouard » est compris parmi les per-
sonnages « emprisonnés sous le ministère du cardinal ». i. Ar-
chives curieuses de V histoire de France ^ 2® série, tome V.) Cette
détention pourrait être la vraie cause d'une des longues interrup-
tions qui existent dans les dernières années du journal et que des
notes ajoutées après coup attribuent à la négligence de la veuve
et des parents d'Héroard qui auraient « misérablement perdu ,
pillé, dissipé et vilainement employé » de nombreux cahiers du
manuscrit.
Les regrets que causent sur certains points ces lacuhes sont
pourtant, il faut l'avouer, un peu atténués par la sécheresse, la
rareté des informations utiles données par le médecin, au moment
où son grand âge ne. lui permet plus de voir et d'entendre par
lui-même. Ainsi, dès le 13 août 1620, il en est réduit à écrire,
lors d'une entrevue de Louis XIII avec sa mère ; « Les paroles, je
INTRODUCTION., Lxiii
ne les sais pas. » Les réserves, les expressions « j'ai appris que »
ou « je n'y étois pas » reviennent de plus en plus fréquemment
sous sa pluine. Louis Xlll conserva pourtant jusqu'aux derniers
moments de son vieux médecin la confiance et Tamitié qu'il lui
avait toujours témoignées. Le 24 janvier i628, Héroard, qui avait
suivi son maître au camp devant la Rochelle, écrivait encore dans
son registre : « J'arrive à Aitré, mandé en diligence ; j'arrive à neuf
heures du soir, le Roi ctoit couché. Il m'envoie commander de me
trouver le matin à son lever; j'ai Thonneur de le voir à sept
heures; » et le premier médecin donne pour la dernière fois son
avis dans la consultation à la suite de laquelle le Roi est saigné.
Cinq jours après Jean Héroard, « saisi de maladie à Aitré », y
meurt le 11 février 1628, « visité en sa maladie par Sa Majesté et
regretté après sa mort par Sa dite Majesté en ce? paroles ; « J'avois
encore bien besoin de lui. » Ce dernier fait est rapporté dans un
livre publié en 16o3, par SimoA Courtaud, ancien médecin de
Louis XIH et neveu maternel d'Héroard.
Nous avons suivi, pour la date de mort de Jean Héroard, le re-
gistre de l'église paroissiale de Sainle-Marie-Madeleine de Vaugri-
gneusedans laquelle son corps fut transporté et enterré le 28 février
1628, ainsi que la légende d'une médaille dont nous parlons plus
loin. D'après une longue épitaphe qui existait encore dans le sanc-
tuaire de l'église de Vaugrigneuse du temps de l'abbé Lebeuf, mais
qui en a disparu et que le savant abbé transcrit avec quelques fautes
de lecture ou d'impression , Héroard « décéda à Autre le dixième
jour de février en Y din soixante- septième de son âge ». Les deux ma-
nuscrits de la Bibliothèque impériale portent que Héroard décéda
le huitième février, âgé de soixante^dix-huit ans, dit le premier
manuscrit, âgé de soixanie-sept ans sept mois, dit le second qui
ajoute « il étoit né le 12 juillet 1552 ». Cette dfîrnière date ne paraît
pas non plus bien exacte, mais dans tous les cas il y a erreur mani-
feste dans les indications qui donnent soixante-sept ans à Héroard
au moment de sa mort, ce qui placerait sa naissance vers l'année
1561. Inscrit sur les registres de la faculté de Montpellier en 1571,
Héroard devait avoir alors de dix-huit à vingt ans.
Les titres donnés à notre médecin par le registre de l'église de
Vaugrigneuse et par l'épitaphe que rapporte l'abbé Lebeuf sont :
Jean Héroard, chevalier, seigneur de Vaugrigneuse, de l'Orme le
Gras et de Launay-Courson , conseiller du Roi en ses conseils
d'État et privé, secrétaire de Sa Majesté, maison et couronne do
France et de ses finances, premier médecin de Sa Majesté et surin-
tendant des eaux minérales de France. L'épitaphe ajoute que, par
son testament, Héroard « a voulu être inhumé dans sa chapelle
LXiv INTRODUCTION.
qu'il a fait bàlir en cette église, laquelle il a fait rétablir en pa-
roisse qui avoit été unie avec la paroisse de Briis plus de cent cin-
quante ans auparavant, et a voulu être fondateur de la paroisse
de Vaugrigneuse... » On lit ensuite, ajoute Tabbé Lebeuf, que cette
inscription a été apposée parles soins d'Anne Du Val, feinme
du même Jean Hérouatd. » Si, comme le prétend Guillemeau, Hé-
roard et ses parents appartenaient à la religion protestante, le mé-
decin de Charles IX avait dû se convertir de bonne heure.
On possède de Jean Héroard un portrait gravé et une médaille,
exécutés tous deux après sa mort et peut-être par les soins dç sa
veuve. Le portrait, indiq^ué dans la Bibliothèque historique du P. Le-
long comme étant d'^n/. Bosse, est sans nom de peintre ni de
graveur et se trouve classé dans l'œuvre d'Abraham Bosse, dont
le catalogue a été public par M. Georges Duplessis. Héroard est
représenté de trois quarts, à droite, dans une bordure octogone
posée sur une console ornée de ses armoiries, d'azur au chevron
d'argent accompagné de trois étoiles d'argent, avec la devise :
Jove dignus Jpollinis arte. La médaille, signée Warin, porte au
revers les mêmes armoiries, la même devise et cette mention :
06. XI fev. 1628. Les indications données par le portrait et la
médaille sont identiques : i. heroàrd s. d. vavgrignevse p. mé-
decin Dv ROY Lovisxiii. Lc uom du Roi manque seul sur l'inscription
de la médaille, le reste est absolument semblable.
La veuve de Jean Héroard, Anne Du Val, dame de Vaugri-
gneuse et de l'Orme le Gras, lui survécut jusqu'en janvier 4640,
ainsi que le constate le registre de l'église de Vaugrigneuse, La
terre et seigneurie de Launay-Courson était échue à des neveux
maternels d'Héroard, les frères Courtaud, qui la vendirent dès
l'année 1634, ainsi qu'il résulte des titres de cette terre, appar-
tenant aujourd'hui à M. le duc de Padoue.
Jean Héroard était mort depuis seize années lorsque son nom se
trouva mêlé, d'abord incidemment, puis avec un éclat bien fâ-
cheux pour sa mémoire, dans la controverse qui agita les Facultés
de Paris et de Montpellier pendant la seconde moitié du dix-sep-
tième siècle. Un des neveux maternels et héritiers d'Héroard,
Simon Courtaud, après avoir été, par la protection de son oncle,
pourvu pendant quelque temps d'une charge de médecin par
quartier, s'était retiré à Montpellier où il était devenu doyen
de la Faculté. En 1644 Courtaud, dans un discours latin prononcé
à l'ouverture de l'école de Montpellier, mentionne Héroard parmi
les docteurs sortis de cette école qui avaient eu l'honneur d'oc-
cuper la première place auprès des rois de France. Cette apologie,
imprimée à Montpellier, vient aux oreilles des médecins de Paris
INTRODUCTIOJN. Lxv
et provoque delà part de Tun d'eux, Jean Riolan, une longue
réponse, publiée en 1631 sous le titre de Curieuses recherches sur
les Écoles de médecine de Paris et de Montpellier^ dans laquelle
Riolan insinue en passant que Jean Héroard n'a pas été choisi
parce qu'il avait étudié à Montpellier, mais parce qu'il se trouvait
déjà auprès de Louis XIII, au moment de sa nomination comme
premier médecin du Roi. Simon Courtaud réplique en 1633 par
un gros in-4® intitulé : Seconde apologie de VUnicersité en mé-
decine de Montpellier^ etc., envoyée à M, Riolan, professeur ana-
tomique^ et là il reprend l'éloge de son oncle Héroard, à propos
de la préférence donnée parles Rois à la Faculté de Montpellier sur
celle de Paris, puis il attaque Charles Guillemeau comme ayant
abusé de la confiance de son collègue et ami Héroard « pour mu-
guetter la charge de premier médecin ». C'est alors que l'année
suivante Charles Guillemeau entre dans la lice avec le libelle latin
dont nous avons extrait et traduit librement quelques passages; il
y attaque, avec une violence inouïe, Héroard et son neveu qu'il
n'appelle pas autrement que le chien Courtaud, et il termine sa
brochure par ce parallèle entre Riolan et Héroard :
« Jean Riolan est né à Paris d'un père éminent dans les lettres
et dans la médecine , et n'a fait qu'augmenter la gloire du nom
de son père ; Jean Héroard a eu pour père un méchant barbier de
Montpellier et le plus ignare de tous parmi les barbiers. Jean Rio-
lan, après avoir puisé les principes sacrés de l'art de la médecine
à la Faculté de Paris, a reçu d'emblée son bonnet de docteur;
Jean Héroard n'a jamais été reçu médecin , mais seulement ba-
chelier dans votre École , et encore par la complaisance du grand
conseil et du doyen de Montpellier. Jean Riolan a érigé des mo-
numents immortels , divins, dans les lettres et dans l'art de la
médecine; Jean Héroard n'a jamais écrit que son Hippostologie ,
ouvrage bien digne d'un vétérinaire et qui fait que toute la France
s'écrie qu'il n'a jamais été un médecin royal, mais un médecin
de cheval ! » Enfin, nous en passons et des meilleurs, « est-il pos-
sible, dit-il à Courtaud , de comparer, sans la plus mortelle injure,
Jean Héroard avec ce grand médecin Jean Riolan ! Non ! il faut le
comparer, ton Héroard, à ces charlatans africains dont les éloges,
et telle était la Ludovicoirophie de ton oncle, tuaient les gens de
bien, pétrifiaient les arbres, faisaient périr les enfants î à ces Tri-
balliens et lllyriens, peuples de la même espèce, qui ensorce-
laient par leurs regards et mettaient à mort tous ceux sur qui ils
tenaient trop longtemps les yeux attachés! Ah! Roi infiniment
trop bon! Ah ! il t'a regardé trop longtemps de son mauvais œil,
cet Héroard î \\ faut le comparer encore avec ces sorcières de
HÉROARD. — T. I. . ^
Lxvi INTRODUCTION.
Scythie, appelées Bythies, avec cette race de Thihiens Pontiques
dont Philarque écrit à Pline qu'ils avaient dans un œil deux pu-'
pilles et dans l'autre la figure d'un cheval, ce qu'un ami de la
médecine peut bien dire d'un médecin ' de cheval, d'un archi-âne
tel que Héroard !... Reléguons-le, cet Héroard maudit, quia abrégé
la vie de son Roi et n'a point péri lui-même, parmi ces peuples
d'Ethiopie dont l'odeur et les exhalaisons communiquaient la peste
par le seul contact de leur corps ! »
On croirait vraiment, à entendre Guillemeau, que Louis XIII
n'a pas survécu quinze ans à son premier médecin ; mais est-il bien
nécessaire d'insister plus longtemps sur ces invectives qui se re-
produisirent, avec plus de virulence encore, dans deux brochures
latines publiées l'année suivante et qui atiraient été sans doute
suivies de bien d'autres, sans la mort de Guillemeau, arrivée en
1656? Cédons pourtant à une dernière tentation, en ce qui con-
cerne Guillemeau, pour rappeler, nous l'apprenons de lui-même,
que ce médecin était un protégé du grand louvetier Saint-Simon,
père de celui qui s'est montré lui-même si passionné et si injuste
dans ses célèbres Mémoires. Les injures, les calomnies si peu
fondées qu'elles soient, laissent toujours après elles, surtout
lorsqu'elles se produisent après la mort et que les individus at-
taqués ne peuvent plus se défendre, des traces profondes , des
préventions invincibles. C'est ainsi que Guy Patin , dont l'esprit
satirique était d'ailleurs tout disposé à prendre parti pour la Fa-
culté de Paris dont il était doyen, écrivait encore en 1663 à son
ami André Falconet, médecin de Lyon : « M. Bouvard m'a dit
autrefois qu'il avoit entretenu le feu Roi du mérite et de la ca-
pacité de quelques médecins par les mains de qui Sa Majesté avoit
passé, et après qu'il lui en eût dit ce qu'il en savoit, que le Roi
s'écria: « Hélas î que je suis malheureux d'avoir passé par les
mains de tant de charlatans ! » Ces messieurs étoient Héroard,
Guillemeau et Vautier. Le premier étoit bon courtisan, mais
mauvais et ignorant médecin. M. Sanche, le père, m'adit ici l'année
passée que cet homme ne fut jamais médecin de Montpellier. »
Vers la môme époque Tallemant des Réaux disait dans son
Historiette de Louis XIII : a J'oubliois que son premier médecin
Hérouard a fait plusieurs volumes qui commencent depuis l'heure
de sa naissance jusqu'au siège de la Rochelle , où vous ne voyez
rien, sinon à quelle heure il se réveilla, déjeuna, cracha, p....,
ch... etc. » Le savant et dernier éditeur de Tallemant> M. Paulin
Paris, cite en note un autre livre intitulé : La santé du Prince,
ou les soings qu'on y doigt observer, 1616, in-12, qui serait at-
tribué à Jean Héroard. a Une partie de ce livre, ajoute M. Paulin
INTRODUCTION. Lxvii
Paris , contient les Rencontres et promptes reparties de M. le duc
d'Anjou, Il y en a une pour chaque jour du mois; mais, comme
on le devine, les bons mots qu'on prête à cet enfant de six à
huit ans sont généralement assez mauvais. » Nous pensons que ce
livre doit plutôt avoir été écrit par le médecin attaché à la per-
sonne du frère puîné de Louis Xlll, Gaston, depuis duc d'Orléans.
M. J. Michelet, parlant ironiquement du volumineux manuscrit
d'Héroard, qu'il nomme le Journal des digestions de Louis XIII^
dit dans une note de son livre sur Henri If^ et Richelieu :
« L'historien, le politique , le physiologiste et le cuisinier étudie-
ront avec profit ce monument immense. »
Les Archives curieuses de l'histoire de France, publiées par
MM. Cimber etDanjou, avaient, dès Tannée 1838, commencé à
faire mieux connaître le journal d'Héroard par un long extrait
comprenant toute Tannée 1614; plus récemment M. Armand Bas-
chet a puisé dans ce -journal des détails spéciaux sur le mariage
de Louis XIII et a donné du manuscrit original d'Héroard une très-
exacte description. Nous apportons à notre tour le résultat d'un
travail, entrepris d'abord en vue d'une publication autorisée le
10 janvier 1859 par S. Exe. M. Rouland, alors ministre de l'Ins-
truction publique, continué et complété depuis par une bien-
veillante communication de M. le marquis de Balincourt. Il ne
nous est pourtant pas permis d'affirmer, malgré le double dé-
pouillement auquel nonsnous sommes livrés, que Ton ne trou-
verait pas encore beaucoup de faits intéressants à signaler dans
les manuscrits d'Héroard. Les extraits d'un document ânédit ne
représentent toujours que Timpression personnelle de celui qui le
consulte, et tout lecteur qui surviendra aura inévitablement des
préoccupations différentes de celles de son prédécesseur. Des
extraits ne peuvent donc en aucun cas tenir lieu d'une public -
tion intégrale; mais, quelles que soient les facilités que Ton trouve
de nos jours pour imprimer des documents beaucoup plus volu-
mineux , il est bien peu probable que les manuscrits d'Héroard
soient jamais reproduits dans toute leur étendue. Il nous reste
maintenant à donner sur ces divers manuscrits les renseignements
qui permettront de recourir à ceux que nous avons eus à notre dis-
position.
Le manuscrit original de Jean Héroard est ainsi décrit dans la
Bibliothèque historique du P. Lelong : « 21447. MS. 'Journal par-
ticulier delà vie du Roi Louis XIII, depuis Tan 1605 jusqu'en
1628; composé et écrit de la main de Jean Héroard, seigneur de
Vaugrineuse, son premier médecin, in-fol. 6 vol. — Ce journal
étoit conservé dans la bibliothèque de M. Colberl, numéro 2601-
♦ e. )
Lxviii INTIIODUCÏION.
606 et est dans celle du Roi. » On remarquera qu'il manque à ce
manuscrit original un peu plus de trois années, c'est-à-dire les
cahiers d*Héroard depuis le 45 septembre 1601 jusqu'au 31 dé-
cembre 1604. Les six tomes de ce manuscrit sont aujourd'hui ca-
talogués à la Bibliothèque impériale sous les n»» FR. 4022 à 4027.
La Bibliothèque impériale possède aussi , dans le Supplément
français, n° 928, un autre manuscrit de douze feuillets qui a pour
titre : Particularitez de la vie du Roy Louys X/'II^ des^mémoires
d'Erouard médecin» C'est une analvse succincte du manuscrit ori-
ginal, année par année, depuis la naissance du Dauphin jusqu'à
la mort d'Héroard. Cette analyse paraît avoir été faite par un mé-
decin; elle se termine ainsi : « Érouard... étoit moins curieux de
richesses que de gloire; il faisoit la médecine un peu différem-
ment des autres; il saignoit moins et usoit de cordiaques et spé-
cifiques. »
Un autre extrait se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal, dans
le Recueil de pièces sur l'histoire de France, n° 184. Ce manus-
crit a pour titre : Journal du Roy Louis Xlll^ par 3/® Jeh, //e-
rouard , son pj'emier médecin; il comprend de janvier 1614 à dé-
cembre 1617.
Le quatrième et dernier manuscrit que nous avons eu entre
les mains est catalogué dans la Bibliothèque du P. Lelong à la
suite du manuscrit original : « 21448. MS. Ludovicoirophie ou
journal de toutes les actions et de la santé de Louis Dauphin de
France, qui fut ensuite le Roi Louis XIII, depuis le moment de sa
naissance (le 27 septembre 1601) jusqu'au 20 janvier 1628; par
Jehan Hérouard, premier médecin du Prince, in-4®, 4 vol. — Ce
manuscrit qui contient des. anecdotes singulières, et qui est im-
portant pour les dates, est conservé d.ans le cabinet de M. Gênas,
conseiller au^Présidial de Nismes. Le premier volume, qui com-
mence à la naissance du Prince, finit à l'année 1604. Il manque
les années 1605 et 1606. Le second contient depuis 1607 jusqu'à
1610.11 manque ensuite les années 1611, 12 et 13. Le troisième
volume commence à .1614 et finit en 1617. Il manque ensuite
quatre années. Le quatrième et dernier volume comprend les
années 1622 et suivantes, jusqu'au 29 janvier 1628 où l'auteur
tomba malade à Aitré, et y mourut le 8 février suivant. Il étoit né
le 22 juillet 1551. Outre ce qu'on a marqué, il y a encore quel-
ques petites lacunes. »
Cette description est rigoureusement exacte, et c'est ce manus-
crit, appartenant aujourd'hui à M. le marquis de Balincourt, dont
la communication nous a permis de combler la lacune des trois
premières années qui existe dans le manuscrit original de la Bi-
INTRODUCTION. LXix
bliothèque impériale. On a vu plus haut^ sous la plume de Charles
Guillemeau, Tennemi d'Héroard et de son neveu Courtaud, ce
nom de Ludovicotrophie que portent en effet, sur le dos de leur
reliure en parchemin, les quatre volumes appartenant à M. de Ba-
lincourt. Une note d'une écriture microscopique, qui se trouve au
bas de la première page du premier volume, indique que ce ma-
nuscrit a été commencé le 25 septembre 1648. Le manuscrit de
M. de Balincourt n'est pas une reproduction intégrale de l'original
avec lequel on peut le confronter dès le i*"^ janvier 1607; c'est
aussi un extrait dans lequel on a supprimé la plus grande partie
des détails qui choquaient Tallemant des Réaux. Ce travail a été
exécuté d'après le manuscrit original, et l'on en trouve la preuve
des les premières lignes, en regard desquelles est relié un frag-
ment de récriture d'Héroard qui est le commencement même de son
registre : «Le 15®jour de septembre 1601 (l)je r eçus lettre, etc. ».
La copie, faite de la main même d'Héroard, de la lettre écrite par
Biron à M™« de Montglat le 24 avril 1602, est également placée
dans le manuscrit de M. de Balincourt, en regard de la journée du
28 avril, où le médecin mentionne cette lettre.
Toutes ces circonstances nous font supposer que, postérieure-
ment à la mort de la veuve Héroard en 1640, Simon Courtaud
était devenu possesseur du manuscrit de son oncle; que c'est lui
qui, aux endroits des lacunes du manuscrit original, s'est plaint
de la négligence de la veuve et des autres parents d'Héroard; et
que c'est lui enfin qui, en préparant cet extrait et en imaginant
le titre de Ludovicotrophie, projetait une publication pour laquelle
il aurait rédigé la préface que nous reproduisons. Cet avis au
lecteur se trouve en tête du manuscrit appartenant à M. le mar-
quis de Balincourt; mais il n'est pas de la même écriture que le
reste de la copie, et il n'est certainement pas de la main de Jean
Héroard. Le texte en est autographe et corrigé par l'auteur, que
nous croyons être Simon Courtaud.
(i) Dans le Journal inédit de Henri IV, publié en 1862 par M. Halphen,
Lesloile écrit à cette date : « Pour médecin de M. le Dauphin, onymItÉrouard,
à la faveur jet recommandation de M. de Bouillon, » et Lestoile ajoute » que
ledit Érouard étoit de la Religion. » D'après ce témoignage qui se joint à celui
de Guillemeau (pag. xlv), il faut croire que la conversion d'Héroard fut
beaucoup plus tardive que nous ne Tavons supposa page lxiv.
Le dessein de V auteur en cet œuure a été dwers et
doit être dispersement considéré : car son but étant de
s^ acquitter dignement du soin de la nourriture du
Prince qui lui aiH)it été commise, il s'est principale-
ment et particulièrement arrêté aux observations quiH
reconnoissoit y de jour en jour et d heure à autre y
nécessaires pour établir un solide jugement à V avenir
aux altérations et changemens auxquels , dès la nais^
sance^ la nature assujettit tous les hommes ^ etj par cette
remarque sage ^ pénible ^ judicieuse et curieuse y prendre
instruction et fondement pour conduire à bonne fin la
charge de la santé du Prince pour laquelle le roi
Henry le Grand avoit fait choix de sa personne ,
Payant considérée pour son expérience , pour son ju-
gement et pour sa fidélité reconnue dès longtemps au-
parafant par Sa Majesté y par longs et signalés se?*-
vices. A quoi V auteur se seroit porté avec tout le soin
et diligence qui se pouvoit requérir, n ayant laissé
passer aucun accident^ concernant la santé et infirmités
du Prince^ dont il n'ayefait les remarques ^ y joignant
r ordonnance et la sage application des remèdes , en-
semble le récit et observation de ses inclinations et ap-
pétits particuliers ; le tout si exactement et simplement
décrit que Von peut dire cet ouvrage sans exemple ni
espérance d un pareil à V avenir. D' autre part V auteur
fia point voulu donner à son ouvrage le titre cThis^
taire , ains seulement Journal et Registre particulier^
d'autant que son but na point été de s^ étendre plus
avant dans r histoire j comme il eût bien pu faire s'il
eût voulu ^ ains il s* est tenu dans les limites de la
vie particulière de son Prince et de son Maître y afin
de ne rien prendre d* autrui et de ne mettre en avant
que les choses qii il auroit vues ; imitant en quelque
sorte ce qui étoit jadis usité par les anciens grands
empereurs du Cathay^ qui au bas de leur table te^
noient toujours quatre secrétaires assis, qui mettoient
en écrit tout ce que Ih Roi disoit^ soit bien^ soit mal; et
de cet usage l'auteur n'a point été mauvais imitateur
n'ayant laissé passer aucune parole ni action remar-
quable du Prince qui ne soit insérée en ce journal^ ne
faisant ^aussi en cela qu'obéir à son Prince qui lui coni'
mandoit expressément d'enregistrer les sentences et
actions louables et vertueuses qu'il reconnoissoit dignes
de lui ; lequel commandement l'auteur faisoit souple-
ment servir d occasion pour réprimer lès défauts de la
jeunesse du Prince en le menaçant d'en charger son
journal dont il étoit jaloux que cela ne fût point . Et de
tf)ùt cet ouvrage non pareil et qui est comme une riche
et agréable tapisserie de diverses matières et un chef
d' œuvre du soin d'un fidèle serviteur et sujet envers la
personne de son Prince et de son Maître , // ny a rien
dont il soit fait mention en aucune histoire, et qui
pourra servir de modèle et d'instruction à ceux qui ont
ou auront à l'avenir la conduite de la santé et éduca-
tion des Princes^ étant mêlé dutnédecin^ du politique^
du moral j même de méthode à tous pour l'éducation des
enfans.
JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
ANNKE 4 60^.
Héroard est nommé premier médecin du futur Dauphin; parole» que lui
adresse Henri IV. — Naissance du Dauphin à Fonlaiuehieau. — Témoins
de Taccouchement. » Description du corps de Tenfaut ; remarque de la
duchesse de Bar. — Le Roi annonce lui-même l'événement. — Départ des
courriers. -> Paris de Zamet avec le Roi et la Reine. — Première nour-
rice. — Le Roi manque de laisser tomber son fils. — Visiles de grands
personnages. — Première chemise; mot de la duchesse de Bar. — Avidité
de l'enfant. — Seconde nourrice. — Le Dauphin transporté de Fontaine-
bleau à Saint-Germain en Laye; son passage et sa réception à Melun et à
Paris. — Visites à- Saiut- Germain ; la Reine y vient avec M™* de Guise et la
Concini . — Arrivée du Roi ; il se joue avec son fils. — Premier mot de
Tenfant à sa nourrice. — Arrivée des gardes du corps. — La marquise de
Verneuil à Saint- Germain. — Jargon du Dauphin; il aime la musique, —
Visite des nonces du Pape. — Remplacement de la première nourrice.
Le 15* jour de septembre 160i je reçus lettre de M'"*' de
Guiercheville (1), le 17% celle de M. de la Rivière, pre-
mier médecin du Roi. Le 20% dimanche, j'allai couchera
Fontainebleau.
Le 21^, sur les quatre heures du soir, à l'entrée du
jardin des canaux, je rencontrai le Roi qui revenoit de
la chasse, et m'appelant, me fit Thonneur de me dire :
(1) Dame d'hoiinenr de la Rcinr*. Voij. page 3, note C.
UKROMID. — T. I.
2 JOURNAL DE JEAN HÈROARD.
(( Je VOUS ai choisi pour vous mettre près de mon fils le
Dauphin ; servez-le bien . »
En l'année 1601, le 26*" jour de septembre, Marie de
Médicis, reine de France et de Navarre, se trouvant à
Fontainebleau sur la fin du neuvième mois de sa gros-
sesse, environ les onze heures du soir, commença de
sentir quelques douleurs que l'on jugea pouvoir être d'en-
fantement. Toute la nuit elles furent lentes, la reprenant
de loin à loin sans point de violence ; continuèrent en
la même façon jusques sur les deux heures après midi
du jour suivant qu'il lui survint une colique venteuse
qui la traita bien fort cruellement l'espace de deux heures
et enfin s'apaisa par l'aide des remèdes qui furent faits;
et fut après cela une bonne heure sans douleur aucune.
Les premières la reprirent comme devant, mais aussi
avec plus de rigueur et moins de repos ; passa jusques à
huit heures en cette sorte. Alors on la leva de son lit, où
elle avoit été toujours couchée, pour la mettre sur une
chaise faite exprès pour accoucher, estimant qu'elle y
pourroit être plus aisément délivrée. Au même temps les
douleurs la saisirent si vives et si pressantes que, sans
aucun ou fort peu de relâche, elles continuèrent jusques
à l'entier accouchement, qui fut d'un Dauphin, le 27^ du
mois susdit, quatorze heures dans la lune nouvelle, à dix
heures et demie et demi quart, selon ma montre faite à
Abbeville par M. Plantard. L'enfant fut reçu par dame
Louise Bourgeois , dite M"® Boursier (1), sage-femme à
Paris, qui fut longtemps à couper le nombril de peur de
le blesser, d'autant qu'à tout propos il y entôrtilloit ses
mains et le tenoit de telle force qu'elle avoit peine de
l'en retirer. Et sur ces entrefaites la Reine demanda par
deux fois en ces termes : Emaschiol A quoi ne lui étant
point répondu se leva. en pied de la chaise où elle venoit
(1) On a il'eile : Récit véritable de la naissance de Messeigneurs et
Dames les en fans de France. Paris, IC20.
SEPTEMBRE IGOl. 3
d'accoucher pour voir ce qui en étoit. Le Roi ne l'en sut
empêcher, qui ëtoit tout debout derrière la chaise et d'où
il n'étoit parti depuis Theure qu'elle y fut mise. François
de Bourbon, prince de Conty (1), Charles de Bourbon,
comte de Soissons (2), et Henri de Bourbon, duc deMont-
pensier (3), furent présents à cet accouchement, auxquels
fut commandé par Sa Majesté de s'approcher de la sage-
femme et de se baisser pour voir Fenfant tenant à Tar-
rière-faix, avant qu'elle en fit la séparation. Catherine do
Bourbon, duchesse de Bar (&.], sœur du Roi, Anne d'Esté,
duchesse de Nemours (5], et Antoinette de Pons, marquise
de Guiercheville (6), dame d'honneur de la Reine, la ser-
virent à cet accouchement. Durant cette longueur de
mal, et àpreté dé tant de sortes de douleurs, la constance
et fermeté de la Reine fut merveilleuse et incroyable ,
voire à <îeux mèlne qui ont eu l'honneur de la servir en
cette occasion, n'ayant en ses plus grandes douleurs ,
sinon sur les dernières, haussé plus haut sa voix et son
Oimè je inorro, qu'il se pût qu'à peine entendre d'un
bout de chambre à l'autre ; et , la douleur passée , M-*
sant paroltre sa face autant joyeuse comme en pleine
santé. Lors mémement que le Roi (qui tout le long dé son
travail alloit et Venoit), arrivoit auprès d'elle, on la
voyoît revenir toute à soi, le recevant et l'entretenant de
t:
(1) Né en 1558, mort en 1614 ; fils de Louis F% prince de Condé, tué à Jar- ,
nac en 1569, et dlÊtéoiioré dé Boye , sa pi'emièré femme.
(2) Né en 1566, mcirt en 1612 ; fils de Louis r% prihce de Condé, et de Fi^an-
çQîse d'Orléans-Rolkà^io, «a seconde femme.
(3; Né en 1573, mort en 1608.
(4) Née en 1558, morte en 1604 ; fille d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre,
et de Jeanne d'Âlbret, mariée eu 1599, à Henri de Lorraine, duc de Bar.
(5) Morte en 1607, âgée de soixante^-seize ans. Elle avait été mariée i 1^ eu
1549, à François de Lorraine, duc de Guise, tué par Poltrot en 1563; 2"^ en
1566, à Jacques de Savoie, duc'de Nemours, mort en 1585.
(6) Morte èri 1632. Elle avait été mariée : l"" à Henri dé Sifly, comte de la'
Rocheguyony morten 1586; 2'' en 1594, à Ciiarles du Plessis, seigneur de
Liancourt, comte de Beaumont-sur-Oise, marquis ûa Guerchcvi.lc; Henri IV
disait d'elle que c'élaU une véritable dame d'honneur.
1.
4 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
propos de personne contente , lâchant ce néanmoins
parmi ces gaietés des grosses larmes. Pendant le cours de
ces assauts, comme elle avoit un peu plus de repos^ de-
mandoit quelquefois combien on tenoit de la lune^ crai-
gnant d'accoucher d'une fiUe^ sur l'opinion vulgaire que
les femelles naissent sur le décours^ et les mâles sur la
nouvelle lune. Étant donc entièrement délivrée et Tenfant
se trouvant foible, pour avoir longtemps séjourné en at-
tendant Tarrière-faix, il lui fut donné un peu de vin
par M. Guillemeau, chirurgien ordinaire du Roi ; puis
étant élevé par la sage-femme, pris par M'** de la Re-
noulière, première femme de chambre de la Reine , à
laquelle le Roi lui commanda, disant : a Baillez-le à
M""® de Montglat (1), » qui le prit enveloppé et le porta
devant le feu , où il fut assez longtemps , pendant
que la sage-femme pansoit la Reine, qui alla sur ses
pieds, depuis sa chaise d'où elle venoit d'accoucher jus-
ques dedans son lit, sans l'aide de presque de personne.
Cependant je lui donnai (à Tenfant), dans^a cuiller, un
peu de mithridale détrempé avec du vin blanc, qu'il avala
fort bien et en suça ses lèvres comme si c'eût été du lait.
Puis elle vint à monseigneur le Dauphin, où Ton put voir
alors un enfant grand de corps, gros d'ossements, fort
musculeux, bien nourri, fort poli, de couleur rougeàtre
et vigoureux tout ce que l'on peut penser pour cette
petite âge; Il avoit la tète bien formée, de bonne grosseur,
couverte de poil noirâtre, les yeux tannés, le nez un
peu enfoncé vers sa racine , épaté et relevé par le bout,
les oreilles de moyenne grandeur et bordées, la bouche
(i) Françoise de Longuejoue , veuve de Pierre de Foissy et remariée à Ro-
bert deHarlay, baron de Montglat, premier mailre^d'hôtel du Roi « homme
violent et fâcheux, dit Lestoile, et sa femme encore plus. » Le Journal
d'Héroard confirme ce jugement et prouve que ie choix de cette gouvernante
ne fut pas heureux. Voy. la letlre du Roi à M™*^ de Montglat, du 19 septembre
1601, dans le Recueil desLetlres missives de Henri /K^publiées par M. Ber*
ger de Xivrey , tome V, page 473.
SEPTEMBRE 1601. ^
très-belle, petite et fort relevée, ayant le dessus du
milieu de la lèvre haute par le dehors fort canelé, et
le milieu de la basse aussi; le menton fourchu, le tout
fait comme d^un trait, et le bas du visage fort ar-
rondi ; le col gros et fort, et les épaules larges ; la poitrine
bien relevée, les bras grands, les mains aussi et d'une
blancheur naïve (sic) par dessus Tordinaire ; les parties
génitales à l'avenant du corps ; les jambes droites et les
pieds grands, fort larges par le bout, se rétrécissant en
un talon fort pointu, les orteils presque de pareille lon-
gueur, les serrant en dedans, du gros au petit, comme
on feroit du bout de la main. Il porta sur lui ces marques :
entre les deux sourcils, mais plus proche du droit, se
trouva une tache rougeàtre ronde, de la grandeur d'un
petit denier; une autre au-dessus de la nuque, sous la
racine des cheveux, de pareille couleur et de même
figure , mais de grandeur semblable à un rouge double,
et une autre petite de la même couleur à l'entrée de la
narine gauche ; et la dernière ce furent trois poils noirs
sur le sommet du cartilage de Toreille gauche , et le
croupion tout velu. lies poils de l'oreille et la forme du
pied se trouvent être de même au Roi son père. Je lui
fis laver tout le corps de vin vermeil mêlé avec de l'huile,
et. la tête de pareil vin et de l'huile rosat. Pendant tout
cela il cria fort peu, mais par son cri fit bien paroltre la
force de ses poumons, ne criant point en enfant, qui est
une des choses plus remarquables en lui.
M"*^ la duchesse de Bar, sœur du Roi, qui considéroit
les parties si bien formées de ce beau corps, ayant jeté sa
vue sur celles qui le faisoient être Dauphin, se retournant
vers M"* de Panjas, sa dame d'honneur, lui dit qu'il* en
étoit bien parti (1). Ces mots furent reçus avec risée qui
les porta aux oreilles du Roi, qui étoit près de la Reine.
Étant emmaillotté il fut porté sur le lit de la Reine et
* — .^^^— ^ I I I I II II I » M^^i^^— ^— ^—
(1) Qu'il en était bien pourvu. -
6 JOURNAL DE JEAN HllllOARD.
couché à sa main droite, où elle làchoit parfois quelques
Qsiilades. Un quart d'heure après il fut emporté par
M'"^ de Montglat dedans sa chambre et mis dans son ber-
ceau entre minuit et une heure.
Aussitôt que Monseigneur le Dauphin fut né, le Roi
apporta lui-même la nouvelle à la noblesse qui Fatlen-
doit en son antichambre^ laquelle fut si bien reçue qu'ils
se jetoient tous en foule à ses jambes, avec telle ardeur
qu'il ne pouvoit passer et faillit à être renversé. Ayant
reçu Sa Majesté ce témoignage d'allégresse pçur la bonne
nouvelle : a Allons, dit-elle, rendre grâces à Dieu, et
que chacun de vous se y prépare. » La Reine ayant été
pansée et Monseigneur le Dipiuphin couché, il se y ache-
mina. A son retour toute la cour flamboit des feux de
joie et tout tonnoit des salves des arquebusades qui fu-
rent faites par les soldats des gardes ; le S^ de Mansan, ca-
pitaine au régiment des gardes, étoit en garde.
A l'heure même de sa naissance, les courriers qui
avolent demeuré bottés depuis que la Reine commença
de se plaindre, montèrent à cheval pour France, Florence
et Mantoue, sachant que c'étoit un Dauphin, a n'étant
bottés, ce disoient-ils, pour une fille; » et de fait M. de
Beaulieu-Ruzé , secrétaire d'État, avoit fait préparer
double dépêche. Avant de partir, on fit voir la marque
de Dauphin à ceux qui furent dépêchés pour l'Italie et
quelques autres pour France. LeS'dela Varennc (1) porta
cette nouvelle à Paris, alla descendre chez le S*" Zamet qui
y gagna mille écus, pour gageure faite d'un mâle contre le
Roi, et de deux mille écus contre la Reine qu'elle accou-
cberoit dans le jeudi (2).
Le 28 septembre, vendredi, à Fontainebleau. — Sa nour-
(1) Contrôleur général des postes. Voy, la l élire du Roi à M. de Montigny,
leiires missives, V, 476.
(2) Le |\oi ayait aussi promis le cliât<^au de Monceaux à la Reioe, si elle
avait un (ils. {lettres missivesy V, 481.) .
OCIOBRE ICOl. 7
rice fut daraoiselle Marguerite Hotman (1), etreconnois-
sabt quHl avoit peine à teter^ il lui fut regardé dans la
bouche et vu que c'étoit le filet qui en étoit cause; sur
les cinq heures du soir il lui fut coupé à trois fois par
M. Guillemeau^ chirurgien dû Roi.
Le 30 septembrey dimanche, à Fontainebleau. — Hessire
Achille de Harlay, premier président à Paris, arrive de sa^
maison de Beaumont pour le voir.
Le lundi 1*' octobre. — Porté à la chambre de la
Reine ; M. le cardinal de Gondi le vient voir.
Le 5, vendredi. — Portéchezla Reine ; le Roi se y trouva,
et le voulant rendre à la nourrice, couché sur un oreiller
de velours ras, il Ta soulevé pour le baiser ; Penfant coule,
et le Roi baise Poreiller. Le Dauphin fût tombé sur les
pieds à terre s'il n'eût été reçu par sa nourrice, qui l'em-
poigna. Dès lors on ajouta une pièce de velours audit
oreiller, où l'on le mettoit quand on le vouloit porter hors
de sa chambre, et depuis le Roi ne le porta plus et ne le
prit entre ses bras.
Le 6, samedi. — Messire Jean de Nicolaï, premier pré-
sident des Comptes à Paris, arrive pour le voir comme
particulier.
Le 8, lundi. — M. Guyet, sieur de Charmeaux, président
des Comptes et prévôt des marchands, arrive comme par-
ticulier et le vit remuer.
Le 9, mardi. — Porté chez la Reine.
Le 10 , mercredi. — M*"® la duchesse de Bar, sœur du
Roi, lui donne sa première chemise. La remueuselui dit
qu'ilfalloit faire le signe de la croix. « Faites-le donc pour
moi, dit-elle en souriant, je ne le sais pas faire (2) »•
Elle ne laisse pas pourtant de la lui donner. — Depuis le
lendemain de sa nativité, il avoit le cri fort et puissant,
ne ressentant aucunement le cri et le vagissement des
<1) Héroard la nomme Catherine le 27 dt^cembre ëiHîanC.
(2) La duchesse de Bar était protestante.
«X
8 JOURNAL DE JEAN HÉROARD,
enfants, ce quUl n'a jamais fait ; et quand il tetoit c'^toit
à si grandes gorgées^ élevant sa mâchoire si haut , qu'il
en tiroit plus à une fois que les autres ne font en trois;
aussi sa nourrice étoit à toute heure presque à sec.
Le il y jeudi j à Fontainebleau. — Porté chez la Reine ;
rapporté. La nourrice^ au retour de la chambre de la Reine,
^a vomi tout son diner; elle mangeoit beaucoup et plus
qu'elle ne pou voit, reconnoissant le défaut de son lait.
Le 12, vendredi. — Remué devant Messire Pomponne
de Bellièvre, chancelier de France.
Le 13, samedi. — Manifeste défaut de lait en sa nour-
rice, qui avoit la mamelle petite et le lait clair et chaud.
Le 14, dimanche. — Porté chez la Reine; rapporté,
Allouvi (1), point assouvi. On lui donne de la bouillie,
ayant misa sec les deux mamelles; il en prend et avi-
dement.
Le 17, mercredi. — A cause de celte grande avidité,
l'importunité des femmes lui fit donner du lard frais (2),
bouilli, à frotter ses gencives; il en tronçonna un mor-
ceau qu'il faillit à avaler. Porté chez la Reine; teté
avidement; rapporté.
Le 18, jeudi, — Remué , le Roi présent. Allouvi; mis
à sec sa nourrice; bouillie.
Le 19, vendredi. — Sur le défaut de lait reconnu par
plusieurs fois en sa nourrice par MM. de la Rivière, du
Laurens, Yido et moi, assemblés par le commandement
de LL. MM., il fut résolu que M"' Hélin, femme Lemaire,
seconde nourrice, donneroit le lait à M^' le Dauphin
pour secourir la première (3).
(i) Cette expression est encore usitée en Normandie pour exprimer Tavi.
dite d^un enfant nouveau né.
(2) Cette coutume est encore suivie en Normandie dans des circonstances
semblables.
(3) Henri IV écrivait le même jour à la marquise de Verncuil : « Je vous
eusse envoyé M. de la Rivière , mais a fallu qu^il soit demeuré pour pourvoir
à mon fils qui a tari sa nourrice ». ( Lettres missives ^ V, 507. )
OCTOBRE 1601. 9
Le 20 f samedi, à Fontainebleau. — AUouvi à Taccou-
iumée ; la nourrice à sec ; la seconde nourrice^ M""" Hélin^
lui a donné le lait; la Reine y est venue^ puis le Roi.
Le 22, lundi, — • M. de Mayenne (1) le vient visiter.
Le 23, mardi. — Remué en présence de la Reine.
Le 2k j mercredi. — Peu de lait en la nourrice qui, de
son collet, couvroit ses mamelles pour en cacher le
défaut; il rit à la sage-femme.
Le 25, jeudi. — Porté chez la Reine; M. Groulard, pre-
mier président de Rouen , y arriva pour saluer la Reine
et U*' le Dauphin ; il le voit remuer. Le Dauphin part de
Fontainebleau à deux heures dans la litière de la Reine,
dan s un panier d* osier fait exprès (2) ; il a dormi sans s'é<-
veiller jusques à Helun. Arrivé à cinq heures à Helun, le
lieutenant général, accompagné de six conseillers, lui
viennent au-devant et font offre de leur service, par-
lant à M"** de Môntglat, sa gouvernante; les quatre
échevins portant un poêle de taffetas blanc en firent
de même, et après mirent mondit Seigneur sous le poêle,
et en cette façon fut conduit dans la ville, par la
porte de G&tinois, les rues tendues de blanc, jusques à
la maison de M. de la Grange, où il coucha la nuit. M. de
Mansan, gentilhomme gascon et capitaine aux gardes
du Roi, et qui éloit en garde à Fontainebleau à sa nais-»
sance, fit. la garde devant son logis. Il y eut beaucoup
de personnes qui le virent remuer, et une femme d'assez
moyenne qualité, qui, entre les autres, transportée d'af-
fection, se jette à genoux à mon côté : c< Mon Dieu, dit-
elle, y auroit-il danger de le baiser », et ce disant fait
contenance de le vouloir faire si je ne l'eusse retenue.
Le 26, vendredi. — Parti à huit heures de Melun pour
aller à Lourcine; arrivé à onze heures à Lourcine. Parti
(1) Charles de Lorraine^ duc de Mayenne, né en 1554, inor{ en 1611.
(2) Lestoile dit que c*était un « berceau que la grande-duchesse de Flo<
rcnce lui avoit envoyé. »
10 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
de Lourcine à deux heures et deoiie^ il arrive à six
heures à Villeneuve-Saint-Georges. M. Gobelin, trésorier
de l'Épargne, sa femme, M. et M"' du Mesnil le vinrent
voir, ainsi que M. et M'"® de Mareuil du Val. Je le portai
de la litière en sa chambre.
Le 2T octobre y samedi y voyage. — M. le grand prévôt du
Val, M. de Mareuil, son frère, sont partis avec le Dauphin
à neuf heures. Arrivé à onze heures à Maisons, parti à
deux heures et demie. En chemin, Messire Guyet, prési-
dent des Comptes et prévôt des marchands à Paris, accom-
pagné des échevins et autres officiers de la Ville, vêtus
de leurs habits de magistrats, ayant avec eux tous les
archers de la dite Ville, sortent au-devant de lui sur le
chemin de Charenton, mille pas hors la porte. Étant
arrivés près de la litière, ils mirent pied à terre, et le
prévôt des marchands parla à M"*® de Montglat qui étoit
dedans, tenant sur les genoux Monseigneur le Dauphin
dormant. Elle lui répondit, et les discours de l'un et
de Tautre durèrent environ demi-heure, lesquels finis
Ton commença à marcher, M. de Montglat d'un côté
de la litière et moi de l'autre, et les archers aussi, pour
empêcher que la grande multitude de peuple de tous
âges et sexes, à pied, à cheval et en carrosse, ne se jetât
sur la litière, comme il est vraisemblable qu'il fût ad-
venu, pour lé désir ardent que chacun ayoit de le voir.
Étant arrivé à la porte Saint-Antoine, le Dauphin fut
reçu par les hautbois, cornets à bouquin et trompettes,
qui étoient sur le bastion de main droite, et conduit en-
fin â la maisoa du sieur Sébastien Zamet , ou il logea
en la chambre du Roi, à quatre heures et demie.
Le 28, dimanche, à Paris. — Le Roi, la Reine, M. de
Mayenne et tout ce qui étoit des princes et princesses à
la Cour, le sont venus voir, à part ou avec la Reine.
Le 29, lundi. — Sur les six heures, parti de chez
M. Zamet, porté au Louvre, où le Roi et la Reine l'ont
vu et tenu bien une heure; de là aux Tuileries où le
NOVEMBRE IGOl, Il
Roi, qui y éloit venu, le fit passer pour le voir derechef
et le montrer à plusieurs qui ne Favoient encore vu; et
delà^ partant eqtre midi et une heure^ il alla à Saint-
Cloud^ logea au petit logis de M. de Gondi, chevalier
d'honneur de la Reine. Parti de Saint-Cloud à trois heures
il arrive à six heures à Saint-Germain en Laye,lieu
choisi par le Roi pour y être nourri , accompagné de
messire [Robert ] de Harlay, sieur de Montglat, de Fran-
çoise de Longuejouey dame de Montglat, sa gouvernante ;
de moi Héroard, médecin ordinaire du Roi et premier
de Monseigneur le Dauphin ; de Georges Birat, premier
huissier de sa chambre, et du sieur François de Marvil-
1er, écuyer, sieur de MeninvîUe en Beauce, capitaine
exempt des gardes du corps du Roi, sous la charge de
H. dePraslin; du sieur Daniel Prévost, sieur de Brage-
longne en Champagne; du sieur Jehan Dugué, Parisien;
du sieur Jacques -de Lancelin, sieur de la Rouillère, de
Valence en Dauphiné; du sieur Guillaume de la Palisse,
de Messe en Gàtinois; du sieur Charles du Til, de Préaux
eu Normandie; du sieur Isaac de Rives, sieur delà Ri-
vière, d'Aspreville en Normandie ; du sieur Jacques du
Glasc, Écossois , tous archers des gardes du corps du
Roi, et de quatre Suisses de la garde. A bonne heure
nous prit la pluie qui arriva aussitôt comme il fut en
sa chambre. Il fut mis en celle de la Reine en attendant
que la sienne fût accommodée; le soin que l'on avoit
eu d'un si précieux trésor fut t^l que Ton ne y avoit
trouvé aucune chose de prêt pour le recevoir. 11 est à
présumer que l'on en doit blâmer ceux qui tiennent
les charges pour telles affaires. Peu de lait à la nourrice.
Le3 novembreySamediy à Saint-Germain en Laye. — Le
comte de Lindre, prince d'Espinoy , Flamand, ambas-
sadeur extraordinaire de la part de l'Archiduc devers
le Roi pour se réjouir de la^ naissance de M*^ le Dau-
phin, le. vient voir ce disoit-il, par commandement du
Roi. [ Louis de Lorraine], abbé de Saint-Denis, et le che-
12 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
valiepde Lorraine, son frère, le sont venus visiter (1).
Le 4 novembre^ à Saint-Germain. — Dormi, réveillé,
etc.; frotté le ventre d'huile d'absintfae et le nombril
de civette* M. Brulard, abbé de Léon, le vient visiter.
Le 5, lundi. — La Reine arriva à midi et demi à
Saint-Germain, ayant en sa compagnie H"^^ de Guise et
M"* sa fille (2), M"® de Guiercheville, et la signora Con-
chino (3). La Reine reçoit par Petit des lettres du Rôi
écrites à Verneuil (4) ; elle fait réponse. La Reine part
pour s'en retourner à Paris.
Le 6, mardi. — M"'*' de Villars , femme du sieur de
Villars, gouverneur du Havre, le vient voir.
£e7, mercredi. — Sa nourrice avoit peu de lait; mis
de l'or battu au bout de sa mamelle pour les tranchées.
Le 8y jeudi. — Le clarissime Contareno, ambassadeur
de Venise, le vient visiter, et ce même jour aussi M. de
la Force, capitaine des gardes du corps du Roi.
Le 11, dimanche. — On lui a frotté la tête la pre-
mière fois avec plaisir.
Le 12, lundi. — Le Roi et la Reine sont arrivés; il
les a considérés.
Le 13, mardi. — Dormi, réveillé, rendormi au tétin,
faute de lait. La Reine ne veut point que M"* Lemaire
donne le lait comme M"' de Montglat me le dit. M"' la
nourrice a la fièvre du poil. M"'' Lemaire donne le lait.
Le 17 , samedi. — La Reine Test venue voir ; M. d'An-
delot. M"* de Gesvres le sont venus voir. On lui a frotté
le front et le visage avec du beurre frais et huile d'a-
(1) Louis de Lorraine, depuis cardinal de Gnise et archev^ue de Reims,
mort en 1621, et François-Alexandre Paris de Lorraine , chevalier de Malte,
mort en 1614. Ils étalent frères d'Henri le Balafré, tué à Blois.
(2) Catherine de Clèves, duchesse de Guise, veuve du Balarré, et Louise-
Marguerite de Lorraine, mariée en 1605 au prince de Conty.
(3) Léonora Galigaï, connue depuis sous le nom de maréchale d'Ancre.
(4) Le Roi était auprès de la marquise de Verneuil, qui était accouchée le
mois précédent d'un fils, nommé d*abord Gaston puis Henri, duc de Veriieuil.
DÉCEMBRE 1601. 18
mandes douces, pour la' crasse qui paroissoit y vouloir
venir.
ic 18 notembrey dimanche^ à Saint-Germain. — Le Roi
le fait porter en son cabinet^ où il lui fait savourer deux
gouttes de vin qu'il ne refusa point.
Le 19, lundi. — Amusé , le Roi et la Reine présents.
Le 20, mardi. —M. le connétable (J) le vient saluer,
H. de Roban aussi.
Le 21, mercredi. — M. Séguier, ambassadeur pour le
Roi à Venise et président en la cour de Parlement à
Paris, M. de Tbémines, sénéchal de Quercy, le viennent
saluer. Amusé et fort caressé du Roi.
Le 22, jeudi. — Amusé par le Roi.
Le 23, vendredi. — La Reine dit que la marque rouge
qu'il a sur la nuque, à la racine des cheveux , pouvoit
provenir d'une envie qu'elle eut de manger des betteraves,
lesquelles on lui ôta et n'en voulut point demander. Le
Roi et la Reine présents au remuer.
Le 2i, samedi. — Le fils du marquis de Rrandebourg
le vient voir, la Reine aussi.
Le 25, dimanche. — La duchesse de Rar le vient voir
avec la Reine.
Lé 26, lundi. — Il lui a été mis un collier de grains de
corail au col. Le Roi et la Reine le sont venus voir.
Irc27, mardi. — J'ai pris congé de la Reine, qui m'a
recommandé el delphino e la norrizza. Le Roi et la Reine
parlent à une heure et demie pour s'en retourner à
Paris.
Le 5 décembre^ mercredi, à Saint-Germain. — Il écoute
fort attentivement à l'âlre , comme je lui disois qu'il
falloit être bon et juste, que DieuTavoit donné au monde
pour cet effet et pour être un bon roi ; s'il le étoit que
Dieu l'aimeroit; il sourioit à ces paroles. M"' sa nourrice
(I) Henri 1 ilc Momorenry, mort en 1G14.
14 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
•
le tenoit en son giron ; lui ayant donné à teter aussitôt
qu'ilfut remué et se jouant à lui, elle lui dit ces mots :
« Eh bien, Monsieur^ quand je serai bien vieille et que je
irai avec un bâton, m 'aimerez- vous plus? » Il la regarde
droit en la face et puis, comme y ayant pensée répondit :
Non. JYtois tout contre qui le considérois pendant
qvCil tetoit, et fus entièrement étonné, aussi bien que
tous ceuxqui y étoient présents, qui l'entendirent de l'au-
tre bout de la balustre.
Le&yjeudiy à Saint-Germain. — M. de Gondrin, chevalier
de rOrdre, le vient voir. Les quatre archers des gardes
du corps et un exempt , avec quatre Suisses des Cent de
la garde du Roi, arrivent.
Le Ty vendredi. — M. le duc de Vendatour le vient voir,
La Reine arrive, amenant avec elle le cavalier Juigny,
maître général de la garde-robe et gentilhomme de la
chambre du Grand-Duc, ambassadeur ordinaire vers
le Roi, pour se réjouir de la naissance de Monseigneur le
Dauphin. Le cavalier prend congé de lui, l'appelle Sire.
La Reine part.
Le 8, samedi. — Éveillé, etc.. M"" de Gondi, abbesse
de Poissy, et M"* de Vieuxpont le viennent voir.
Le 10, lundi. -— La marquise de Vèrneuil (1) le vient
voir ; il la regarde attentivement, etlui rit gracieusement.
Elle demeura, ce disoit-elle, fort contente de rhonneur
qu'il lui faisoit; la marquise soupa. Il a toujours tï avec
joie incroyable à la marquise parlant à lui.
Lei% mercredi. — Il commence à reconnoltre et à
nommer en son jargon, et lui étant demandé de moi par
la remueuse : «Qui est cet homme-là? r> répond en jar-
gonnant et aisément : Eouad. On reconnolt manifeste-
ment que son corps ne se nourrit point ; les muscles de 1
(1) Gatherine-HenrieUe de Balsac, fille de François de Balsac, seigneur'
d'Ëntragues, et de Marie Touchet; mattre&se de Henri IV après la mort de
Gabriellc d'Estrées.
DECEMBRE IGOI. 15
poitrine étoient tout consumés, et le gros rempli qu'il
avoit sur le col n^étoit que peau. Il aime et se plait à ouïr
la musique.
Le 14, vendredi^ à Saint-Germain, — Ce jourd'hui je
commençai à coucher au château pour les flegmes.
Le 16, dimanche. — Éveillé, etc.; M. le maréchal de
Bois-Dauphin le vient voir.
Le 18, mardi. — MM. de Château vieux, de Roquelaure
et d'Inteville le viennent voir.
Le 20, jeudi. — M"* de Lairs, du pays d'Agenois, de-
mande de le tenir afin qu'elle puisse s'en vanter, et
laisse son manchon pour le prendre. La nourrice se re-
cule disant qu'il le falloit demander à M"™* de Montglat,
qui lui répondit que personne ne l'avoit encore pris; ce
qu'elle ne fit point.
Le 21, vendredi. — Le Roi Ta éveillé ; fort causé avec
lui et fort paisiblement dans son berceau ; fort raillé,
rossignolé. Sa nourrice lui demande : « Étes-vous pas le
mignon de papa? » Il dit : Oui y MM. de Villeroy,
d'Alincourt, du Laurens et plusieurs autres étant pré-
sents. Montré son corps à LL. MM. qui s'en sont retournés
à Paris fort contents.
Le 23, dimanche. — Coiffé d'un bonnet de satin et
pris des manches de même. L'illustrissime monsignor del
Buffalo, évêque de Camerino, nonce ordinaire, etrillustris-
sime et révérendissime monsignor Barberino, clerc de la
chambredeS. S., nonce extraordinaire, le viennent saluer.
Le nonce ordinaire a demandé à le baiser ; ils l'ont fait,
l'extraordinaire à commencé. Ils ont donné un chapelet
et un Agnus Dei au bout à M"® de Montglat et un chape-
let à M"' la nourrice. Ils étoient conduits par M. de
Luxembourg, ont dîné à midi aux dépens du Roi. La
Parisière, maître d'hôtel servant, a dîné avec eux;
M. Fleureteau, maître de la chambre aux deniers, a fait
la charge.
Le 2ïy lundi — M. le prince d'Orange est venu , qui Ta
la JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
vu dans son berceau ; M"' la princesse d'Orange^ M. d'An-»
delot, le comte de Waranobon l'ont vu remuer.
Le 27 décembre^ jeudis à SainUGermain. — M"' de Mont-
glal montre une lettre du Roi du 22 décembre 1601 (1)^
lui commandant de faire donner le lait parM"^ Galand^
femme de maître Charles Butel , barbier chirurgien à
Paris, et de Tôter à Catherine Hotman; M"' Galand
donne à teter. Remué en présence du sieur Lussan, capi-
taine des gardesdu corps, et dusieurdeSaint-Angely gou-
verneur de Màcon. Si"° Hotman fait merveille de se plain-
dre, se ressouvient du non de monseigneur le Dauphin
en lui disant adieu. Il n'a jamais teté Hotman qu'il ne se
soit mis en colère.
(1) CeUe lellre est daWe du 2G dans le Recueil des Lettres missives, V,
522.
ANNÉE 4602.
Le Roi cl la Reine à Saint-Germain. ^ Premier porli ail du Daiipliin fait en
crayon par Decourt. — Départ de la secon^^e nourrice. — La marquise de
Verneuil. — Première sortie. — Autre portrait du Daupliin. —M. de Rosny.
— Les enfants de Gabrielled^Estrées, élefés avec le Daupldn, ont la petite
vérole. — Premières caresses de la Reine. — Portrait fait par Quesnel. —
Réception d^ambassadeurs. — Premier instinct de la chasse. — Première
dent. — M. de Mansan. — Projet de mariage avec Pinfante d'Kspasne.
-» Lettre du maréclial de Biron à M'"^ de Montglat. - Kmotion d'un vieil
officier général. — M. de Mayenne^ — Le comte d'Auvergne. — M"**" Bour-
sier. — Premier vêtemonl. — Concini. - Mol du Roi sur la bouillie. —
Tienette Clergeon. ~ Second portrait fait par Decourt. — Singulières lia-
biludes données à Tenfanl. — Le Roi joue à cache-cache avec son fils, lui
fait voir la curée du cerf. — Exécution de Biron et chute du Roi. — La fête
de Saint-Louis. — Nouvelle grossesse* de la Reine. •— Le Dauphin entre
dans sa deuxième année. — Mœurs singulières. — Présents des députés
du Dauphiné. -^ Audience des ambassadeurs suisses. — Singulier hommage
des courtisans. — Le prince de Condé. — Naissance de Madame à Fontai
nebleau ; son arrivée à Saint-Germain.
Le i2janviery samedlj à Saint-Germain, — Porté à la
chambre de W^ de Montglat poxir éventer la chambre et
son berceau, et le parfumer de bois de genièvre. M. de
la Tuillerie, maître d'hôtel du Roi , arrive, attendant le
Roi venant de Verneuil; ce pendant la Reine arrive.
Elle a été longtemps dans le parquet, se chauffant,
accompagnée de M"® la marquise de Guiercheville, sa
dame d'honneur, et de M"'® de Montglat. I^e Roi arrive
demi-heure après ; elle lui va au-devant à la porte de la
chambre, où elle le rencontre; mines [sic]. Us vont en-
semble voir le Dauphin au berceau; le Roi lui a manié
et considéré les pieds (1).
(I) Sans doute à cause de la re5f.emblance avec le$ siens signalée plus haut
par Héroard, page 4 .
ui'Ro\nD. — . T I. i
18 JOURNAL DE FEAIN HÉROARD.
Le 13, dimanche^ à Saint- Germain. — LL. MM. le vien-
nent voir, oyent la messe en sa chambre puis s'en vont
diner ; LL. MM. sont parties à une heure et demie. La Reine
avoit, le jour de devant, amené Antoinette Joron pour
nourrice, l'autre n'ayant point été trouvée propre.
Le 16, mercredi, — Le cavalier Juigny, ambassadeur
du Grand-Duc, l'est venu voir pour lui dire adieu ; et,
par commandement de la Reine, Decourt, peintre du
Roi (1), en tire un crayon pour l'envoyer à Florence.
Le i^yVendredi. — Achevé de peindre par M. Decourt.
Le 20, dimanche. — Le chevalier de Sancy le vient voir.
te 21, lundi. — Je lui donne le bonjour et pars à
onze heures pour aller à Paris, en compagnie de M"** te-
rnaire, sa seconde nourrice, qui se retire pour n'avoir
point été agréable à la Reine, parla persuasion de quel-
ques personnes qui étoîent près de Sa Majesté. C'étoit
une très-honnète femme, fort douce, qui avoit beaucoup
de lait et fort bon ; et plût à Dieu que Monseigneur
le Dauphin en eût été nourri ' au lieu de la première.
Il en eût été mieux pour sa santé> et je crois qu'il eût été
nourri seulement d'un lait. Dieu le veuille pardonner à
ceux qui en sont ceiusè. • '
Le 28, lundi. — Le Roi et la Reine arrivent. >
Le 29, mardi. — La Reine le vient voir à trois heures;
le Roi et la Reine le viennent voir à cinq heures^ ' ^
Le SO y mercredi. ^L& Roi ei la Reine y sont venuâ
à une heure, le Roi et la mat^qùise de Vôt*ieuil à câncf
heures; il leur a fort ri et s'est joué avec eux.
Lé V^ février yvendredi. — Le Roi et la Reine ont été pré-
sents depuis quatre heures et demie jusqu'à cîtiqhenré^.'
Le 2, samedi^ à Saint- Germain. — Joué, amusé, le Roi
et la marquise de Verneuil présents.
(t) Cliarlcs Decourt, est porté dans les comptes de IMiôtel de Henri IV,
comme peintre diï Roi. ( Hist, du Règne de Henri /K, par M. Poirson, 1856,
in-8", lomell, p. 8i5.} . . . . .
MARS IÔ02. 19
• .. • - • . . •'^ » • . ■ • * ' * " , '
Le b février y mafdiy à 5aîw/-Cèrmd/n.— Reroué, le Roi
et la Reine présents.
Le 8, vendredi. — A cinq heures Je RoLarrîve ; >emué
en sa présence. Il est porté & la salle où le Roi sôupoit.
Le 15, vendredi. — 11 prend la bouillie avec. là cuil-
ler; M™* de Montglàt la lui donné dorénavant, aupara-
vant c'é toit la rçraiieuse.
Le 19, mardi, jour de càrênie prenant (1). -r- Il faisoit
fort beau temps; il fait sa première sortie par le pont
de la chapelle, ayant son chapeau de paille.; porté par
M"^ Lecœur, Tune de ées femmes de chambre.
Le 21 , jeudi. • — Un peintre flamand est venu de la part
de M. de Noailles, pour le peindre en huile et l'envoyer en
Guyenne, par permission du Roi. lia fait beau jeu au
peintre durant deux heures, autant qu^il eût su désirer.
Le 23, samedi.,— Le Roi et la Reine arrivent de Paris,
Pont amusé et fait longtemps causer dans le berceau. .
Zc 27, twercré^d*. r— M, de Rosny levditremuer.
Le i'^marSy vendredi. — Porté au jardin ; à deux heures
le comte Hercole Tasson , ambassadeur pour le duc. de
Modène devers LL. MM., le vient voir/ '~ .
\£é 2, samedi. — A dix heures le dômte de Sulmo,
ambassadeur de l'Électeur Palatin, arrive avec une dou-
zaine de gentilshommes ; à trois heures et demie M°*la
présidente Dudrach,' avec sa grande troupe.
Le 3, dimanche, à Saint-Germain, — M, de Ventelet
Téntretient, lui dit qu'il n'avoit que Dieu' pour maître;,
il répond en souriant : Omî. H. de Sàint-Gérihaîn (de
Saintonge) et M. deLauzeré, premier valet de chambré
de Rdi, M.-Bôvier, gentilhomme des ordinaires û\x R'ôi,
le viennent voir. 11 danse fort gaiement au son du violon.
Le 6y mercredi. --* La petite vérole parolt â Alexandre
Monsieur; et à M*^' de Vendôme (2) . '
(1) Le mardi ^ras. . -
(2) Alexandre, nomme (rabonl Alexamlrc Monsieur, |ntis (é dievalief (le
5.
20 JOURNAL DE JEAN HËROARD.
Le 7, jeudiy à Saint-Germain. — A une heure M"*^ de
Beuvron le vient voir; à huit heures et demie arrive un
courrier de la part du Roi pour aller au bâtiment neuf (^1).
Le 9, samedi. — Il est porté au château neuf pour y
loger.
Le 12, mardi. — Il commence à tendre les mains à
ce qui lui est présenté; ce fut un livre que je lui mon-
Irois. Le livre étpit les Psalmes de David, de la version
de M. de Bourges, que j'avois donné à M"*' de Mont-
glat.
Le 17, dimanche. — La Reine arrive à douze heures et
demie^ on le lui porte convert de son chapeau de taffetas;
elle le trouve grand, blanchi et lui a fort plu. A cinq
heures et demie le Roi arrive de Verneuil avec la Reine,
qui étoît allée au-devant de lui jusques à Herbelay, où il
avoit dîné. Il est porté devant le Roi; S. M. en est satis-
faite et de sa santé.
Xcl8, lundi. — A huit heures le Roi arrive et l*a
fort caressé ; à deux heures M"* de Nemours le vient
voir.
Le 19, mardi, — LL. MM. le font porter au cabinet,
Tout fort caressé, la Reine particulièrement, ce qu^elle
n^avoit encore fait.
Le 20, mercredi. — A une heure trois quarts M. Zamel;
à six le Roi en la galerie avec MM. les secrétaires, la
Reine y entre.
Le 21, jeudi, — M. de Souvré et M"* de Montglat par-
lent au Dauphin; il est porté sur la terrasse au Roi et
et à la Reine.
Le 22, vendredi. — Il caresse le Roi, qui part à dix
Vendôme, dé à Nantes, en lo98, de Gabrielle d*Ëstrées, légitimé en 1999,
reçu chevalier de Malte en 1604, puis grand prieur de France, mort en 1629.
— Catlierinc-Henriette, nommée M"*' de Vendôme, fiile de Henri IV et de
Gabrielle d*Ë!>trées, légitimée en 1597, mariée en 1619 à Charles de Lorraine,
duc d^Elbeuf, morte en 16C3.
(1) Le Dau}>h!n étaUlogt* au vieuN château de Saint-Germain.
AVRIL 1602. 21
heures pour aller à Paris, la Reine pareillement, et de là
à Fontainebleau, puis à Poitiers. Le Roi revient à quatre
heures {rois quarts, ramené par la chasse et accom-
pagné de M. le prince de Conty, de M. le Grand (1) , des
sieurs de Termes, de Frontenac et de Nançay; il re-
tourne à Paris dans Je carrosse de M. de Frontenac.
ie27 mars, mercredi, à Saint-Germain. — A onze heu-
res est arrivé le comte Henri de Saint-Georges, ambassa-
deur extraordinaire du duc de Mantoue» accompagné du
sieur de la Brosse, agent pour ledit duc, et du sieur Brac-
cio, écuyer ordinaire de la Reine. Ils ont mené le peintre
du Quesnel (2), qui Ta tiré tout de son long ; il avoit deux
pieds et demi. Ils ont dîné aux dépens de M"™*^ de Montglat.
Le 29, vendredi. — A onze heures est arrivé le sieur
de Schomberg, grand chambellan de l'Empereur, am-
bassadeur extraordinaire vers LL. MM. pour la naissance
de Monseigneur le Dauphin-, accompagné des sieurs de
Souvré , de Bois- Dauphin et du jeune Schomberg. Cet
ambassadeur est neveu defeule sieurDiétrich Schomberg,
qui fut tué pour le service du Roi à la bataille d'Ivry. Il a
baisé les mains, le chapeau au poing, et fait une ré-
vérence à Monseigneur le Dauphin; à douze heures et
demie ilestallédlneràla salle, accompagné desditssieurs,
aux dépens du Roi. L'ambassadeur revenu lui a demandé
s'il vouloit mander quelque chose à l'Empereur son oncle ;
' il a répondu en souriant en son jargon : ûré. L'ambasr
deur, de joie, lui a baisé les mains, est allé aux fontai-
nes, et de là à Paris.
Le 1" avril y lundi. — M""^ de Vilette , M. Canaye-Bra-
nay et leur compagnie, la comtesse de Montgomery et
les filles de son mari, le sont venus voir.
I«2> mardi. — M"^ de Souvré , M""^ de Loménie le
viennent visiter.
(t) Roger de Sainl-Lary , duc de Bellegarde , grand écnyer do France.
(?) François Qùcsnel.
22 JOURNAL W JEAIH liÉROARD.
Le 3, mercredi j à Saint-Germain., -r- M. de Soboles,r
gouverneur de Metz, M"® de Feryaqùes, veuve de M. 4e
Laval,- le viennent voir.
Le k, jeudi,. — M, le baron de la Chaire, M^Me Vil-
ïegomblin le viennent voir.
Le 6, samedi, -r- A onze heures M. de Vitry, gendre
de M"^ de Montglat, arrive ; M. de la Bastide, capitaine des
gardes de M. de Lorraine, arrive de sa part; à deux
heures M. de Chazeron. .
Le^dimanche 7, jour de Pâques. — Il considère à la
messe toutes les actions de M. Taumônier.
Le 8, lundi. — Il jargonne, danse au violon de Boi-
leau, son joueur de violon. A trois heures après-midi
M. Brulart, secrétaire d'État du feu Roi , arrive et M. de
Cypierre aussi.
Le 9 y mardi ^ à ,Satht';Germaîn. — A huit heures
M™" de Clertnont d'Amboîse , d'Abin et de Saint-Gelais;
à onze heures M. 4'Épernon, avec ses trois fils, qui lui
baisèrent les mains. M. d'Épernon le loua fort et le con-
sidéra attentivement. A une heure et demie M. Puget,
trésorier de l'Épargne, et sa compagnie. A deux heures
M. d'Épernon, ses enfants et M. Puget le voient remuer,
lès trois enfants de M. d'Épernon étant dans la baluslre.
A quatre heures M. de la Nauve et M. Lecoq, coîiseillcrs
en Parlement, et M, Martineau, qui est à M. de Montpea-
sier^ viennent pour le visiter.
iè 11, jeiidî.'— Promené ; il prend plaisir à un le-
vraut qui se vint rendre dans l'allée du palemail et fui
pris àla main par M. Petit, archer des gardes du côrpsjdu
Roi: Le Dauphin l'ayant vu le veut soudain , l'empoig'^ne
à deux mains, se jetant dessus avec ardeur. A six heures
M. de Roissy, maître des requêtes, BI. Vion, maître des
Comptes, le sont venus voir.
Ze 13, samedi, — Éveillé à minuit, télé, point dormi.
M^^'^deRumilly me vient £q)peler, me disant que Monsei-
gneur le Dauphin étoit malade du mal de dents. Je y ar-
AVRlTr 1602. 5«
rive incontinent après; il s^endort à peine jusqu^à cinq
heures. J'ai toujours demeuré debout^ accoudé sur le bord
de son berceau, tenant sa main droite dedans la mienne»
Le 14, dimanche, à Saint- Germain. — A quatre heures
trois quarts M. de Saint-Fussien^ conseiller de la Cour, le
vient voir. •
Xe 15, lundi. — Reconnu par la remueuse, qui lui mit
le doigt dans la bouche , une dent percée; M. Guérin ,
son apothicaire , part pour en porter la nouvelle au Roi
à Fontainebleau [i].
Le 16^ mardi. — A midi et demi M. d'Épernon ( qui a
dit des louanges), ses trois fils, et M.. d'Échaux, évéque
de Rayonne.
Le il y mercredi. — A midi M"*^ la princesse d'Orange ,
M"*^ de Rruzoles, M''* Reringhen et sa mère le sont venues
visiter.
Le 18, jeudi. — M. de Mansan , gentilhomme gascon ,
nourri et élevé par M. de Yic , gouverneur de Calais et
capitaine aux gardes du Roi, arrive à Saint-Germain en
Laye avec sa compagnie , pour la garde de Monseigneur
le Dauphin, pendant que S. M. fait son voyage en Poitou.
Le 19, vendredi, à Saint-Germain. — A dix heures et
demie M. d'Àrquery le vient voir. A sept heures trois
quarts, lettres du Roi par M. Guérin.
£e20, samedi. — A midi M. du Passage, M'"*' de Fônlebon
et ses filles ; il a fort caressé la petite Charlotte de Fônlebon .
Le2i\ dimanche. — A deux heures, M. de Bouqueron,
président au parlement de Grenoble, M. de Chevrier,
conseiller en ladite Cour, le viennent voir.
Le 22, lundi. '— A neuf heures et demie, M. le duc de
Bouillon, M. de Salignac, M. de Sancy et le jeune Sar-
dini et son frère. A douze heures et demie, Hieronimo
Taxis, ambassadeur d'Espagne, tête nue, fait une grande
révérence et prend la main de monseigneur le Dauphin
(i) Voy. la leltie du Roi à M*"^ de Montglat, Lettres mis^veSf \, 575.
U JOURNAL DE JEAN flÉROARD.
sans la baiser ; dit quMl n'a pas voulu partir sans l'avoir
vu auparavant. Le Dauphin est remué en sa présence.
L'ambassadeur se tenoit tout debout, accompagné desdits
sieurs; sur ce qui lui fut dit par M. de Sancy (1) qu'il en
falloit faire un mariage, il répondit qu'il n'étoit rien qui
ne se pût faire, que la reine de France étoit grosse et
la leur aussi, qu'ils avoient une damoiselle et main-
tenant ils auroient un (ils et nous une fille , et puis que
Ton mettroit tout ensemble (2).
Le 24, mercredi^ à Saint-Germain. — Il s'est fort joué
à sa peinture (3), que je lui ai apportée de Paris.
Le 27, samedi. — A quatre heures M. le connétable
renvoie visiter; viennent aussi M™" Deschamps, M"** de
Ligny, M"' d'Ouailly.
Le 28, dimanche. — M. le baron de Saint-Blancart, de
la part de M. de Biron (4), son beau-frère , avec lettre à
M*"* de Montglat, copie ci-attachée (5). — M , lieute-
(t) Nicolas de Harlay, seigneur de Sancy, conseiller du Roi, etc., mort en
1629.
(2) Ce projet se réalisa par le traité de 1612, qui unit Elisabeth de Frauce
h Philippe IV et Anne d'Aulriclie à Louis XII.
(3) C'est-à-dire son portrait, et probablement celui gravé par Cl. de Mal*
lery en avril 1602^ où Louis XIII est représenté à Tâge de sept mois.
(4) Charles de Gontaut, duc de Biron. Il fut arrêté le 14 juin suivant et
exécuté à la Bastille le 31 juillet.
(5) Copie de la lettre du maréchal de Biron à M™*^ de Montglat, rendue par
le sieur de Saint- Blancart, à Saint-Germain eu Laye^ le dimanche 28 du mois
d'avril 1602 :
« Madame, le désir que je de sauoyr des nouvelles de monseigneur le Daufln
me fait vous enuoier ce laquay exprés pour vous supplyer m'en mander et
me feres honneur et faneur que je liendray a vue très grande oblygatioâ sy
prenes la payne de me donner adiiis de son bon portement par la voye du
S"^ Preuost qui est a Parys, car je de la pasyon et affection pour luy desyrer
vn heureux accroyssement estant de ceux qui croient que il est donné de
Dieu pour le maintien de cet estât ne pouuant fayllyr que il ne se trouue de
la generosyté, de la vertu et de bon heur en luy estant né du Roy mon maistre
qui a de Dieu toutes ces grâces plus que jamays (*) autre Roy oy pcince aye
en. Pour moy. Madame, je le me fygure le plus beau, le plus aimable prince
qui feust ny qui sera, pour ce que toute mon inclynation est porice a Taymer,
1*^ Jamays est effacé de sa main. ( fifoU d'Héroard*)
AVRIL 1602. ^5
nant général (1) à Fontenay le Comte , âgé de quatre-
vingts ans, arrive en jupe, se met à genoux et à pleurer,
le voit remuer, et s'en retournant dit à M™* de Monlglat
qu'il plût à Dieu de donner à Monseigneur le Dauphin
le bonheur de son père, la valeur de Charlemagne et la
piété de saint Louis; et s'étant retourné pour s'en aller,
étant au coin du grand pavillon, lève les mains au
ciel et dit : «Dieu m'appelle quand il lui plaira, j'ai vu
le salut du monde. » A trois heures M. de Sillery-Brulart
et sa femme, M. de Berny, son frère et sa femme.
Le 29, lundiy à Saint- Germain. — A sept heures, Messire
Renaud de Beaune , archevêque de Bourges, le vient voir.
Le 30, mardi, — A onze heures viennent M™^ et M""" de
Guise ; dîné avec M™* de Montglat. M™* de Guise l'a porté
et fait danser. A quatre heures MM. Archambaud, Corbo-
nois et leurs femmes. A onze heures après midi, lettres
du Roi, de Blois, du 28, faisant mention de sa fluxion sur
le pied (2) et recommandation de son fils Alexandre et
de Mademoiselle.
outre la royauté que le Roy ly layra vn jour, il le laissera accompagné de
très bons et fidèles subiects et seruytenrs. Jauroys regret sy la mort me
preoenoit auant que ja peusse rendre preuue de ce mien ardent sele qve je luy
ay voué comme la plus très humble et très obéissante créature du Roy sou
père. Je borneray la ce mien discours, et vous olfryré mon humble seruyqe
et mon affection, et vous baise bien humblement les mains estant,
n Madame,
:c Vostre bien humble seruilciir.
BiRON.
Ce xxiiir aurii i(H)2.
Suscriplion :
«( A Madame,
« Madame de Mongla, gouuernante
de Monseigneur le Daulphin. »
La copie de cette leltre, écrite de la main d^Uéroard et cerliliée par lui, cat
jointe au manuscrit appartenant à M. le marquis de Ualincouit.
(1) Son nom est resté en blanc.
(2) Cette lettre, adressée sans doute à M*"' de Montglat, ne se trouve pas
dans le Recueil des Lettres missives. Henri IV parle de cette fluxion dans
les lettres au connétable de Montmorency et à Rogny des 25 et 2G avril.
26 JOURNAL DE JEAj;« HÉROARD.
Le V[mm^inercredi,à Sf^int- Germain. — A neuf heures
et demie^ (juatre dépvités de la ville de Me!z viennent
pour le visiter; à onze heures, M. et M™* de Sancy; à
une heure^ U' de Bois-Dauphin ; à trois heures^ M. le
maréchal d^ Bi^iss^c et ^on fiils.
Le 2, jeudi. — A onze heures, et demie M, de la Rivière-
Dudracli et sa troupe ; à deux heures et demie M™*^ de
Nemours^ M. de Rissay, M™® la procureu^e générale La
Guesle.
Le 3, vendredi. — A huit heures et un quart, un gentil-
homme de la part de M. d'Antragues j à une heure, M"*^ la
présidente Dudrach.
Le 4, samedi. — Le poil^ de brun lui devient châtain
clair. A une heuve^ H. Campagnol, gouverneur de Roulo^
gne; à quatre heures, M. le prince de Condé et M"*^ sa
mè^e, M"' la comtesse de Briquçil, sœur de feu M. de
{lumières ; à six heures, M'"^ de BuUseau.
Le 5 maii dimanche^ à Saint-Germain, — Le Dauphin
étant à la fenêtre du préau répondit : ghi à une bonne
femme qui parloit à lui, sur le bord du fossé, l'appelant :
« mon ami. » Arnoul, contrôleur chez la Reine, arrive.
Le 6, lundi. — A une heure, M. le duc de Mayenne, qui
fait la révérence seulement. M. de Mayenne ne s'est ja-»
mais voulu asseoir, n'a jamais dit mot, sinon sur ce qu'on
parloit de la grossesse de la Reine et des enfants
qu'elle pourroit encore a,voir, il a dit qu'il n'y en sau-
roit avoir trop^. Au^iiôt queM. le Dauphin a été remué
il s'en est allé, et M. d'Aiguillon est venu et parti sans sa-
luer M"*' de Montglat.
Le 7, mardi. — A dix heures et demie, M. de Cachac,
capitaine de la porte; M. Bioneau, secrétaire de M. le
Grand; à quatre heures et demie, M™^ de Montmeray,
nièce de M. le maréchal de Retz, avec M"** de Montmeray,
sœur de son mari, religieuse en l'abbaye de Saint^Avit
prèsde Chàteaudun.
Le 8, mercredi, — A midi et demi, M*"* la comtesse de
MAI 1002.. 27
Chaulnes, M'"'deChemerault^M™'^dçPoyane, M'^'deLian-
court, sa fille, M. d'Espois, M. Sevin, maître dés requêtes.
Ledyjeudiy à Saint-Germain. — A midi, M. rarchevéque
de Tours ^t M. de La Guesle, procureur-général.
Le 10, vendredi. -^ A onze heures M"*^ de Larchant; à
deux heures et demie le baron de Chàteauneuf-Lau-
bespine.
Le 11, samedi. — A onze heures, M. le duc d'Elbeuf,
MM. le vidamede Chartres, Maligny, le baron desArds en
Provence; à deux heures,. M. Tamiral de Montmorency
et M"™* sa femme.
Le 12, dimanche. — A dix heures et demie, les cheva-
liers de Sancy et de Saint-Mesmain; à quatre heures et
un quart, le capitaine Maltais, le commissaire Lesage.
Le 13, lundi. — A huit heures, M. Fouquet, deuxième
présidenten Bretagne; à douze heures et demie, M. l'évè-
que de Paris (1), M™.® la marquise de Menelay, sa sœur,
le lieutenant général de Màcon, qui lui a souhaité des ans
nestorieiis et lalignée'deSalomon.
Le 14, mardi. — A midi MM. de Gondi,le baron de la
Tçur; à trois heures et. un quart M- de Marchaumont.
' Le ihf mercredi y à Saint-Germain. — AdixheuresM. de
risle, d'Orléans, M. de la Motte, M. de la Violete ; à douze
heures et demie le jeunecomte de Montatié, M*"^ de Car-
navalet, son petit-fils, aumônier de Monseigneur le Dau-
phin, M"' de Bourdeilles.
Le i6, jeudi. — A douze heures et demie, M. de la Ro-
cheposay, fils de feu M. d'Abin ; à trois heures, M™® de
Çolignon, M. de Lorme, M. de Foucault, conseiller aux
Aides, M. Daniyn.
Le 17, vendredi. — A onze heures, M. de Bragelongne,
conseiller, et M"° de Luteau, sa sœur ; à trois heures trois
quarts M. d'Amanzay.
" Le 18, samedi. — A trois heures et demie, M. le prési-
(I) Henri de Gondi. "
28 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
dent d'Assy et sa femme, M. Hennequin, sieur de Ma-
nœuvre.
Xe 19 mai, dimanche y à Saint-Germain. — A troils heu-
res et demie M. de Sancy, M*"^ la marquise de Pisani, sa
fille, le vicomte du Mans, son gendre, M"^ de Malissy,
M. Petau, conseiller en Parlement; à quatre heures, M. de
Pisani, la More de la Reine ; à six heures, M"™^ la présidente
Fayet, ma belle-sœur, et M. Laubigeois et sa femme.
Le 20, lundi. — M™^ de Guise s'en allant à Eu et M^*' de
Guise le viennent voir.
Le 21, mardi, — M. le comte d'Auvergne (1) arrive
sur les trois heures, accompagné de deux hommes; il y
a été une petite demi-heure., appuyé contre la balustre,
son visage à demi couvert de son manteau, appuyé sur
un pied; il tient à M"*' de Montglat des propos confus et
mal cousus.
Le 27, lundi, — Il arrive une vieille femme de Paris,
comme une revendeuse ; elle pleure en le voyant, l'ap-
pelle : c( Mon fils, la petite courte à sa mère », et puis
s'est prise à danser devant lui.
Le 31, i)endredi. — • M™^ Boursier, sage-femme de la
Reine, vient voir le Dauphin avec sa compagnie, dont en
s'en retournant il se noya au bac de Neuilly une
femme grosse et une fille de douze ans.
Le 2 juin, dimanchey à Saint-Germain. — Champagne,
cordonnier, lui prend la mesure de ses souliers, qui fut
d'un grand point.
Le 8, samedi. —Le baron de Treslon porta les souliers à
Monseigneur le Dauphin ; à cinq heures il a été vêtu et
habillé d'un corset et d'un bas de soie, et au-dessus d'une
robe carrée, faite de satin blanc rayé d'argent. M"*^ de Ven-
dôme lui a donné sa chemise. L'habillement lui étoit si
(1) Charles de Valois» comte d*Auvergne, puis ducd'Angouiéme, fils naturel
de Charles IX et de Marie Touchet. Il fut arrêté avec le maréchal de Bit on
le 14 juin suivant. Il mourut en 1650.
JUIN 160«. 20
bien séant et convenable quMl paroissoit avoir deux ans.
Le 9, dimanche y à Sainl-Gerwain. — M. de Sève, pré-
sident en premierlacour des Aidesà Paris, M. de Rebours,
président, et M. Barentin, conseiller en ladite Cour^ sont
venus de la part de leur compagnie et ont prié M™* de
Hontglat de le faire entendre au- Roi.
Le 10, lundi. — Le sieur Concino (1) prie M'^'^de Mont-
glat qu'il le puisse voir vêtir; il le voit coiffer, puis ha-
biller, prend la mesure de sa longueur, de la grosseur
du bras et de la longueur du soulier, puis est parti
pour s'en retourner en Cour.
Le 14, vendredi — Ses cheveux longs, châtain clair,
ont trois grandsdoigts de travers en longueur; les sutures
du sommet presque du tout serrées.
le, 16, dimanche. — M. le vicomte de Bourdeilles
vient visiter le Dauphin; IW"® de Montglat lui raconte les
desseins et Femprisonnement de M. de Biron.
Le il y lundi. — A midi, le Roi arrive, le baise et se
joue à lui; la Reine arrive à une heure et demie, trouve
au pied des degrés Monseigneur le Dauphin, au grand
escalier; elle devient soudain fort rouge et le baise t\
côté du front. On le remonte à la salle du Roi ; LL. MM. se
jouent un peu à lui, puis se mettent à table pour diner,
et s'en retournent.
Le 20 j jeudi.* — A six heures après midi M. le maréchal
de Fervaques et M. de Laval le viennent voir. Le premier
lui a baisé le pied et lautre touché le bout de son tablier
et baisé la main qui Tavoit touché.
Le 22, samedi. — Il se divertit à tout, fort agréablement,
fait une chère extraordinaire à la fille de chambre de sa
nourrice, lui rit. Le Roi arrive à dix heures et demie par
son petit pont. Le Roi s'est joué à lui et lui a vu prendre sa
bouillie. Le Roi a voulu prendre le demeurant et dit : c( Si
l'on demande maintenant : Que fait le Roi ? l'on peut
(I) De|niis maréclia! dWncre.
SO .lOURNALDK JEAN HÉROARD.
(lire : Il mange sa bouillie. » Le Roi lui. fait prendre sa
Larbe à deux mains ; il la tire bien fort et lui fait mal. 11
lui fait prendre celle de M. de Montigny; il la prend à
deux mains et se soulève tout le corps pour la tirer plus
fort; il a pris la moustache de M. le Grand. M"*^ la mar-
quise de Vemeuil arrive* à une heure, caresse fort M. lé
Dauphin, mais, ce disoit-on, avec peine. Elle dîna, se
joua après fort à Monseigneur le Dauphin. On a fait
voir à S. M. les caresses qu'il avoit.îà faites à Tienette
Clergeon, native de Lagny, fille de chambre de M"* sa
nourrice, le Roi l'ayant lui-même fait approcher et la
lui présentant. 11 l'a vue pleurer comme elle s'en ail oit. Le
îloi est parti pour s'en retourner à. Paris, à sept heures
et demie, et a fait prendre dans son carrosse Monseigneur
le Dauphin par M"*' la marquise de Verneuil, qui l'a porté
jusques au bout de la cour. Oii l'a repris; le Roi est
parti.
Le 2S juin y dimanche, à Saint-Germain, — Porté à la
salle du Roi; vu Tiehette, fait lesniéme caresses, lui-
rit, lui empoigne la joue à pleine main.
Xe25, mardi, — Le sieur Deçourt, par commandement
delà Reine, en tîrè le crayon. A quatre heures trois
quarts, la Reine arrive ; oh le lui porte au-devant. La Reine
veut que l'on lui amène Tienette ; il lui fait caresses.
La Reine part fort contente à six heures et ^emie.
£e 28, vendredi. — M. de Rosfty, revenant de Rosîiy,
le voit dans son berceau.
Le k juillet j jeudiy'à Saint-Germain. — Il à été peigné
pour la première fois, y prend plaisir, et accommodé sa
tête selon les endroits qu'il lui démangeoit.
Le 10, mercredi. — A midi le Roi arrive, se joUe à
lui à diverses reprises, la Reine pareillement.
Le 11, jeudi. — A sept heures et demie après midi, le.
Roi et la Reine s'en retoumeiit à Paris.
Le 17, mercredi. — Il lui a été mis des lisières à sa
robe pour l'apprendre à marcher.
' JUILLET 1(J02. • Si
Le 21, dimanche, à Saint-Germain. — ^ La Reine arrive
à dix heures, le Roi à dix heures et d(éfiii'é?
Le 22, lundi. — Velu à'urié cotte neuve, du présent
de la Reine, il est porté à huit heures au jardin , au Roi
qui se promenoit, ayant pris de Feau dé Fougues (1). La
Reine lé demande, on le lui apporte, il pleuré; il le faut
emporter, le Roi ne le peut apaiser. Porté chez la Reine,
le Roi y étant; ilè ont voulu voir sa tête. Font fait bros-
ser, et en ont toute la journée eu leur agréable paése-
temps.
Le 24, mercredi, — Vêtu à sept heures, il prend plai-
sir et se rit à plein poumon, quand la remueuse lui branle
du bout du doigt sa guillery. Â huit heures, porté à la
chambre de la Reine, aux fiançailles du baron de Gondi
et de la signora Polyxenâ Gônîaga, Tune des filles de la
Reine. Le Roi lui continue toujours ses caresses. ^
Le ^Sy^dimanche. — Le Dauphin, vêtu à sept heures,
se promène , se tourne pour voir s'il a Ses soldats, ren-
contre le Roi, le reconnolt en souriant. Le Roi se cache
r
derrière moi et l'appelle; il le cherche , l'aperçoit enfin
etse met à sourire. M"' d'Angoulême (2) , M** la princesse
d'Orange (3) arrivent; la Reine lui donne une petite
turquoise mise à son doigt.
£e29, lundi, — Le Roi et la Reine* arrivent de la
chasse, Commandent de le leur; porter. Le Roi lui fait
(1) iiéroard commeBce en ces termes son livre De jtHmtitution ^u Prince ,
dédiéjui Daupbin cl publi^.en 1609 : «. hu teinps qiie le Roi séjoiirnoit à Saiqtr
Germain en Laye, y prenant quelques jours de ceux-là qu'il employé con-
tinuellement aux plus grandes affaires de son "État pour lés donner à sa santé,
baient à cet effet, par l'avis de ses médecins, des eanx portées des fontaines
de Fougues. >*
(2) Charlotte de Montmorency, fille du connétable, mariéeen 1591, à Charles
de Valois] due d* A ngoulênlè; elle n^à^aff pas' été' enveloppée 'dans là disgrâce
^]Q ionmiïn.yoy^Léliresmi^sives,d,e Henri TV;\,6iG.
(:j) Louise de Coligiiy, venVe d'abord deT(^ligny, tué à la Saint-Barlhélemy,
[tim deÇiiillaumc de Nassau^ dit le Tac'turne, prince d'0range« assassiné
en luoi: *
32 . JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
voir donner la curée du cerf pris au-dessus de Ruel ; il
ne s'en étonne point.
. Le 3i juillet y mercredi. — Impatient pour sortir; il ren-
contre le Roi ; mené en carrosse dans la forêt à voir passer
le cerf couru par le Roi, qui a voit dîné à Forqueil, où
s'ëtoit faite l'assemblée. Porté au Roi , dedans son lit,
blessé d'une chute, courant le cerf. 11 tient un bâton ; je
prends un brin de fagot, j'en :^frappe contre son bâton
pour escrimer; le Jeu lui plait, il me poursuit en riant
par toute la chambre. Tout le reste du jour paisible
et fort gai. — Ce jourd'hui, à cinq heures, le maréchal.de
Biron eut la tête tranchée à la Bastille (1).
Le V^ août, jeudi, à Saint-Germain. — Le poil lui
éclaircit, la tèle se nettoie. Promené; il rencontre le
Roi, voit la Reine, caresses accoutumées.
Le 2, vendredi. — Promené il rencontre le Roi, lui
rit et tend les bras; va en la chambre de la Reine. On
lui fait chercher le Roi dans le lit de la Reine; ne le trou-
vant point il entre en grande colère. Il va en la chambre
du Roi, qui le met coucher avec lui, avec infinies caresses.
Ze k, dimanche. — Allées et venues. M. de Rosny.
Porté à la chambre du Roi, qui soupoit; il lui a fait
prendre de la soupe, qu'il a fort bien mangée.
Le 7, mercredi. — 11 rencontre le Roi, qui fait semblant
de ne le point voir; il crie; le Roi se retourne, va à
lui et l'embrasse. Au sortir de la messe, Engoulevent (2)
se met à chanter et le Dauphin aussi; le Roi y prend
plaisir pour un peu de temps. A cinq heures arrive
Bartholomaeo Pusuynki, Polonois, clerc de la chambre
et nonce extraordinaire de Sa Sainteté vers le Roi, con-
duit par M. de Sillery. M"' la comtesse de Guichen (3),
(1) Nous reproduisons tel quel le texte du munusciit. Cette chute de
Henri IV, le jour de la mort de Biron, n*enl ()asde suites, car Héroard nVn
reparle pas, et on n*en Irouvc pas trace dans le Recueil des Lettres missives.
(2) Voy. lanofedn 14 janvier 1604.
(3) Diane d'Andon'n*, dile Ja beVe Corisonde^ veuve do Plillibert, comte
SEPTEiMBRE 1G02. 38
lui envoyé une épéepar M. de Frontenac en présence du
nonce. Le Roi etla Reine en ont pris grand divertissement.
Le 9 août y vendredi, à Saint-Germain. — Au sortir du
jardin il rencontre le Roi, qui eniroit; caresses accou-
tumées, réciproques.
Le iO y samedi» — Le Roi, et la Reine partent et lui
disent adieu, fort contents.
Le 21, mercredi. — A trois heures et demie mis danis
le carrosse et porté au bâtiment neuf, pour l'éloigner de
Messieurs, qui avoient eu là rougeole (1).
Le 22, jeudi. — A deux heures, le clarissimo Marino
Cavalli , ambassadeur de Venise, entre en la balustre,
ayant demandé permission à M"™*^ de Montglat, le salue,
baise sa main, et puis embouche (sic) la sienne, et peu
après se couvre. On met au Dauphin son épée au côté et
son chapeau en tête, qu'il enfonce en mauvais garçon ; il
bat fort et ferme le tambour avec les deux baguettes.
L'ambassadeur prend congé de lui et baise sa main, puis
embouche la sienne.
Le 25, dimanche. — Promené ; mis aux fenêtres pour
le faire voir à grand nombre de peuple venu pour le
voir (2), dont la plus part s'est mis à genoux et plusieurs
les larmes aux yeux.
Le 5 jeudi. — A douze heures trois quarts M"' de Lon-
gueville laisse à Saint-Germain H. son fils.
Le 6 seplembrCy vendredi, à Saint-Germain. — M. Pary,
chevalier de la Jarretière, ambassadeur extraordinaire
d'Angleterre devers le Roi, le vient voir, parle à M'"'' de
Montglat, ayant fait une révérence de Jatète, de loin, à
H. le Dauphin, puis, s'approchant de lui, en fait une
autre et se met à se promener avec ladite dame.
s de GramoDt et de Guiclip, ancienne maîtresse de Heni'i IV. Elle mourut
vers IA20.
(i) Voy, la lettre du Roi à M>n<: de Montglat , du 29 aoôt. {Lettres missives,
V,661.)
(2) Celait le jour de la Sa'nt- Louis.
IIKROARD. — T. I. 3
34 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 8 septembre , dimanche j à Saint-Germain. ^ On
porte le pain bénit au Dauphin; il tenoit le goupillon^
fait ses affaires à croupeton sur le lapis; le goupillon
qu'il tenoit s'y mêle, et si l'aumônier n'y eût pris garde,
en donnant de Teau bénite il en eût donné.
Le 11 , mercredi. — 11 écoute les contes que lui fait
M"' de Ventelet touchant l'Infante (1), qu'il couchera
avec elle ; il en ^rit.
Le 12, jeudi. — Crié extrêmement ; M"' de Ventelet lui
vient donner le bon jour de la part de l'Infante ; il s'a-
paise soudain, et se prend à rire.
Le 15, dimanche. — A huit heures le page de M. de
Longueville arrive pour savoir de ses nouvelles ; ayant
parlé à M™® de Montglat et s'en retournant, le Dauphin
l'appelle d'un Hé! et se retrousse, lui montrant sa guil-
lery. Il est porté au vieux château par le commandement
du Roi, qui arrive à cinq heures. Porté au pied du degré
au devant du Roi, l'obscurité et la foule des hommes
fut cause qu'il eut peur. Le Roi le caresse ; A sept heures
et un quart la Reine arrive.
Le iG, jeudi. — Il montre sa guillèry à M. d'Elbenne;
porté chez la Reine> il voit la signora Passithéa, en eut
peur, à cause de la coiffure. .
Le 17, mardi, r— A quatre heures, porté chez la Reine;
la marquise de Verneuil y arrive, au cabinet de la Reine;,
le Roi y arrive.
Le 18, mercredi. — Sur les dix heures et demie le
Roi part pour aller diner à Saint-Cloud et de là à Paris,
pour conduire la Reine à Fontainebleau pour attendre
ses couches.
Le 19, jeudi* — Il commence à cheminer avec ferrtieté,
soutenu sous les bras.
Le 23, lundi. — Fort gai, émerillonné; il fait baiser
à chacun sa guillèry. Le comte de Visé, du marquisat
«_^ — __ ■■' - ' ■ , , iii».. I ■ — • _
(I) Anne d'Autriche, néo If 22 septembre IGOl.
bctOBRfe lebaV ai
de Salaces, ambassadeur extraopdindiM du duc de Sa-
Coie, et le comte de Hems,. ambassadeur extraordinaire
d'Ecosse, le viennent voir.
Le 25 septembre j mercredi y à Sainl^Crèrmain , ^-^ |l. de
Montpensier lui baiéè lesinainà àù bei^ëâHi éi^'^M a
donne la chemisé. « . ri •*
£0 27, vendredi.^ — Il se' joué à éa gnillery, repouitee>
son ventre en dedans, qui Tèw^ohoitâe la voir. 41 vient
un gentilhomimé flamand, du parti éSpàgiiol, poùrte voit;
il se y trouve un vieil Espagnol qui entrant et so|*tant
lui donna sa bénédiction la larme à l'œil , enisoûhaitarit
le mariage de Tlnfànte (I). '
Le 30, /tiiidi.— A doaasé^'heui'ei un quairt.'fe sieùç
de Bonières et sa fille, jeune; it'^lùi a fert riTsc Sre-
trousse, lui montrie sa guillery, mai l^ surtout à sa' fille, car
alors la tenant et riant son petit rire il s'ébranloit tout,
le corps. On dit qu'il y entendoitfluesse.' A douze heures,
et dèhiie le baron de l^l*6tïay ; îl^ kvoit éfh sa coinpi^ië'
uner petite damoîséUé; îla rétrotissè sa co4të, lui montré'
i^a guillery avec une telfeàrdeCi-t qôjîl en^Aott toutbors
dé sdi. Il se coUchôH à la r^nvéèWpôài^'làlui montrie.'
Le 8 octobre,' mùrdi/^à Samt^Gèirmàiin: — Le Roïâr'<4)
rive, ise joue à.luï^ la Rcitié parèilleideRt..' ^ ^.I ^J
Le 9, mercredi, ^P^Hé^ei.ntt(À au jardin^, bû îl'faîsoii
bien ftoid ; j?brté: « la chàmbtè iJë liall'éiiié.^ /.^
£c 11 f tJendf^rfiV -^ ï^orté au'Ite)3> 4' Ist!^ gàteri
à une heure et demie un an^bài^adeUï!' altemàilâ; â^lîx
heuifes' M""* la princesse^ d'Orangei t * » » ^ '
Le 12 y samedi* — À dcto 'hénrès et dWnierehdormi;
le Roi arrive^ qui Tèveilte, 1^ baise èt's'en'vaîjwÛPr^ouis^'
ner à Paris. Siir les ti*64s^heurës, çoihme il ndfaïisoii'qné
s'ehdormîr, la Iteit^e réveillé, et i'eh va'^oudaiB ; cbmsie
on le rendormoit, arrive M. le c^Stède "Sois^ài; q^
conduit 1^ députés géhéraux' du pays de Dfipii'phihé
(!) hii Dauphin entrait ce jour-là danfï sa (1ciixi^me*ilnnde.' < ' >• \ ]
3.
^6 JOURNAL DE JRaN HÉROARD.
poqr rendre rhommage, quMls firent à genoux, fors l'ar^
chevèque de Vienne (1), qui porta la parole, M. le Dau-
phin étant dans un berceau. Il leur lendit la main à
t6u§ pour la baiser.
. ic 13 octobre, dimanche. — Porté à la messe; les dé-
putés de Dauphiné y étoient. Lesdits députés ont donné
des présents : à M"' de Montglat, un buffet d'argent delà
valeur de trois cents écus; àM"® Piolant, un bassin et une
aiguière d'argent, valant environ cent écus ; une chaîne
d'or pesant quatre-vingts écus à M"' la nourrice, et une de
cinquante à la remueuse ; et des pièces d'or et d'argent
faites en mémoire de la naissance de M. le Dauphin ,à
plusieurs du château et aux officiers de M"* de Montglat.
Le 17, jeudi. — Promené à la chambre du Roi, à dix
heures, où il a vu les ambassadeurs de Suisse venus pour
jurer et confirmer l'alliance avec le Roi ; il leur a baillé
sa main à baiser. Ils furent conduits par M. de Souvré
et M. de Vie, ambassadeur pour le Roi vers les Cantons.
Ils furent fort satisfaits de M. le Dauphin, qui sembloit
avoir composé sa façon pour cet acte. Ils furent traités
à dîner aux dépens du Roi, en la salle du Roi, et leurs
officiers en la salle du bal, où ils étoient cent à table.
Le 2k, jeudi. — Le Roi arrive à neuf heures et demie,
revenant de la chasse, où il avoit été deux jours, et venoit
decoucheràVillepreuxjil le trouve fort gentil, lui donne
du sucre rosat. A douze heures et trois quarts, le Roi
part et s'en retourne à Paris,
Le 5 novembre, mardi, à Saini-Germain. —A onze
neures et demie, le Roi arrive de Fontainebleau ; il voit
le Roi, résolu. Le Roi va diner; porté au diner du Roi,
il fait baiser sa guillery à M. de Souvré, à M. de Termes,
à M. de Liancourt, à M. Zamet. Le Roi part à trois heures
pour aller coucher à Paris.
Le ih , vendredi. -^ A trois heures M. le prince de
(t) Jérôme de Villars.
NOVEMBRE 1602. 37
» *
€opdé (1), M"' sa mère, M. de Haucourt viennent voir le
Dauphin. Sanourrice lui dit: « Monsieur, voyez votre petit
cousin qui vous vient voir. » 11 se retourne, regardant tou$
ceux qui étoient contre la balustre, le va choisir et lui
tend la main,. que M. le Prince lui baisa alors. A Pentrée
H. d^Haucourt lui dit qu'il all&t baiser la robe du Dau-
j^hin ; il se tourna, et lui dit qu'il ne le falloit pas faire.
LeiQ^samedî, à Saint-Germain. — H. le prince deCondé
prenant congé de lui, il le suit après, le regardant toiX<-
jours, et se prend à pleurer ; il faut que M. le Prince re-
vienne pour partir sans être aperçu ; M™^ la princesse de
Côndé lui vient dire adieu.
Le 21, jeudi. — Porté au château neuf.
Le 22, vendredi. — Naissance de Madame (2), à Fontai-
nebleau, environ les neuf heures du malin.
Xe23, samedi. — Nouvelles de la naissance de Madame;
le jour précédent, sur les neuf heures du malin (3).
Le 28, jeudi. — A onze heures et un quart le colonel
Postech,deBerne,le sieurRyech,députédeZurich, lui ont
(1) Henri de Bourbon If, né posthume, le 1*^' septembre 1588, était alors Agé
de qitatorzê ans; sa mère était Cliarlotte-Catherine de la Trémoiile; elle
mourut en 1629.
(2) Elisabeth de France, mariée par procuration à Pliilippe IV, roi d'ICs-
pagne, en 1615, morte à Madrid, en 1644.
(3) C*e8t à la datedu 23 novembre 1602 qu'il faut rapporter la lettre du Roi
àMin« de Montglat que M. Berger de Xi vrey a classée à Tannée 1608. { Lettres
missives,\lll, 647.) Voici cette lettre : « Madame de Montglat, vous m'avez
fait plaisir que, sur i*avis Que le fils de Frontenac avoitia petite vérole, dé
transporter mon fds au petit château. Faites le même de mon fils Alexandre
et de ma fille ; lesquels je vous recommande, et que vous me mandiez, sou-
vent des nouvelles de mon (ils. Ma fdmme accoucha hier, sur les neuf heures
du matin, de cequ*il a plu à Dieu. De quoi elle est plus fâchée que moi, qui
l*en console. Bonjour, madame de Montglat. Ce \xiii' novembre, à Fontai-
nebleau.—HENRY. »
La phrase du Roi sur la seconde couche de Marie de Médicis s*explique par
ce passage de la circulaire sur la naissance de Madame Elisabeth : à Ce n*est
pas cliose qui soit, selon les apparences humafnes, si avantageuse qu'eût été
un fds. v On verra que le 23 novembre 1608 Henri IV était au liiàteau de
Saint-Germain avec le Dauphin.
^ JOUKIN4L DE 4ËAN UÊaOARD.
baisé la xQ9,ia^^^u^iUeur a tendue; ilsn^étoientpasvenusà
Saint-jSeriJi^aia jiYjÇftles autrejs. Us lui qnt Ait qu'ils étoie^it
sçs très-iiuml)Ie^*§^r^Yiteurs et alliéjç, lui qnt derechef baisé
la main eq s^çn allaql^Je sieur Ryeçh avoit la larme
à rœild^jais^ en lui disant adieu. .
. £e 1 2 4?ç(mire , jeudi, à Sainl-Germain. -7 Àr huit
heures trois quarts joué à de petits jeux. On lui demande :
4«r Oàestlemignon^4çpaf8a? » Usefliontre, frappait sur
son estomac, ieJui demaade ; « Où est le mignon de
rinfaçte? >> Il met la, maip sur sa guillery.
Le 19, jeudi. — Rapporté au vieux château â une
heure; àsh^ heures le Roi et la Reine ^ accompagnés de
H. le maréchal de la ChiSttre^ arrivent en sa chambre; ils
l'ont trouvé jfort gentil.
te 20, veMrfidi.T- Le Roi et la Reine rentendènt jar-
gonner^ y prennent plaisir.
jte21; êamedi. — Le Roi bit la messe eh sa chambre ;
le Daiiph^in est porté chez la Reine. A Unejieure, le Roi
rayant bai/sé part ppup s'en retourner à Paris, la Reine
peu après. * '
- fieSB^ihfndr.^*— Le Roi arrive à onze heures et demie
à l'assenibl^e (1,) ;, le Dauphin est porté, çn la cour devant
ttti, nie le.salnepcôâBt^Bifran quand le:Iloi lui eût tii*é le
chapeau ; il Ole le sien, puis se recouvre quand le Roi lui
eutdili à Colivréz-Vbus, Monsieur, » Porté au dloer du
Roîà onzeiheuj^ etdemi^i i^is auboutde la table, rêveur;
lé'^R^ se jèùe k kiï^ le fait jargonnei^. Le^Dauphin recon -
hôlt H. Iple .Çuiàç^ ne lùji .ayant élé montré qu'une fois. A
cinq heures arrive M. de Rosoy; le Roi revient de la
cha^sèy &it ^ortei^ le Dauphin dans soiï cabinet. A six
heures, pb^té ail bout dé 1^ table avec le Roi, qui lui fait
donner une^^ cuillerée de vin îovl trempé. Rapporté en sa
chambre , à sept heures trois quarts, le Roi y vient, il le
prelidîleigrontïèrie; le Dauphin dansé en branle donnant
i, ,r ^,1; .4 ii'Vf ■ r~. ,A
I n » n
(1) G'ésl-à-dire au ren'IcMÔirs delà cîias:c.
DECEMBRE 1002. 3Î>
la main à Alexandre Monsieur^ le Roi lui ayant commandé
de le faire. A huit heures et demie M. le comte de Sois-
sons lui donne sa chemise à brassière; le Roi le baise et
s'en va coucher.
Le2iy mardi, à Saint-Germain. — Le Roi arrive à neuf
heures^ va déjeuner à la petite salle ; le Dauphin y est
porté, regarde déjeuner le Roi attentivement. Le Roi s'en
retourne à Paris, et part à dix heures.
Le 30, lundi. — Sur les quatre heures trois quarts, lé
Dauphin est porté en h&te au-devant de Madame, sa sœur,
à laquelle heure Madame arrive, conduite par M"* Piolant
et MM. de Hontglat et de Yilleserin, écuyer servant de la
Reine. M. le Dauphin, porté par sa nourrice, est descendu
par la petite montée du côté de la chambre de Madame,
et rencontre vis-â-vis de la porte de l'autre petite montée,
àhuit pas près, Madame, que Ton descendoit de la litière;
prise et portée par M. de Yilleserin. Il fut aise et sans dire
mot de la voir, lui ayant été dit : a Monsieur, voilà votre
sœur. »
Le 31, mardi. — r Madame est portée en sa chambre;
il la baise doucement. A douze heures et demie, le Roi
arrive; le Dauphin, porté dans la chambre du Roi, y a été
durant le dîner et a donné la serviette au Roi, qui la lui
avoit demandée. Le Roi part pour aller à la chasse. A
quatre heures et demie la Reine arrive, vient en la cham-
bre de Madame, où j'étois, puis va en celle de M. le Dau-
phin. A cinq heures il est porté chez la Reine, à sept
heures au souper du Roi, qui lui donne delà gelée, dont
ilétoit friand, et du vin.
ANNÉE U05.
Premiers services rendus au Roi. — Répugnance du Dauphin pour son frère
naturel. — Premières armes données par la duchesse de Bar. — Singuliers
exemples donnés au Dauphin. — Mauvais vouloir pour Concini et sa femme.
— Le Roi menace le Dauphin du fouet. — Charles Martin fait son por-
trait. — M. de Longueville vient demeurer à Saint-Germain. — La mar-
quise de Yerneuil et son (ils; détails singuliers. — Serment de fidélité des
magistrats de Paris. — Le Dauphin joue au mail. -. M'»^ Héroard. —
Première lettre au Roi. — Le P. Coton. — M"'<^ de Yerneuil et sa
mouche, — Les enfants de MM. de Liancourt et d'Épernon. — Comment
on Tentretient de Tinfante d^Espagne. — Habitude de Henri IV. — La
duchesse de Bar. ~ Départ du Roi et de la Reine pour la Normandie. —
Le Dauphin apprend à parler. — M"® de La Salle. — M'nc Concini. —
Mme de Yerneuil. — • Prière que récite le Dauphin. — Il Imi à Tinfante
d'Espagne et danse en présence de l'ambassadeur. — Son caractère opi«
niâtre; il est fouetté pour la première fois. -^ Son amitié pour Héroard. —
Le Dauphin est sevré. — Armes données par la ville de Moulins. — Ma-
thurine la Folle. — Audience du connétable de Castille.
Le V^ janvîery mercredi^ à Saint-Germain. -^ Porté en
la chambre de la Reine^ où le Roi est venu ; le Dauphin
Yoit que le Roi la baisoit; il la lui fait baiser plusieurs
fois. A une heure porté au dîner du Roi.
Le 2, jeudi. — A dix heures et demie porté chez la
Reine; porté au dîner du Roi, porté au diner de la
Reine; elle le fait mettre au bout de la table. A deux
heures la Reine part. Le Roi revient de la chasse pour
changer de chemise en son cabinet, où il commande que
Ton apporte le Dauphin. Il ôte son chapeau au Roi, puis
le remet. Le Roi part à deux heures pour s'en retourner
à Paris.
Le 7, mardi. — A onze heures et demie le Roi arrive;
42 JOURNAL DE JEAN HÉHOARO.
il est porté au-devant de lui^ porté au dluer du Roi, il
lui donne sa serviette. A six heures porté chez le Roi, qui
étoit revenu blessé à un genou, courant à la chasse, et
étoit couché dans son ht.
Le 8 janvier, wtferiAiftK, â Satnl-Germain. — Le Roi
part sans le voir, et part en carrosse pour s'en retournep
i Paris, se plaignant forttJo-sa douleur de reins.
Le â, jeudi. — Il reconnolt mes cousins Pierre et
Claude Héroard , qu'il avoit vus le soir auparavant.
Le i9, dimanche. — Les. cheveux lui éclaireissent en
.bloiicteur', _ , ... , I, , ,,.."
Le ^,. jeudi. — KleXanàre Monsieur lui donne sa
cheinise, et soudain, l'ayant prise, il lui élance un coup
de sainaio pour le frapper; il ne le pouvoit souffrir.
- Le 26, difrtanche. — M: de Pardaillan-Pa^as arrive ,
.lui portant de la part de M™ la duchesse de Bar, salante,
des armes cômpl^te^/de la hauteur d'un demi-pied; il y
prend plaisir;- . , '
Xé27, luRtit. — Amidi'porté en la cour aii Roi , qui
arriva à douze heures et demie. Porté au dluer du Roi ,
assis au bout de la table; le Roi lui jette une orange, et
lui làrenvoie au Roi j le Roi lui doirae à làterdù vtb. Le
Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures et
demiç. Le Daupbin va après M"' Mercier,'qui glapissoit
.pour ce qpc M. de Moniglut lui bailloit de sa maÎQ sur
les fesses; il glapisi^oit de même aussi. Elle s'enfuit à la
ruelle, H. de Montglat la suit, et lui vei).t faire claquer la
^esse ; elle .s'écrie fort haut, leDauphin ^entend, se prend
à glapir fort aussi , s'en réjouit et trépigne des pieds et
de tout le corps de joie, ;tQurnant sa vu» vers ce cAté-là,
les montre du doigt à chacun. Amus^, dansé aux branles,
étant paravaolsongaart et triste pour ne voir personne ;
l'on fait veii(r ses femmes; il se prend i les faire danser^
se joue, à la petite Marguerite, la baise, l'accole, la
rcnvcrîc à bas, se jette sur elle avec trépignement,, de
tout l,e corps et grinçemsnt de dents. Amusé jusqu'à
,,, FJiVWtU^OOS. 43
neuf.heures^ gai^Hooiis tire des acquebusades (l),et sur-
tout à l^"** Mercieri «^ étant pris à rire aussitôt qu'il Ta
vue.. Il s'efforce de la fouetter* sur les fesses avec un brin
- ... 1» ••'••■•••■■ -
de verges; 1^"* Bélier lui demande : a Honsieur> comment
est-ce bue-AÎf de, Montglat a fait à Mercier? 11 se prend
soudàiu à claquer de ses mains Tune contre l'autre avec
un doux sourire, et s'échauffe de telle sorte qu'il étoit
transporté d'aise^ ayant été un bon demi-quart d'heure
riant et claquant de ses mains^ et se jetant à corps perdu
sur elle, comme une personne qui eût entendu la raillerie.
Le 30 januier, jewdt. — Il s'essaye à fouetter un sabot j
mange et avale du canard^ première viande qu'il a
mangée ; mange du çl^apoa , trouve tout bon.
i^e 1" février, samedi, à Saint-Germain. — Éveillé à
neuf heures trois quarts^ l?vé, gai, riant, bon visage.
Le sieur dorri Garcia , le sieur Gonchino arrivent à l'heure
de l'habiller . Il se jouoit àun carrosse du palais où il y
avoi t. quatre poupées; l'une étoit la Reine, les autres
M"-» et M^'* de Guise et M™« de Guierche ville. On les lui
faisoit montrer^ les nommait par leurs noms; il les
mon troît du doigt. Le sieur Gonchino lui va demander :
<t Monsieur, où est la place de ma femme? » En disant :
y^A^/il lui montre une avance qui étoit par dehors, au
cul, du carrosse. Il ne veut point prendre un grain de fe-
nouil confit du $ieur Gonchino, àquiM'^^deMontglat l'avoit
baillé pour le lui donner, s'en recule du tout , le regar-
dant, comme importuné. A douze heures et demie le
baron Pophlech , saxon ; il lui donne à baiser sa main.
le 7, vendredi r — Bon visage mais gercé du grand
iroid(2).
(1) c'est-à-dire que le Dauphin faisait semblant de lesjcoucheif en Joue et
ie liVèr sar' ceux cjiii rentouràréril avec ses armes^^ d'enfant.
(2) -Iférôard dit à la dale du 4 : « Il faisoit un extrême froiil. » Henri IV
écrit le 6 au duc d'Énevnon: « Le froid ne me pcrmptplus long discours. »
Le supplément an Journal de Lcsioilc parle aussi /le ce froid, à la dale du 3
f«?ricr.
44 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
1(6 i^ février j mercredi ^ à Saint-Germain, — A- cinq
heures et un quart y le Roi, la Reine arrivent de Paris
comme on achevoit de rhabiller: ils le baisent. Le
Roi et la Reine vont chez Madame, et lui avec; porté à
sept heures et un quart en la chambre du Roi pour y
souper; rapporté en sa chambre. Le Roi et la Reine y
viennent, se jouent à lui.
Le 13, jeudi. — Porté au Roi en la chapelle ; porté
en la chambre de la Reine; il se joue dans le lit avec
elle et depuis en celle du Roi. A onze heures et demie
il baise la serviette, et la donne au Roi ; il veut crier, le
Roi le menace du fouet, il s'apaise.
Le ik y vendredi, — M"'°la comtesse de Guichen; le
Roi et la Reine y prennent grand divertissement et, à
deux heures, partent pour s'en retourner à Paris.
Le 25, mardi, — Amusé jusqu'à onze heures dan& sa
petite chaise, auprès du peintre nommé Charles Martin (1)
demeurant à Paris, sur le pont Notre-Dame, près Saint*
Denis de la Chartre.
Le 17 marsy lundi à Saint-Germain, — A une heure et
un quart M™* de Luxembourg, M"*^ de Luxembourg, sa
belle-fille, M. Boulenger, son maître d'hôtel; il attend
froidement et résolument, avec son chapeau vert sur ^a
tèle. M'"® de Luxembourg, et la reçoit à six pas de la porte,
lui tend la main, qu'il lui donne à baiser et à M"® de
Luxembourg.
Le 23, dimanche. — Il joue du violon et chante en*
semble.
Le 24 , lundi, — A une heure trois quarts, M. de
Longueville (2), qui vient pour demeurer à Sàint-Ger-
(1) Charles Martin est porté dans les comptes de l'hôtel comme peintre
du Roi. (Histoire du règne de Henri JV par M. Poirson, 1856, in-8%
tome Il/page 815.) .
(2) Henri d^rléans II, duc de Longueville, né le 27 avril 1595, deux jours
avant la mort de son père, Henri d^Orléans T*"; il était alors dans sa huitième
année. 11 mourut en 1663.
AVRII. 1005. 4a
maioi le S^ Conchino^ M. Poussin, médecin de H. de
Longueville.
Le 3 avril, jeiidiy à Saint-Germain. — A cinq heures, M"**
la marquise de Verneuil arrive àlaportedu jardin, comme
iléloil sur le point d'en sortir; elle lui demande à baiser
sa main; il la refuse, se recule, la regarde de côté; enfin
on lui dit de le faire, il la baille. On apporte M. de
Verneuil (1), qui lui est présenté, il le regarde froidenijpnt,
se retourne brusquement, fait bonne chère (2) à M"'^la
marquise, fait semblant de se cacher, puis la regarde en
riant. Elle lui met une chaîne au col ; il s'en glorifie, se
regarde dans le miroir, lui met la main dans son sein,
puis baise lo bout de son doigt; elle le couvre de son
mouchoir, il le découvre, et puis y touche comme aupa-
vaut. 11 renverse la petite Marguerite, la baise, se jette
sur elle, puis, étant relevé en fait le honteux et se va ca-
cher. La marquise lui mettoit souvent la main sous sa
cotte ; il se fait mettre sur le lit de sa nourrice, où elle se
joue à lui, mettant souvent la main sous sa cotle.
Le 4, vendredi. — Mené en la chambre d'Alexandre
Monsieur, où éioit M'"® la marquise et son fils. Aussitôt qu'il
a vu la troupe, il s'est retourné, court vers la porte en
criant, sans avoir jamais pu lui faire tourner la face; il
avoit accoutumé de s'y plaire. Mené en la chambre de
M"* la marquise, il se joue et rit avec elle en se cachant.
Amené en la chambre d'Alexandre Monsieur, où étoient
tous les enfans, il prend la poule (3) d'Alexandre Mon-
sieur, court par la chambre comme un désespéré, la
jetant devant lui, puis courant après, sans regarder en
façon du monde ces enfants et moins l'un que les autres.
M'"*^ la marquise lui touche à ses cheveux; il la frappe et
■ ■■>■■ ■ , m . ^ m, ■ , ■■ill^
(1) HenH, nommé premièremenf Gaston, depuis duc de Verneuil, né en
octobre 1601 ; il avait été légitimé au mois de février précédent. Il mourut
en 1682.
(2) C'est à-dire bon accueil.
(3) Sans doute nn jouet dVnfanf.
40 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
... ■ ' .-,..- .
s'en plaint ; demande la serviette , qui lui est servie par
M'"'^ la marquise, qui dit : « Je ne sais s'il la refusera de
moi, tant il est dédaigneux. y> Il la prend sans la regarder,
s'en essuie lui-même. L'on y porte M. de Verneuil; il n\i
pas fait semblant de le voir. L'une des femmes de M. de
Verneuil demande à son maître (i) : a Monsieur, où est
M. le Dauphin? » Il se bat la poitrine en se montrant,
puis en étant repris, irhionfraMT. le Dauphin. M"^* là mar-
quise lui sert sa cheniîsë à son coucher. "
Le 20 avrily ' dimanchty ô Saint-Gtrmain, — A onze
heures, M. le président dé Bragelongne, prévôt des mar-
chands, et MM. le§ échevins[dé Paris approchant de lui, il
leur a tendu la main à fouspourla baiser;piiisM.]éprévôt
a dit qu'ils étoient venusencorps, représentant la ville dé
Paris, pour le reconnoltre pour fils. naturel et légitime
du Roi son père et le vrai successeur, après son décès, de
ce royaume, lui faisant à cet effet sefment de ÏÏidélité.
Il le régardoit attentivement et portoit son doîgf à
un poreau rouge que ledit sieur prévôt a au côté du«
nez, puis leur a lui-même tendu la main pour là baièér.
A sept heures là Reine arrive^ le Roi un peu après.
Le 21, lundi. — Le Roi part pour s'en retourner à Pa-
ris. Le Dauphin, éveillé à sept heures, est porté au lever
de la Reine ; la Reine part à dix heures trois quarts.
Le 29, mardi. — ^ A onze heures lin quart j'arrive de
retour de Paris; je le salue, lui disant : « Monsieur, Dieu'
vous donne le bon joiir. » Il ne fait pas semblant de hie
voir, mais se prérid â courir et se cacher deçà delà,' me
guignant des yeilx pleins d'allégresse et en passant tout
riant, il me tendoif la main pour la baiser. Il en fatsdft
ainsi à ceux qu'il ai moit.
Le 7 mm, mercredi^ à Saint-Germain. — Le Dauphin
jouant au palemail (2) blessa d'un faux coup M. de Lon-
(1) 11 avait un mois de moins que le Dauphin:
(2) C^est le jeu du mail ; « il y a quelques endroits , dit le Dictionnaire de
MAI 4605. 47:
gtievillequi étoit près à lui^ en rencoigmire gauche du
front. Le coup iaîi>âl^n demeure éloiuié et se Jseiourhe
court, comme s'enfuyant, n'osant presque regarder per-
sonne, se laisse sans résistance ôter le palemail.
Leilj dimanche, à Sainl- Germain. «-"A quatre heures
et demie M. de Slôtitmôrencj^ fl), fils de M. lé connétable,
le voit dans son berceau; on le hausse pour baiser la main
au Dauphin, quUl lui tend et le regarde fort résolument.
A huit heures trois quarts M. de Longueville etH"^de Vent-
dôme débattoient à qui donneroit la chemise à M. le Dau-
phin; la remueuse lui denàande : a Monsieur , qui vous don-
nera votre chemise? » 11 répond : Jtf"** de Monlglat (2).
M. de Longueville la sert et Farrache à M"' de Vendôme;
.H. de Montmorency sert une bande («ic), M. de Lon-
gueville une autre.
Le ^3yVendredi. — A cinq heures j'arrive (3). Il chemi-.
noit en la basse cour. Je me présente à lui ; il me tend
de lui-même sa main à baiser, puis à ma femme, et après
s^en va au carrosse de H. Sabathier, sieur du Mesnil, où
nous étions venus. Il le faut mettre dedans, se fait prome-
ner, résolu, assis à la portière auprès de M""^ deMontgtat;
mené dans le château , il n'en veut point sortir et crie.
Trévoux , où Ton appelle ce jeu paletnail. Le mail de Saint-Germain eaUuii
des plus beaux. » >
(1) Henri de Montmorency , depuis duc et maréchal de France, était né le
30 avril 1595; le roi Henri IV fut spn parrain. Il eut la léte tranchée à Tou-
louse, le 30-octobre' 1632.
(9.) Héroard ne figure pas encore^ le langage enfantin du Dauphin, comme
il le fera plus tard. ...
(3) Héroard était parti pour Paris le 14, sans doute à cause de la maladie
de son frère; on lit ^atis le sot)plémeiit du Journal dé Lestoilé : « Le jour
de devant (20 mai) éloil mort en cette ville le trésorier Éroiiard,' frère du
médecin du pauphin..» Quel(|4ies jours, avant, JHenri IV était toml>é malade
à Fontainebleau, d'une rétention d'uûne. Il écrivait le 17 mai àSolly : « Mon
amy, je nie sehs si mat qu^l y a botme apparence que \e, bdù Dïeù véîil dis-
poser de moy. » Le supplément de Lestoilé rapporte qes paroles piesque
dans les môAe termes. « Le Roi, njoute-t-il> se fit apporter le portrait de son
Dauphin^ et le regardant dit tout liant ces mots i r Ha! pauvre petit, que tu -
aiira:^ Il souffrir s*ti faut que toA père ait màf.»
4» JOURNAL DE JEAN HEROARD.
Le 4 juin, mercredi , à SainhGermain^ il écrivit celte
lettre au Roi^ moi lui tenant la main, ayant eu la patience
entière :
Papa, Dieu vous donne le bon jour el à maman , j'^y bien enuie de tous
voir pour vous faire fire. Adieu , bon jour, je suis papa vostre Ires humble et
1res obéissant fils et serviteur. Daulphin, et au-dessus : À Papa.
Le 10, mardi, — A jnidi le Roi arrive ; il le va rece-
voir à rentrée delà salle, reconnoU le Roi, qui se joue à
lui, fait la révérence à la Reine, lui ôte son chapeau;
elle le baise.
Ze 11, mercredi. — Le Roi se joue à lui ; àtrois heures
etdeinie M. le prince de Conty donne la chemise au Dau-
phin. *
Le i^, jeudi, — Il joue au palemail, s' opiniâtre con-
tre le Roi. A douze heures et demie les ambassadeurs
d'Espagne, Juan Baptiste Taxis elHieronimo Taxis, extra-
ordinaire, qui alloit en Angleterre, lui font une grande
révérence à l'entrée de la chambre et lui baisent la main*
Le Roi et la Reine vont au palemail, font porter le Dau-
phin; il bat le tambour de la compagnie qui étoit en
garde.
Le 13, vendredi. — A quatre heures trois quarts M. le
connétable le vient voir, lui baise la main, lui donne
la chemise, lui mène le fils de M. le comte d'Auvergne.
Le Dauphin, porté au Roi et à la Reine en la galerie, a
soupe avec le Roi.
Le ik y samedi. — Mené en la chambre du Roi, il le baise
Taccole. Le Roi le mène en la chambre de la Reine ; il
en sort avec leRoi, joue au palemail, bien; il fait plusieurs
gentillesses devant le Roi et la Reine, se retire en leur
faisant la révérence.
Le 15, dimanche. — Porté à onze heures au Roi, en la
chapelle; mené en lagalerie pendant le sermon du P. Co-
ton, jésuite. A deux heures et demiearriveM. d'Épernon ;
il aime et se joue avec M. de Termes avec une inclination
naturelle. M. d'Épernon lui donne sa chemise. Le Dau**
JUIN iCO». 49
phin se joue de son laboùrin^ bat la batterie des Suisses.
Le 16, lundiy à Saint-Germain. — A onze heures ar-
rive M. le prince d'Orange, qui lui baise la main. Acinq
heures^ porté au château neuf, en la chambre du Roi ; il
fait bonne chère au Roi^ se cache devant la Reine. Il
voit sur le nezde M"* la marquise de Verneuil une mouche
de satin; « Monsieur, dit-elle, ôtez-moi cette mou-
che. » 11 y va du doigt, et luiégratigne le nèz. Le Roi et
la Reine vontau parc; il les accompagne jusqu'à la porte
du milieu du parc.
Le 17, mardi. — Porté à la chambre du Roi, il lui fait
bonne chère, et se rit à la Reine. Le Roi se promenoit
avec le P. Coton, jésuite; il va vers sa Majesté le prendre
par la main pour le mener souper. A six heui*es soupe
avec le Roi. Le Roi lui donne des cerises; lé Roi donne
du massepain dans un plat à H. de Vendôme et à M. son
frèreet àsa sœur ; chacun se partageoit devantlui sans lui
en donner ; il jette hardiment la main au plat et en prend
un morceau, qu'il mange à moitié, puis n'en veut plus.
Le 18, mercredi. — Le Roi part pour aller à Paris ; le
Dauphin est porté chez la Reine, se joue avec elle. La
Reine part.
Le 23, lundi. — M. de Dangeau le vient voir.
Le 24, mardi. — A dix heures, HansTrot, maréchal de
Clèves, envoyé devers le Roi de la part du duc de Clèves
et de Juliers et de la part du Roi pour voir M. le Dau-
phin. A sept heures arrivent les trois enfants de M. de
Liancourt, premier écuyer. (1)
Le 25, mercredi. — Il donne sa main à baiser fort li-
brement aux enfants de M. le Premier, qui furent mis
(I) Le P. Anselme ne cite que deux enrants de Charles du Plessis, seigneur
de Liancourt, premier écuyer du Roi, el d'Antoinette de Pons, plus connue sous
le nom de marquise de Guierclieville. Ces deux enrants sont Roger du PIcssis,
depuis duc de la Roche-Guyon, mort en 1674, âgé de soixante-quinze ans,
et Gabrielle du Plessis, depuis princesse de Marsillac, mère du duc de la
Kocliefoucauld , auteur des Maximes,
D^.tlOAnD. — T. I. 4
N
53 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
dîner de M"** de Bar ; à deux heures et demie, en la cham-
bre de M. de Bar; le Roi lui fait battre sur le tabour-
pin qui étoit en garde.
Le 16 , samedi. — Le Roi vient à sept heures, le trouve
et le baise dormant, lui disant : c< Adieu, mon mignon. »
Le Roi part à l'heure pour aller en Normandie. La
Reine va (dîner, le fait porter et mettre au bout de sa
table; il demanda du vin, de celui que la Reine venoit
de boire; je lui en donne dans sa cuiller; puis il demande
des confitures, qui étoient des prunes eu pâté; je lui en
donne par commandement de la Reine. La Reine s'en va
pour le voyage de Normandie; il l'accompagne jusques à
la porte de l'escalier, et à la portière du carrosse se met
à pleurer amèrement.
Le 18, lundi, — On lui fait prononcer les syllabes à
part, [lour après dire les mots.
. Le 2i, jeudi. -^ A cinq heures et demie, rais en car-
rosse, mené par le parc à Carrière, première maison
où il a été hors de Saint-Germain* li reçoit sur le haut
M. et M"*^ de la Salle, qui étoit grosse de sept mois et demi
et, depuis quatre mois, avoit une si grande passion de le
baiser qu'elle en perdoit entièrement le dormir. A l'ar-
rivée, comme elle le voit, elle en approche toute trem-
blante, lui baise la main par deux diverses fois; M"™* de
Montglat la lui fait accoler et baiser. Il la prénoit avec
la main par dessous le menton; elle témoigna n'avoir
jamais eu si grand contentement, et tel qu'il surpassoit
Je déplaisir qu'elle avoit souffert.
Zc 25, lundi, — Arrive delà part du Grand Duc le
comte de Montecucullo, qui alloit en Angleterre de la part
de Son Altesse ; il lui donne sa main à baiser.
Le 30, samedi, — A quatre heures, M. de Longueville
revient pour demeurer à Saint-Germain.
Le 6 septembre, samedi, à Saint-Germain. -^ A quatre
heures il va au devant de Madame, sœur du Roi, du-
chesse de Bar, jusque près d'Anemont.
OCTOBRE 1603. 53
Le 17 septembre^ mercredi, à Saint-Germain:, ^ Il com-
mence en ce mois à parler par discours (1).
Le 20, samedi. — A dix heures et demie la signora
Conchino et la signora Gorini dînent avec M*"* de Mont-
glat; il baille sa main à baiser à M""*^ Conchino.
Le22f lundi. — A onze heures M. le prince de Condé
lui baille la serviette à diner.
Le 25, jeudi. — A cinq heures le Roi arrive de Caen ;
il fait bonne chère au Koi^ le baise, l'accole, et à la
la Reine aussi, qui arrive après.
Xe26, vendredi. — Amené chez le Roi et la Reine, il
bat sur la table du Roi la françoise et la suisse, sur les
vaisselles; trouve son tabourin, recommence ses batte-
ries. Le Roi y prend grand plaisir.
Le 27, samedi. — Mené au souper du Roi (2) .
Le 28, dimanche. — Il rencontre M'"*^ la marquise de
Verneuil^ qui lui demande sa main à baiser, puis son
teton; il refuse fièrement Tunet Pautre, jusquesàceque
par plusieurs fois il lui ait été dit par M°" de Montglat
de le faire; il s'y laisse aller comme par acquit. Mené
au cabinet du Roi, il danse au son du violon toutes sortes
de danses.
Le 29, lundi. — Il joue au palemail devant le Roi et
frappe nettement un coup de cinquante-cinq pas. Mené
au diner du Roi et de la Reine, fort gentil ; le Roi et la
Reine partent à une heure et demie, fort contents.
Le 30, mardi. — Il avoit une merveilleuse inclina-
tion à aimer M. de Caudale, reconnu dès le premier
jour qu'il Tait vu (3).
Le 2 oclobrCy jeudi , à Saint-Germain. — La prière
ordinaire que Ton lui commença à apprendre ce fut.
(1) Voy. la ietlre du Roi à M*"^ de Montglat, du 15 septembie/.à Caen.
Lettres missives ^ YI, 165.
(2) Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa troisième année. .
(3) Voir au 28 juin précédent.
5-4 JOURNAL DE iFASs HÉROAUD.
jiprès le Paler, Àve : « Dieu donne bonne vie à papa, à
maman^ au dauphin, à ma sœur, à ma tante^ me donne
sa bénédiction et sa gr&ce, et me fasse homme de bien^
et me garde de tous mes ennemis, visibles et invisibles. »
A onze heures et un quart, il mangeoit le dernier aileron
d'un poulet, quand il arrive don Sanches de la Serta ,
maître d'hôtel du roi d'Espagne , fils du feu duc de Me*
dina-Cœli, venant de la part du roi son maître pour voir
M. le Dauphin, lui s'en allant en Flandres. H. le Dau*
phin quitte son poulet, M""^ de Montglat lui essuie la
main, il la présente. Don Sanches la prend ayant baisé
la sienne, qu'il rebaise après ; le sieur Uieronimo de
. de Taxis, ambassadeur ordinaire d'Espagne, ayant baisé
sa main prend celle de M. le Dauphin et la baise ; ils
demeurent découverts un peu de temps, puis se couvrent.
Le Dauphin achève de diner, demande à boire , boit
à rinfante. 11 voit le poignard au c6té d'un Espagnol,
et, le montrant du doigt, dit: Ah, la petite épée! Ils
vont diner aux 'dépens du Roi. Le Dauphin, mené à la
salle du bal, où avoient^lnéles ambassadeurs, leur 6te son
chapeau, et fait la révérence , le pied en arrière, puis
va son- chemin, eux suivent. Il branle la pique devant
eux, il joue au palemail, sec et sans faillir, il danse toutes
sortes de danses fort gentiment ; il veut monter sur le
t(ié4tre (1) pour y danser. Les ambassadeurs montent
les degrés pour dira adieu; don Sanchçs, baisant sa
main, prend celle de H. le Dauphin et la baise. Taxis en
fait autant, et il tend la main à baiser à tous les autres,
à la rangette. Au diner de M. le Dauphin, M. de^Souvré
dit au sieur Hieronimo Taxis : ce Voilà un serviteur un
jour pour l'Infante. » Il répond, ce A juger selon le
cours du monde ; ils sont nés l'un pour l'autre. » II
m'en dit autant.
(t) Sans doute i^ii« espèce «rcstradc, puisque les ambassadeurs en montent
lesdrgr(^s.
iNOVEWBRE i0O5. 55
Le 9 octobre^jeudij à Saint-Germain. — Éveillé à huit
heures; il fait Topiniàtre , est fouetté pour la première
fois. A six heures, j'arrive de Paris, lui étant sur les ter-
rasses, je le trouve assis. 11 trémousse d'aise de me voir,
mord sa serviette, me regarde, puis détourne sa vue,
en fait autant à ma femme. Il nomme fort bien le nom
de M. de Beringhen.
^ fje, 30 fJeudL — Uclarissimo Dandolo, ambassadeur
extraordinaire dé Venise , arrive pour le voir en pas-
sftnl, lui baisp la fnain, le chapeau au poing. Le Dau-
phin compose sa contenance et lui 6te le sien , le prie de
se couvrir en mettant la main sur son bonnet. Il danse
devant l'ambassadeur, joue dutabourin, branle la pique.
Le 3 novembre, lundi, à Sainl-Germain. — En s'habil-
lent on lui'dit : « Monsieur, dépêchons nous, nous irons
jouejp au jardin. — Nenni, nous irons voir M. Hérouard en
sa chambre (1). » J'arrive là-dessus; il se prend à crier et
pleurer à chaudes larmes, disant qu'il étoit bien fâché
4ie ce que j'étois descendu, et qu'il vouloit aller à ma
dbambre. Je ni 'en rjBtQurne.pour écrire une lettre, il s'a-
paise. On lui demande a Monsieur, où aimez-vous mieux
î^Uer, ou au jardin ou à la chambre de H. Hérouard? »
Il répond : à Hérouard. Il me fait l'honneur d'y
venir, me trouve écrivant en mon étude, entre gaiement
me tendant la main. Il est tiré par un peintre, de sa hau-
teur, qui étoit de deux pieds neuf pouces.
Le 7, vendredi. — Le Dauphin est sevré.
, j^e 22 y samedi. ~ îi. de Çaint-Géran, sous-lieutenant
de sa compagnie (2), présente le président de Moulins
et un échevin, lui offrant une épée, une lance et une
paire d'arrn^^ cpmplètes. Le président lui fait sa ha-
(1) Héroard ne figure pas encore la manière de prononcer du Daupliin.
; (2) Jean-François dCils^Gi^iotie, comte ^^ Saint-G.éian, sous-licutenanl de
la compagnie des gendarmes: du, Daupliiu, depuis marécl^al de France, mort
eu 1C32.
â6 JOURI^AL DE JËAIS UÉROARD.
rangue à genoux^ lui offrant^ de la part de MH. de Mou-
lins, les armes avec leur très-humble affection à son ser-
vice. Il les écoute, leur tend la main à baiser, prend
répée, qu'il manie fort adroitement.
Le 29 novembre y samedi. — M. le président de Paulo ,
deuxième président à Toulouse, MM. Chauvet, deTrelon
et Saint-Jory, conseillers , députés de la cour de parle-
ment de Toulouse, [viennent pendant le diner du Dau-
phin]. 11 s'arrête, ne mange plus, leur tend sa main à
baiser, puis ils lui font leur harangue. II leur donne
derechef la main à baiser.
Le 4 décembre^ jeudi , à Saint-Germain. — Le Roi ar-
rive, la Reine aussi. Diné avec le Roi; Jl lui donne la
serviette.
Le 5, vendredi. — Porté au Roi et à la Reine dans
leur lit; à onze heures, porté au dîner du Roi. Le Roi se
lève pour aller à la chasse , le Dauphin va achever de
dîner avec la Reine. Mathurine (1) arrive, il la (Consi-
dère froidement; elle se joue avec lui, il en rit; elle se
retrousse, il lui voit un haut-de-chausses, il se prend
à rire et s'en moque.
Le 6, samedi. — Porté au cabinet du Roi; à midi au
dîner du Roi. Le Roi et la Reine s'en vont.
Ze 11, jeudi. — A six heures, le Roi arrive; il y est
porté. Le Roi Tembrasse ; il soupe avec le Roi. Le Roi fait
semblant de dormir, il vient tout bellement en souriant,
et le va baiser. Le Roi se joue à lui.
Le 12, vendredi. — Mené au dîner du Roi; le Roi
part pour aller à la chasse.
Le 14, dimanche. — Opiniâtre, fouetté.
Le 19, vendredi. — A deux heures, le Dauphin reçoit
le connétable de Castille, auquel il tend la main pour la
(1) Folle de la Reine. « Cette Mathurine, dit Taliemant des Réaux , avoit
été folIPy puis guérie» mais non parfaitement; il y avoit encore quelque chose
qui n'alloit pas bien. » (les Historiettes, 3* édition, I^ 20G.)
DÉCEMBRE 1005. 57
lui faire baiser. Le connétable la baise^ puis dit en es*
pagnol quUl avoit commandement exprès du Roi ^ son
seigneur^ de le venir voir de sa part et de lui en faire
savoir des nouvelles fort particulièrement. M. le Dau-
phin lui demande (lui étant dit à l'oreille) : Comment
se parle V Infante? Puis le Dauphin lui tendant la main
et Payant baisée y il va voir Madame dans son berceau.
Le duc d'Ossone ne voulut point voir M. le Dauphin. Un
Espagnol en s'en retournant et passant devant lui, fit le
signe de la croix. Le connétable coucha à Saint-Germain,
à cause du mauvais temps.
Le 22, lundi, à Saint-Germain. — Le Roi arrive à midi
pour la chasse ; il baise et accole le Roi ; est porté à
son dîner. Lé Roi s'en va , il crie ; colère , fouetté. Mené
en la chambre et au souper du Roi.
Le 23, mardi. — Mené au Roi, qui s'en retourne.
ANNÉE U04.
Ëtrennes du Dauphin. ^ Visite du Rot; journée orageuse. ^ Bégayemenl du
Daupliin. ~ Chanson sar La Clavelle et Engoulevent. — Chasse du Roi à
Versailles. — Les musiciens du Dauphin. ^ 11 reçoit la croix du Saint-Es-
prit, premier présent du Roi. — Curiosité et .dissimulalion du Dauphin.
— Le Roi le fait fouetter. — Le Dauphin fait Tessai des mets destinés au
Roi. — Opiniâtretés et corrections. — Il Toit danser un ballet. — Portrait
fait au crayon par le fils de Dumonstier. — Caractère et éducation du Dau-
phin. —Il va à la Muette, à Croissy, à Poissy. — Singulier langage. — Accueil
fait à M. de Rosny, à son présent et à sa lettre. — Lettre du Dauphin au Roi.
— Jalousie envers les enfants naturels du Roi. — Dialogue avec le page La-
^ barge. — Scènes avec le Roi et la Reine. — Comment on lui parle de son
père; les fous de Cour. — Nouveau portrait peint par Charles Martin. — Le
journal d*Héroard. — Scène avec le Roi. — Arrivée des enfants de M"™c de
Verneuil; dispositions du Dauphin pour eux. — Scène avec le Roi et la
Reine; page fouetté à la place du Dauphin. — Les chats du feu de la Saint-
Jean. — Le cantique de Siméon. — M"°<^ de Verneuil. — Visite du duc de
Lorraine et de ses fils. — Goût du Dauphin pour les armes et les instruments
militaires. ^ M. de Rosny. — Singulier langage qu^on tient devant Tenfant, et
ses résultats. — Nouveau portrait fait au crayon par Decourt. — Le livre de
Gesner sur IMiistoire naturelle; le siège d'0.stende. — Portraits en cire de
la Reine et du Dauphin faits par Paolo. — Le Dauphin part de Saint-Ger-
main; son passage à Paris, à Savigny, à Villeroy^ à Fleury; son arrivée à
Fontainebleau. ^ Scènes avec le Roi et la Reine. — La poterie de Fontai-
nebleau. — Caractère impressionnable de Henri IV; il blêmit d'aise en
embrassant son fils et le fouette lui-même. — Lit donné par M. de Rosny.
. •— Concini. — Le P. Coton. — Costume d*été. — Goût de plus en plus dé-
veloppé pour la musique. — Le fou du Roi. — Tragédie anglaise repré-
sentée à Fontainebleau. — Statue du Dauphin faite par Guillaume Dupré.
— Le dansear de corde. ■— Portraitau crayon fait par Mallery. — Accès
^ facile des pauvres dans les cours du château. — M. de Favas et sa jambe
de bois. — Scène avec le Roi. — L'épinettc de M. de Saint-Géran. — Envoi
à rinfante d'Espagne. — M. de Rosny et le service d'argent doré. —
Journée de colère et ses suites. — M^ic de Guise. -^ M. de Vendôme in-
dispose le Roi contre le Dauphin. — Singulières conversations. — Conti-
nuation de la colère du Roi. — Ln lit de la Reine. — Le masque de M^p de
Montglat. — Départ de Fontainebleau; passage à Melun, retour à Saint-
60 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Germain. — Arrestation du comte d^Auvergne. — La marquise de Verneuil
et la comtesse de Moret viennent Tune après Tautre à Saint-Germain. »
Arrivée du Roi; souvenir de la scène de Fontainebleau. — Le branle des
navets. — Le Dauphin recommence à bégayer. — Moyens dont ou se sert
liour le Taire obéir. ~ Lutte entre le Roi et son fils. — Le Dauphin valet du
Roi. — Historiette du fils de M. de la Fou. — Le Dauphin quitte les li-
sières. — Remarques sur les antiquités de Rome. — Joujoux de Noël. —
Le mari de la nourrice. — Audience des étals généraux de Normandie. —
Un joujou d'Italie.
Le 2 janvier, vendredi, à Saint-Germain, — Il reçoit la
bourse des jetons du Roi apportée par M. Plassia.
Le 7, mercredi. — Le Roi, le vient voir et se joue à
lui gaiement. On met le Dauphin en si mauvaise humeur
qu il fault de crever à force de crier, et tout fut en si
^ grande confusion jusques à six heures que je n'eus point
le courage de remarquer ce qu'il fit, sinon qu'il vouloit
battre tout le monde, criant à outrance; fouetté long-
temps après.
Le 8, jeudi. — Il va voir le Roi à dix heures et demie
et va à la chambre de la Reine; à douze heures et demie
dîné avec la Reine.
Le 9, vendredi, — A onze heures mené au Hoi; dîné
à deux heures (1) debout sur un placet (2). Le Roi l'en-
voyé quérir en la chambre de la Reine pour voirM™°de
Montpensier.
Le 10, samedi. — Mené au Roi en son cabinet; soupe
à six heures avec le Roi.
Le 11, dimanche. — A douze heures et demie mené
en la chambre du Roi ; dîné avec le Roi et la Reine. A
deux heures le Roi et la Reine s'en vont. Le Dauphin
n'est plus. couché les après-dlnées.
Le 12, lundi. — Le Dauphin bégaye en parlant (3) ; pn
remarque que ce a été depuis deux jours auparavant^
(1) On remarquera Tirrégularité de cette heure du dtner, qui est la veille à
midi et demi et plus haut à onze heures.
(2) Sorte de tabouret.
(3) Ce bégayement eut des suites; Héroard en par}e à di (Té rentes reprises.
JANVIER i604. 61
quand le Roi, couché dans le lit, prenoit plaisir à le
faire railler avec le petit Frontenac, qui bégayoit. Il se
fâche quand il ne peut prononcer prompteraent.
Le 14, mercredi, à Saint-Germain. — A une heure et
demie arrive Juan Hieronimo de Taxis, ambassadeur du
roi d'Espagne qui vient prendre congé de M. le Dauphin.
A cinq heures le Roi arrive, revenant de lâchasse ; il jette
ses bras au col du Roi. A six heures et un quart, soupe
avec le Roi ; à sept et demie, en sa chambre, il chante la
chanson qu'çn lui avoit apprise :
La Clavelle (1) a deux laquais
Qui savent porter poulets
Aux dames et aux damoiselles.
Hélas ! le pauvre La Clavelle
La Clavelle et Engoulevent (2).
Le 15, jeudi. — Le Roi le vient voir; il l'accole; le.
Roi part pour aller à la chasse à Versailles (3).
Le 27, mardi. — Le Roi arrive à une heure , il accole
le Roi , est porté au cabinet de la Reine, où le Roi dine.
A six heures et demie soupe avec le Roi.
Le 28, mercredi. — A trois heures et demie mené à
la chambre du Roi 5 à six heures et demie soupe avec le
Roi.
Le 29, jeddi. — A onze heures et demie mené au Roi
revenant de la chasse; dîné avec le Roi; il donne la
serviette au Roi, qui s'en va à la chasse à une heure et
demie. .
. (1) Seci'élaire deSiiUy, dont parle Tallemant des Réuiix dans ses HislorielteSf
tome r'% pages lie et 124, de l'édition donnée par M. Paulin Paris. Voy, le
Journal d'JIéroard, ixa 2 i i\éceuibre 1609. "*
- (2) Nicolas joubert, sieur d'Engoulevent , prince des^sols. Voy. sur ce far-
ceur riutrodiiction de M. Edouard Fournier aux chansons de Gaultier
Garguilte, Paris, Jannet, 18ôS, pages ixxix à Ixxxv.
(3} La terre et seigneurie de Versailles appartenait alors à Henri de Gondi,
évéque de Paris, (ils d'Albert de Gondi, maréchal de Rolz, qui Tavait ache-
tée en 1573 des cnlants mineurs de Martial de Lom^nie.
62 JOURNAL DE JEAN HÉROARÎ).
Le 30 janvier, vendredi. — Le Roi s*en retourne à'
Paris. Le Dauphin ne veut point dire adieu à Alexandre
Monsieur, qui part pour aller- à Paris recevoir la croix (1)
le dimanche ensuivant.
Le 3 février, mardi, à Saint-Germain. — Le Dauphin
âvoit pour violon et joueur de mandore Bolleau^ et
pour joueur de luth Florent Hindret, d'Orléans, pour
l'endormir.
Lek, mercredi. — M. de Beauclérc, premier secrétaire
du Dauphin , lui porte de la part du Roi , avec lettre ,
une croix du Saint-Esprit, premier présent que le Roi
lui a fait; la croix tenue par un dauphin émaillé de
bleu.
Le 9, lundi. — A six heures la Reine arrive: le Dau-
phin, porté au cabinet de la Reine , refuse (Je l'accoler;
.il le fait par crainte.
Le 10, mardi. — A onze heures le Roi arrive, qui
avQÎt couché à Meudon ; le Dauphin est porté en sa
chambre, et dîne avec le Roi.
Zc 11, mercredi. — Il va à la chambre du Roi, ta-r
bourin battant; le Roi étoit encore au lit. Le Roietla
Reine partent à deux heures pour aller à Paris.
Le 16, lundi. — Il fait tirer le capitaine Richard, qui,
de son arquebuse , tue un pigeon ; il dit : « A dire à
papaï) (Je le dirai à papa ). M. de Hansan (2), oyant cela,
dit que dorénavant il ne falloit rien faire devant lui et
qu'il diroit tout, et qu'il écoutoit tout sans faire sem-
blant de rien.
Le 18, mercredi. — A six heures et demie il va voir le
Roi et la Reine veïiant de Paris au château neuf; s'en-
dort dans le carrosse.
«
Le 19, jeudi.. — A deux heures meneau château neuf,
chez le Roi ; il se joue surle lit du Roi ; qui avoit la goutte .
(1) La croix de Malte. Voy, \o Journal de Lcsioile à la date du 1^*' février.
(2) Capitaine aux g.nrdes.
MA.RS 1604. 63
Le ^0 février f vendredi^ à Sainl-Germain. — Mené au
Koi^ il revient à onze: heures et uà qusLrt; mené au dîner
du Roi.
Le 22^ dimanche. — Mené en la chanabre du Roi-; le
Roi le menace du fouet ^ il s^opin'iàlre^ veut aller en sa
chambre; mené en celle de la Reine ^ il continue. Le
Roi commande quHl soit fouetté; il est fouetté par
Al"*^ de Montglat^ au cabinet. Il est apaisé par de la
conserve que la Reine lui donne, mais non autrement,
fiyant voulu battre et égratigner la Reine. Mené à une
Iieure au bâtiment neuf, il est malmené du Roi.
Le 23^ lundi. — Mené à midi au Roi, au b&timent
neuf; il sert le Roi à table.
Le 24, mardi. — Mené au Roi, il le sert à son diner,
fort gentil; il fait les essais sur toutes les viandes; leur
dit adieu lorsque le Roi et la Reine s'en sont retournés
à Paris, fort contents de lui.
Le k marsy jeudis à Saint-Germain. — A onze heures
il veut dîner; le dîner porté il le fait ôter, puis rap-
porter. Fâcheux, fouetté fort bien; apaisé, il crie après
le dîner, et dîne.
Le 5, vendredi. — A onze heures il est fouetté pour ne
vouloir point dîner.
Le 7, dimanche. — Il va à la salle du Roi, voir danser
le ballet.
Le 18, jeudi. — La Reine arrive de Paris , on le lui
dit ; il va à la chambre de la Reine, Tembrasse, la salue.
Le 19, vendredi. — Parti avec la Reine, à onze heures,
pour aller trouver le Roi, qui dlnoit à Laumosne, près
de Maubuisson. Étant près de la Muette, il veut aller en
«
sa chambre ; la Reine lui montre la Muette, disant que
c'étoit Saint-Germain; ilrépond : Non pas, faut tourner
carrosse pour aller à Saint-Germain. La Reine le renvoie;
il arrive à Saint-Germain à douze heures , est porté fort
criant en sa. chambre et fouetté longtemps. Le Roi ar-
rive, venant de Merlou, à trois heures.
64 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 20 mars y samedi j à Sainl-Germaîn. — Il voit le jeune
Du Monstier, peintre {1),et lui dit : Èquivé [écrivez). Je
lui dis : c< Monsieur, il veut écrire voire visage, votre nez,
vos yeux. » 11 lui dit : Èquivé-moi; lui soutient douce-
ment le portefeuille, et a peur de l'empêcher. 11 va à la
chambre du Koi^ qui étoit couché; ramené à dh heures
et demie , diné ; il se laisse peindre. Mené au dîner du
Roi et de la Reine , il sert le Roi, fait Tessai des viandes
et du breuvage dans le couvercle de verre. A cinq heures
soupe; il sert le Roi à souper, à l'accoutumée.
Le 21, dimanche. — Mené au dîner du Roi, il le sert à
l'accoutumée. A une heure lé Roi part pour retourner à
Paris; à deux heures la Reine pat*t. Il s'amuse à ses
échecs d'argent, pendant que le jeune Du Monstier tire
son crayon.
Le 28, dimanche. — Il jure sa foi, je Ten reprends,
lui disant : a Monsieur, vous jurez votre foi. » Il s'en
prend à pleurer, s'en met en colère, s'en va à M™* de
Montglat, et iie lui veut jamais dire pourquoi il étoit
fâché.
Le 8 avril, jeudi, à Saint-Germain. — - A onze heures
dîné; fantasque, crie, pleure; un coup de verge sur la
main, colère, s'apaise.
Ze 21 y mercredi. — En se promenant par la chambre, il
s'arrête court, voyant M. delà Valette sans manteau, se
chauffant dans la balustre, les mains derrière le dos, et
lui dit : Ho 1 la Valette, vous chauffez comme moiy êtes vous
le Roi? ôlez de là, allez-vous-en. Peu après M"^ Bélier, sa
remueuse, en l'entretenant lui dit : « Monsieur, quand
vous serez grand on vous fera un haut de chausses où il
y aura une belle petite brayelte, mII répond soudain : Fi!
bragueltey c est pour les Suisses. A deux heures trois quarts
goûté debout, car il faut noter que depuis le matin^ qu'il
(1) Qui se pi*éparait à Taire son portrait aux trois crayon^^; ce>t sans
doute Daniel Dumon<lier.
MAI 1G0>9. 65
étoit levé jusques à ce qu'il s'endormoit pour èlre couché^
il ne s'asseyoit qu'à dîner et à souper.
Le^Sy vendredi, à Saint-Germain, — Promené à Vésinet.
Le 24, samedi. — Il se réjouit d'une robe neuve, la
montre à chacun..
Le 27, mardi. — A sept heures déjeuné , fort gai, con-
trefait souvent l'ivrogne. A onze heures dîné ; il lui. prend
humeur à contredire et de crier ; fouetté.
Le 29, jeudi. — Éveillé à sept heures et demie, levé,
déjeuné, colère mal à propos, fouetté très- bien.
Le k mai y mardi, à Saint-Germain. — Éveillé à sept
heures et demie , levé, il se met en mauvaise humeur,
crie, fouetté, crie plus fort, apaisé.
Lely vendredi. — A quatre heures et demie mis dans
la litière de la Heine pour essayer; mené jusques auprès
de la Muette (1), en revenant il veut entrer en carrosse.
Le 8, samedi. — Éveillé à six heures, il demande son
déjeuner, en mauvaise humeur, chasse tous ceux qu'il
voit. Levé, hoignard; à huit heures et demie déjeuné;
opiniâtre, fouetté, se dépite, apaisé. A onze heures dîné.
A trois heures il passe le bac au Pecq; mené à Croissy,
goûté à Croissy, gai, il demande où est la cuisine. Remis
en litière, il s'endort, arrive au château à cinq heures et
demie.
Le H, mardi. — A dix heures le Roi arrive, il lui fait
bonne chère; dîné à onze heures trois quarts avec le
Roi. A quatre heures le Roi s'en retourne; il l'accole,
il lui baise la main.
Le 12, mercredi. — Mené à Poissy ; le curé vient au-
devant de lui avec la croix et la bannière. Il est reçu par
M™* de Retz, abbesse, à l'entrée de la maison de l'abbaye.
Le 13, jeudi. — Levé à huit heures, il entre en mau-
vaise humeur, crie, est fouetté, porte la main au fesse-
ment, disant : Chatouillez-moi ^ chalouilleZ'moiy crie par
(1) Dans le bois de Boulogne.
néROARD. «» T. I.
66 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
dëpit^ apaisé. A trois heures il entre en carrosse^ est mené
à Forqueux.
hè Iff samediy à Saint^Germain^"*- A sept heures levé,
déjeuna, J'aivois nommé potage son' bouillôn> il me dit :
Je pense vous rêvez , c'est pas du potage. A deux heures
goù,té; il se cache en mon étude, m'appelle : Moucheu
Heoua, je sms en vote petite chambré II ne brouilloit ja-
mais rien là où ilalloit; s'il y a quelque désordre, il le
fait remettre.
Le 17, lundis -—Dîné, mené à la^salle du bal, il
{^opiniâtre /est fouetté.
£« 20, jeudi, -r^ Mené au palemaii, ramené àonze heures
pour dîner, il n'en veut point; fort crié, fouetté très-bien
coup sur coup, par deux fois, ne se rend point, enfia dîné.
, £e 23, dimanche^.T- A, huit heures levé , bon visage ,
gai> vêtu; il avale (1) ses bas de chausses di^^nt: Voyez la
belle jambe. W^'^ de Ventelet lui hausse le bas et Fattachoit
d'un rubstn bleu à. son cotillon ; il voit que le ruban
tournoit un peu sur le derrière, il se prend à dire en
souriant : Uol ho l je pense vous voule:^ fài mon eu che-
valier, puis le voyant encore plus en arrière : Hoî hoi
mon eu est chevalier. A neuf heures et demie déjeuné sur
la fenêtre du préau ; il voit des hommes qui passent, leur
crie : BonjoUy Messieurs, je m'en vais boire à vous. A six
heures il voit en passaat le petit Canada (2) à la fenêtre,
malade, il lui fait porter de son potage.
. Le 24, lundi, r— M. de Rosny le vient voir, il lui baille
froidement la main à baiser, joue au palemail à là salle
(1) 11 met. . . .
(2) C'était sans doute un jeune sauvage d'Amérique ; il avait été tenu sur
les fonts de baptême, le 9 mai précédent, par Alexandre, clievalier de Vendôme,
et sa sœur; il mourut le mois suivant. Le 15 novembre 1605, le'DaupIn'n se
ressouvient, à. propos d'objets rapportés du Canada par M. de Monts, « du
petit Canada mort il y avoit dix-sept mois, le jour de la Fête-Dieu, de sa
favori de pTonôiicér, de la couleur de son habit bleu, de la forme de son
bonnet, rond comme celui du feu Roi. »
JUIN 1604. 67
du bal. M. de Kosny lui veut baiser la main et s^en aller^
il la refuse et ne le veut accoler; M. de Rosny s'en va,
il est marri de Tavoir refusé, le dit à M"*^ de Montglat, lui
donne la main.
Le 26 mai, mercredi^ à Saint-Germain. — Il ne veut
point saluer H. de la Chevalerie qui lui apporte un petit
carrosse plein de poupées; il y avoit une lettre de M, de
Rosny; il tend la main /et pour la lettre, dit : Je la jette-
rai par la fenêtre.
Le ^Ij jeudi. — A une heure, dans la tourelle de la
chambre du Roi, il écrit, pour du sucre rosat, une lettre
au Roi . Je luitiens la main ; il se fâcboit sur la fin, disant :
Ua pume est to pesante. Il nommoit tous les mots après
moi, qui lui conduisois la main :
Papa ie say ben equiué non pa enco lise. Moueheu de Oni m'a
aouoiéufi home aiué et un beau ôaoche ou é ma maitesse Tinfante ,
é une belle poupée a theu tbeu. I m'a pomi un beau gan li pou couebé,
iene sui pu petl anfan, iay ben cbau dan mon bechau, iay beu a vote
santé papa é a maman. Ma pume est fp pesante, ie ne pu! pu équiué,
îe, vous baise te bumbemah lé main papa é a ma bone maman é sui
papa vote te bumbe é te obéîssan fi é cheuiteu. Daufiin (1).
Le 31, lundi. — Levé contre son gré par M™* de Mont-
glat; il tenoit des verges, lui en donne un bon coup sur
ie visage, ne veut point de M""® de Moniglat, s'y opiniâtre,
en est fouetté. Il envoie à dîner à Canada.
Le i" juin y mardi ^ à Saint-Germain. — Il se fait pro-
mener dans son petit carrosse du comté de Permission (2).
(1) Papa, je sais bien écrire, mais pas encore lire. M. de Rosny m*a envoyé
un homme armé et un beau carrosse où est ma maltresse Tlnfante, et une
belle poupée à ma sœur. Il m'a promis un beau grand lit pour eouclier;
je ne suis plus pelit e.nfant ; j*ai bien chaud dans mon berceau. J'ai bu à votre
santé, papa, et à maman. Ma plume est Tort pesante; je ne puis plus écrire.
Je voiis baise très-humblement les mains, papa et à ma bonne maman, et suis,
papa, votre très-bumble et très*obéissanl (ils «t-serviteur.
(2) C'était, dit Lesloile, n un fol couraut les rues, qui se faisoit nommer
le comte de Permission... Le métier de ce fol éloit d'être charron, et mon-
toiten Savoie rartillerie du duc, où on disoit quMl se çonnoissoit fort bien. »
(Journal de Henri /K, tome r*^, 2^ partie, p. 366, éd. Micliaud et Poujoulat.)
5.
es JOURNAL DE JEAN HÉROAllD.
Le 3, jeudi y à Saint-Germain. — Éveillé à sept heures,
levé; il prend sa chemise par jalousie de Labarge, page
de M"*' de Montglat. Il frappe à coups de pied M. le Cheva-
lier et M"' de Vendôme. Amusé, promené, il est toujours
avec les soldats, fait mettre le feu à un pétard. Il fait fouet-
ter Labarge, fait mettre le petit Frontenac à genoux, le
fouette, lui fait baiser les verges, lui pardonne.
Le 4, vendredi. — Levé à neuf heures ; le Roi arrive;
fort gentil, l'embrasse, entre en colère de ce que le Roi
avoit baisé un peu serré M.' le Chevalier, en fait le dépité;
diverti, fait bonnne chère au Roi. M. le Prince lui donne,
sa chemise. Déjeuné,, il va à la messe avec le Roi en la
chapelle, veut faire ôter le Roi de sa place, s'y efforce,
et dit : // est en ma place^ ôtez-vous de là. Le Roi s'ôte et
laisse son chapeau : Otez le chapeau; il futôlé. Mené par-
tout avec le Roi. A onze heures diné avec le Roi. La
Reine arrive à midi; il la sert, se joue à elle. M"® de Ven-
dôme baise la main de la Reine ; il s'en fâche , y court
pour la frapper, frappe la Reine. A trois heures goûté en
sa chambre, mené promener, il dit adieu au Roi et à la
Reine; à six heures soupe, il fait exercice de guerre; à
huit heures s'endort.
Le 5, samedi. — A huit heures et demie déjeuné; mené
au Roi, il va jouer au palemail, puis au lever de la Reine.
A dix heures et demie dîné en la salle avec le Roi ; il ne
veut point que M. le Chevalier et M"® de Vendôme pren-
nent dans le plat da Roi. A six heures trois quarts soupe;
mené au Koi, il voit iM. le Chevalier auprès du Roi, s'en
Va à la charge, le fait mettre derrière.
Le 6y dimanche. — A huit heures et demie déjeuné; le
Roi y vient, le voit déjeuner ; il fait le fâcheux, fait taire
Hindret, joueur de luth. Promené au jardin, aux allées,
il voit et regarde le Roi touchant les malades.
Le 8, mardi. — Levé, il ne veut point prendre sa che-
mise, et dit : Pointma chemise^je veux donner premièrement
du lait de ma guilley ; Ton tend la main, il fait comme s'il
JUJJN iG04. 6d
en liroit, et de sa bouche fait : fsssy fssSy nous en donne à
tous, puis se laisse donner sa chemise. Velu, il se joue en
paroles avec Labarge; Labarge lui dit qu*il est Mon-
sieur le Dauphin ; il lui répond : Vous êtes Dauphin de
mede. Meneau palemail, M. de Lorraine avec lui, ramené
chez la Reine ; dîné avec la Reine à midi, a Mon fils,
dit la Reine, où irons nous ?» Il répond : A la chasse. A
trois heures la Reine le met en son carrosse, le mène à
la chasse aux toiles, au bois de Ponchi, près le parc de
Sainte-Gemme. A quatre heures et demie goûté d'une
rôtie à l'accoutumée ; le Roi arrive de courir le cerf, prend
de sa rôtie; il s'en met en colère. Le Roi le pressa trop et
lui jette au visage l'eau dont la rôtie étoit trempée; il
se met à pleurer, et eût été plus malmené sans M. de Lor-
raine. Porté sur un chariot, dans les toiles, il voit passer
devant lui et s'en retourner le sanglier ; le voyant, il re-
marque ses dents et dit : // a de grandes dents.
Le 9, rnercredi. — Mathurine (1) lui demande : « Viens
çà; seras tu aussi ribaud que ton père? » Il répond froi-
dement, y ayant songé : Non. Il va chez la Reine à une
heure et demie ; àdeux heures goûté ; il entreen mauvaise
humeur contre la Reine, il la frappe, elle en rit. On veut
fouetter Labarge s'il ne demande pardon, il le demande.
Madame le veut taiser, il lui fait baiser son pied.
Le 10, jeudi. — M. de Vendôme arrive, se met auprès
de lui, à la main gauche; il le repousse par deux diver-
ses fois de la main, disant ; Allez plus loin. M. de Ven-
dôme, de son mouvement, lui baise le dessus de la main
et à l'impourvù. Ha! dit-il en faisant le fâché, vous bai-
sez ma main, et la frotte contre sa robe. Promené au
jardin, dîné, amené à la Reine, mis en carrosse. A deux
heures goûté, amusé, ramené en la salle du Roi, il fait
sortir un cul-de-jatte qui jouoit du flageolet, disant : Mettez
dehors ; qu'il joue, mais je ne le veux pas voir. Il ne veut
(1) Folle de la Reioe. Voy. la note du 5 décembre 1603.
70 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
point voir Olyvette, folle de feu" M"' de Bar, ne veut
point voir maître Guillaume (1), n'aime point les fols
de celte sorte. Soupe; il fait porter de la gelée au petit
Canada, malade; s'amuse à voir les passants.
Le H, vendredi, à Saint-Germain. — Il se fâche, frappe
M"* de Montglat, fait ôter le bàlon à M. de Courville, gou-
verneur des pages de la chambre. Mené au jardin, on ne le
peut contenter ; on est contraint dePemporter; il crie, crai-
gnant le fouet; outré, un peu fouetté, il égratigne bien
fort M"' de Montglat à la. joue de deux grandes raflades.
Apaisé, xjfïené à la salle (^u Roi ; à onze heures trois quarts
dlué ; fâcheux, il fait ôter Madame de table. Mesuré, il a
trois pieds de long, moins demi-pouce {%)> .
Le 12, samedi. — A neuf heures déjeuné; il va à la
chapelle, voit M. le Chevalier et M"* de Vendôme à ge-
noux sur leurs carreaux ; il se prend à eux, disant : Oiez,
ôtez de là ; priez Dieu à terre; ilssont contraints de les ôter.
Mené chez la Reine, il entre en fâcheuse humeur, veut
que la Reine ôte sa robe, qu'elle ôtesa chaîne. La Reine le
frappe, il lui rend, demande pardon. Il fait le fâcheux,
ne veut point diner; enfin, sur 1^ jalousie de Labarge,
qui feignit vouloir manger le dîner, il dîne à onze heures
et demie. Il prend plaisir aux discours de maître Guil-
laume, les redit. A deux heures et demie goûté; il va en
la chambre de Madame ; M""® de Montglat veut donner la
chemise à Madame; il la prend, la jette à terre en colère.
On la met à Madame, il crie plus fort; fouetté, outré de
colère. Porté au Roi à sept heures et demie, ramené à
huit. ....
Le 13, dimanche. — A neuf heures déjeuné ; uiené
chez le Roi ; le Roi lui veut î^ive prendre en la bouche,
par force, une fraise; il entre en mauvaise humeur, jette
la serviette du Roi par terre ; porjéen la chambre d^.la
(l)Fon dulRoi.
(:i) T'oy. au 3 novembre 1603.
JUIN 1604. 7r
Reine^ fouetté. Mené au dîner du Roi^ il mange tout ce
que le Roi lui donne.
Le Vt>, lundi, — Mené au palemail, il court de loin au
Roi, l'embrasse; le Roi le prend par la main. ^A onze
heures mené en la salle du Roi; dîné; mené au Roi à
deux heures, il se joue en la galerie.
Le 15, mardi» — A neuf heures déjeuné ; peint par le
sieur Martin (1). Mené à la chapelle, H. le Chevalier et
M"*' de Vendôme étoient sur leurs carreaux, il les en fait
ôter. Metié à la Rein^ à trois heures ; le Roi revient de la
chasse; à. trois heures trois quarts, le Roi et la Reine
partent pour aller à Paris.
Le 46, mercredi. — Il se jouoit d'une petite clef attachée
à un cordon; je lui demande. «Monsieur, est-ce la clef
de vos écus? » II. répond : Oui, • — a Et qui les garde ? »
r- Il répond : Mouçheu, deRosny.. A deux heures et demie
goûté ; il vient en ma chambre. Je tenois sur ma table
la liasse de mon journalier pour le montrer à M"**^ de
Panjas, qui étqit avec M™" de Montglat. c< Ce livre. Mon-
sieur, luidis-je, c'est votre histoire pisseuse, y^ U répond :
Non. — c( C'est votre histoire breneuse (2). » Il répond :
Non, — .(( C'est l'histoire de vos armes. » Il répond : Oui.
A huit heures le Roi et la Reine reviennent;, mené vers
LL. MM., il les embrasse, danse, court, va servir. le Roi à
table. Il demande une guihe, le Roi la lui refusie, il s'en
fâche ; le Roi la lui veut donner, il n'en vcvit point, est en
mauvaise humeur , continue voyant que le Roi baisoit
M. le Chevalier. Le Roi se lève de table, le veut baiser, il
(i) Charles Martin, le môme qui avaitdéjà fait son portrait, le 25 février 1603.
(2) On sait que nous avons précisément retranché du Journal d^Héroard
tous les détails dont, on le voit, il est le premier à plaisanter. Voici dans
quels termes Héroard parle de son Journal, dans son livre De V institution
du Prince ; « Je lui fais offre ( au précepteur du Pajiphin) d'un journal d*où
il pourra tirer des conjectures évidentes des complexions et des inclinations
de notre jeune prince, et, si Paffection se pouvoit transporter, je lui en four-
nirois à suffisance et autant que, nul autre;, voire de celle tendre çt cordiale
passion que naturellement les pères ont pour leurs propres enfants. »
73 JOURNAL DE JEAiN HÉROARD.
ne veut pas ; le Roi lui prend la tète et le baise, et se sen-
tant pressé, pour se défendre il rencontre la barbe du
Roi (51c).
Le il, jeudi, — Mené à la messe du Roi, qui le mène
à la procession, ramené à la chapelle pour Técu à l'of-
frande, qu'il ne vouloit point lâcher (1). A onze heures
trois quarts, mené en la salle du Roi; dîné en rêvant et
battant le tambour de la voix, tirant des arquebusades.
Il ne songe point à boire; on lui en présente sans en
demander; il ù'en fait compte, boit par coutume. Amusé
jusques à trois heures , goûté ; mené au palemail au Roi
et à la Reine, il court, joue au palemail, frappe un
coup en lieu plein, vers la chapelle, de quatre vingts
pas, mesurés par le Roi. A six heures et demie soupe;
en mangeant on lui dit : « Monsieur, voici un autre
féfé qui vous vient voir. » Il répond : Enco un auteféfé!
où esl'il M. et M"® de Verneuil arrivent à sept heures
et un quart; il les regarde fixement à l'entrée. On le
met bas (2), il va au devant froidement pour rece-
voir M. de Verneuil, lequel se retire contre celui qui le
tenoit et se retourne, hoignant, ne voulant point voir et
approcher M. le Dauphin, qui suivoit froidement, sans
s'émouvoir, pour le caresser. M. de Verneuil résiste à
l'accoutumée; cependant M. le Dauphin se retourne,
baise et accole par deux fois M^'* de Verneuil. Voyant que
M. de Verneuil ne se vouloit point laisser accoler ni ap-
procher, il retourne, court vers sa table et achève- de
manger. Il regardoit M. de Verneuil, tenant la tête bais-
sée sur le côté droit et appuyé sur le bras de la chaise,
du coude du même côté. Mené au Roi en la cour, le Roi
le mène au jardin ; tous ses enfants y étoient (3).
' (1) Héroard a noté en marge ce passage, comme une première indication
de Tamour du Dauphin pour l*argent.
(ï) C'est-à-dire qu'on le descend de la chaise sur laquelle il était assis à table.
(3) Les enfants de Henri IV étaient alors au nombre de sept : le Dauphin
et sa sœur, nommée Madame, César, duc de Vendôme, Alexandre, nommé
JUUN 1604. 78
Le 18, vendredi, à Saint-Germain. — Mené à la Reine,
M. de Verneuilavec lui ; la Reine leur fait bonne chère.
A trois heures et un quart goûté ; il donne des confitures
à H. de Yerneuil.
Le 19 , samedi. — Il se joue à un petit canon qu'il dit
lui avoir été donné parle sieur Constance, écuyer du Roi,
 onze heures et demie diné; il pousse son écuelle de
cerises, et dit : Velà pou le petit Canada, qui étoit décédé
le jour précédent. Acinq.heures et demie mené au jardin,
il se fait mettre dans le petit chariot vert avec M""' de
Montglat, et à son côté M. de Verneuil, disant : Mêliez,
mettez-le /à, après que M. de Verneuil lui eut demandé :
a Mon maître, vous plalt-il que je sois là? » Mené au Roi
et à la Reine revenant de la chasse.
Le 20, dimanche. — M. de Vendôme entre en sa cham-
bre fort accompagné; il y avoit entre lesautres un gentil-
homme de Normandie, nommé le sieur de la Valée, qui se
mèloit de prédire par horoscopes et nativités. 11 s'adresse à
lui parmi la troupe : Allez vous-en, et le presse si fort
qu'il fallut sortir. A dix heures et demie porté au Roi en la
chapelle; on lui demande : « Monsieur, qui est le papa de
féfé Verneuil? m 11 répond un mot controuvé, de son in-
vention, comme quand il ne vouloit pas dire quelque
chose, a Monsieur, lui dit-on, il est le fils du Roi. » Il
répond court et soudain : Cest moi, se montrant et ayant
la main sur sa poitrine.
Le 21, lundi, — Mené à la chapelle ; le Roi lui jette
de l'eau bénite au visage; il s'en met en colère, ne veut
que personne sorte, fait fermer les portes. A deux heures
et demie goûté ; il s'amuse aux exercices de guerre. La
Reine arrive, il se met en mauvaise humeur, ne veiît
point baiser la Reine, la veut frapper. L'on feint de
M. le Chevalier^ et M^i^ de Vendôme, nés tous trois de Gabrielle d^£$trées ;
Henri, duc de Verneuil, et Gabrielle* Angélique, nommée M^e de Verneuil, en-
fanta du roi et de la marquise de Verneuil.
74 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
fouetter Labarge comme faisant la faute ; il s'apaise et
fouette lui-même Labarge. A $ix heures soupe ; sa nour-
rièe lui demande s'il Veut teter, et lui présente le teton>
il lui tourne le dos^ lui disant froidement iJFaites Mer
mon eu. .'.,..
Le 22, mardi, — Il entre, en mauvaise humeur, contre
H'"^ de Montglat, en fait autant à M. Concino, puis f^it la
paix moyennant un petit carrosse et mu^ qharrat^e poqr
Labarge. Il va au jeu de paume, dopne le hQnjour au
Roi, se joue, et ritavec M. deMontiguy, enseigne cplo-?
nelle aux gardes, qui avoit un grand nez , rappelant
Janica, pour Nasica. (1)
Le 23, mercredi. — Promené par la galerie; il donne
le bonjour au Roi, qui* étoit en carrosse à cause de la
pluie. Il donne un soufflet à la petite Louise, parce qu'il
ne vouloit pas qu'elle tint par la main M'*^ de Verneuil ;
elle s'en va, il la suit pour la faire revenir, ne veut point
que Labarge y aille, et l'ayant attrapée : VeneZy %)eneZy
pelile Louise, je ne vous battai pus.
Le 24, jeudi. — Mené au Roi, qui le mène à la.Reine ; il
obtient grâce pour des chats que l'on vouloit mettre au
bûcher de la Saint-Jean. Mené au Roi et à la Reine vil est
gentil et le Roi lui est fort doux. Il s'amuse avec ses petits
seigneurs à des actions de guerre ; la Reine arrive, il se
met en colère contre elle, craignant que ce înt pour lui
empêcher son plaisir. La Reine le menace du fouet, la
colère augmente; le Roi l'apaise. Le Roi etla Reine pjar-
tent à trois heures. . .\
Le 27, dimanche. — Il fait ôter de derri^i^e lui M. de
la Valette, qui lui lenoit sa lisière ; arrive un habitant dç
de Rouen, âgé de cinquante-cinq ans, qui se met âge*
noux, la larme à Toeil, disapt le cantique de Siméon.
Le 28, lundi. — ' M"° de Vendôme pour se jouer avec
le Dauphin, comme ellefaisoit bien souvent, lui porte son
^- — ' ■ - Il I I , ^ . - — ^
(1) Voy. au 8 septembre suivant.
JUILLET 1604. 75
doigt au visage; il s'élance en colère sur ellç commç
un lion et lui arrache le masque du visage. Il met le feu
au bûcher de Saint- Pierre.
Le 29 juin, mardis à Saint-Germain, — Il fait de petites
actions militaires avec ses soldats ; M. de JMansan lui met
le hausse-col, le premier qu'il aitmis ; il en est ravi, se fait
voira tous ses soldats. Il goûte avec son hausse-col, s'en-
Iretient avec tous ses soldat^ comme s'il étoit en pleine
guerre.
Le 30, mercredi, — Il demande son hausse-col et
toutes ses armes, les prend, les considère, s'en joue, en
est ravi, met ses gantelets en mains, en gourme Labarge.
Il ne peut laisser les armes. M™*" de Vitry àppeloit M. de
Verneuil son maître ; il l'entend , et dit .: Non , c'est moi.
Le 2 juillet, vendredi, à Saint-Germain. — M™^ sa nour-
rice demande à M. de Verneuil ce qu'il avoit mangé à
souper, il répond : a Du poulet, de la panade, etc. » Elle
demande après à H, le Dauphin : « Et vous, petit bout de
nez, petit galant, qu'avez- vous mangé à souper? » Il ré-
pond en souriant, comme gaussant ; Delamede.
Le 3, samedi. — Il se fait mettre dans le chariot du
comte de Permission , fait asseoir M. de Verneuil sur le
devant , se fait traîner.
Le 4, dimanche. — Mené à dix heures à la chapelle^ il
entre en colère contre M, l'aumônier, est fouetté; la co-
lère lui augmente, il en est diverti par Labarge, qui sonne
les cloches. Le baron d'Ornh, gentilhomme anglois, fils
du grand fauconnier d'Angleterre , vient avec le sieur
del'Isle, gentilhomme anglois, lequel, par transport, sou^
leva et baisa à l'oreille M. le Dauphin par permission ;
mais il avoit à demi fait quand il la demanda.
Le 5, lundi. — Promené en la basse-cour, où il donne
l'aumône à des pauvres.
Le 6, mardi. — M™° la marquise arrive en la salle du
Roi, trouve M. le Dauphin, qui lui donne la main à bai-
ser ;M'"^ de Verneuil se veut jouer à lui, et lui prend ses
76 JOURNAL DE Ji:Ai>i HÉROARD.
tetons; il la repousse et lai dit: 0/ez, ôleZy laissezcela; allez-
vous-en.
Le 7, mercredi. — Botté pour la première fois par
M. de Ventelet, il en est ravi^ montre ses bottes à chacun,
dit qu'il va à Paris, demande son cheval. Le capitaine
Polet, gentilhomme gascon , revenant de Hongrie, lui
baise les mains. Le Dauphin ne veut point baiser M*°* la
marquise de Verneuil, ne veut point approcher M"*^ la
marquise, la frappe de son palemiail. Il se fait mettre son
hausse-col, prend sa pique, la branle contre M. de Bel-
mont, se fait mettre son épée, s'efforce de la tirer ( elle
étoit bridée ). M"® la marquise lui dit : a Monsieur,
je vous la tirerai, et permettez que mon fils prenne votre
pique, le voulez-vous bien ? » Elle la met hors du four-
reau; illa tient haut, élevée, pour un peu de temps. M. de
Belmont la prend de ses mains, la remet dans son four-
reau et la bride, feignant de la lui vouloir racoustrer. Il
ne veut jamais permettre que la marquise lui touche
les tétons; sa nourrice Tavoit instruit, disant : a Mon-
sieur, ne laissez point toucher vos tétons à personne, ne
votre guillery, on la vous couperoit. » Il s'en ressou-
venoit.
Le Sy jeudi. — M. de Lorraine (1)', qui le venoit voir
avec MM. de Bar (2) et de Vaudemont (3), arrive; il va à
lui le chapeau au poing, lui tend la main à baiser et à
MM. ses enfants, se fait mettre Tépée que le duc de Lor-
raine lui donne. M"® la marquise de Verneuil, qui étoit
revenue de Poissy à une heure, vient à deux heures; il
ne tend point la main. Elle essaye tous les moyens ,
point; M"*' de Montglatlui fait donner, mais avec peu de
volonté, et lui fit dire : Àdieu^ madame, j'aimerai bien
vote fils, mon féfé. Elle répondit : a Et il sera votre
(1) Charles H, dit le Grand, duc de Lorraine, mort en 1608.
(2) Henri de Lorraine, duc de Bar, puis de Lorraine, mort en 1624.
(3) François, comte de Vaudemont, puis duc de Lorraine, mort en 1670.
JUILLET IG04. 77
serviteur. » A quaire heures, le due de Lorraine prend
congé de lui.
Le 10, samedi, à Saint-Germain. — Il ordonne en pa-
roles comme s'il avoit déjà commandement, et dispose
de l'ordre et devoir des soldats, sait les noms et pro-
priétés de toutes les armes. Il tire des armes, fait ôter le
plastron à M. de la Valette.
Le 12, lundi. — Il fait venir une épousée de village,
considère les danseurs.
Le 14, mercredi. — Éveillé à sept heures trois quarts,
il s'entretient tout seul, bat tout bas en soi-même la bat-
terie des lansquenets, bat du tambour contre sa poitrine
aveclepoing.Çà, dit-il, vmczsoiirfa, en fait aulantfaire par
M"* Beraud, lui dit : Marchez, en garde, demande son cor-
selet, disant : Tai astheure une grande chambre, et un grand
corcelel; il est là-haut à ma garde-robe. Il en fut impatient
tant qu'il l'eût; il se laisse vêtir et coiffer patiemment,
sous l'espérance d'un casque qu'il voyoit devant lui ; il
le fait essayer, il étoit trop étroit. M. de Belmont lui
met son hausse-col; M. de Ventelet tenoit le derrière du
corcelet ; M. de Belmont lui met le derrière , qu'il em-
poigne lui-même et le serre comme sauroit faire le
plus accoutumé à porter cuirasse, a la patience, et sou-
dain qu'il est armé demande : Ma pique, et se prend à
marcher parmi la chambre , si gaiement et si à son aise
qu'il sembloit n'avoir rien sur les épaules. Jamais ne
fut vu pareille chose en cet âg^ : la patience, l'adresse
et la facilité à porter et manier les armes. Il se prend
à tirer et branler des coups de pique contre Labarge^
et sur la balustre, comme à la barrière; il va, il vient, il
ne dit mot, transporté d'aise. L'on lui porte un grand
miroir, il se voit dedans, et tout soudain se fait désarmer.
Il joue, raille sûr Marguerite Valon, descend chez
MM. d'Epernon, s'amuse à un hvrede figures, en voit une
où il y avoit un hallebardier qui en détachoitun autre,
lui avaloit les chausses , et lui mettoit le doigt dans le
78 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
fondement. Hêy dit-il, Velà Fanchemont (Franchemont ,
un hallebardier du corps, qui étoit en quartier) qui met
le doigt au eu du capitaine Richard. A trois heures,
comme il a entendu battre la garde, il a demandé sou-
dain : Je veux mes armes , mon corcelety mon casque ^ mon
hausse-coUy se fait armer, et là-dessus les soldats vien-
nent pour entrer en garde. Il se fait désarmer et com-
mande au baron de Hontglat de porter ses armes au
corps de garde, au sieur de Saint-Martin, pour les met-
tre au râtelier et les bien attacher. Elles y furent mises,
les armes entières, depuis le casque jusques aux pieds;
il les alloit montrant à ceux qui entroient en la salle;
il mêles montra par la fenêtre, médit : Voyez, mes armes
qui sont au corps de garde , et me commanda de ré-
crire.
Le 16, vendredi, à Saint-Germain. -^ M"®de Montglat,
par mégarde, lui tournoit le dos ; il lui a dit : Il faut pas
tourner le eu à moucheu le Dauphin.
Le 19, lundi. — Il voit dresser son lit avec une ex-
trême allégresse , est mis dans son lit pour la première
fois (1).
Le 24, samedi. — Étant à la messe. M"* Bélier lui donne
une image d'un crucifix, lui disant que c' étoit le bon Dieu.
M. l'aumônier élevant l'hostie, elle lui dit : a Monsieur,
regardez le bon Dieu. » Il répond : Cest encore le bon
DiVu? L'aumônier élevant le calice , elle lui en dit autant;
il répond : Cest le bon Dieu^ en montrant sa figure, et là?
ajoute-t-il en montrant le calice, ce Cela, dit-elle, est le
isang du bon Dieu »; il répond : Buvons-nous du sang?
Le 27, mardi. — Il s'arme pour aller au devant de
M. de Rosny avec sa pique.
Le 28, mercredi, — Éveillé à sept heures, il se met en
mauvaise humeur, égratigne M"^^ de Montgiat, est fouetté.
(1) Le Daiiphia avait été jusqu'alors couché dans un berceau.
AOUT 1604. 79
Labarge lui demande : d Monsieur, vous plalt-il que je
mette Marguerite en prison ? » Il répond : N&n. — « Pour-
quoi, Monsieur?» — Vous êtes pas de mes archers de mes
gardes! — « Que suis-je donc? » — Arckér de m<i garde-
robe.
Le 31 juillet, samedi. — Il va chez M . de Frontenac, qui
lui baille utle petite érqUebuse et un petit fourniment,
qu'il fait mettre sur soi, et s^en transporte d'aise.
Le 4 août , mercredi. — M. de Montglat lui demande :
« Monsieur, me ' donnez- vous rien â souper ? » 11 ré-
pond V Mon reste. — a Monsieur, voilà maman don-
don (1), qui à un cul de ménage où il y à boire et à
manger. » Il i^épond : Et moi aussi.
'^jLc^5, jeudi, à Saint-Germain. — A huit heures et demie
dévêtu ; M"® de Vendôme lui demande : a Monsieur, cou-
cherai-je avec vous?». 11 répand brusquement : Ho! ho!
vous n- êtes pas r Infante. Mis au lit. M"® de ...(2).. ..lui en
demande autant : « Monsieur, vous plalt-il que je couche
là avec vous? » Il répond résolument : Êtes-vous l'in-
fantel — « Oui, monsieur, » dit-elle. Il répond : Non,
vous n'êtes pas V Infante.
Le 6, vendredi. — Il se joue dans son lit à ses petites
ai^m^y chante une cbaiiSQn qu'il avoit ouï chanter :
A Paris, su petit pont, le poil du... (3) s'étant failH
pour ,^àiçe le çoii rfu jpo»(. .Levé à, neuf he.tjres et demie,
déjeuné, il maoge assise ayantde vaut lui ses petites beso-
gnes d'armes, pendant que le sieur Decourt, peintre du
Roi, en tire le crayon. A, ^euf heures et un quart dé-
Yé;tu, il chante ; Le^jcoil^^du pont, lepiont du coil, et se faut,
disant.: 7e |)6t7 du... ; Ton en rit.
Le 10, mardi. — On parjoit de deux Espagnols qui
avoient tué une femme à Paris; il écoutoit, et soudain
(1) Sa nourrice,
.(2) Ce nom' est Veste en blanc.
(3) Ici et plus loin, une équivoque à la Rabelais.
80 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
va dire ; // faut que le capitaine Richard les prenne , il
les fera fouetter et puis pendre (1).
Le i^y jeudi. — Éveillé àhuilheures, il appelle M"* Be-
thouzay,etlui dit : Zezai, ma guillery fait le pont levis; le
velà levé, levelà baissé; c'est qu'il la levoitet la baissoit.
Il vient en ma chambre à quatre heures, s'amuse au
livre des oiseaux de Gcsner (2), en mangeant un gros mor-
ceau de pain de Gonesse, que sa nourrice lui avoit donné.
11 s'amuse au plan du siège d'Ostende, s'informe de
toutes les particularités du siège, tant du dedans que du
dehors (3). Il s'en va par le pont du Roi au palemail
à cinq heures et demie, va jusques au bout, jouant la
plupart du temps au palemail ; il frappe un coup de
septante-six pas. Quand il avoit mal frappé ildisoit : Xai
pas bien joué; si on lui vouloit dire le contraire, il s'en
fâchoit, et disoit : Non, je n'aipas bien joué, « Monsieur, lui
dis-je, vous n'avez plus de guillery. » — Ehl lavela-tipas?
dit-il en me montrant l'endroit ; il meltoit contre le
manche du palemail, et jevonloislui en faire peur.
(1) « Le lundi 2 de ce mois, dit le supplément de Lestoile, se voyoit en
Tabbaye de Saint-Germain des Fiés une belle jeune femme morte et noyée,
âgée de vingt-deux ans ou environ, laquelle ayant été péchée Ters la Gre-
nouillère y avoit été apportée le matin; elle avoit une grosse pierre au coi,
une antre aux jambes, un coup de poignard à la gorge et quelques autres coups.
Cliacun y accouroit pour la voir et reconnottre, tantqu*en(in sur le soir elle
fut reconnue pour une Espagnole, comédienne, accoutrée de cette façon par
deux Espagnols, aussi comédiens, avec lesquels elle avoit dès longtemps privée
et familière connoissancc et auxquels elle s'étoit découverte de quelques ba^
gués et argent qu'elle avoit, ce qui fut cause de sa mort. Les meurtriers enfin
furent pris et, le fait avéré, le jeudi 12 de ce mois, par arrôt de la Cour,con(ir-
nialifde la sentence du baillif de Saiut-Germain , furent lesdits deux Espa-
gnols roués vis-à-vis de la Grenouillère, où ils avoieut noyé leur Espagnole,
lequel meurtre toutes fois il ne fut possible de leur faire confesser qu'à la mort,
et ce, sur la promesse qu^on leur fit quMIs ne seroient point roués vifs comme
portoit.leur arrêt, qui fut exécuté, t»
(2) Conrad Gesner, de Zuricb, auteur de plusieurs ouvrages sur Fliistolre
naturelle et surnommé le Pline de V Allemagne,
(3) La ville d'Ostende était assiégée par les Espagnols depuis 1601 ; Am-
broise Spinola la prit en 1604, le 20 septembre, après trois ans et soixante
dix-bait jours de siège.
AOUT 1604. 81
Le^OyVendredi. — 11 baise un portrait en cire delaReine^
assez mal fait, qu'il reconnut ; il est tiré en cire^ avec sa
nourrice, parle sieur Paolo (1), pour être porté en Italie.
Le 27, vendredi y à Saint-Germain. — M™* la marquise
de Verneuil arrive ; il lui tend la main à baiser, a Mon-
sieur, dit M"" de Montglat, baisez-la.» Il répond : Non^
brusquement, et la regarde de même. A huit heures et
demie, dévêtu, fort gai. « Monsieur, lui dis-je, vous n'avez
plus de guillery » ; il répond : Hél la velà-ti pas, gaie-
ment, la soulevant du doigt. Mis au lit, il s'assied sur son ^
chevet et se joue à sa guillery.
Le 28 , samedi. — A trois heures trois quarts il est
entré en litière pour le voyage de Fontainebleau (2) ; il
en faisoit difficulté, mais lui ayant montré les cordons et
lui ayant dit qu'il feroit le pont-levis , il y est entré gaie-
ment; il va par la levée, passe par Buzenval, et arrive
à Saint-Cloud chez M. de Gondi.
Le 29, dimanche y voyage. — A neuf heures et demie, mis
en litière pour aller à Paris. M. de Rosny, accompagné de
soixante chevaux, lui vient au devant, àChaillot. Entrant
au faubourg Saint-Hônoré, il sent la puanteur du ruis-
seau et dit à M"® de Montglat : Mamanga^ que je sens pas
hon; on lui fait sentir un mouchoir trempé au vinaigre. Il
arrive à la porte Saint-Honoré à onze heures et demie ,
trouve entre les deux portes le prévôt des marchands et
échevins, et autres officiers delà Ville, qui firent une ha-
(1) A la date du 28 octobre 1605 Héroard donne à cet artiste le prénom de
Jean.
(2) Le Boi écrivait à Sully de Fontainebleau le 22 août : « Mon amy,
je TOUS depesche ce courrier exprès pour tous dire que je trouve bon TadTis
que vous m'avés donné par la Vaienne de faire passer mon fils par Paris; et
de là je luy ai commandé de passer jusqu'à madame de Montglat pour Ten
adverlir et luy escris le chemin qu'elle aura à tenir, qui est de venir coucher
demain à Saint-Cloud chez Gondy, dimanche passer à travers de ma ville
de Paris et venir disner à Ville-Juifve et coucher à SaTigny. Je m*asseure que
si cette nouvelle se sçait à Paris, qu'il y aura bien du monde pour le voir
passer. »
BÉROARD. — T. I. 6
82 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
pangiie prononcée par le prévôt des marchands^ M. Mi-
pon, et un chant de joie en musique; ils Tétoient venus
voir à Saint-Cloud. A l'entrée de la ville se trouvèrent
MM. de Nevers, d'Aiguillon, de Sommerive, de Joinville,
accompagnés de sept chevaux; ils mettent pied à terre
avec M. de Longueville, qui l'avoit accompagné depuis
Saint-Cloud, où il étoit venu le jour précédent, et
M"* d'Angoulême aussi. La litière fut découverte
avant que d'entrer sur le pont-levis. Il passe la ville,
tenant en sa main des tablettes, regardant de çà, de
là, en haut, tourne et prête son visage aucunes fois à
ceux qui prenoient plaisir de le voir; bref, il sem-
bloit une personne qui avoit composé sa façon avec juge-
ment pour cette action ; résolu, ferme, grave, doux. Il ne
s'étonne de rien. Il passe de la rue Saint-Honoré en celle
de Saint-Denis, devant la porte de Paris, au pont Notre-
Dame ; et, devant les petites boutiques qui sont devant
Saint-Denis de la Chartre, le mulet de devant tombe
tout à fait, et, se voulant par trois diverses fois relever ne
peut ; se relève aidéà la quatrième. Il faisoit grandchaud ;
sa nourrice étoit dans la litière avec M°® de Mohtglat. Il
ne s'étonna jamais et ne changea jamaisde contenance;
ferme, assuré, sans s'ébranler en marchant, dit : Maman,
fait bien chaud, allons à ma chambre. En entrant dans la
ville, comme le peuple commença dé crier Vive le Roi et
Monsieur le Dauphin, il crioit aussi : Ah l ah l M"* de Mont-
glat lui dit qu'il ne falloit pas crier et que ces gens
prioient Dieu pour papa, pour maman et pour lui; il se
tût. Il sort par la porte Saint-Victor et arrive à une
heure et demie à Villejuif (il est logé chez un apothicaire
de Paris, et y dîne); il bouffonne avec M. Arnauld, tré-
sorier de France à Paris (1). Parti à cinq heures et demie,
il arrive à sept heures et trois quarts à Savigny ; mis sur
le lit à huit heures et demie.
(1) Il était aussi secrétaire de Sally. Foy. au 1*' janyier 1605»
SEPTEIVlfiR£ 1604. 89
Le 30 août y lundi , à Savigny, — Mené à la chapelle,
puis au jardin et aux allées ; parti à quatre heures^ il ar-
rive à six heures et demie à Villeroy .
Le 31, mardi. — Parti à neuf heures (de Villeroy) il ar-
rive à midi à Fleury. Le Roi y vient dîner; 'il le va rece-
voir par le parc. La Reine arrive à douze heures et demie.
Fort gentil, doux, baisé, embrassé, dîné avec la Reine,
mené à la chambre du Roi, qui se met sur son lit; il le
va éveiller, le tire, y envoie MM. de Vendôme et de
Verneuil. A deux heures il demande sa collation; le Roi
lui dit : « Mon fils, donnez- m'en ? » Il répond : Non,
donnez-moi de la vote. La Reine lui demande : « Mon
fils, donnez-moi de votre soucre » (l).Illa reprend, en
souriant et disant : Du soucre ! du sucre. Le Roi et la Reine
partent à quatre heures et demie pour s'en retourner à
Fontainebleau.
Le 1" seplembrcy mercredi. — A huit heures trois quarts,
parti de Fleury et arrivé à Fontainebleau, en la basse-
cour du Cheval (2), à onze heures. En chemin ayant vu
Fontainebleau, un valet de pied de la Reine qui étoit à
côtédelalitièreluidit : «Monsieur, voilàFontainebleau. »
11 répond : Où est-i? — « Le voilà. » — Est-i à moi? —
(( Oui, Monsieur. » — Et ce rouge aussi? en voyant les
briques. Le Roi le reçut, l'attendant au pied du pavillon
du côté de la galerie, l'embrasse, le baise, le mène au
jardin de la Reine, en la galerie des Cerfs. Ramené en la
chambre de la Reine et de là en la grande galerie où il
a, avec le Roi et la Reine, dîné à douze heures etdemie. Le
Roi lui fait tàter un peu de melon, il le mâche et le re-
jette incontinent, disant : Pas bon; bu deux fois des restes
du Roi fort trempé devin blanc, et avant boire il tourne
sa tête vers moi, me demandant : Est4 bon? Mené en sa
chambre au haut du pavillon qui joint la grande ga-
(1) Marie de Médicis prononce à Htalienne.
(a) La cour du ClieTal- Blanc.
6.
84 JOURNAL DE JEAN DÉROARD.
lerie ; à une heure et demie ramené en la galerie ; à trois
heures goûté. Il prend la bourse de M. le comle de Sault
quijouoit, pleine d'écus ; il les épand par terre, court
après la Reine se jouant à elle. A cinq heures et demie
descendu par le bout de la galerie avec le Roi qui le
mène au jardin des canaux, lui montre les truites, les
canes blanches et les cygnes. A sept heures ramené en
sa chambre.
Le 2, jeudi, à Fontainebleau, — Le Roi le mène éveiller
la Reine , puis de là en la cour de la Fontaine, lui fait
voir les jardins et canaux, carpes, leur donne du pain,
canes, cygnes, faisans et l'autruche. A dix heures à la
messe, puis à la volière, aux galeries; dîné à onze heures
et demie. A cinq heures et demie le Roi le mène au jardin
des canaux , puis au jardin des faisans, où il mange un
bon morceau de pain bis, voyant en manger au Roi et à
la Reine; il voit jeter la mangeaille aux oiseaux. Je par-
lois assez bas du serein à M™® de Montglat pour l'en faire
retirer; il l'entend, et soudain va vers Leurs Majestés :
AdieUy MecheUy adieu y MecheUy velà le serein, marna Doun-
doun (1), penez-moi, A six heures trois quarts soupe.
Le 3, vendredi. — Éveillé à sept heures, le Roi se jojae à
lui ; il ne veut pas que Madame danse ni que le Roi la baise;
en est fâché contre le Roi, qui, pour l'apaiser, lui dit :
« Baisez-moi, mon fils, je ne la baiserai plus. » Il sort
avec le Roi, qui le mène à la chambre de la Reine, au
jardin, à la volière ; il ouvre et ferme le robinet des fon-
taines, mouille le Roi. A douze heures et demie mené
chez M. Zamet au Roi et à la Reine, fort gentil jusques à
ce que le Roi se voulut coucher sur le lit vert. Otez-vom
de là, ôtez-vous de là, dit-il, et se met en fâcheuse humeur ;
menacé de verges, il n'en perd pas la fantaisie ; enfin un
quart d'heure après le Roi se met en son séant : Ha! le
velà ôléy dit-il. La Reine s'en prend à rire. — Maman-
(I) C^est ainsi qu'il appelle sa nourrice.
SEPTEMBRE 1004. 8&
ga (1), fouellez maman , elle art. Elle feint de la battre.
— Non y fouettez-la tout à fait.
Le 4, samediy à Fontainebleau. — Il s'amuse en déjeunant
à de petits marmousets de poterie (2). A cinq heures le
Roi arrive de la chasse en la grande galerie ; il s'en va
courant àbras ouverts au-devant du Roi qui blêmit de joie
et d'aise, le baise et l'embrasse longuement, le mène en
son cabinet, le promène le tenant par la main, changeant
de main.selon qu'il tournoit, sans dire mot, écoute M. de
Villeroy rapportant des affaires au Roi , ne peut laisser
le Roi, ne le Roi lui. Ramené en sa chambre; à six heures
soupe. II va en la galerie; LL. MM. étoient à Tissue du
fruit. Le Roi lui donne un peu de carottes sauvages en
compote, puis un peu de reste du vin clairet fort trempé.
A huit heures et demie mis au lit ; le Roi arrive et le
haise , le Roi étant extrêmement content.
Le 5y dimanche. — A huit heures un quart le Roi ar-
rive, qui le veut forcer à le baiser; le voilà entré en si
fâcheuse humeur qu'il en fut fouetté par S. M. Il se dé-
fend, l'égratigne aux mains, le prend à la barbe. M"*® de
Montglat le fouette aussi ; il le fut cinq ou six fois. Le Roi
lui demande (en lui montrant des verges) : « Mon fils, pour
qui est cela? » Il répond en colère : Pou vou8. Le Roi
fut contraint d'en rire ; cela dura plus de trois quarts
d'heure, le Roi l'ayant prins et laissé diverses fois. Le Roi
s'en va. - — Je veux, dit-il, papa; le Roi revient, le baise. A
dix heures leRoietla Reine le mènent à la messe. A quatre
heures et demie goûté; le Roi le mande; il va trouver
le Roi au jardin des canaux, va voir courir le blaireau
dans la cour de la maison.
Le 6, lundi. — Levé, vêtu en présence du Roi, il s'a-
(1) Mme de Montglat.
(2) Il y avait à cette époque, à Fontainebleau, une fabrique de rustiques
figulines où se continuait la tradition de Bernard Palissy et où Ton imitait
même les ouvrages du célèbre potier.
86 JOURNAL DE JEAN HÉROARD. •
muse à manger des raisins de Damas que le Roi lui
donne ; déjeûné en présence du Roi. Mené à la Reine, puis
par la galerie au jardin des pins et des canaux ; il va au-
devant de M. de Rosny, qui^ dit-il, m'a donné mon beau
lit. A onze heures et demie dîné, il se fait mettre son
épée bleue qu'il appelle françoke.
Le 7, mardi, à Fontainebleau, — Madame arrive qui a voit
une robe de même que la sienne, il la renvoie de jalousie ;
mené en la chambre de la Reine^ au jardin des^cerfs^ au
Roi, ilcourt au-devant, ôtant son chapeau, et le va embras-
ser : à dix heures et demie le Roi le mène à la messe. A
midi dîné, ayant lui-même mis son couvert. A une heure
et un quart il va chez la Reine ; en entrant il .rencontre le
sieur Conchino, lui demande : Ou est maman! Entré au
cabinet de la Reine. A trois heures et demie goûté ; il
fait retrousser la barbe à M. de Rosny. A cinq heures pt
demie mené par le Roi au jardin des pins et canaux.
Le 8, mercredi. — A dix heures et demie mené au
Roi et à la Reine, et à la messe. A dîner il voit M. de
Montigny, enseigne -colonelle, que l'on appeloit au ré-
giment Nasica; il le reconnolt, se prend, à sourire
le regardant et montrant du doigt : Velà Nasica;
il y avoit plus de trois mois qu'il ne Tavoit vu (1). A
sept heures et demie la Reine vient en sa chambre,
puis le Roi; il danse.au branle, puis voit danser; à huit
heures trois quarts LL. MM. s'en vont (2).
Le 9, jeudi. — Éveillé à huit heures, il ne se veut
point laisser nettoyer les pieds avec un linge mouillé ; à
neuf heures levé, il raille avec cinq ou six capitaines
aux gardes, les appelle par leurs sobriquets. A huit
heures il va chez la Reine, lui donne le bonsoir, puis
chez le Roi , auquel le voulant mener par la terrasse, il
(1) Voy. au 22 juin précédent.
(2) Henri IV écrivait le même jour à M. de La Force : « Mon fils est ici avec
toute sa suite, qui me donne bien du plaisir. »
Septembre i604. 87
dit : Nesotezpas^papay le serein vous f air oit mal; le Roi le
ramène par la chambre de la Reine en haut^ en la sienne,
le voit coucher^ lui fait dire son Pater. Le Roi le baise et
s'en va.
'■ Le 10, vendredi^ à Fontainebleau. — Il donne le bonjour
à LL. MM., descend aux étuves. Â dîner il se raille à La-
barge, va voir le Roi et la Reine en la grande galerie,
revient à trois heures en sa chambre. A huit heures il va
donner le bonsoir àLL. MM., revientincontinent, dévêtu,
mi$ au lit; le P. Coton lui fait prier Dieu.
Le 11, samedi. — A neuf heures et demie déjeûné;
mené au jardin de la Reine , à la volière , il fait mouiller
le Roi; le Roi le fait mouiller aussi. On lui demande :
«Monsieur, qu'aimez-vous mieux, Saint-Germain ou Fon-
tainebleau? 11 répond : Fontainebleau, etTavoit toujours
dit ainsi. A cinq heures il demande du pain bis de
M. Zamet et en mange un gros morceau, puis va chez le
Roi, qui étoit sur la paillasse , au cabinet. On lui dit :
« Monsieur, papa dort. » Il réplique gravement : Dort-i?
la Reine remarqua sa façon de parler : ce Voyez, dit-elle,
comme il parle ! »
Le 12, dimanche. — Il ne veut point baiser Madame
pource qu'elle étoit morveuse et s'en reculoit en se gaus-
sant. A neuf heures et demie mené chez la Reine et au
Roi, comme il prenoit sa chemise; il Tôte pour la bailler
au Dauphin qui la prend et la lui donne fort gentiment.
A onze heures et demie dîné; MM. et M"*^ de Vendôme
dînent tous trois au bout de sa table des restes qu^il
leur donne. Avant souper il mit M"*' de Montglat en
prison, c'est-à-dire dans un coin de fenêtre, pour ce qu'elle
avoit baisé M. de Vendôme, et fut long-temps à se re-
mettre en bonne humeur.
Le,i3y lundi. — A cinq heures mené par LL. MM. au
jardin des canaux ; il mange beaucoup et de grand ap-
pétit du pain bis; fort gai, il saute devant le Roi par-
dessus un petit bâton mis à terre.
88 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 14, mardiy à Fontainebleau, — Il demande son luth;
je lui dis : (( Monsieur, jouez et chantez Philis. » Il fait
jouer et chanter une chanson de guerre. Il a une chemise
avec du passement devant la gorge, comme on les souloit
porter, et ouverte pour la chaleur ; mené au Roi et à la
Reine, il sert la Reine.
Le 15, mercredi. — Le Roi arrive qui lui demande :
« Mon fils, voulez-vous aller vous promener ? » Il répond:
Non, car i pleut: le temps étoit fort couvert. Le Roi feint
de s'en aller ; ilne veut pas, l'appelle, le suit. A dix heu-
res mené à la messe ; au sortir delà il fait marcher devant
lui deux petits pagesde la Reine qui chantoient. Il est ravi,
ne disoit mot; en marchant il étoit si transporté de la
musique qu'il passa sans prendre garde à la fontaine
où il souloit prendre son plus grand plaisir.
Le 16, jeudi. — Mené au Roi, qui le mène à la Reine,
puis va avec le Roi au jardin des canaux. A onze heures
et demie dîné ; maître Guillaume (1) arrive, il le regarde,
l'écoute, puis se prend à sourire de ce qu'il disoit, comme
ayant reconnu qu'il étoit fol. Il en ricanoit, redisoit ses
mots, s'en riant. A cinq heures mené au Roi et à la Reine
venant de la chasse.
Le 17, vendredi. — A la fin de la messe on disoit
l'évangile sur lui et le Roi s'en alloit,illui dit : Attendez,
papa, qu*on ait dit mon évangile.
Le 18, samedi. — A trois heures et demie goûté ; mené
en la grande salle neuve ouïr une tragédie représentée
par des Anglois(2) ; il les écoute avec froideur, gravité
(1) Fou du Roi.
(2) Des comédiens anglais étaient déjà venus à Paris en 1598, ainsi qiie le
prouve IMuveiitaire des papiers de l'tiôtel de Bourgogne qui mentionne :
1*^ un bail de la grande salle et théâtre dudil hôtel, passé le 25 mai lô9S
devant Huart et Claude Nourel, notaires à Paris, par Jehan Sebais,
comédien anglais ; 2^ une sentence du Châlelet, rendue le 4 juin 1598 à l'en-
contre desdils comédiens anglais, tant pour raison du susdit bail que pour
le droit d*un dcu par pour » jouant lesdils Anglois ailleurs qu'audit hôtel. »
SEPTEMBRE 1604. 89
et patience jusques à ce qu'il fallut couper la tête à un
des personnages. Mené au jardin et de là au chenil voir
faire la curée du cerf que le Roi venoit de prendre ; il
oit les cors sans s'étonner, voit venir la meute jus-
ques à ses pieds où se faisoit la curée, les voit sur le car-
nage avec une assurance étrange.
Le i9y dimanche, — A six heures, le Roi passe par la
galerie lambrissée et le mène en la grande salle du bal;
à six heures trois quarts soupe avec le Roi, il mange de
tout ce que le Roi lui donne, sinon la salade, pour la force
du vinaigre. Le Roi l'emmène par la main à la cham-
bre de M. le connétable, puis en celle de la Reine ;
LL. MM. le baisent, il leur donne le bonsoir.
Le 21, mardi. — Éveillé à huit heures, il s'entretient en
la mémoire de Tlnfante, dit qu'il en a reçu lettres, lui
veut écrire. A midi dîné, M. le Chevalier avec lui pour la
première fois à sa table; en mangeant il considère l'en-
richissement du plancher de la salle, s'enquiert des his-
toires qui y sont dépeintes. Mené au Roi et à la Reine qui
alloient à la chasse; ramené en la salle pour être retiré tout
de son long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains
jointes, l'épée au côté, par Guillaume Dupré, natif de
Sissonne près de Laon (1). A trois heures et demie goûté ;
il donne la patience au statuaire tout ce qui se peut.
{Recherches sur Molière par £ud. Soulié; Paris, 1863, in-S"*, page 153.)
Voilà donc, du vivant de Sliakespeare, des comédiens anglais jouant à
six ans de distance à' Paris et à Fontainebleau; un correspondant étranger,
M. Henry Ch. Coote, nous fait remarquer que les mots : Tiph, (oph, milord,
prononcés quelques jours plus lard par le Dauphin, lorsqu'il veut imiter les
comédiens anglais , rappellent une apostrophe de FalstafT dans le drame de
Henri IV, acte II, scène II : « This ïs ihe right fencing grâce, my lord,
tap/ortap, andso partfair, » ( U Intermédiaire des chercheurs et c«-
rieuXf tome II, page 105).
Vers Tannée 1603, des comédiens anglais jouaient en Allemagne Fra^rtdcfe
punished, or Hamlet prince of Denmark, ( Shakspeare in Germany in
the XV! and XVII cenluriers, By Albert Cohn. London 1865, part IL)
(1) Le célèbre graveur en médailles Guillaume Dupré passe pour être né à
Troyes en Champagne ; est-ce de lui qu'il s'agit ici ?
90 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
A six heures mené à LL. HM. revenant de la chasse.
Le 22, mercredi. — 11 donne la main à baiser à M. de
Favas le jeune et à d'autres gentilshommes qu*il n'avoit
point encore vus, la tend volontairement à tous l'un après
l'autre; il s'amuse à ranger ses échecs. A quatre heures
le Roi revient de la chasse, il le va voir au cabinet, lui
soutient la jambe quand le valet de chambre les frotte,
lui adonne fort dextrementet de bonne grâce la chemise,
l'ayant baisée, lui sert et lui met l'Ordre (1).
Le 23, jeudi, à Fontainebleau. — Maître Gilles, sofa som-
melier, parlant de quelqu'un, dit : a J'ai vu qu'il étoit pro-
culeurp) M. le Dauphin s'en prend à rire illaditproculea!
«Monsieur, dis je, comment faut-il dire? tcll répond : Pro-
cureu, 11 regarde par la fenêtre de la salle un Espagnol
qui voloit (2) sur la corde ; on lui dit que c'étoit un Espa-
gnol (3), il répond : Cest donc un ennemi. Mené au Roi et
à la Reine sur la terrasse pour voir ce voleur de corde. A
trois heures et demie goûté, mené au grand Ferrare (4),
de là il veut venir en machaibbre aux Mathurins, méfait
l'honneur d'y venir à quatre heures et demie, entre en
mon étude, se fait mettre sur la chaise, s'amuse à écrire,
ne s'en peut aller; enfin ramené à cinq, heures et un
quart au jeu de paume, au grand jardin , à la fontaine
du Tibre.
Le 24, vendredi. — 11 voit les sieurs de Montigny et de
Belmont, les entretient delà fenêtre, eux étant en la cour,
commande au sieur de Belmont qui alloit sortirde garde,
de faire passer la compagnie à travers la cour, les voit
(1) Le cordon de Tordre du Saint-Esprit.
(2) On a dit plus tard voltiger .
(3) l\ était Irlandais. Votj. au 16 avril 1605. On trouve sur les registres de
riiôpital général que le 11 janvier 1583 un Juan Ganasa touchait sa part
dans les recettes d'une troupe desauteurs {volleadors), &ng\m, {Chan-
sons de Gautier Garguillef éd. Ëd. Fournier; Janet, 1858, pagelix.)
(4) Hôtel b&ti par le cardinal de Ferrare et acquis du duc de Guise par
Henri IV en 1603. Voy. le Trésor des merveilles de Fontainebleau, par
le P. Dan, 1642, in-fol., p. 188.
SEPTEMBRE 1604. 91
passer^ leur dit : Adieu, capitaine Robertj adieu sagean
(sergent] Beauchêne, adieuy mes souda y adieu, sagean La-
fontaine, qui étoit à la queue ; il veut aller sur la terrasse
pour les voir par la basse-cour, les conduit de la vue. A
quatre heures et demie mené au jardin de Ferrare et
monté sur un chariot pour voir courir des chiens terriers
contre une laie à demi-morte ; ramené en l'allée des
ormes , il rencontre le Roi et la Reine revenant de la
chasse.
Le 26, dimanche f à Fontainebleau. -r-Mené à la Reine, la-
quelle le mène à la messe le tenant par la main, puis au
grand jardin trouver le Roi ; il voit entrer les gardes ,
demande qui est le capitaine de cette compagnie ; elle
étoit à H. de Campagnols.
Le 27, lundi. — Il s'amuse à ses échecs d'argent pen-
dant que Mallery en tire le crayon (1).
Le 28, mardi. — Le Roi le vient voir et s'en va à Paris.
Je l'ai mesuré avec un pied et une ficelle de la hauteur
de trois pieds et environ demi-pouce. Il se fait habiller
en masque, son tablier sur sa tète et une écharpe de gaze
blanche, imite les comédiens anglois qui étoient à la Cour
et qu'il avoit vu jouer.
Le 29, mercredi. — Il dit qu'il veut jouer la comédie ;
ft Monsieur, dis-je, comment direz-vous ? » Il répond :
Tiph, toph, en grossissant sa voix (2). A sixheureset demie,
soupe; il va en sa chambre, se fait habiller pour masquer
et dit : Allons voir maman, nous sommes des comédiens.
Le30, jeudi, — Mené chez la Reine il est peint en
crayon pour le deuxième jour par Mallery, a patience,
s'amuse à crayonner sur du papier, voit son portrait,
a Monsieur, lui dit-on, voilà votre frère. » Il répond :
Non che n'est pas mon frère. — ce Monsieur, lui dis-je, vou-
(1) Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa quatrième année. Cl. de Mallery
avait tiéjà gravé en 1602 un portrait de Louis XIII à l'âge de sept mois.
(2) Voy. au 18 septembre précédent et au 3 octobre suivant.
92 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
driez pas avoir un frère ? » U répond Ho! nony avec une
action résolue.
Leih octobre j samedi , à Fontainebleau. — Mené au jar-
din des canaux, à la Reine, il voit pêcher des truites,
ramené à la messe ; au sortir il s'arrête pour faire don-
ner de l'argent aux pauvres.
ic3, dimanche. — Il dit : Habillons-nous en comédiens,
on lui met son tablier coiffé sur la tête ; il se prend à parler,
disant : Tiphj toph, milord, et marchant à grands pas.
Le 4, lundi, — Éveillé à six heures, il s'amuse en
son séant à ses échecs; il a le cœur à la chasse et aux
armes, tous autres passe-temps ne lui sont rien. Il
veut un tablier tout blanc, sans ouvrage, comme celui
de M. de Verneuil et non comme le sien où il y avoit du
passement. A douze heures et un quart dîné ; il dit Béné-
dicité pour la première fois. Il se rit de ce qu'il ne pou-
voit prononcer la lettre r.
LeSy vendredi. — En sortant de la messe il voit des
pauvres, ne veut point passer qu'il n'ait, selon sa cou-
tume, donné l'aumône. A quatre heures il va au pied de
la montée au-devant du Roi, qui arrive de Paris , l'em-
brasse, a peur de M. de Favas à cause de sa jambe de bois.
Le 9, samedi. — Le Roi lui mène M. de Favas, qui lui
donne des cerises afin qu'il n'aye plus peur de lui à
cause de sa jambe de bois. Mené au lever de la Reine il
saute, fait des cabrioles; mené par la galerie au jardin
des canaux, où étoit le Roi, portant un b&tonen mousquet
et une fourchette, il se campe, couche en joue, tire : Pou !
fou! avec une voix forte. Le Roi le fait tirer contre M. le
Grand et M. de Hontpensier, mais il n'a jamais voulu
tirer contre M. de Souvré (1). Mené chez la Reine, il y
trouve un maçon qui raccoustroit; il le suit partout où il
va, le regarde faire.
Le 10, dimanche. — Mené au Roi en la chambre de la
(i) Son gouverneur.
OCTOBRE 1604. 93
Reine ; le Roi dit . « Je m'en vais botter. » — Et moi ilou,
dit-il, je me veux botter. On va quérir ses bottes, M. de
Courtenviaux lui présente une paire d'éperons ; il se laisse
botter, appelle M. de Vendôme , lui dit : Bottez-moi.
Étant botté il marchoit par la chambre avec une extrême
allégresse disant à chacun : Je suis botté et éperonné. Le
Roi lui demande : « Mon fils, que ferez-vous maintenant
que vous êtes botté et éperonné ? » Il répond : Je monterai
à cheval. — c< Où est votre cheval ?» — A l'écuîrie, —
« Et quel cheval est-ce ?» — Cest mon cheval bleuy puis
je irai à la chasse. Mené à la galerie pour ce qu'il ne pou-
voit laisser le Roi.
' Le 12, mardi. — A trois heures et demie il est mené
par le bout de la grande galerie au jardin des pins, où
le Roi s'amusoit à ceux qui dressoient les palissades et
leur commandoit ce qui étoit de son intention; il écou-
toit attentivement et suivoit le Roi, les mains sur le dos.
Le Roi veut prendre sa main, il ne veut pas ; le Roi prend
son chapeau sur sa tête et le lui jette en terre; le voilà
en colère. Le Roi lui fait peur de la bête, s'en va, le
quitte ; il s'apaise, va trouver le Roi au jardin des ca-
naux, et, sans dire mot, lui va prendre la main.
Le 13, mercredi. — 11 se promène après le Roi et la
Reine, fait autant de tours comme eux. M"''' de Montglat
lui tenant la main.. Le Roi lui veut prendre la main, il
ne le veut pas; le Roi s'en fâche, il entre en mauvaise
humeur et se y opiniâtre. Il demande pardon au Roi,
il Tembrasse, mais ne lui veut jamais donner la main.
Le 15, vendredi. — A diner il s'amuse, en mangeant,
à faire jouer du luth le sieur de Hauteribe ; M. de Saint-
Géran lui parle d'une épinette, il n'a point patience iant
que l'on l'aie apportée. M. de Saint-Géran en fait jouer
son page, Hauteribe joue du luth et Boileau du violon;
il les écoute avec ravissement. A sept heures trois
quarts je lui dis : «Monsieur, voilà le petit homme qui
jette le sable. » 11 répond : Eh! couchez-moi.
94 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 18, lundiy à Fontainebleau. — Il s'amuse à un petit
mercier, fait acheter des anneaux de paille. LeRoilemène
à son souper^ où il lui sert la serviette, deux fois à boire,
et réfuse à boire le reste, fait Fessai, puis lui demande
congé pour s'aller coucher.
Ze 19, mardi. — 11 se fait botter et éperonner ; on lui
retrousse la cotte en grègues et sa robe tout autour;
en marchant il se fait mettre en écharpe son épée de
M. de Lorraine et puis sa trompe. En cet équipage il
marche en cavalier et, résolu, descend en la chambre de
la Reine où étoient les Princesses, MM. le grand écuyer et
de Roquelaure, qui se prirent tretous à s'écrier et rire.
Il s'arrête court sans s'étonner, les considère, puis dit
froidement : Je suis botté y moi , et prend sa trompe et se
met à tromper, fait plusieurs tours dedans la chambre.
Il ne se vit jamais rien de plus gentil ; il marçhoit droit et
couroit sans s'entre-heurter des éperons. — A sept heures
trois quarts mis au lit ; ce Monsieur, lui dis-je, vous n'avez
plus de guillery. » En se découvrant il fait apporter et
approcher la bougie et dit : La vêla t'i pas. M. le Grand dit
à sa nourrice, de qui le mari étoit venu le jour précédent :
<( Vous fîtes hier noce, madame la nourice » ; par ren-
contre il va répondre : C'est d'un flageolet.
Ze20, mercredi. — Mené au roi sous le portique de l'é-
tang où étoit M. le comte de Sore, grand écuyer de l'ar-
chiduc, qui s'en alloit en Espagne. Le Roi lui demande :
« Mon fils, que voulez-vous envoyer (à llnfante ) en Espa-
gne par M. le comte ?» Il répond : Je lui baise la main. —
a Est-elle votre maltresse? » — Oui. — « L'aimez- vous
bien?» — Oui. — «Comme l'aimez-vous? » — Comme
mon cœur. — Le Roi commande qu'il soit botté et épe-
ronné comme le jour précédent.
Le 22, vendredi. — Mené chez la Reine puis chez
M. de Rosny pour recevoir la vaisselle d'argent doré
que l'on lui avoit fait faire.
Le 23, samedi. — Éveillé à sept heures et demie; levé
OCIOBRË 1604. 95
à huit heures et demie, il entre en mauvaise humeur,
ne veut point prendre sa robe ; sa nourrice l'appelle :
«Monsieur Tabouret, ça monsieur Tabouret, prenez
votre robe» ; il s'en éclate de rire ; il la prend. A neuf
heures et un quart déjeûné ; il demande s'il pleut: ilcrai-
gnoit la pluie. Mené chez le Roi et la Reine, à la cha-
pelle, ramené en lasalle à onze heures. Â midi diné, mené
chez le Roi qui alloit à la chasse, fort gentil ; il se veut
botter comme le Roi et veut aller en bas à sa garde-robe
etnon ailleurs, y voit son petit tambour de la femme qui
alloit par ressorts, le veut ( c'étoit un de ses plus grands
plaisirs). Il va ainsi trouver le Roi contre son gré, y est
comme forcé; le Roi lui dit : «Otez votre chapeau» ; il
se trouve embarrassé pour Tôter, le Roi le lui ôte, il s'en
fâche; puis le Roi lui ôte son tambour et ses baguettes,
ce fut encore pis : Mon chapeau, mon tambour y mes bor
guettes. Le Roi, pour lui faire dépit, met le chapeau sur
sa tête : Je veux mon chapeau ; le Roi l'en frappe sur la
tète, le voilà en colère et le Roi contre lui. Le Roi le prend
par les poignets et le soulève en Tair comme étendant
ses petits bras en croix : Hé! vous me faites mal! hé! mon
tambour ! hé ! mon chapeau! La Reine lui rend son cha-
peau puis ses baguettes ; ce fut une petite tragédie. Il
est emporté par M"* de Montglat, il crève de colère ; porté
à la chambre de M"' la nourrice où il crie encore long-
temps sans se pouvoir apaiser, il ne veut ne baiser ne
accoler W"^ de Montglat, ne lui crier merci, sinon quand
il se sentoit retrousser; enfin fouetté non châtié (1),
criant : Hé! fouettez-moi là haut. Il égratigne au visage,
frappe des pieds et des mains M"*' de Montglat; il est
enfin apaisé, lui étant parlé de faire collation. Goûté, rôtie
à l'accoutumée, bû; il semble qu'il n'y parolt plus. Sa
nourrice le met à part et, seule, lui dit : a Monsieur, vous
(1) D*auires passages d*Héroard portent à croire que lorsque le Dauphin
est fouetté c^est par-dessus sa robe, et que lorsqu'il est châtié c'est à nu.
96 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
avez bien été opiniâtre, il ne faut pas, il faut obéir à
papa ; » il répond en soupirant gros : Tuez Mamanga (i) y
elle estméchanle; je tuerai tout le monde, je tuerai Dieu. —
c( Ah ! non, dit sa nourrice, Monsieur, vous buvez tous les
jourssonsangquand vous buvez du vin ». Us'arréte iBois-
je son sang du bon Dieu? — a Oui, Monsieur». — Ine faut
donc pas le tuer, et il s'apaise ainsi , soupirant parfois jus-
quesaux sanglots. Mené à la poterie, il s'y jouelongtemps
et voulut avoir un cheval blanc ; puis, sentant l'heure desa
retraite, qui étoit sur les cinq heures, il dit de lui-même :
Mamanga, allons-nous-en , veci le serein. Ramené en sa
salle à six heures, soupe, panade, il en mangea peu, n'en
veut plus, se plaint, pleure contre sa coutume, se
penche contre la chaise, frotte ses yeux, porte les mains
au front. On l'endort, il est porté en sa chambre, dévêtu.
A six heures trois quarts il s'éveille un peu disant : Ai-je
diné? Il demande à être au lit, se plaint, prend de la
conserve de roses. Le pouls étoit égal, et en son naturel
par intervalles, puis serendoit plus viteetrevenoit comme
devant. Il s'éveille et se rendort à diverses fois, se plai-
gnant du haut du bras puis du joint de l'épaule, mon-
trant l'endroit avec l'autre main ; il n'a pas la force ,
de ce bras malade , de prendre comme il souloit (2) ,
ce que l'on lui bailloit. Enfin il dit : Marna Doundoun,
endomez-moi; elle chante et l'endort à dix_ heures et
demie (3).
Le 24, dimanche. — Éveillé à six heures et demie,
doucement; à sept heures il s'amuse à sa poterie et à ses
petits gendarmes (4.), fort gaiement. Je lui demande :
c< Monsieur, qui n'a pas soupe ? » il répond : Cest moi. —
(( Pourquoi , Monsieur? » — J'étois malade. — « Qui vous
(1) M°« de Montglat.
(2) Comme il avait coutume.
(3) Nous n^avons rien retranché au texte d^Héroard en toute cette journée.
(4) Il appelait ainsi ses échecs.
OCTOBUE 1604. 9t
faisoit mal? » — Le bras et la léle. Il avoit des égratignu-
res. Levé, un peu blême, gai; mené chez la Reine, puis à
la chapelle et en sa salle à onze heures. Â midi diné, le
visage blafard outre son ordinaire ; le Roi l'envoie quérir,
on le lui dit ; il en demeure étonné, en fait difficulté : Je
ne veux point aller voipapa. On lui dit que papa lui don-
nera du bonbon, il se laisse aller; encore y est-il comme
tiré par force, et faisoit difficulté d'entrer dans la chambre
de la Reine, oùétoit le Roi. Il y entre, va droit au Roi,
qui lui donne du sucre rosat, Tembrasse et le baise, en
fait autant à la Reine.
Le 25, lundiy à Fontainebleau, — M. de Roquelaure lui
apporte un pourpoint de satin blanc et un haut de
chausses plissé , de satin incarnat, avec le bas attaché;
il s'en réjouit. Il étoit enrhumé, le visage plus blême
qu'à l'ordinaire , néanmoins gai. Il va chez Madame,
où il s'amuse à un petit lit de velours que, le jour précé-
dent, on avoit donné à Madame, où il y avoit un Holo-
pherne sans tête et la tête à part, et une Judith; il de-
mande : Où est la femme? On lui dit : ce La voilà. » Il ré-
pond: Eh! ne faut-ipas que la femme soit sous Vhomme, »
Misau lit fort enrhumé, les yeux gros, pleurants, lafièvre.
Ze26, mardi. ~ Il est fort enrhumé, le nez fort em-
pêché, les yeux bouffis de rhume. Le Roi arrive, accom-
pagné de M. de Roquelaure, le caresse, lui demande s'il
veut pas aller à la chasse; il répond : Oui^papa; Mes
hottes? et veut tirer les jambes hors du lit. Le Roi lui dit
qu'après dîner il Tenvoyeroit quérir par Roquelaure, et
qu'il n'avoit pas dîné ; il répond : Bien^ se paye de rai-
sons. A cinq heures le Roi et la Reine arrivent en sa
chambre; M'^' de Guise (1), sejouantàlui, vadire': «Mon-
sieur, voulez-vous cela?» lui montrant une portion du
dessus de son tetin prinse avec deux doigts ; il y porte sa
(1) Louise-Marguerite de Lorraine , depuis princesse de Conty ; ille avait
alors environ vingt et un ans.
HÉROARO. — T. I. 7
98 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
main, disant : Noriy non, donnez-moi et gros monceau là,
montrant le tetin en se souriant.
Le 27, mercredi, à Fontainebleau. — Peu enrhumé, les
lèvres sèches, la face blèrne, les yeux un peu pleurants.
M. Arnaud, secrétaire de M. de Rosny, arrive, il le veut
chasser; on lui dit que c'estlui qui a fait faire la bride pour
son cheval >leu, il s'apaise, se joue avec lui, et Tagace, lui
frappe daps la maip. A six heures, soupe; le Roi et la
Reine y viennent^ il; depieure comme étonné quand le
Roi parle à lui, lui donne le bonsoir avec craiute , l'em-
brasse, baise la Reine plus gaiement.
Zc 29, vendredi. — Levé à une heure, le visage blême.
Mené à la galerie après avoir bien marchandé, et, se y
voyant pressé, il demande ; Papfl y est-ill II se ressou-
vient toujours d'en avoir été malmené , en a peur, et
quand il le voit demeure étonné , n'a plqs cette conter
nance gaie, hardie qu'il souloit avoir.
Xe 30, samedi. — Il ne veut point aller chez le Roi,
contre sa, coutume, oyant dire qu'il alloit à la chasse, le
craint et en a peur, et n'en parle qu'avec étonnement;
s^uparavant c'étoitavec gaieté. A trois heures le viennent
saluer, lui assis au pied de son lit, dans sa chaire, MH. les
ambassadeurs de l'Allemagne, des villes Anséatiques ; ils
lui baisent la main, qu'il leur présente avec une douce
gravité, la leur tendant les uns après les autres. Amusé
jusques ^, cinq hem-es et demie, il frotte ses yeux, ne
veut point souper. Comme il eut quitté son ouvrage de
crayonner sur du papier (1), M. de Vendôme arrive de
la part, du Roi pour savoir ce qu'il faisoit , le trouve en
volonté de souper. On le veut disposer d'aller première-
ment voir le Roi ; à demi dormaut, ^I dit : Je ne veux pas
aller là bas, et encore légèrement. M. de Vendôme .alla
(I) Le Dauphin commence déjà à crayonner sur du papier; on le verra
bientôt essayer de dessiner, et c^est surtout à Fontainebleau que le goût. lui en
fient.
NOVEMBRE 1604. 09
rapporter au Roi fort crûment qu'il ne le vouloit pas
voir, dont l'aprês soupée le Roi se fâcha contre M"* de
Hontglat.
Le 31 octohr^y dimanche. — Levé à neuf heures^ il veut
aller àla chambre de sa nourrice^ va au Roi, au cabinet;
doux; le Roi le mène à la Reine, il veut retourner en la
chainbre de sa nourrice , s'amuse a^ez longtemps à la
fenêtre, à regarder la messe qui se disoit devant le Roi,
puis veut aller à sa chambre ; chagrin, tout lui déplaît.
M. d'Oinville, maréchal des logis de sa compagnie de gen-
darmes, \m fait présent d'une belle et petite arquebuse
d'un pied et demi de long; en la voyant il en est ravi,
s'écrie dc| joie et, tout transporté, la fait dîner avec lui.
Le !•'' no'cernhrey à Pontainehleau. — M. de Souvré lui
donne une^bando^iè^e de velours violet, avec les charges
couvertes de broderie d'or et d'argent; il en fait des
exclamations. Levé ^ huit heures, vêtu d'une rùhb de
velours violet et passem ent d'or, il montre à chacun sa
bandolière. Mené au Roi et à la Reine, puis à la chapelle,
où il sonne la clochette à l'élévation ; ramené en sa
chambre à onze heures, dîné, porté à la fenêtre pour
voir le Roi touchant les malades dans la cour ; il sepro^
mène avec l'arquebuse, va à la charge contre les Es-
pagnols.
. Le 2, mardi. — Il va à la chambre de Madame, qui
étoii malade des dents. «Monsieur, lui dit-on, êtes-vous
marri que Madame est malade? » Il répond : Non.
Il présente à la Reine l'Avis des amendes du sieur
du Luat (1). A six heures soupe, fort gai ; le Roi arrive ;
il demeure un peu étonné, baise et embrasse le Roi.
Le 3, mercredi. — Le Roi l'envoie quérir à son souper;
(1) a AngeCappel, dit du Lriat, fit imprimer à Paris un livre in-folio de
dix-huit ou vingt feuilles seulement, lequel il dédia au Roi, sur l'abus des
plaideurs et punition par amende de tous ceux qui s'ingéreroient dorénavant
témérairement de plaider et perdroien t leurs procès. » ( Supplément au re-
gistre journal de Henri IV, par Lestoile, année 1604.)
7.
JÔO JOURNAL DE JEAN HÈROARD.
il lui sert à boire ; le Roi lui donne de son souper, puis
de sa poudre digestive. A sept heures et demie dévêtu;
il met ses jambes en croix et demande : L'Infante fait^elle
ainsi? — a Oui, lui dit-on, Monsieur ; voulez-vous qu'elle
vienne coucher avec vous? » 11 répond : Non, — «Monsieur,
dit M"* de Ventelet, quand vous serez couché ensemble
elle mettra ses jambes comme cela » (c'est-à-dire en
croix). Il répond soudain et gaiement : Et moi je les ferai
comme cela, élargissant ses jambes avec ses mains.
Le 4, jeudi, à Fontainebleau. — 11 demande son luth, le
porte à dix heures chez la Reine pour lui faire voir comme
il enjoué ; meneau jardin, fort gai, ramené en lachapelle,
puis en la chambre. Il demande au mari de sa nourrice :
Qu est cela? — « C'est, dit-il, mon bas de soie. » — Et cela?
— (( Ce sont mes chausses. » — De quoi sont-elles^ — « De
velours. » — Et cela? — «C'est une brayette. » — Que qu'il
y a dedans? — « Je ne sais, Monsieur. » — Eh! c'est une
guilleryl Pou qui est-elle ? — a Je ne sais. Monsieur. » —
Eh! c est pou maman Doundoun. Mené promener au pale-
mail, il fait en passant donner l'aumône aux pauvres qu'il
rencontre. 11 va en la chambre de la Reine, au cabinet; il
demande de la dragée à M*"" de la Chastre, qui lui en
donne deux grains; il en demande encore. Le Roi sur-
vient là-dessus, qui défend que personne ne parle et lui
contredit : « Vous n'en aurez point. » — J'en veux. Le
Roi se fâche, disant à M"*^ de Montglat un peu soudaine-
ment : ((Vous serez cause qu'un jour je Técorcherai. » Le
Roi lui dit : (( Venez-moi baiser» ; il y va soudain, et
l'embrasse.
Le 5, vendredi. — Mené chez la Reine; M*"® de Guise
lui montre le lit de la Reine, et lui dit : « Monsieur, voilà
où vous avez été fait. » Il répond : Avec maman.
Le 6, samedi. — H bat le tambour, bat la françoise,
la suisse, l'alarme, la diane, le bandoul et fort bien, et
en maître. Il entend le bruit des chevaux comme le Roi
alloit à la chasse aux toiles, demande froidement : Papa
NOVEMBRK 1604. lOl
m-l'i pas à la chasse ? on lui dit que oui. Quelque bruit
qui se fit àla cour et quoique chacun courût aux fenêtres
pour voir passer le Roi, fors M. de la Court, exempt
des gardes, et moi, il ne fit jamais contenance de vou-
loir y aller, mais demeura ferme et résolu en sa place. A
six heures soupe; il va en la chambre de Madame, danse
au braûle, n'ayant point voulu aller chez le Roi.
Le 7, dimanche. — A neuf heures et demie mené chez
le Roi et la Reine, qui étoient au lit; leur ayant donné le
bonjour, M. de Verneuil entretenoit le Roi, qui s'a-
musoit à lui; sans dire mot, le Dauphin sort de la ruelle
et va de l'autre côté se ranger près de la Reine. M. de
Verneuil approche de la Reine, et la veut entretenir;. il*
lui donne un grand soufflet sans dire mot, et l'autre se
retire de même. Ramené en sa chambre, il s'atnuse à
ranger en soldats ses petits marmousets de poterie.
Le 8, lundi, à Fontainebleau. — Il se fâche contre
M'"^ de Montglat et lui voulant donner un soufflet; de-
meure en chemin, la trouvant masquée. OleZy dii-il, voire
masque ; la fait démasquer.
Le 9, mardi. — A douze heures et demie mené au
dîner du Roi ; le Roi fault à le fâcher ; il obéit, ramenant
sa colère comme un lionceau, et ne sait si bien se re-
tenir que, le Roi lui ôtant une cuiller dont il battoit le
tambour sur une assiette, il ne jette la cuiller haut sur la
troupe. Ramené en la chambre de la Reine, il baise et
eml)rasse LL.MM., part et entre en litière à une heure. et
demie pour retourner à Saint-Germain en Laye. Goûté
à l'endroit de la chapelle Saint-Louis, dans la forêt,
dans sa litière, son buffet sur une pierre. Arrivé à Melun
à quatre heures et demie, les président, lieutenant gé-
néral et officiers de la justice sortent à pied, hors de la
ville, au-devant de lui. Logé en l'Ile chez M. de la
Grange. A six heures soupe ; les officiers de la ville lui
apportent un présent de tartes. A sept heures trois quarts
M. de la Salle, capitaine aux gardes, lui demande le mot;
109 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
il le dit tout haut : Dauphin. « Monsieur^ dit H. de la
Salle, il le faut dire bas ; » il le lui dit à Toreille.
Le 10, mercredi^ voyage. — Mené à la messe à Notre-
Dame. Parti de Melunà dix heures trois quarts, il arrive à
Crosne, maison deM. Bruslard, autrefois secrétaire d'État;
à quatre heures après midi, mené au jardin; il se joue,
discourt et raille avec Madame sa sœur ; ce n*est que sou-
dars et armes.
iel3, samedi, à Saint-Germain (1) — A deuxheuresM. de
Souvré part pour s'en retourner à Fontainebleau, d'où
il Favoit accompagné. Mis au lit, il entend que nous
parlions de la prinse faite de M. le comte d'Auvergne (2)
et que le Roi sa voit bien attraper ses ennemis; il de-
mande : Sfes ennemis sont-is prisl — « Oui, Monsieur, »
— Oii^sonUis'i — « A la Bastille. » ^
Le 16, mardi, — Il va en la chambre de Madame, où
arrive M™** la marquise de Verneuil, la connolt, lui donne
sa main à baiser; elle lui demande : « Monsieur, me con-
noissez-vous?» 11 répond : Oui. — c(Qui suis-je?» — Ya-
neuily sans dire Madame. Il se joue avec ses poteries; ses
jeux et discours ne sont que soldats et guerre. La mar-
quise part par derrière M. le Dauphin siins dire mot,
avec MM. ses enfants.
Le VI y mercredi, — A midi dîné en la présence de M'"*^ de
Verneuil; il va aux fenêtres du préau, où il siB joue pri-
vément à la marquise, chante comme voulant l'entrete-
nir et se donner plaisir. La marquise partà quaire heures
et un quart, il vient en ma chambre, heurte. Je de-
mande : (( Qui est-là?» — Ouvez. — «Qui ètes-vous ?» —
(1) Les journées du 11 eldu il novembre , contenaot la fin du voyage du
Dauphin et son arrivée à Saint-Germain, manquent dans le manuscrit appar-
tenant à M. le marquis de Baiincourt.
(2) Ce prince, dit M. Berger de Xivrey^ venait d'ôtrc arrêté au moyen
d'une ruse dont on peut voir le récit au chapitre xlv du tome II des Œco-
nomxes royales. Le comte d'Auvergne ne fut amené à la Bastille que le 20
novembre.
I^OVëMBRë 1604. lOd
Dauphin. Il entre ^ demande à voir le livre des ani-
maux (1).
Le iS y jeudi. — A onze heures et demie dîné; Ma-
dame demande une cuiller -que tenoit M. le Dauphin^ il
la luijette^ et si ferme que^ de la queue^ il la blessa sous
la paupière de Tœil droit avec un peu d'entamûre ; l'on
l'en tança, il en demeure étonné ; fait toutefois ce qu'il
peut pour faire l'assuré et ne s'en soucier point. M""* la
comtesse de Moret (2) le vient voir ; il lui donne sa main
à baiser. A deux heures il vient en ma chambre, de-
mande la figure du siège d'Ostende, où il y avoit des
petits soldats. M"*^ la comtesse de Moret s'en va, il lui
donne encore volontairement sa main à baiser.
Le 23, niardi , à Saint-Germain. — Je lui dis que papa
et maman le dévoient venir voir, il répond : Je ne veux
pas' qu'i viennent, avec contenance d'étonnement, lïeres-
sbuvenarittoujours de Fontainebleau. Pour rassurer, je lui
dis qu'ils lui apporloîent de beaux présents ; il répond :
Ouif et ne respire que tambours, soldats et armes.
Le 24, mercredi. — Je lui demande : a Monsieur, vou-
lez-vous vous lever pour aller au devant de papa? » —
Nony dit-il. — «Vous n'aurez dpnc pas le beau tambour
et les belles baguettes qu'il votfs apporte , il lés donnera à
M. de Verneuil. » 11 se met soudain en colère, grince les
dents, me veut égratigner, puis me regardé froide-
ment. «Bien, Monsieur, vous me battez, dis-je; que vou-
lez-vous que papa fasse de ce tambour? » 11 répond :
Qu'i le donne à moucheu de Yenéuily brusquement, re-
muant la tète comme de chose qu'il méprise; il ne peut
oublier le rude traitement de Fontainebleau. Il va ^ur
les' terrasses, mangeant du gros pain, au-devant du Roi,
qu'il rencontre à cheval , à la fontaine basse des maçons,
àonzeheuresetdemie. LeRoi met pied à terre; ilvagaie-
(1) De Gesner.
(1) Jacqueline de Bueil , comtesse de Moret, maîtresse de Henri IV.
104 JOUKINAL iJE JKAiN HÉUOARD.
ment au Roi, qui le prend au bras, le baise; il embrasse
le Roi. A midi , dîné; il ne veut point que M. de Courten-
vaux s'appuie et soit derrière la chaise de M"® de Vendôme.
Le Roi y vient après son dîner ; M™*" de Montglat parle au
Roi; il ne le veut pas. Allez-vous-en en vole chambe, Ma^
mqnga ; s'en met en colère . Le Roi s'en fâche, il mène M"® de
Montglat en sa petite chambre ; on l'apaise à peine,
enfin on le fait danser, fort gai. Le Roi entr'ouvre la
tapisserie ; il l'aperçoit, quitte soudain la danse , se va
cacher. Le Roi le presse, il s'aigrit; la nourrice le prend,
l'assied sur la table ; le Roi va par la douceur, le baise,
le prie de danser pour l'amour de lui ; enfin il s'apaise,
et à ce coup dit : Je vas danser pou Vamou de papa ,
se coule à bas, et se prend à danser gaiement le branle
des navets. Le Roi fait collation ; il le servoit, et recon-
noissant son essai (1) : Otez, ôtezy dit-il , empotez-le. Il le
fallut remporter; le Roi céda à son humeur. Le Roi part
pour s'en retourner à Paris à deux heures et un quart ;
il l'accompagne jusques au pied du degré, se prend à
pleurer, demande d'aller, avec papa.
Le 29, lundi, à Saint-Germain. — A diner je demande
à Madame si elle étoit belle, elle dit : Oui. Il l'entend,
hochant la tète. Je lui demande. c< Madame, étes-vous
bonne?» Elle dit : Oui. — 11 dit, hochant la tête : Elle est
bonne comme frère Jean. 11 vouloit dire maître Jean; c'é-
toit le singe. Il demande de la gelée à Madame, laquelle
lui pousse aussitôt Técuelle en disant : « Tenez, papa
petit; » elle étoit si aise quand elle lui pou voit com-
plaire (2). Il bégaye fort ce jourd'hui en parlant.
Le i" décembre, mercredi, à Saint-Germain. — A onze
heures et demie, diné; il ne veut point que l'on donne
aucune chose à Madame, ce Monsieur, lui dis-je, quand
(1) Le vase dans lequel on faisait Tessai de la boisson servie au Dauphin.
(2) Madame avait alors deux ans ; elle commençait à parler, et le Dauphin
$e montrait foi ( rude pour elle.
DÉCEMBRE iC04. 105
VOUS serez grand, vous donnerez tout à Madame. » 11 ré-
pond : Non, je H donnerai que dupain. — « Et à boire? »
Il répond : Que de Veau. Il mange une poire confite, ne
veut pas que Ton en donne à Madame.
Le 2, jeudi. — Levé à huit heures et demie , il ne veut
point prendre sa robe; Bruneau, lelavandier, le menace
de le mettre dans son sac, puis au cuvier; il craint, s'ha-
bille, se joue avec sa nourrice; étant habillé, il se re-
tourne vers le lavandier, et lui dit : Je suis habillé.
'Le k', samedi, à Saint- Germain, — A sept heures dé-
jeuné, levé, vêtu, fâcheux, il ne veut point prendre sa
robe, s'assied. M. Birat lui dit : a Monsieur, voilà le bossu
du jeu de paume qui vient; » il se lève soudain, et met sa
robe. Il vient en mon étude, s'amusQ au siège d'Ostende.
Le 5, dimanche. — Il vient en ma chambre, voit le
livre des animaux de Gesner, s^informe de chacun; à
souper Ton demande à Madame ce qu'elle donnera aux
siens quand elle sera en Angleterre (1), elle répond :
«Des perles, » en son langage. El moi, dit le Dauphin,
des harquebuses.
ie6, lundi. — Le Roi arrive à douze heures et demie,
le Dauphin le reçoit au pied de Tescalier, l'embrasse, lui
fait bonne chère (2). Le Roi le mène en sa chambre , et à
une heure le fait dîner avec lui ; il boit du vin clairet du
Roi. Il se va jouer à la salle des gardes ; le Roi arrive, il s'ar-
rête, et demande d'aller à sa chambre ; le Roi ne le veut
pas; il y résiste, le Roi à lui, et lui donne un petit souf-
flet; le Dauphin persiste; enfin il demeure enson opinion,
et M"^ de Montglat Temmène en sa chambre. La Reine
arrive à cinq heures.
Le 7, mardi. — Il va chez le Roi, où il est fort gentil;
(1) On Yoit qu'à cette époque il était question de marier Madame en An-
gleterre. Ce fut sa sœur Henriette-Marie^ née cinq ans plus tard, en 1609, qui
épousa Charles I'*'.
(2) Bon accueil.
106 JOURNAL DE JËAJN HËKOARD.
le Roi et la Reine vont à la chasse. M"'' de Ventelet lui
dit : « Monsieur, qui est le maître de papa? » Il répond :
Cest Dieu. — a Et qui est le vôtre? t> — Je ne veuxpds
dire. Il ne fut jamais possible de lui faire avouerun maître;
comme le jour précédent, quand le Roi le fâcha le plus,
ce fut quand il lui dit : « Je suis lé maître, et vous êtes mon
valet ; » il s'aigrit extrêmement de ce mot-là. A. trois heures
goûté ; il lui sort une goutte de sang du nez, il la voit et
dit : Mamanga, c'est pouce que j'ai été opiniâtre. Il va au
Roi au retour de la chasse, gentil au possible.
Le 9y jeudis à Saint-Germain. — Mené au jardin^ au
Roi, il va à lui, les bras ouverts, tire son épée et montre
au Roi quUl s'en sait aider (1) contre les palissades; mené
sur les terrasses de Neptune. Mené chez la Reine, qui part
à deux heures et demie pour aller à la chasse.
Le 10, vendredi. — Il ne veut point aller voir le Roi,
y consent ensuite, lui ayant promis son tambour bleu;
il se le fait attacher, va battant trouver le Roi, qui étoit
à la chapelle, le baise, mais il ne veut point y demeurer.
Le Roi sort à dix heures, le baise, et s'en va dîner à Bézons,
pour coucher à Paris ; la Reine part peu après. '
Le 12, dimanche. — A six heures il fait recoucher sa
nourrice, puis l'appelle : Maman Douridoun^ levez-vous;
mettez-vous tout en chemise, je le veux. Il avoit ouï faire le
conte du fils dé M. de la Fon , avocat au Conseil , qiii en
faisoit faire autant à sa nourrice. -
Le \Zy lundi. — II' se lève, et deècerid tout seul de son
lit : ce fut la première fois ; vêtu, fàchéuxj Bruneau, la-
vandier, arrive, il se tait: '
Le 14, mardi. — Je lui demande congé d'aller vôirçapa
et maman lui dire de ses nouvelles, a Monsieur,'^lui dis-je,
vous plalt-il me commander quelque chose vers papa et
maman? » Prenant le roi violet de ses échecs : Om, dit-il,
velà que je lienvoicy et prenant la reine , et cela à maman.
(1) Servir.
DÉCEMBRE 1604. 107
Lei8, samedi, à Saint-Germain. — Il danse dans sa
chaise en mangeant^ oyant jouer le sieur Je an- Jacques^
violon de la Reine ^ qui jouoit la sarabande, les branles
gais et autres semblables qu'il aimoit; il prend son
manteau de satin blanc doublé de plucbe, le retrousse
sous le bras, et ainsi se met à danser.
Le i9, dimanche. — Il est vêtu d'une robe neuve de
velours cramoisi brun. Mais, dit-il^ je courrai donc tout
seul. Il voit entrer M. deMansan ; Jatne (capitaine)^ je n'ai
point de lisière, f irai tout seul; il en étoit tout réjoui.
M. de Verneuil arrive, et lui donne le bonjour; il ne veut
jamais l'appeler féfé (frère), mais petit Vaneuil.
Le 23, jeudi. — Il s'amuse à un livre recueilli des An-
tiquités de Rome. Venez voir, me dit-il (c'étôit la figure
du Gapitole moderne), velà Fontainebleau, velà ma cham-
be, telà la pote pou y monter, velà le cheval blanc^ velà
Mecure, velà le jadin , velà des bassins; il voit toutes les
églises de Rome, et dit de toutes les églises qui sont en
dôme : Velà des tambours. Il voit les figures du Monle-Ca-
vallo : Hé! vélàqui montre le cul (l'un des chevaux). Il
voit un Hercule; on lui demande: c< Monsieur, (Ju'est
cela? » lui montrant la guiller^ ; il répond honteusement
en souriant : Faut pas le dire. Une épingle piqùoit M. le
Chevalier au collet, il ne veut point que M"* de Montglat
la lui ôte, mais bien La Haye, qui étoit à M. le Chevalier;
il ne vouloit point que ceux qui étoient à lui servissent
ailleui^.
-I* 24, vendredi. — On lui demande : « Qui êtes-
vous? » Il répond : Le petit valet à papa. Il se joue avec
M. le Chevalier, qui lui en contoit, disant qu'ils trouve-
roient de girandâ loiips qui avoient de grandes hures ; il
répond : Non, ce ne sont pas les loups, ce sont tes sangliers
gui ont les hures.
Le 25^ samedi. — M™® de Montglat lui dit avoir reçu
nouvelles de papa, et qu'il est fort aise de ce qu'elle lui
avoit mandé que M. le Dauphin est sage, plus opiniâtre,
J08 JOURNAL DE JEAN HÊROARD.
qu'il ne dit plus : c< Allez- vous-en », ne « Je veux,». Le
Borgne (1) arrive, le Dauphin lui voit mettre des bûches
au feu, dit que c*est la venue de Noël, d'autant que le
jour auparavant, avant souper, il vit mettre la souche de
Noël, où il dansa et chanta à la venue de Noël.
Le 27, lundiy à Saint-Germain. — Chacun lui demande
cequ'il lui donnera pour étrennes ; il se raille, et promet
joyeusement et convenablement à chacun les siennes. lia
peur de Bongars, maçon du Roi : Dites-lui que je ne suis
plus opiniâte. A cinq heures le Roi et la Reine arrivent
de Paris; la Reine lui donne un petit tambour etla bando-
lière pour l'accrocher ; il le met, et en joue. A cinq heures
soupe, LL. MM. présentes ; le Roi demande de son breu-
vage et dans son verre, M. de Ventelet lui en sert. Il lui
enfâchoit fort, mais il se vainquit, et le passa doucement.
Le 28, mardi, — A neuf heures il prend son tambour,
et s'en va au lever du Roi, qui étoit au lit; lui ayant, et
à la Reine, donné le bonjour, le Roi lui demande s'il
veut aller à la chasse avec lui , il lui répond : Oui, et à d'au*
très choses que le Roi lui demande. Le Roi se lève, et le
mène en son cabinet, où il lui baille un petit ballon et
un brassard; il le met au bras et en pousse le ballon.
Le Roi le heurta du ballon poussé sur son front; il
fault à en pleurer, se retient pour le respect du Roi.
Le 29, mercredi. — Il s'amuse à couper du papier avec
des ciseaux. Il entend que M. Roquet (2) disoit àsa femme :
(( Madame Dondon, je vous battrai. » Il se retourne court,
lui montrant les ciseaux qu'il tenoit et disant : El je vous
châtrerai: velà de quoi je couperai votre guillery. Sa nour-
rice lui demande : « Monsieur, le lui voudriez-vous bien
couper?» Il répond, hochant la tête : Cest que je me joue.
A quatre heures il va chez le Roi, qui le fait mettre à son
côté, voulant donner audience aux députés des états-
Ci) Domestique chargé de faire le feu.
(2) Le mari de la nourrice du Dauphin.
DÉCEMBRE 1004. 109
généraux de Normandie; il les écoule attentivement, et le
Roi, sur la fin de sa réponse, leur disant qu-après lui il les
laisseroit pour les gouverner à son fils qui les conserve-
roit et achèveroit la décharge qu'il auroit commencée
pour leiir soulagement, M. le Dauphin lui dit froidement
et de lui-même : Ga meci (grand merci), papa. Il va en la
chambre de la Reine, qui s'amuse avec lui à des petites
besognes d'Italie, entre autres un pigeon ; il le faisoit bat-
tre des ailes qui étoient de toile d'argent; le Roi arrive
de souper à sept heures et un quart ; le Dauphin danse
toutes danses, parfois va baiser le Roi, qui Tappelle, puis
reprend la danse.
LeSi, vendredi, à Sainl-Germain. — A midi mené au
diner du Roi ; le Roi et la Reine s'en von t à deux heures
pour retourner à Paris ; il y veut aller.
/
ANNÉE 460»
OeTÎsedii Daaphin. —On Phabitue au bruit des armes à feu. — Lettre à la
Reinei •— Les figures de la BibTe. — Les portraits du Roi et de la Reine. —
Le livre de M. de La Capelle. — Antipathie naissante pour les femmes. —
Le valet du serrurier. — La comtesse de Moret. — Présent de la Reine.
-* Henri lY et ses enfants. — Le serment tie fidélité. — L'ambassadeur
d'Angleterre. — M. d'Harambure. — Le pied du cerf et le pied de la per-
drix. •— Les embtèines d'Alciat. -^ 'La duchesse des Deux-Ponts. — Le
valet du bourreau. — Jouets de poterie. -^ Les danses du «Dauphin. —
Entretien sar Tlnfante. — Le peintre Martin. — Jouets d'argent. — Pre-
mier page. — Le jeu du corbillon. — Le baron de Donaw. — Modèle en
cira d'une statué du "Datfphin, le sculpteur Després ou Dupré. — La chanson
de Robin» — Jouets de carton peint. — Le Dauphin logé au chftteau neuf
de Saint<Germain. — La comtesse de Moret. — Lettre au Roi. — Goût
naissant pour le dessin. — Les fontaines et les orgues de Saint-Germain.
— Instincts du ëommàndemenl. ^ Chanson du Dauphin. — Les Espagnols
et l'Infante. — Les outils du menuisier, -r- L^spritf de la galerie rougé. —
Danger que court Héroard. — Conversation sur lâchasse, le Louvre, etc.
— La paye des soldats du Roi. — Le brave t!riilon. — Le chien Favori.
— Caractère du Daiîphin. — Discours des députés suisses. — Là statue
d'Orphée. — Les forçats. •— La belle Corisande et son petit- fils. — Les Gas*
cms, — M.^e Favas. — Jouets de plomb.— M'^^de li^ Trimouille.— Amour
du Dauphin poursa nourrice. — Retourau vieux château de Saint-Germain.
— M'ic Prévost des Yvètéaux. — Le tomte de Saure. — Lettre au Roi. —
Les prières du Dauphin. — ^ Chanson gasconne. — Henri IV couché avec
ses enfants ; mœurs et conversations singulières. — Fiançailles du prince
de Conly. — Enseigne de diamants donnée par la Reine. — La musique
de la Reine. ^ Le fossé et le pont-levis. — Le Daupliin fouetté par le Roi.
. — Un coffret flamand. — Le xomte de Boissons, M. de Rosny et M. de
Montbazon. — Batteries des tambours. -- I^e Jaquemard de Fontainebleau.
— La famille de Montmorency. — - Le grand maréchal de Lorraine. —
GoAt pour la musique. — Doh' Jiian de Médicis. >-^ Anniversaire de la mort
de Henri III, usage pour les Dauphins. — Familiarité d'un cul-de-jatte. — Le
sculpteur Francisco, Je peintre Martin. — Entrevue avec la reine Marguerite;
présents qu'elle fait au Dauphin et à sa sœur. — Le galimatias de Nervèze.
» Le Saint-Thomas de Poissy. ~ Ouvrages de la Chine et joujoux d'Al-
lemagne. — Lettre à la reine Marguerite. — Proverbe de 3alomon. — Le
112 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
président du Vair. — Le ballet du Combat. — Députés de rassemblée de
CbâtellerauU. — Joujoux de Nevers. — Présent du duc de Lorraine. —
Le chevalier d'Épernon. — Le Daupiiin entre dans sa cinquième année. —
La reine Marguerite; les livres à gravures. — Conversation sur le prince
de Galles. — Le frère bâtard de Henri IV. — Chapelets d'Italie. — Mot de
Pambassadeur de Venise sur Tltalie. — L'éclipsé de soleil. — Le nain de
la Reine. — La chambre de Charies IX. — Lettres au Roi et à la Reine.
— Mendiants irlandais. — Le livres d'Heures de Henri III. — L'histoire de
Matthieu; — Portrait en cire du Roi. — Le sculpteur Jean Paulo. — Jouets
de poterie. — Le Dauphin va demeurer au château neuf. — La marquise
de Verneuil. — Animal et bateau rapportés du Canada. — Le sang royal
et la fleur de lys. — Captivité de Henri IV à Suint-Gennain. — La duchesse
deBeaufort. -^ Scène avec le Roi. — Humanité du Dauphin. — La carte
gallicane de Thevet. — Sympathie entre le Dauphin et le Roi. — Henri IV
et ses enfants.
Le i" janvier, saifnedi, à Saint-Germain. — 11 se promène
avec sa harquebuse et sa fourchette , est mené ainsi à la
messe, M. le Chevalier portant renseigne bleue où étoit
Taigleavec cette devise : Genus insuperabilehello, qui lui
fut donnée par M. Arnaud, trésorier de France à Paris et
secrétaire de M, deRosny, M. le Dauphin étant à Yillejuif,
à dîner, s'en allant à Fontainebleau (1). M. de Verneuil
avoit son chapeau sur la tête : Olez^ dit-il, votre chapeau^
il faut pas que vous ayez votre chapeau sur la tête devant
moi. On lui dit que papa vouloit qu'il (M. de Verneuil)
eût son chapeau sur la têle : Mettez, metiez-Uy dit-il sou-
dain. 11 tire son épée rabattue, qu'il appeloit son épée
rouge; M. deCressy, enseigne de M. de Mansan, lui dit :
« Monsieur, voilà une belle épée ! Elle ne coupe point ! »
— Hol je la ferai bien couper pour le service de papa.
Le 2, dimanche, — Il fait un peu le fâcheux. M. de La
Court lui dit que le tonnerre viendra qui l'emportera; il
s'arrête, et demande : Que c'est? M. de La Court lui répond :
a Monsieur, ne vous souvient-il pas que vous l'appeliez
le tambour de Dieu?» Il écoute avec admiration, puis de-
mande à M"*^ de Montglat : Mamanga^ qu'est que Dieu, de
quoi est-il fait"? Elle lui dit qu'il n'étoit point fait, qu'il
(1) Voy. au 29 août 1C04.
janvieh ieo«. 113
étoit un esprit invisible. Peu de temps après elle lui de-
mande que c'éloit que Dieu ; il lui répond : Cest un esprit
invisible. On le rassure aux arquebusades; le capitaine du
Bouchage, archer des gardes du corps, et en garde
près de lui , tire sept coups; il disoit : Je n'ai point peur y
elles voyoit tirer assurément. 11 en avoit été intimidé par
ses femmes et surtout par sa nourrice, quand la com-
pagnie faisoit la monstre (1), criant tout haut que l'on
ne tirât point. Sept ou huit arquebusiers et mousque-
taires tirent sous le grand portail, il se retourne et crie
tout haut : Je n* ai pas peur.
Le 3, lundi, — Il veut écrire à papa et à maman, et
écrit (2) : Ma bonne maman, je ne suis pus opiniâtSy je n^ai
pus peur du borgne ; papa, je n'ai pus peur des harquebu-
sadeSy j'ai fait tuer une perdrix, — Il a des jetons du
palais dans une petite bourse d'Espagne, il en donne à
chacun, r— Je lui montrois, en un livre de figures de taille-
douce, l'histoire de Goliath et de David ; je lui montre la
tète au bout d'une lance , il voit David à cheval et dit :
Yelà le petit Dauphin monté sur son grand cheval, — On
Taccoutume à aller seul dans la chambre. M*"® de Mont-
glat lui donne un petit panier d'argent pour ses élrennes.
Le 4, mardi, — Sa nourrice lui demande : a. Monsieur,
voulez vous pas aller à la messe, puis vous irez vous pro-
mener? » Il répond : Ho! non, jHrai premièrement à
Ferme (3) me promener , puis j'irai à la messe. — « Mais,
Monsieur, vous trouverez la porte fermée ». — Je Vou--
vrirai avec mon harquebuse à rouet.
Le 6, jeudi. — Madame entroit en "sa chambre, il la
veut frapper de sa pique. Madame de Montglat le tance,
lui demande.: « Monsieur, pourquoi avez- vous voulu
(i) La revue.
(2)'Héroard lui tenait la main et lui faisait écrire les mots tels qu'il les pro
noDçait.
(3) Il appelle ainsi le châlcau neur de Saint- Germain.
nénoARD. — T. 1. S
114 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
frapper Madame? » — Je suis fâché contre elle pour ce
quelle a voulu manger ma poire. C'étoient des excuses in-
ventées. M. raiimônier lui en demandant autant à part,
il répond : Pourceque j*ai, peur d^elle. — « Monsieur,
pourquoi? » — Pource quelle est fille. — L'on tire des
arquebusades dans la cour; il en a grand' peur.
Lel y vendredi, à Saint-Germain. — Il dit à sa nourrice:
Hé! ma Doundoun, hé ! ma belle Doundoun, baisez-moi!
Puis regardant et faisant la révérence aux portraits du
Roi et de la Reine '(1) il dit : Papa na point de chapeau.
Je lui demande pourquoi ? — Pource que c'est unepeinture.
Il s'amuse au livre de portraits en taille douce de M. de
la Capelle, assis dans sa petite chaise, attentivement,
demande l'interprétation des figures et s'en ressouvient.
Le 10, lundi — Devienne, son cuisinier, fut marié ce
jourd'hui; il dit : Mon gros rôti e-est marié; i il a une
femmCy i-il couchera avec elle (2). Il s'amuse avec le che-
valier de Verneuil et MM. d'Épernon , et dit , les faisant
mettre autour de lui : Nous tenons le conseil; Madame ap-
proche : Ho! ho! voilà Madame qui écoute, allez-vous-en,
il faut pas que les filles soient au conseil.
Le 13, vendredi. — Il s'amuse à tourner le rouet de la
chambrière de M^*® Piolant. M. de Frontenac lui dit qu'il
deviendroil fille, il quitte le rouet. — Il s'amuse au livre
des figures du sieur de la Capelle, reconnolt en un en-
droit les armoiries du roi d'Espagne, et dit : Velà celles de
papa, mettant. le doigt sur les fleurs de lis. Je lui de-
mande : ce Monsieur, qu'y a-il aux armoiries de papa ?» —
Des fleurs de lis. -r « Et aux vôtres? » — Des Dauphins.
Le 18, mardi. — Il entre, le matin, en fâcheuse hu-
meur, dit à chsicun: Allez-vous-en, je vousbattrai.On fait
entrer le valet du serrurier, qui par rencontre revenoitde
(1) C'est une de ses habitudes le malin de leur dire bonjour.
(2) Héroard ligure jusqu'au bégayement du Dauplu'u. On comprendra que
nous n'en donnions que quelques exemples.
FÉVRIER 1605. 115
la chambre de sa nourrice, portant des tenailles et une
tringle : « Voilà, dit le serrurier, de quoi j'embroche les
opiniâtres. » — Je ne suis point opiniâte, mousseu le ser-
rurier,
ie 19 janvier, mercredi, à Saint-Germain. — Il brûle
de la poudre pour la première fois.
Le 20 , jeudi. — A une heure arrive M™* la comtesse
de Moret, elle assiste à son goûter j comme elle partoit,
il lui dit de son mouvement : Recommandez- moi bien à
papa, et que je suis son serviteur.
Le 25, mardi — A cinq heures le Roi et la Reine arri-
vent de Paris ; la Reine lui apporte un petit pistolet que
lui-même a voulu débander devant le Roi. Le Roi com-
mande à M"® de Montglat de faire manger quelquefois
M. de Verneuil avec lui ; il Téntend et dit : Ho! non, y ne
faut pas que les valets mangent avec leurs maîtres l
Le 20, mercredi, — M. et M"* de Verneuil ont dîné avec
lui et ce fut la première fois; il ne le vouloit point ; le Roi
lui demanda pourquoi : Holil nest pas fils de maman.
Le 27, jeudi. — Mené au Roi, au château neuf, dîné
avec le Roi et tous les autres petits. A deux heures il va
voir le Roi revenu de la chasse, le trouve avec sa robe
de nuit, lui dit par deux fois : Papa , venez-vous mettre
au lit.
Le 28, vendredi, • — Mené chez la Reine, ramené à
deux heures.
Le 5 février, samedi, à Saint-Germain, — Il se fait
mettre son hausse-col, prend sa pique et s'en va à labasse-
cour voir faire la monstre à la compagnie de M. deMansan
qui lors étoit à Paris ; il se met à la tête, accompagné de
M. le Chevalier et de M. de Verneuil, fait marcher la com-
pagnie après lui, marche comiîie le capitaine, porte sa
pique baissée; le tout fini il s'arrête, hausse sa pique,
tourne la face vers les soldats, les fait arrêter, fait cesser la
batterie du tambour, puis se retourne vers le sieur de Cas-
tillon, commissaire et secrétaire de M. le connétable, et
8.
IIG JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Iftve la main pour prêter le serment. Le commissaire
demeure en doute, M™^ de Montglat lui dit qu'il n'y avoit
point danger de lui faire prêter le serment, et lui ayant de-
mandé s'il ne promettoit pas de bien servir papa, il ré-
pond : Ouiy et tout soudain appelle : Féfé Chevalier, venez
prêter serment de bien servir papa. 11 en dit autant à M. de
Verneuil, et cela fait, crie aux soldats : Tirez, lirez, je
naipas peur. Ils tirent tous en salve, il n'a point de peur
ni aucun semblant d'en avoir et dit encore à M. le Che-
valier : Feféj promelteZ'Vous de bien servir papa? — « Oui,
Monsieur ». — Et moi aussi.
Le 7, lundi, à Saint-Germain. — A douze heures et
demie arrive le duc de Lenos (1), ambassadeur du roi
d'Angleterre, né en France, fils d'une sœur de M. d'An-
tragues, cousin germain de M"'' la marquise de Verneuil;
le Dauphin le reçoit fort bien.
Le 10, jeudi. — M. de Frontenac le viept voir avec
M. d'Harambure (2), portant un oiseau de poing.
Le a y vendredi. — A onze heures il se met à la fenêtre
attendant impatiemment la venue du Roi ; le voyant venir
il crie à haute voix : Papa; le Roi arrive, il le reçoit dans
sa chambre puis le mène en la sienne ; dîné avec le Roi,
il mange du beurre que le Roi lui-même lui étend sur du
pain. Le Roi parle d'aller à la chasse, disant qu'il se faut
dépêcher de dîner; il dit : Et moi itou j'irai à la chaise
avec papa; j^ai envoyé quéri Cavalon; c'étoit son chien.
Madame lui dit de prendre aussi le sien qui se nommoit
Amadis de Gaule : Ho! non, dit-il, /e cerf le blesseroit d'un
coup de corne. Le Roi lui dit qu'il falloitdire de la -tête,
il reprit : De la tête, et n'y faillit plus. A souper, le Roi
lui envoie le pied du cerf par M. Praslin; il fait couper
(1) Edme Stuart, comte, puis duc de Lenox, avait épousé, en 1572, Cathe-
rine de Baisac, tante et non cousine germaine de la marquise de Verneuil.
(2) Jean, baron d^Harambure, grand gïboyeur de la maison du Roi. Il élait
borgne, dit Taliemant des Réaux.
FÉVRIER 1008. 117
le pied de sa perdrix et lui dit : Tenez, portez cela à papa.
— Le Roi vient en sa chambre, y joue aux échecs.
Le 12, samedi, à Saint-Germain. — A neuf heures mené
au Roi qui étoit encore au lit; il lui donne la chemise.
Dîné avec le Roi; il danse devant le Roi la bourrée où il
compose des grimaces, la sarabande, la gavotte, les re-
mariés, et plusieurs autres danses; le Roi le baise, Tem-
brasse, et à une heure part après midi pour retourner à
Paris. — En goûtant, il entend parler de M. Ma rtin et dit :
Cest celui qui a fait la peinture de Moucheu le Dauphin y
mémoire incroyable de s'en ressouvenir (1).'
Le 14, lundi, — L'on parloit d'une mariée qui devoit
venir danser au château. M""^de Montglat lui demande :
« Monsieur, comment fera la mariée? » — Si Moucheu
Heroua n'étoit /à, je le dirais. — « Monsieur, lui dis-je,
il n'y a point de danger. » il met sa pique entre ses jambes
et élevant un bout branloit les fesses,
Le 15, mardi. — 11 se joue avec un lévrier nain
noir, que M. de Longueville lui avoit envoyé, nommé
Charbon. Il cause étrangement, se ressouvient d'un
ballet fait il y avoit un an et demande : Pourquoi est-ce
que le petit Bélier étoit tout nu? Il faisoit le Cupidou tout nu.
Le 16, mercredi. — Il s'amuse dans son lit aux em-
blèmes d'Alciat, il en reconnoissoît beaucoup. A une
heure et demie vient M™*^ la duchesse de Deux-Ponts, qui,
le soir auparavant, étoit arrivée à dix heures; il danse la
gaillarde, la sarabande, la vieille bourrée.
Le 19, samedi. — Pendant son lever, le charbonnier
vieut^ qui lui dit : c< Bonjour, mon maître. » Ildemandeà
M. l'aumônier : Qui est son maître? — « C'est le Roi et
vous. » — Qui est le plus grand? — « C'çst papa et vous
après, » répond l'aumônier. — - Non, c'est Dieu qui est le
plus grand?
Le 20, dimanche. — L'on parloit d'un homme con-
(1) Il y avait deux ans. Voy. au 25 février 1603.
118 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
damné à être pendu, il demande : Qui le pendra ? Ton
répond que ce seroit le valet du bourreau, il dit : Je ne
veux donc point avoir un valet. Peu après il appelle
M. Birat, lequel il souloit appeler son valet, pour lui com-
mander quelque chose, et l'ayant appelé par son nom :
ce Quoi ! dit-il. Monsieur, vous ne m'appelez pas votre
valet?» — Bel c'est le bourreau qui a un valet.
Le 22 février, mardi. — Il l'econnolt beaucoup de let-
tres de Talphabet; il se fait habiller en mascarade.
Le 1" marSy mardis à Saint-Germain. — Il demande
un- marmouset qui joue de deux épées et le nomme Sa-
lomon, du nom du tireur d^armes de MM. d'Épernon. Je
lui donne un cheval et un marmouset de Flandres, fait
de poterie. Oii est, dit-il, son corps? pource qu'il n'étoit
fait que jusques à la poitrine.
Le 2, mercredi. — Le Roi arrive, il va à la porte,
courant au devant de lui l'embrasser; le Roile mène dlneï
avec lui, puis va à la chasse. A cinq heures, la Reine ar-
rive de Paris, il est mené au devant d'elle presque hors W
porte de l'escalier, remonte avec elle en sa petite cham-
bre,'danse sarabande, bourrée, le branle simple, lasau-
grenée. Comment, ce moine trotte, puis dit : Maman , ai je
pas bien dansé? Il s'amuse à un chien d'Ostreland; il ai-
moit fort les chiens. — Mené à sept heures en la
chambre de la Reine, il s'amuse à voir des personnages
à la tapisserie où il y avoit des petits enfants. Le Roi lui
dit : «Mon fils, je veux que vous fassiez un petit enfant à
rinfante. » — Ho! ho! non, papa. — ce Je veux que vous
lui fassiez un petit dauphin comme vous. » — Non pa>s,
s'il vous plaît, papa, dit-il, en mettant sa main au chapeau
et en faisant larévérence. M"™* deMontglat lui dit : « Mon-
sieur, dites àpapaqu'ilfasse donner des hoquetons neufs
aux archers qui vous gardent , comme aux autres. » ■ —
Ho! ho! non, dites-l'y vous-même ^ et il lui fait par plu-
sieurs fois la pareille réponse, sans le pouvoir persuader
de le faire.
MARS 160». HD
Le 3, jeudi. — Il s'amuse seul, sans dire mot, avec un
petit puits d'argent que lui avoit donné M. de Caudale,
donnant une extrême patience à se laisser peindre par
maître Jehan Martin (1). Mené au Roi, au cabinet de la
Reine^ laquelle lui donne un petit ménage d'argent.
Le 4, vendredi, — Meneau Roi, qui étoit à table;
cela le mit un peu en mauvaise humeur de n'avoir point
dîné avec le Roi ; il baise LL. MM. qui s'en retournent à
Paris à deux heures. Charles de Bompar lui a été donné
pour page par le Roi; c'a été son premier page.
Le 6, dimanche^ à Saint-Germain. — Il ne se veut le-
ver, l'on fait venir P^erre Cabaret, maréchal de forge du
village, et Bongars, maître maçon qu'il craignoit.
ie 7, lundi, — Il joue au jeu : Que met-on au cor-
hillon ? Il invente des mots pour rimer : Dauphillon^ da-
moisillon.
Le S, mardi, — Le baron d'Aune, Allemand, neveu de
celui qui, du temps du feu Roi, fat défait à Auneau (2), lui
baise la main en arrivant et en s'en allant.
Le 10, jeudi. — A une heure arrive un sculpteur en-
voyé de la Reine ; le Dauphin lui demande : Peintre,
comment vous appelez-vous ? il répond : Després (3) . Il est
(1) Héroard le nomme Charles le 15 février 1603, et ce peintre parait pour-
tant être le même. }^oy. plus haut, à la date du 12 février el au 15 juin 1604.
(2) Le 24 novembre lô87 le duc de Guise avait baltu à Auneau dans la
Beauce, une armée de Suisses et d'Allemands qui allaient joindre le roi de
Navarre : elle était commandée par le baron de Donaw.
(3) Le 15 mars suivant, Héroard laisse en blanc le nom de ce sculpteur,
mais il le dit Flamand et retiré à Florence; puis le 17 il le nomme Du Pré, *
en ménageant la place de son prénom. Il s^agit certainement d*un autre ar-
tiste que Guillaume Dupré, dont Héroard parle le 21 septembre 1604, en le di-
sant natif de Sissonne, près de Laon. Dans ce statuaire flamand, retiré à Flo-
rence, on serait tenté de reconnaître le célèbre Jean de Bologne, né à Douai
en 1524 suivant Baldinucci, en 1529 suivant Mariette, et dont le nom de
famille est resté inconnu. On sait que Jean de Bologne commença en 1604 ,
pour la France, le cheval de bronze destiné à la statue de Henri IV; qu^après
la mort de cet artiste, en 1608, Pierre Tacca, son élève, fut chargé d^achever
ce travail; que la figure équestre de Henri IV, terminée en 161 1| fut placée
120 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
tiré en bosse de cire pour jeter en fonte par Després.
Amusé à chanter le pot pourri des chansons ; quand il
étoit à la meunière de Vernon, ildisoit : de Canda/e, chan-
geant le nom ded'Épérnon.
Le 13, dimanche, — M"'® la princesse de Condé et
M'^® de Bourbon le viennent voir. Il se joue avec sa nour-
rice, dit qu'il est Tlnfante et parle des mots de jargon;
puis il cause avec sa nourrice, dit qu'il est moucheu Dau-
phin et que l'Infante a un petit conin comme Madame;
il le dit tout bas à M"" de Ventelet, de honte de le dire
tout haut, et me le dit tout bas à Toreille. Il se joue avec
Madame, mais il ne veut point que Ton dise qu'il est le
prince de Galles : Ho l non, je suis Dauphin, dit-il.
Le 14, lundi. — Il s'amuse à un livre des figures de
la Bible, sa nourrice lui nomme les figures et les lettres,
puis après il nomme les lettres et les connoit toutes. Il se
meurtrit en jouant , se fait prendre par sa nourrice qui
le met en son giron et s'amuse à chanter et à jouer sur
la mandore de Boileau, qui en jouoit; il chante la chan-
son de Robin :
Robin s'en va à Tours.
Acheter du velours
Pour faire un casaquin :
Ma mère je veux Robin.
Le 15, mardi. — Le sieur. . .., Flamand, statuaire, retiré
à Florence, le retiroit en cire de la hauteur d'un pied et
demi par le commandement de la Reine. Le Dauphin
dit : C'est mon frère de cire (c'étoit pour le jeter en or,
. pour l'envoyer.à TAnnonciade de Florence). Il s'amuse
àson petit ménage d'argent, dit à.M. de Vendôme : Allez
sur le Pont-Neuf à Paris, en 1614, et qu'elle fut détruite en 1792. Jean de
Bologne, âgé en 1605 d'au moins soixante-seize ans, aurait-il fait à cette
époque un voyage en France ignoré de ses biographes, et son nom de famille
serait-il Dupré ou Desprès? Cela ne nous paraît pas probable, et il s*agit sans
doute d'pn de ses élèves et compatriotes.
MARS IGO^. 121
vous-en.W^ deMonlglat l'en reprend, il répond : Ce nest
pas mot, c'est mon petit frère de cire qui Va dit.
Le iQ, mercredi. — Il se joue avec un petit mar-
mouset de Cupidon, fait de carte et de plâtre peint, et
avec un petit bœuf de carte plâtrée et peinte sur lequel
il monte son Cupidon. Il vient en ma chambre, demande
à voir les oiseaux ; c'étoit le livre de Gesner.
Le 17, jeudi, à Saint- Germain. — Il s'amuse à son petit
ménage plus de deux heures continuelles, donnant la
patience à du Pré de tirer sa figure de cire.
Le i8, vendredi. — M. de Belmont arrive, portant un
beau pistolet de Metz ; il quitte tout soudain son petit
ménage : Eh! donnez-moi ce beau pistolet! M. de Belmont
lui dit : « Monsieur, donnez-moi donc ce ménage; » il
Tavance soudain pour le bailler, et le retire de même di-
sant : Ho! non, c'est maman qui me Va donné. Il s'amuse
à tirer du pistolet de M. de Belmont fort dextrement.
Le 21, lundi. — Il s'amuse à un petit homme de carte
plâtrée, à cheval, que ma femme arrivant de Paris lui
donne; il voit M. Donon, contrôleur des bâtiments, et lui
dit : Faites accommoder le palemail pour Vamour que fy
joue.
Le 22, mardi. — Mené au bâtiment neuf où, à onze
heures trois quarts, le Roi arrive et le reçoit au haut de
la montée de Mercure , le mène en la galerie, en la cha-
pelle et à la salle où il a dîné avec le Roi, M. d'An-
goulème et M. de Montpensier. Le Roi le fait danser
la sarabande, la bourrée, les branles , le mène à là ga-
lerie, se fait botter, et à deux heures et demie l'ayant
embrassé et baisé, part pour- s'en retourner à Paris.
Le 23, mercredi. — Il vient, par le village et le préau,
loger au bâtiment neuf à cause que ce jour-là, au matin,
la petite vérole apparut à M. de Verneuil.
Le 26, samedi. — M"'*' la comtesse de Moret le vient
voir; il danse la sarabande, la bourrée, puis dit à Boi-
leau, son joueur de violon : Ne jouez plus, je ne veux plus
122 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
•
danser ; il court au cabinet pour y prendre ses armes, y
appelle M. le Chevalier, revient, son épée au côté, por-
tant-son arquebuse à mèche et fait marcher devant lui
M. de Belmont. A goûter, on lui demande de M"™* de
Moret : « Monsieur, qui est cette dame-là? » il répond en
souriant : Madame de foire.
Le 27, dimanche. — Après déjeûner il fait trois sauts,
un pour papa, un pour maman et un petit pour Madame.
Mené aux grottes , il fait grande difficulté d'y entrer;
on lui promet de lui faire tourner le robinet, il y entre et
prend plaisir de faire mouiller ceux qui y étoient.
Le 29, mardij à Saint- Germain, — Il écrit une lettre
portée par M. de Mansan, moi lui tenant la main (1). Il
s'amuse après à crayonner (2).
Le ^iy jeudi. — Mené aux fontaines, il entre aux or-
gues (3), ouvre et ferme le robinet, puis va à celle de
Neptune. M. de Cressy avoit blessé, d'un coup d'épée en
la tôte, un soldat nommé Delor; le sang lui couloit par
tout le côté et il ne s'en vouloit point aller pour se faire
panser; je dis à M. le Dauphin qu'il lui commandât d'y
aller, et il lui dit avec gravité : Delor, allez vous
faire panser, allez , je le veux, M. de Cressy con-
testant avec Delor, lui parle rudement et le menace de
la prison; M. le Dauphin tenoit des petits ciseaux, il se
retourne en colère, grossissant les yeux et représentant
(t) Héroai'd fait écrire au Dauphin les mots à mesure qu'il les dit et figure
la prononciation de l'enfant dans cette lettre comme, dans sou journal :
u Papa je pie Dieu'qu'i vou donne le bon jou et à muman. Je nie pote bien
tout pest à faire un peti sati pou vote seuice. Fefé Vaneuil est en pison pouce
qu'il a fait Topiniate et moi je ne le sui pu. J'ay bien touné le robiné j'ay
fai mouillé lé dame bien for. Adieu papa maman je sui vote tesumbh et tes
obeissan fi et seuiteu. — Daclpuiin. »
(2) Héroanl a conservé ces griffonnages qui n'ont encore aucune forme; ils
sont reliés avec son Journal, dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.
(3) Ces fontaines, construites par Francine, étaient accompagnées d'orgues
hydrauliques; cette mode durait encore au commencement du règne de
Louis XIV, et la grotte de Versailles avait aussi des orgues hydrauliques.
AVRIL l«0». 123
la face d'un homme ardent de colère, et lui dit : Je vous
tuerai, voyez-vous bien avec mes ciseaux! puis se repen-
tant du mot tuer dont on le reprenoit : Je vous donnerai
dans les yeux, voyez^vous bien ! Il étoit bouffi de colère ;
je ne lui avois jamais vu faire une pareille action pour
témoigner sa colère.
Le 2 avril, samedi, à Saint-Germain. -^ Il se prend à
chanter de son invention :
Amour a prins Mansan
Pour faire un capitan
Pour me servir quand serai grand.
Il en avoit autant dit après diner, l'inventant et chan-
tant sur le son d'une autre chanson, chantée par sa nour-
rice et M"*' de Ventelet.
Le 4, lundi. — M. de Ventelet lui demande : « Monsieur,
n'aimez-vous pas les Espagnols? » il répond : Non. —
(( Pourquoi, Monsieur?» — Pource quih sont ennemis de
papa. — c( Monsieur, aimez-vous bien l'Infante? » — Non.
— «Monsieur, pourquoi?» — Pour Varfiourquelle est Es-
pagnole, je n'en veux point. Je lui dis : « Monsieur, elle vous
• fera roi d'Espagne et vous la ferez reine de France ; » il
répond en se souriant, comme de chose où il eût pris plai-
sir : Elle couchera donc avec moi et je lui ferai un petit en-
fant. — « Monsieur, comment le ferez-vous? » — Avec ma
gfmWery, dit-il bas et avec honte. — «Monsieur, la baiserez-
vous bien? » — Oui , comme cela , dit-il , en se jetant à
corps perdu la face contre le traversin. Il va à la galerie,
s'amuse aux outils du menuisier qui posoit les châssis de
verre; on lui en nomme quelques-uns, je lui demandai :
« Monsieur, comment s'appellecela?» — Unevarloppe. —
« Et cela? » — Cest un Guillaume (1). Il retenoit extrême-
ment bien les noms propres des choses.
Lé 5, mardi. — M'"*" de Montglaf lui apprend : Je crois
(1) Sorte de rabot.
124 JOURNAL DE JEAJN HÉROARD.
en Dieu le père (oui-puissant, etc., qu'il retient fort bien, '
puis lui apprend ces mots qu'il prononce après elle :
Dieu est un esprit, et il ajoute du sien : Et gage que ce n'est
pas celui de la galerie rouge, se ressouvenant avoir au-
trefois ouï dire qu'il y en revenoit un ; il avoit Tœil et To-
reille à tout, sans en faire semblant, retenoit tout , s'en
ressouvenoit et accommodoit les choses passées à celles
qu'il voyoit ou dont il avoit ouï parler .
LeQy mercredi, — Je lui dis : « Monsieur, nous donnez-
vous votre congé pour aller à Paris? » — Oui. Ma
femme lui demande : « Monsieur, si nous revenions, en
seriez-vous bien aise? » — Non. -r' ^< Monsieur, dis-je,
poui: combien de temps nous donnez-vous congé ?» —
Pour trois mois. — « Monsieur, si nous nous noyons , nous
ferez-vous pêcher. » — Oui. -^ « Monsieur, avec quoi ?» —
Avec un filet. Notre coche faillit à tomber dans la rivière
au port de Neuilly ; nous y courûmes grande fortune (!}.
Le T y jeudi, à Saint-Germain . — M. et M™*^ de Rosny
assistent à son souper.
Le 13, mercredi. — J'arrive* à cinq heures avec mon
beau-frère Montfaulcon, il me fait bonne chère (2).
Le 16, samedi. — Eveillé à sept heures il se tourne et '
retourne dans son lit en toutes façons, dit qu'il va aux fon-
taines tourner le robinet, fait, fss fss , puis me dit : Dites
grandmerci moucheu Francino (3) . Je lui réponds : a Grand
merci, M. Francino; voulez- vous de l'argent?» — Oui.
Je lui mets en la main un quart d'écu. — Ho ! ho! c'est
tout à bon (4). — «Je le donne au sieur Francino, non à
(1) Le passage dii bac de Neuilly était fort dangereux ; le Roi et la Reine
faillirent s'y noyer Tannée suivante, ie 9 juin. Voy, aussi le Journal d'Héroard
au 31 mai 1602.
(2) Bon accueil.
(3) Les grottes et fontaines de Saint-Germain et celles de Fontainebleau
étaient^ dit le P. Dan, « de l'invention et de la conduite du sieur de Fran-
cine, que le roi Henri le Grand fit venir de Florence pour les dresser. ^
(4} C'est pour tout de bon.
AVRIL IGOiî. 125
M. le Dauphin^ car il ne faut pas que les princes pren-
nent de Targent. » Il m'écoute et le met dans son lit :
c( Monsieur, luîdis-je, ouest récuquejevousai baillé?»
— //^s^ dans »ion/î7; il le prend et me le rend, puis change
de propos. J'irai à la chasse, je tuerai un sanglier avec mon
épie. Je lui dis : a Monsieur, vous irez à la chasse et [ior-
terez votre épée, puis le sanglier qui viendra droit à
vous s'enferrera dedans , après vous lui donnerez un
coupd'épée, il mourra. » — Puis je lui couperai le cou. —
«Monsieur, non pas, vous lui ferezcouper par les veneurs.»
— Serai'jepas veneur? — « Monsieur, vous commanderez
aux veneurs, qui couperont la hure, et vous la porterez à
papa, qui vous embrassera, il vous aimera tant; puis vous
irez prendre le cerf, lui donnerez un coup d'épée sur le^
jarret, il tombera, vous lui ferez couper le pied, vous le
porterez à papa , qui vous caressera, vous appellera son
mignon,vous mènera danssa belle galerie du Louvre.» —
Du Louvre !oii est-il? — «A Paris, c'est la maison de papa;
dans sa galerie il y a des corselets d'or, d'argent (je lui
nomme toutes sortes d'armes); il vous dira : mon fils,
prenez ce que vous voudi?ez, voilà une clef de ma ga-
lerie que je vous donne puisque vous êtes bon fils et
point opiniâtre, et que vous avez pris le sanglier et le
cerf. » Ce discours dura fort longtemps, tant il y pre-
noit de plaisir ; il dit encore : Quand j'irai à Paris, je
donnerai un coup d'épée à un Irlando.is! — « Mais, Mon-
sieur, il ne' faut pas qu'un prince fasse mal à personne
ni qu'il frappe jamais ; si vous rencontrez des Irlandois
qui fassent du mal (1) vous commanderez que Ton les
mette entre les mains de la justice de papa. » — Oui, de
(1) « Le samedi 20 ( mai 1606), dit ie Journal de Lesloile, furent mis Iiord
de Paris tous les Irlandois qui étoient en grand nombre, gens experts en
fait de gueiiserie et excelleus en cette science, par- dessus tous ceux de cette
profession, qui est de ne rien faire et de vivre aux dépens du peuple et aux
enseignes du bonhomme Péto d'Orléans... On les chargea dans des bateaux
conduits des archers, pour les renvoyer par delà la merd^où ils étoient venus, v
126 JOURNAL DE JEAN HÉROARD,
la justice qui les mettra en prison au vieux château, —
((Oui, Monsieur, et si vous en trouvez qui dérobent, qui
volent les pauvres gens aussi. » — Ce voleur qui voloit sur la
corde étoit Irlandois'^W étoit vrai ; il accommoda le mot de
voleur à l'autre signification , il Tavoit vu voler à Fon-
tainebleau (1). — Et puis s'ils sont voleurs il les faut mettre
entre les mains du grand prévôt. Il m'étonna d'avoir
nommé de son mouvement cette qualité et en avoir su
reconnoitre la fonction.
Le 17, dimanche. — Il me fait .redire les mêmes
contes que je lui avois faits le matin du jour précédent;
il y prenoit un grand plaisir, les écoutoit attentivement
et il lui prenoit des tressaillements de coui^ge quand j'é-
tois sur les combats. Il dit ; J'aurai mon grand tambour
%leu et puis le tambour de taine (2). — a Oui, Monsieur, c'est
un tambour de guerre » . — Om, de guerre, il y vapour ga-
gner sa vie, — « Oui, Monsieur, papa lui donne six francs
par mois. » — Et à les soldats? — a Papa leur donne
douze francs, » Il répète en soi-même douze francs et dit :
Je leur veux donner six écus, moi.
Le 18, lundiy à Saint-Germain. — Il appelle M. le Che-
valier : Cadet pisseux^'-W^ de Vendôme, Carf^ffe pisseuse,
et se nomme lui-même Cadet de haut appétit^ parce
qu'autrefois il Tavoit ouï dire aux soldats.
Le 19, mardi. — Arrive M. de Grillon (3), mestrede
camp du régiment des gardes, qui ne l'avoit pas encore
vu ; le Dauphin lui ôte son chapeau, lui donnje sa main à
baiser, disant : Bonjou, moucheu de Cri lion. M. de Grillon
lui dit : «Monsieur, voulez-vousqueje tue cettui-ci, cettui-
là? » — Non. — c( Qui donc? » — Les ennemis de papa. Le
Roi et la Reine arrivent à une heure et demie venant de
(1) Voy, au 23 septembre 1604.
(2) Du capitaine.
(3) Louis de Bal bis-Bertons , seigneur de Grillon, avait alors soixante deux
ans. Il mourut en 1615.
AVRIL 160». 127
Paris en carrosse, il va au devant en la cour, revient
avec LL. MM. en la galerie, s'asseoit à table avec eux, sert
la serviette au Roi, puisa la Reine. L'on met Favori, chien
de la Reine, sur la table, il demande : Ho! ho! qui est
slilà? lui tire l'oreille; le chien fault à le mordre. Mis à
bas il fait la révérence au Roi, qui le mène à la galerie
où il va à. la guerre, tire des arquebusades (1). Je crois
qu'il a voit la tète et le corps pleins de tambours, d'arque-
buses, de pistolets, de toutes sortes d'armes et de sol-
dats. A quatre heures trois quatts, le Roi et la Reine s'en
retournent à Paris.
Le 20, mercredi^ à Saint-Germain. — Parti en carrosse
pour aller à Carrière ; il mène Madame pour tenir à bap-
tême la fille de M. de la Salle avec M. le Chevalier; il
voit paisiblement faire le baptême où Madame tenoit les
pieds de la petite fille.
ie21 jeudi, — Il se joue à coigner des clous à un
vieux placet (2). M"® Piolant lui dit qu'il se donnât de
garde de se blesser, il s'en fâche et lui jette son marteau ;
M"' de Montglat l'en tance et lui dit : a Monsieur, faites-
lui baiser votre main. » Il la tend et l'approchant de sa
bouche lui donne un petit soufflet et s'en va; peu après
s'en repentant, mais non à l'heure, il va où étoit M"'' Pio-
lant, l'embrasse et lui demande pardon. Sur l'heure il
ne pardonnoit point; il falloit lui en parler, il songeoit,
puis il y venoit de lui-même avec contenance de dé-
plaisir d'avoir offensé.
Le 25, lundi. — Il fait danser, à la salle, des Limou-
sins, maçons qui travailloient à la muraille du parc.
Mené chez M. de Frontenac, quifiançoit M"^sa fille à M. de
Carbon nière, M™^ de Montglat lui dit qu'il prit la damoi-
seile par la main pour la mener fiancer ; il la prend, la
mène au devant du curé, se fait prendre aux bras par
(1) Il en imitait le bruit avec sa bouche.
(2) Un tabouret.
128 JOURNAL DE JKAN BÉROARt).
s
M. Birat et écouta attentivement toutes les paroles du
curé, ayant toujours la vue arrêtée sur lui.
Le 26, mardi. — Mené au vieux château, où il prend
par la main M"' de Frontenac, la conduit dans la chapelle,
la mène à l'offrande après avoir attentivement regardé
et écouté tout ce qui s'étoit passé aux cérémonies d'épou-
sailles, et la ramène en son logis. A une heure arrivent
les députés de Zurich, Bâle et Schaffouse; celui de
Zurich, chancelier, porta la parole, disant : «Mon-
seigneur, Messieurs des Quatre Cantons, vos servi-
teurs et bons amis, alliés et confédérés, nous ont en-
voyés devers le Roi pour quelques affaires, desquelles
nous lui avons parlé ces jours passés, et nous sommes
venus ici, Monseigneur, pour vous voir et vous supplier
de les tenir pour vos serviteurs, bons amis, alliés et con-
fédérés. Aimez et assistez notre nation quand elle en
aura besoin, espérant qu'avec le temps, vous serez roi
de France; et pour notre particulier. Monseigneur,
nous vous supplions de nous tenir pour vos très-humbles
et affectionnés serviteurs, et prions Dieu qu'il vous ac-
croisse en vertu comme en âge. » Le Dauphin répond :
Messieurs, je vous remercie. — Il soupe à la noce de M"* de
Frontenac, ayant en sa table toute la compagnie.
Le ^2^1 y mercredi. — Il demande d'aller à la garenne ;
en approchant du bac il voit sept ou huit hommes delà
l'eau et dit : Hé! je gage quevelà la drôlerie du Pecq; c'é-
toient les gens du Pecq qu'à la mi-carême il avoit ouï
nommer ainsi. Passé, mené le long de l'eau, il voit
courir quelques lapins. Ramené au bac il s'amuse à jeter
du papier dans l'eau en guise de bateaux.
Le 28, jeudi, — Il va en la galerie , s'amuse à voir
planter des châssis aux fenêtres, considère les fruits des
vases peints au lambris, les nomme.
Le 29 y vendredi. — Mené à la grotte d'Orphée, où l'on
le fait enfin entrer, suivant M""® de Monglat, qui lui ten-
doit des pois sucrés dans sa main; mais avant il fallut
MAI IG015. 120
faire couvrir ^effigie (1) avec un linge; il Voulut avoir
les clefs de peur que Ton ne le fit jouer.
Le 30 avril, samedi. — Il s'amuse à peindre sur du
papier, imitoitles peintres, soutenan t sa main droite, dont
iltenoitla plume comme un pinceau par-dessus le bras
gauche, comme font les peintres sur la verge (2) , et con-
duisoit sa main et la plume aussi artistement qu'eût fait
le peintre son .pinceau.
Le l" maif dimanchey à Saint-Germain. — Le tambour
de M. de Mansan lui apporte des bouquets; il va à M*"* de
Montglat : Hél Mamanga, donnez un écu au tambour. —
« Monsieur, votre trésorier n'est pas ici ». — Hé! Ma-
mangay donnez-lui, je vous rendrai tout, mais que je sois
grand.
Le 2, lundi. — Je pars pour aller à Paris (3).
Le 7, samedi. — M. de Guise le vient voir; il lui de-
mande : c( Monsieur, aimez-vous bien les Espagnols? »
— NoUy répond le Dauphin.
Le 9, lundi. — Mené promener aux grottes, il voit des
forçats qu'on menoit à la galère, et se prend à pleurer,
disant : Mamanga, je veux qu'on les laisse aller.
Le 13, vendredi. — M"* la comtesse de Guichen le
vient voir; il tire d'une petite arbalète que la comtesse
lui avoit donnée, monte sur le cheval du petit Lauzun,
petit -fils de la comtesse (4).
(1) La statue d'Orphée.
(2) L'appiiie-main.
(3) Pendant l'absence d'Héroard rapolhicaire Guérin le remplace, et le
Joiirnal est beaucoup plus succinct jusqu'au 18 mai, jour du retour d'Héroard.
Une lettre de Henri IV à M"® de Montglat, dat<^edu 3 mal, et que M. Berger de
Xivrey a classée à Tannée 1607, se rapporte évidemment à l'année 1605; la
voici : t Madame de Montglat , j'ai été bien aise d^apprendre par votre lettre
du i" de ce mois que mon fils et ma fille se portent bien, comme aussi mes
autres enfants. Je trouve bon qu3 vous demeuriez au] château neuf, et que
vous y fassiez venir mon fils de Verneuii , lui faisant bailler une chambre. »
[Lettres missives, Wl, 229.)
(4) Gabriel Nompar de Caumont, comte de Lauzun, fils de François Kom*
iiÉROARD. — T. I. y
130 JOURNAL DE JEA.IN tlÉKOARD.
Le 14, samedi. — U va jouer en la cour, dit aux sol-
dats qu'il aimoit les Gascons; on lui demande : « Pour-
quoi? » — Pour ce que je suis de leur pays.
Le i8, mercredi j à Saint-Germain. — U voit plusieurs
sortes de satin de couleur, à doubler Tar moire de ses
armes, choisit le bleu. J'arrive de Paris; il vient au
devant en la cour : Quem^apporlez-vousl Je lui baille un
marmouset à chevaltenant une laisse de lévriers. Le soir,
un peu avant de se coucher, il donne le mot au sieur delà
Perrière, exempt; M. Taumônier le lui demande, illui
répond : // ne faut pas donner le mot au prêtre.
Le 24, mardi. — Mené au logis du sieur Francino, qui
lui f^iisoit une petite fontaine.
Le 25, mercredi. — U se joue en la galerie ; M. de Pa-
vas (1) y vient, il lui baille son épieu de fer, son épieu de
bois à M. de Belmont, et, à M. de Mansan, sa fourchette (2);
lui porte sa arquebuse, fait marcher M, deFavasà la tête,
et va ainsi à la g'uerre. Il va chez Francino , en son ca-
binet, où il s'informe du nom de tout ce qu'il y voit.
Le 26, jeudi. — Sa remueuse lui donne un petit
ménage de plomb, un calice , un encensoir, un coq et
une femme, le tout dans une boite ; il range ces petites
besognes. M™® de la Trimouille , fille de feu M. le prince
d'Orange et de M'"^de Jouarre, M'"^ la marquise de Royan,
fille de feu M. le chancelier, vont à la chambre de M. de
Verneuil ; le Dauphin fut fâché que quelqu'un de ceux
de M'"® de la Trimouille lui avoit relevé de terre une
petite balle; elle s'approche de lui, disant qu'elle le tan-
céroit bien : il lui donne un soufflet.
par de Caumont et de Catherine de Gramont, fille de la hellp Corisande
Il mourul en 1660, et fut père du fameux duc de Lauzun.
(1) Jean de Fabas, vicoiute de Castet, un des principaux chefs royalistes de
répoque de la Ligue, ou peut-être sou HIs, qui mourut en 1654, après avoir
pris parli contre le Roi. — Voy. une Étiide publiée sur Faba* par iM Anatole
de Barthélémy , dans la Bibliotlièque de V École des Chartes.
(2) Instrument que l'on plantait en terre pour appuyer l'arquebuse.
JUIN I60a. IHl
Le 30 mai, lundi: — Uécoutoiisa nourrice se plaignant
de ce que l'on avoit renvoyé de ses amis qui éloient
venus pour voir le Dauphin; il se prend à pleurer, disant:
Je veux quon les aille quérir. Il s'étoit déchaussé étant à
table, sa nourrice le veut chausser : Non, maman doun-
doun, je veux pas que vous me chaussiez. — « Pourquoi,
Monsieur ?» — Pource que vous m'avez donnéàteler quand
j'étois petit. 11 va chez Francino, fait mettre un robinet
à sa fontaine de bois, a la patience de voir tout faire.
Le 31, mardi. — Parti pour retourner au vieux château,
à cause de la venue du Roi. (1)
Le 1" juin, mercredi, à Saint- Germain. — M"* Pré-
vost des Yveteaux(2) et M"" Morin, de Chartres, assistent à
son souper; il regarde attentivement M"'' Prévost, je lui
dis que je vois bien qu'il est amoureux ; il en sourit, puis
feint de regarder ailleurs et la guigne du coin de l'œil.
Mené au jardin, il entend deux soldats qui éloient à la
prison de Thorloge, et dit : Je veux quils sortent, Maman-
ga. Elle lui dit qu'il le falloit demander à M. de Mansan ;
il se retourne soudain pour aller à lui, qui étoit demeuré
derrière, et lui dit : Taine{3), je veux, s'il vous plaît, )jue
vous fassiez sortir ces soldats .
Le 2, jeudi. — Le comte de Saure, grand écuyer de
l'Archiduc, revenant d'Espagne, lui baise la main, lui
fait les recommandations de l'Infante, et dit qu'elle parle
souvent de lui et que Ton désire en ce pays là bien fort
de le y voir. A dîner on lui dit : « IMonsieur, buvez à la
sauté de l'Infante, » il répond: Je m^en vas boire à ma
maîtresse.
(1) Le Roi n^arriva que le 8 juin.
(2) Dans son liistoriette sur des Tveleaux, Taileiiiant des Réaux dil :
« M™e de SaiiitGeriniiii-Prévost , dont le fils se vaiitoit d'être fils du maré-
chal de Biron, est celle de qui on a le plus parlé avec le honliomuie. » Y avait-
il pareulé entre des Yveteaux el cette famille Prévost? Ce passage d'Hé-
roard tendruit à le l'aire supposer.
(3) Abiéviatiun de capitaine.
y.
182 JOURNAL DE JEAN HÉROÀRD.
Le 3, vendredi j à Saint-Germain. — Il vient en iDa
chambre, demande : Où est le lion? C'éloit le livre des
animaux de Gesner ; il les reconnolt, puis les oiseaux.
Le kj samedi. — Il s'amuse dans son lit à une boite de
petites quilles à pirouette; je lui baille un petit singe de
poterie qui avait le col cassé jusqu'aux épaules. — Il va
sur les terrasses , se raille de Montméjan , soldat et gen-
tilhomme gascon, en disant ; Ce Montméjan qui dit: lou
castel de mon paire, c'est-à-dire le château de mon père ^
s'en rendant lui-même l'interprète. 11 monte en ma
chambre, demande à voir les livres des oiseaux et des
quadrupèdes de Gesner, puis : Où est celui des bâtiments?
C'étoit celui de Vitruve, qu'il n'avoit vu il y avoit plus
d'un an.
Le 6, lundi. — Il va en la chambre de M"® de Montglat.
Je lui tiens la main pour écrire alu Roi en cette sorte :
Papa , j'ay su que vous avez esté malade , j'en ay esté bien marry,
mais j'ay tant prié Dieu qu'il vous a rendu vostre santé. J'en ai fait
trois petits sauts. J'ay bien envie de vous voir, car je suis bien sage,
plus opiniastre, et feray tout ce que vous me commanderez, et seray
toute ma vie , Papa , votre très humble et très obéissant fils et petit
valet. — Daulphin.
Deux soldats de la compagnie , pour s'être battus au
corps de garde, étoient prisonniers ; M. de Verneuil lui dit ;
« Mon maître, dites, s'il vous plaît, à M. de Belmont qu'il
fasse sortir lés prisonniers. » — (?w'o^^i's/aû?dit-iIbrus-'
quementetde lui-même; on lui dit qu'ils s'étoient battus;
il vafroidement àM. de Belmont : Belmont, faitessortir les
prisonniers, faites, faites. Les deux soldats arrivent, il leur
dit de son mouvement : Soyez sages, ne vous battez plus, ei,
peu après, les voyant encore là: Allez vous-enau corps de
garde.
Le 7, mardi. — Il va au bâtiment neuf, chez le menui-
sier, pour voir faire son jardin de bois, puis chez le sieur
Francino pour y voir la fontaine qu'il lui faisoit. Le soir il
dit àM'"''de Montglat : Mamanga, faitespas dire Pater, faites
JUIJN IGO». 133
dire noire Père. Étant à ces mots : Ton règne advienne :
Mamangay qu'est-ce à dire Ion règne advienne ? M""" de Mont-
glat lui en donne raison, et il continue : Mamanga, qu est-ce
àdire : et nous pardonnez nos offenses ? — ce Monsieur, c'est
que nous offensons le bon Dieu tous les jours, nous le
prions qu'il nous pardonne; » à ces mots : Et nous garde
dumalin: Mamanga, qu est-ce à diremalin P — « Monsieur,
c'est le mauvais ange qui vous fait dire : Allez-vous-en!
Parlez plus hautl » et autres traits de son opiniâtreté. Il
dit encore à M™' de Montglat : Le bon Dieu a été sur la croix,
Mamanga. Je lui demande : « Monsieur, pourquoi? » —
Pour ce que nous avions tous été opiniâtres, vous, Slamanga,
moi aussi, maman doundoun et mademoiselle Héouard,
Le 8, mercredi. — Éveillé il chante dans son lit :
Miquele se veut marida
A un brave capitaine, hélas (t) !
Le Roi arrive au bàtimentneuf; ilpartavec une extrême
impatience de le voir, court au Roi, quil'attendoit sur la
porterie la salle du bâtiment neuf, le baise, l'accole;
à une heure dîné avec le Roi. La Reine arrive à une
heure et demie; il la va recevoir à la descente de son car-
rosse , à la porte de la salle ; elle le baise par-dessous le
masque. Il va en la galerie avec LL. MM., puis suit la Reine,
qui s'en alloit dîner, lui donne la serviette. Il s'en va
avec la Reine en la chambre , voit un homme qu'il n'a-
voit point vu il y avoit un an, qui faisoit des fusées, s'en
va au Roi : Papa, velà celui qui fait des fusées, ce qui étonna
tout le monde pour sa mémoire.
Le9,jeudi. — MM. de Grillon et deFavas assistent à son
lever. Le Roi le promène, puis le mène en la chapelle,
après le ramène à pied à la procession, portant aussi
son cierge , puis le ramène à la chapelle. Le Roi se vou-
lant jouer à lui l'appelle vilain, et lui dit qu'il n'est pas
(i) Le Daupbin ciiaote souvent, cet air. Voy. au 18 juin suivant.
134 JOURNAL DK JEAN HEROARD.
gentilhomme; le toilà en colère extrême; le Roi en fut
fâché, et lui dit qu'il éloit gentilhomme ; il ne s'apaise
aucunement, et fut mené dehors et porté en sa chambre.
Le Roi sortant de la messe, il entend le tambour et dit ;
Je veux aller dîner avec papa ; il y va et dîne à douze
heures et demie. Mené en la chambre du Roi , il est en-
suite ramenéen la carrosse (1) avec LL. MM. au château
vieux. M. d'Alincourt prend congé de lui, allant partir
à rheure pour aller à Rome. 11 se joue avec M. de Cour-
tenvaux, pour lequel il avoit une merveilleuse inclina-
tion.
Le 10, vendredi, à Saint-Germain . — Mené chez le Roi
au bâtiment neuf; le Roi, qui étoit dans le lit pour un
peu de goutte, le fait mettre, lui et Madame, dnns le lit
auprès de lui, tout nus. Madame cause, M. le Dauphin
en est l'interprète (2) et le rapporte en souriant au Roi.
Le a y samedi, — A neuf heures mené chez le Roi, qui
étoît au lit; il va chez la Reine, prend sa petite boite
ronde d^ârgent et une aiguille d'argent, en fait un tam-
bourin, retourne chez le Roi, puis en la galerie. Dîné
avec la Reine. Dépouillé et Mvidame aussi, ils sont mis nus
dans le lit avec le Roi, où ils se baisent, gazouillent et
donnent beaucoup de plaisir au Roi. Le Roi lui demande :
« Mon fils, où est le paquet de l'Infante? » 11 le montre, di-
sant : Il n'y a point d'os, papa; puis comme il fut un peu
tendu : Il y en a astheure, il y en a quelquefois. Il assiste aux
fiançailles de M. le prince de Conty avec M"*' de Guise' (3),
à huit heures.
Le 12, dimanche. — Mené par le pont du Roi au bâti-
ment neuf, au Roi, encore au lit pour sa goutte ; la Reine
(f) c'est la premiènî fois qu'Hdrftaid emploit; ce mot an féminin.
(?) \\ expli'jue an Roi le jargon de Madame, qui avait nn nn de moins que
iiii.
(3) Lonise-Marguerite de Lorraine, (ille de Henri, duc jle Guise, dit le
Balafré.
JUIN 1«08. 135
lui donne une enseigne de diamants avec un bouquet de
plumes d'argent. Ramené à cinq heures au vieux château^
il va en sa chambre, où il fait jouer et chanter la musique
de la Reine (quatre luths et deux voix de petits enfants),
l'écoute avec ravissement.
Le 13, lundiy à Saint-Germain, — Il va chez M"« de
Guise, qui le matin, à six heures, avoit été épousée;
mené au Roi en carrosse au bâtiment neuf. Le Roi le
fait mettre nu avec lui dans le lit; revêtu, il descend
à la grotte sèche avec LL. MM., qui y font collation.
Le 14, mardi. — Mené à la chambre de la mariée ( c'étoit
M"" de Guise, qui avoit été le soir précédent mariée), puis
\ la chapelle, où en allant il trouve une pauvre femme
qui prioit pour son mari, à qui l'on avoit confisqué le
bien : Mamanga^ donnez de V argent à cette femme, M. de la
Noue l)le vient voir. Mené au Roi au bâtiment neuf; le
Roi et la Reine sont partis pour retourner à Paris, à trois
heures.
Le 15, mercredi, — Il monte en la chambre dç sa
nourrice, lui demande ses ciseaux; elle les lui baille, il
les jette dans le fossé, puis veut aller dans le fossé pour
les quérir, va tout plein de feu jusqu'au dessous du pont-
levis; on le lui fait regarder : Qu'est ce/a?demande-t-il.
— « Monsieur, c'est le pont-levis qui vous tombera dessus
la tète » ; il tourne court, et remonte.
Le il, vendredi, — Mené au Roi et à la Reine revenant
de Paris. Mis au lit, on lui demande la différence qu'il
y avoit d'un fils à une fille, il songe, puis dit : Je le dirai
demain, je sais pas^ je veux songer en mon lit.
Le 18, samedi. — Il se fait mettre au lit avec sa nour-
rice; le Roi y vient à huit heures, et l'y trouve; il
chante ; Miquele se veut marida, papa. A neuf heures, il
s'en va avec le Roi en carrosse, va voir la Reine, encore
(1) Probablement Odet de la Noue, que fut employé avec disiinction au
service de Henri IV; il était fils du fameux Bras de Fer, mort en 1591.
13G JOURNAL DK JTAIN UEUOAKD.
au lit, se joue, va prendre un placet (1) pour en faire
(les -fontaines. M"*^ de Montglat en veut apporter un
^utre, il entre soudain en colère : Je vous battrai y
Mamangaj et va sur elle, la frappe : Je vous luerai,maman»
Le Roi le fouette sur les fesses avec la main ; ne se tai-
sant point, le refouette encore , puis s'en va ; il se jette à
terre, puis feint de ne pouvoir cheminer, va clopinant,
pleurant, criant : Hé! Mamafiga,papam'a rompu la cuissey
metlez-moi de Vonguent. A trois heures mené en litière,
avec Madame, chez le Roi, qui le mène voir la chasse aux
toiles, aux Loges.
Le 20, lundi, à Saint-Gérmain. — Il se joue dans le ca-
binet du Roi avec des petites tenailles dont il pinçoit le
couvercle, peint de personnages, d'une boite de Flandres.
Le 21, mardi» — Il vient en ma chambre, s'amuse aux
oiseaux (2), au siège d'Ostende et à la carte de Flandres.
Le 23, jeudi. — Mené chez M. de Frontenac, d'où il voit
mettre le feu au bûcher de la Saint- Jean.
Le 24, vendredi. — M. le comte de Soissons le vient
voir, il entre en mauvaise humeur, ne le veut point ac-
coler ni saluer; on lui apporte une pièce du biscuit du
Roi, on lui dit que c'est M. le comte de Soissons qui Ta
envoyée quérir; il le va accoler et l'en remercie. A deux
heures et demie goûté sur le haut de l'escalier, assis sur
le premier degré ; M. de Montbazon et M. de Rosny y
étoient. M. de Rosny lui demande : « Monsieur, qui est le
plus enfant de nous deux? » — C'est moucheu de Mont-
bazon. Il va en bas, à la chambre de M. de Souvré; M. de
Rosny y va, lui porte une bourse. — Je nen veux point,
elle est pas belle. — ce Mais, Monsieur, vous voyez qu'elle
est si belle ! il y a de si beaux dauphins! » — Non^ aile est
vilaine ; si vous me la baillez, je la jetterai dans le fossé,
— « Mais, Monsieur, voyez ! il y a de si beaux demi-écus
(1) Un tabouret.
(?) Da^is le livre de Gesner,
JUIN i60i5. iZI
dedans, » et on les vide dans un tablier. U les prend, les
remet dans la bourse, la jette en disant : Allez, vilaine. —
(( Monsieur, dit M. de Rosny, que vous plalt-il donc que
je vous donne? » — Un petit carrosse. Meneau bMiment
neuf, il court après le Roi et la Reine, ores à l'un puis à
Pautrej se jouant à eux; le Roi le fait décoiffer et aller
têl§ nue; la Reine mettant la main à sa guillery dit:
« Mon fils, j'ai pris votre bec. »
Le 25, samedi, — En dînant M'"° de Montglat parloit
d'aller voir M. de Rosny pour lui parler d'affaires; M. le
Dauphin, se retournant soudain vers elle, dit : Et du Ut
de maman doandoun. Il s'amuse à la fenêtre du passage
entrant au petit cabinet, à faire battre le tambour du sieur
de Mainville , capitaine aux gardes, lui fait battre les
batteries espagnole, angloise, wallone, italienne, pié-
raontoise, moresque, écossoise, lombarde, allemande,
turque, puis la françoise, uue chamade, un assaut, puis
lui dit : C*est assez! battez au champ vous en allant. A cinq
heures il va au bâtiment neuf voir la Reine, qui étoit
prête à se lever du lit; le Roi le fait mettre tête nue.
Le 26, dimanche, — Le Roi l'envoie quérir à dix heures
et demie; il se y en va, tabourin battant, trouve le Roi
écrivant, cesse sou tambour, et jamais ne voulut battre.
Ayant salué le Roi, il va chez le Reine, puis en la galerie
pour battre son tambour; le Roi y vient : « Mon fils,
ne battez plus »; il cesse aussitôt, et baille à garder son
tambour à M. le Chevallier. Il va chez la Reine, où il se
met en mauvaise humeur pour ce qu'il vouloit et jetoit
la poudre de la Reine avec la houppe ; la Reine envoyé
quérir des verges par le nain Camille ; aussitôt qu'il les
voit entrer, sans dire mot il s'encourt à la Reine l'em-
brasser.
Le 27, lundi, — Le Roi part à quatre heures du
matin pour aller à Paris. Mené chez la Reine, le Dauphin
la rencontre dans la galerie revenant de la messe, va
dîner avec elle. Il s'en va avec la Reine; elle lui coupe
138 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
les cheveux sur le front et les tempes; il est tout changé,
semble un de ces gros visages de moines. La Reine s'en
va en litière (1) par Sainl-Clou,d à Paris.
Le SOjuinyjeudij à Saint-Germain. — On lui demande :
« Monsieur, quand vous serez baptisé, comment aurez-
vous nom?» — Henry. 11 battoit de sa cuiller sur le bord
du plat qu'il tenoit d'une main, disant : Mamanga^je
sonne les heures comme le Jacguemard qui frappe sur l'en-
clume. Je lui demande : « Monsieur, où est ce Jacque-
mard? » — A Fontainebleau (2). — Il s'amuse à monter
la montre triangulai.re deM™^ de Montglat, la monte fort
bien.
Le i ^'juillety vendredi, à Saint-Germain. — 11 développe
les portraits du Roi et de la Reine, les baise disant en
se jouant : Velà moucheu papa et velà inadame maman.
Je pars pour aller à Paris (3),
T^e 7, jeudi. — M™^ de Montglat lui dit : « Monsieur,
vous courez trop ! papa ne fait pa^ comme cela. » — Non,
Mamanga, mais quand il était petit comme moi il courait
comme ça.
Le 9, samedi. — M. de Montmorency, fils de M. le
connétable (4), M. le comte d'Alès, fils de M. le comte
d'Auvergne (5), M. le comte de la Voulte, fils de M. de
Ventadour (6), M. de Précy, fils de M. de Bouteville Mont-
(1) La Rein«î (^(ait grosse.
(2) Cette horloge, qui datait de François I*' , représentait la statue du So-
leil 'c qui tenoit nn sceptre duquel il montroil les heures qui sonnoîenl p.ir le
moyen de certaines grandes statues représentant des ( yclopes et forjierons
frappant sur une enclume autant de coups qu'il étoit d'heures. » ( Le Trésor
des merveilles de Fontainebleau^ par le P. Dan, page 54.)
(o) Pendant l'absence d'Héroard, Dumont, clerc de la chapelle du Dauphin,
et Guérin, son apothicaire, continuent le Journal.
(4) Voy. page 47, note 1.
(à) François de Valois, comte d'Alais, (ils du hâlard de Charles IX, mort
à Pé'zénas, en 1622.
(6) Henri de Lévis, depuis duc de Ventndour, puis chanoine de Notre Dame,
mort en 1680.
JllILLKT HÎOa. 139
morency (1), et M"" de Montmorency (2) arrivent; le
Dauphin va à la chapelle, où il a fort crié; il faut envoyer
quérir Thomas, le maçon, il s'apaise. A dîner M. de Mont-
morency lui sert à boire; il écrit au Roi par un nommé
Nervèze (3), qui lui avoit donné un petit livre. A souper
M. de Montmorency lui sert la serviette à laver [h); le
Dauphin, la prenant, dit : Or ça, je m'en vas laver à la
française, et prenant la serviette, la toupillant : Voyez,
velà comme on se lave à la française .
Le 10, dimanche, à Sainl-Gerwain. — J'arrive de Paris
avec M. de Souvré; il me voit du dessus de la terrasse
de la salle du bal, m'appelle et me demande ; Que
m-apporlez-vousl Je lui montre un papier sous le bras
où il y avoit un cheval et un gendarme enveloppés; il
se prend à tressaillir de joie et à courir pour venir k
^bas, vient à moi à sauts. Apres diner il va à la guerre,
fait tirer son petit carrosse par MM. de Montmorency, de
Ventadour, comte d'Alès et de Bouteville.
ie 11, lundi, — Il rencontre deux demoiselles, pas
trop mal vêtues, qui ne demandoient encore rien ; il rc-
connoîl qu'elles avoient besoin, et leur donne un quart
d'écu. A souper il se fait donner à boire par M^"** de Mont-
morency, ayant vu qu'elle en donnoit k Madame.
Le 12, mardi, — En passant par la salle il. voit M,, du
Servon Mailler assis dans une chaise, à cause de sa goutte ;
il va à lui, lui tend la main à baiser, et voyant qu'il
avoit peine à se tenir : Seyez-vous, seyez-vouSy lui dit-il,
avec compassion et respect pour son âge.
(1) François <le Monlmorency, depuis seigneur tie Bouteville, exécuté en
1627, pours'ôlre batlu eu duel.
(2) Cliarlotte-Marguerite de Montmorency, fille du connétable, mariée en
1G09 à Henri II, prince de Coude ; elle fut mère du grand Condé, et mourut en
1C50.
(3) Antoine de Nervcse, dont le style ridicul«; avait passé en proverbe :
« Jamais, dit Tallemanl des Réaux, on n'a mieux débité le galimatias, ni parlé
si bion Nervèse. » — {^Les Historiettes, 3® édil., tome I, p. 207 et IV, 321. )
(4) Après le repas il se nettoyait les mains avec une serviette mouillée.
140 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 13, mercredi, — Il reprend M. de Ventelet, qui di-
soit: Celui-ci. Je lui demande : « Monsieur, comment faut-
il donc dire? » — Cettui-ci, L'on parloit de la reine Mar-
guerite et on demandoit comment il l'appelleroit (1);
quelqu'un dit qu'il l'appelleroit sa tante. — Non^ je l'ap-
pellerai ma sœur y ce sera Madame qui l'appellera sa tante.
— « Monsieur, lui dit quelqu'un, c'a été la femme à
papa. » — NoUy c'est maman, dit il brusquement.
Le 14, jeudij à Saint-Germain. — Mené au jardin, il
rencontre en allant M™® la comtesse de Moret.
Le 15, vendredi. — Se jouant avec M. de Montmorency
et M. le comte de la Voulte, qui lui demandoient congé
de s'en retourner le lendemain : Non, dit-il, je veux que
vous demeuriez avec moi. — « Monsieur, dit Birat, quelle
charge lui donnerez- vous quand vous serez grand ?» —
Je le f air ai mon connétab le. — « Et à M . de la Voulte ?» —
Amiral. Mis au lit, il embrasse M. de Montmorency, qui
lui disoit adieu pour s'en retourner à Chantilly, en fait
autant aux sieurs comte de la Voulte, comte d'Alès et de
Pressy ipuis à M"" de Montmorency il fait le honteux, ne la
veut point embrasser, prend courage et l'embrasse avec
honte, sans la baiser, donne la main à baiser à leur
suite.
Le 19, mardi. — M. le baron de Toun, grand maré-
chal de Lorraine, le vient visiter de la part de Son Altesse
et assiste à son souper; ce baron voulant prendre congé
de lui, le Dauphin ne voulut jamais dire qu'il fut le ser-
viteur de M. de Lorraine, comme M™® de Montglat le lui
vouloit faire dire; il dît seulement entre ses dents : Je
lui baise les mains. Quand il fut parti, M"^ de Montglat lui
dit : a Monsieur, pourquoi n'avez-vous voulu dire à ce
gentilhomme que vous étiez serviteur de M. de Lorraine,
(i) Marguerite de France, fiiie de Henri II, première femme de Henri IV,
séparée en 1599, morte en 1615. Le Dauphin la vit pour la première fois le
6 août suivant, et il fut décidé qu'il la nommerait Af aman ma fille.
JUILLET 1605. 141
votre oncle?» 11 songe, et puis répond : Pource que je suis
trop petit.
Le 21, jeudi, à Saint-Germain. — On lui dit qu'il fal-
loit qu'il appelât la reine Marguerite : Maman. — Pour-
quoi?— M™® de Monlglat lui dit : « Pource que maman
le veut. » La Reine Tavoit ainsi commandé par lettre
expresse, que M""® de Montglat venoit de l'ecevoir.
Le 23, samedi. — Le sieur de la Lane, maître d'hôtel
de la reine Marguerite, arrivée à Madrid depuis trois
jours, vient pour visiter le Dauphin de sa part et lui
dire qu'elle lui baisoit les mains et pour s'excuser si elle
n'étoit venue pour le voir, ce qu'elle feroit se trouvant
délassée du travail du chemin et lorsqu'elle auroit eu
l'honneur de voir le Roi. Le Dauphin lui répond : Je
la remercie bien humblementy je suis son serviteur. Com-
ment se porte maman ? — M. de Longueville, W^^ de la
Trimouille arrivent; M™*^ de Montglat lui ayant dit que
M"**" de la Trimouille le venoit voir et qu'il eût à lui
dire qu'il étoit petit quand il lui donna le soufflet au
bâtiment (1) : Mais, mamanga, elle est aveugle quelleporte
cela si longtemps sur le nez? se ressouvenant que le bout
de sa coiffure y étoit avancé fort bas. 11 observoit tout,
jusques aux plus petites choses.
Le 24, dimanche. — Tout le long du dîner il est trans-
porté et comme ravi de la musique des violons du Roi,
qui étoient quinze, auxquels, pour la lin, il commanda
de jouer la guerre, n'ayant dit que ce mot durant tout
le dîner; ils ne la. surent jouer.
Le 25, lundi. — Étant au droit de la chapelle, Ma-
dame se trouva dans l'allée qui est vis-à-vis; on les fait
avancer, ils s'entre saluent, et comme il fut à six pas près,
sa nourrice lui dit : « Monsieur, il ne faut pas approcher
de Madame davantage que cela (2) » ; il s'arrête, faisant sa
(1) Voy. au 26 mai précédent.
(2) Elle Tenait d'avoir la rougeole.
142 JOURJNAL DE JEAN HEKOAKD.
petite lippe assez longue, el à la fin il lui en tombe des
larmes des yeux et à Madame aussi, qui en firent faire
autant à toute la troupe.
Le2& jai'lelj mardi, — Cejourd'hui le Roi a vu, au
château de Madrid, la reine Marguerite.
Ze27, mercredi, — Il vient en mon étude, veut voir le
livre deMatliiole.(l), où il avoit autrefois vu des poissons.
Le 28, jeudi. — J'eas Thonneur de lui donner sa che-
mise, M""^ de Montglat n'y étoit pas.
Le 29, vendredi. — Le Roi arrive au bâtiment neuf,
accompagné de Don Juan de Médicis (2) , oncle bâtard de
la Reine; mené par le pont du Roi à S. M., il lui court ,
lui saute au col , le mène à la galerie, où il joue au pale-
mail. Diné avec le Roi-.
Le 30 , dimanche, — Mené au bâtiment neuf au Roi et
à la Reine; il se joue au Roi, ayant respect et crainte de
le blesser sur le lit, où il étoit, ayant mal aux dents et le
visage enflé.
Le 1" août, lundiy à Saint-Germain. — Mené à quatre
heures au bâtiment neuf, le Roi se reposoit sur son lit;
il dresse en la ruelle tout son petit ménage de poterie
verte ; M. de Verneuil étoit un des cuisiniers. A six heures
il donne le bonjour au Roi et à la Pieine, prend le mot
du Roi et le baille à M. de Créquy , mestre de camp du
régiment des gardes.
Le 2, mardi. — Mené à la chapelle, où il voit tout le
préparatif pour faire le service pour le feu Roi (3); il
s'informe de toutes les pièces : Pourquoi ceci? pourquoi
cela? puis s'en va ne y étant point dem.euré, les Dau-
phins n'assistant jamais aux services des funérailles.
Le 3, mercredi. — A dîner il mange sans dire mot et
(1) Pierre-André Malhiole, médecin, mort en 1577, aulenrde plusieurs ou-
vrages sur l'histoire uatnrcile.
(2) Fils naturel de Côme 1*"^, grand-duc de Toscane.
(3) Henri III, assassiné à Sainl-Cloud le T^ août 1580, mort le leii<leinaia.
AOUT i60o. 143
comme transporté de joie d'ouïr jouer un flageolet d'un
estropié que Ton nommoil cul-de jatte, lequel après
avoir joué longtemps et deux violons avec lui, lui va dire
d'une voix rude : «r Monsieur, buvez à nous. » Il devient
rouge, disant soudain : Je veux quil s'en aille , je veux
quil s'en aille ,, maman. Je lui dis : « Monsieur, il est un
pauvre , il ne les faut pas chasser ». — Il ne faut pas que
les pauvres viennent ici, — a Monsieur, non pas tous, ou
bien ceux qui vous font jouer comme lui ». — Qu'il aille
donc jouer là-bas. — M'"*^ de Monlglat l'en veut aussi
distraire, il lui répond : Mamanga^ il m'étourdit, et puis
après dit : Je ne bois quà papa et à maman. — Il s'amuse
sur une petite planche à imiierde sieur Francisco, que le
jour précédent il avoit vu travailler en cire, à faire des
modèles de figures, et dit : Je fais le modèle d'une fontaine,
je fais le modèle d'un singe; il l'avoit vu le jour précé-
dent à la galerie où travailloit Francisco.
Le 4, jeudi, à Saint-Germain, — A dix heures mené par
le petit pont au bâtiment neuf, au Roi, en la galerie;
M.deBéthune y arrive, revenant ambassadeur de Rome;
sur ce sujet le Roi lui demande : ce Mon fils, voulez-vous
aller à Rome? » — Non, papa, —r « Où voulez-vous
donc aller? » — Je veux demeurer auprès de vous, papa.
Le 5, vendredi. — Il va en la chambre de Madame, où
étoit son peintre, maître Martin, qui lapeignoit; il se fait
donner un pinceau, demande de la peinture, a Mon-
sieur, dis-je, de laquelle voulez-vous?» — De lableue,
C'étoit une couleur qu'il aimoit naturellement et qu'il
avoit toujours aimée.
Le 6 , samedi, — Je lui dis : a Monsieur, habillez-vous
vîtement ; vous irez au parc voir papa, qui vous donnera
un beau canon qu'il fait promener avec des chevaux, ou
bien M. de Verneuil ira le premier, et il l'aura. — Féfé
Vaneuil dort encore. — a Monsieur, vous me pardonnerez,
il est levé et est allé trouver papa ». — Ho! non; papa veut
pas qu'il aille qu'avec moil Mené k LL. MM. Ramené, ap-
144 JOURNAL DE ,ÎËAN HÉUOAUD.
pelant : AllonSy féfé Vendôme y féfé Chevalier, allons féfé
Vaneuil! Il ne y vouloit laisser personne de ces Messieurs
après lui. — L'après-dinée il demanda à M"* de Venlelel :
Telai, où a-t-on porté celte messe noire quiétoit à la cha-
pelle? (c'étoient les meubles pour le servive du feu Roi).
— a Monsieuron Ta rapportée à Paris». -^ Pourquoi est-
elle noire? — «Monsieur, c'est pour prier Dieu pour le feu
Roi, vous devez bien prier Dieu pour lui . » — Pourquoi ? —
« Monsieur^pource que vous ne seriez pas ce que vous êtes. »
— A quatre heures et demie mis dans le carrosse de la
Reine pour aller au-devant de la reine Marguerite; il est
accompagné de Madame, de MM. de Vendôme, de Ver-
neuil , de Souvré. Il va par la levée près de Ruel et, la
Reine ne venant point encore, il revient en Thôtellerie
qui est sur la levée , où il a soupe. Remis en carrosse,
il va au-devant de la reine Marguerite, et étant environ
le milieu de la muraille du clos de M. le président Che-
valier, qui est sur le chemin de la levée, il met pied ù.
terre. Elle, le voyant aussi, descend de la litière que la
Reine lui avoitenvoyée, et ils se rencontrent au droit du
bout de la muraille du clos, à gauche en allant. M. le
Dauphin de dix pas ôte son chapeau , va à elle ; on le lève ,
il la baise etrembrassé : VouSy soyez la bien-venue^ maman
ma fille, — ce Monsieur, lui dit la Reine, je vous remer-
cie, il y a fort longtemps que j'avois désir de vous voir. »
Elle le baise de rechef; Ton le reprend au bras (c'étoit
Birat) et, faisant le honteux et le vieux, il se cachoit'de
son chapeau. c( Mon Dieu, reprend la Reine, que vous êtes
beau ! vous avez bien la mine royale pour commander
comme vous ferez un jour. » Elle baise Madame et puis les
autres Messieurs; il rentre en carrosse et elle en litière.
M. le Dauphin s'endort à demi-chemin, et arrive en sa
chambre tout endormi, à huit heures trois quarts. La
reine. Marguerite arrive aussi à cette heure*
£e7, dimanche. — A dix heures mené au bâtiment neuf,
ilsalue la Reine, et puis va en la galerie trouver le Roi et la
AOUT 1C05. 145
reine Marguerite, qui se proraenoient il y avoil plus d*une
heure; il court, se proraènetète nue; la reine Marguerite
lai fait de grandes caresses, et quitte le Roi pour l'aller
trouver. Le Roi la mène et lui aussi à la raesse. A deux
heures' la reine Marguerite lui" envoie un présent par
M"™* de Lansac, sadamed'honneur;cefut un Cupidon par-
semé de diamants, assis sur un dauphin, et tenant un arc
d'une main et un brandon de l'autre, parsemé de dia-
mants; au ventre du dauphin il y avoit une émeraude
gravée d'un dauphin couronné et entouré de petits dia-
mants, et un petit cimeterre parsemé de diamants; elle
envoya à Madame un serre-tête de diamants. — Les dé-
putés du Clergé, de l'assemblée générale séant à Paris,
viennent saluer le Dauphin. La reine Marguerite le vient
voir, il s'en va au devant jusques à Tentrée du pied de
l'escalier; remonté en sa chambre, où il a goûté devant
elle, il va avec elle, dans le carrosse, au bâtiment neuf. Le
soir la reine Marguerite envoie à sa nourrice un bassin
doré et un vase de même; il en fait le remerciement :
Je remercie maman ma fille pour maman doundoun.
Le 8, lundiy à Saint-Germain. — Il entend lire des vers
faits en l'honneur du Roi et du sien par M. Nervèze,
passe sa main devant le visage, sur le front comme ceux
qui y ont de la pesanteur, et bâille (1).
Le 9, mardi. — Il donne la chemise au Roi revenant
de la chasse.; dîné avec le Roi.
Le iij jeudi. — Mené à neuf heures trois quarts au
bâtiment neuf, trouver le Roi et la Reine ; la Reine étoit
au lit, le Roi assis dessus et la reine Marguerite à genoux,
appuyée contre le lit (2). M. le Dauphin mis sur le lit se
(1) Héroard a écrit en marge : Nota pour son entendement. Voy. la note
du 9 juillet précédent.
(2) Le Roi écrivait la veille à M. de la Force : « J'ai ici près de moi ma
sœur la reine Marguerite, qui se gouverne de façon que j'en ai beaucoup de
contenlement. » {Lettres inissives^ VI, 500.)
BÉROARD. — T. I ^^
I4(i JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
joue à lin petit chien que le Roi lui avoit prêté; il dit
adieu à la reine Marguerite, qui s'en retournoit à Ma-
drid, l'embrasse et la conduit jusques en sa: chambre.
Le i^yVendredi, à Saint-Germain, — Comme il étoit en
la cour, il voit le Roi revenant de la chasse , se prend de
lui-même à courir au-devant de lui si dispostement qu'il
sembloit voler. On le hausse, le Roi, qui étoit à cheval, le
baise; il retourne avec le Roi à la chambre de la Reine,
puis le suit au cabinet; en voyant donner les souliers au
Roi, il court de lui-même pour soutenir la jambedu Roi.
— En soupant, ayant été quelque temps sans dire mot,
comme il étoit aucunes fois réservé et tout ainsi^cjue s'il
eût songé à de grandes affaires, il dit : Mais c'est Thomas ;
voyant qu'il ne disoit plus mot : « Monsieur, dis-je , qui
est ce Thomas? » — Cestun homme depierre ; je Vai vu à
Poissy dans une chapelle, rangé là, à un petit coin. Il y avoit
environ quatorze mois qu'il fut à Poissy (1), où il vit et
entendit nommer cette image du nom de Saint-Thomas et
au lieu où il la représentoil.
Le 13, samedi. — Mené chez la Reine, sa nourrice lui
dit qu'il aille demander à la Reine l'aumône pour une
femme qui étoit en prison ; il part, puis revient : Maman
doundoun, venez, demandez- lui? Il en faisoit difficulté.
Enfin, après plusieurs remises il y va, et, s'amusantà se
jouer à des soies sans regarder la Reine : Maman,
donnez moi quelque chose pour une pauvre femme qui est
en prison? La Reine lui en promet, n'en ayant point sur
elle; M™® la princesse deConty lui présente un sol, il n'en
veut point; elle lui présente un écu, il le prend ; M™* de
Longueville lui en donne deux, il porte tout gaiement
à sa remueuse, qui en faisoit la quête.
Le ik, dimanche, — Éveillé à deux heures et demie
après minuit en sursaut, il se lève hors du lit, debout,
disant : Où me faut-il aller 1 Sa nourrice le prend, le re-
■Il ^ • ^^^^^
(1) Le 12 mai 160i.
AOUT 160«. 147
couche (1), etil se rendortjusqu àsix heures et demie. Il
se fait mettre au lit dç sa nourrice, et, se jouant à elle :
Bonjour f ma garce, baise-moi, ma garce, hé l ma folle, baise-
moi! — a Monsieur, lui demande sa nourrice, pourquoi
m' appelez- vous ainsi? » — Pource que vous êtes couchée
avec moi. M"® Lecœur, femme de chambre, lui de-
manda : (( Monsieur, vous savez donc bien ce que c'esl
que des garces? » — Oui. — a Et qui, Monsieur? » —
Celles qui couchent avec les hommes. — Mené à la chapelle
avec le Roi, comme le Roi battoit sa poitrine sur 1
Domine non sum dignus, il demande à M. Birat, qui le te-
noit: Mon valet, pourquoi papa fait cela! — k Monsieur,
pource qu'il s'étoit courroucé et avoit battu quelqu'un ;
ilayoit offensé Dieu, il lui en demande pardon. » 11 joint
soudain les mains, et puis bat sa poitrine, disant : J*ai
offensé bon Dieu, pardonnez-moi. Après la messe il dit au
Roi : Papa, vous plaît il que votre musique vienne chanter à
mu chambre ? — « Oui, mon fils » . — Venez chanter grâces
à mon dîner, papa le veut. Il va en sa salle ; à midi, dîné ;
la musique du Roi chanta Laudate ; il Técouta avec trans-
port, tant il aimoit la musique. A deux heures le Roi l'en-
voie quérir pour le faire voir au nonce. A souper l'on
disoit queM. de Saint-Germain, prédicateur (2), étoitfort
malade; il demande : Pourquoi n'est-il pas mort? L'on
le loua d'avoir demandé cela : il se retourne à moi, et
me dit : Écrivez cela (3).
Le 16, lundi. — M"® la princesse d'Orange, fille de
feu M. l'amiral de Châtillon (4), revenant de Flandre,
(1) Le Dauphin'a souvent de ces cauchemars.
(2) Matthieu de Morgues, abbé de Saint-Germain, depuis prédicateur du
Roi et premier aumônier de Marie deMédicis, n^etait alors âgé que de vingt-
cinq ans; il mourut en 1670, âgé de quatre-vingt-huit ans. Il est l'auteur de
plusieurs pamphlets contre le cardinal de Richelieu, et se distinguait peut-être
déjà par la violence de ses prédications.
(3) Le Dauphin savait qu^Héroard tenait un journal de ses paroles et actions,
(4) Voy. page 31, note 3.
to.
148 JOURNAL DE JEAN UÉROARD.
lui apporte des ouvrages de la Chine, à savoir : Un par-
quet de bois peint et doré par dedans^ peint des feuil-
lages, arbres, fruits et oiseaux du pays, sur de la toile
qui lioit lésais de demi-pied; Ton s'en servoit comme de
cabinet; elle donne à Madame de la vaisselle tissue de
jonc et crépie par le dedans de laque, comme cire d'Es-
pagne. M""® deMontglat lui demande : «Monsieur, aimez-
vous bien M™*^ la princesse d'Orange? » — Oui. — Je lui
demande : ce Comment Taimez-vous? » — De tout mon
cuœr. M™® la princesse d'Orange en rougit et en pleura de
joie. Je lui dis : o Monsieur, vous plalt-il que je l'écrive. »
— Oui. — M"® de Brezolles lui avoit donné le matin
de petites besognes de bois qui se font en Allemagne.
A deux heures mené à la chapelle , au sermon du P.
Coton, il écouta jusqu'à deux heures trois quarts; il
s'ennuyoit sans dire mot, le Roi le fait emporter.
Le 16, mardi, à Saint-Germain. — IHait porter son pe-
tit cabinet delà Chine, se met dedans; il se joue avec ses
petits jouets d'Allemagne et d'argent. M'"® de Montglat lui
dit s'il vouloit pas écrire à Maman sa fille [i) pour M. de
Mansan; il répond soudain , gaiement: Om, Mamanga,
allons équire; Taine (2), venez ; moucheu Heoua, allons
équire. Il s'assied en la tourelle, et a la patience entière
d'écrire ; je lui conduisois la main :
Maman ma fîlle, je vou pie de tou mon cœu de vouloi doné à Teine,
que papa m'a prêté pou me gadé , le droi seigneuriau de la terre de
Morcourt; je vous en pie encore tes humblemen, et je vous feré seuiee
tes humble et toi peti sault de joie que j'en aurai, comme pou la pe-
miere chose don je vous ai piée. Je suis la dessu, Maman ma fille,
vole tes humble seuiteu. — Daulphin.
Le 17, mercredi. — M'"® de Montglat lui dit : « Monsieur,
dites au P. Coton, je vous prie, de faire quelque chose
(1) La reine Marguerile.
(2) C'est ainsi que le Dauphin appelle le capitaine de Mansan.
AOUT leOiS. 149
pour le fils du grand Tetai (1) » — Non, Il refusoit de
de dire je vous prie, et après plusieurs refus il dit : Faites
quelque chose pour le fils de grand Tetai, père Colon, s'il
vous plaît; il avoit naturellement ces discrétions de parler
et de commander à chacun des choses selon sa qualité.
Mené à LL. MM., dîné avec eux ; la Reine part pour s'en
retourner à Paris; à six heures le Roi est parti. Il s'a-
muse à travailler avec un pinceau sur.de la cire de Fran-
cisque, dit qu'il fait un modèle imitant ledit sieur Fran-
cisque (2), qu'il avoit vu travailler aux figures de cire
qu'il faisoit pour jeter en fonte.
Le iS, jeudi y à Saint-Germain. — M"® de Montglat me
dit : (( Je gage que Monsieur est plus savant que vous, qui
ne savez pas des proverbes de Salomon. » Je dis qu'il n'en
savoit point; soudain il va dire ce que M™^de Montglat lui
avoit appris depuis son réveil : Vaumône préserve de la
mort (premier proverbe de Salomon qu'il sut). M. Da-
norviUe, mon beau- frère , lui fait la révérence^ lui de-
mande s'il y a des tambours à sa compagnie, ayant su
qu'il étoit gendarme.
Le 19, vendredi, — 11 apprend un autre proverbe de
Salomon : L'enfant sage réjouit le père ; il s'amuse à
crayonner de rouge, fait dés figures d'oiseaux (3).
Le 22, lundi. — M. du Vair, premier président en
Provence, le vient voir; il fait deux oiseaux fort recon-
noissables, qui avoient le bec l'un contre l'autre; M. le
président du Vair prit le papier pour le faire voir au Roi.
Le 23, mardi. — A souper il commande à Roileau
et à Indret, qui j ^noient entre la porte de la chambre et
de la salle : Jouez le combat; c'étoit un ballet où il y avoit
à darder les uns contre les autres, qu'il avoit autrefois
(1) M. de Venlcler.
(2) Ou Francisco. Voy. au 3 août précédent.
(3) Héroard a conservé ces griffonnages, qui n'ont encore aucune forme,
mais dans lesquels il voit déjà « une merveilleuse inclination à la peinture. ^*
150 JOURNAL DE JEAN HÉROARI).
vu danser à sa nourrice; il étoit comme transporté pour
aller à cette danse.
Le 24 août, mercredi, à Saint-Germain, — MM du Pons,
premier consul de Montpellier, de Casques et de Ferrier,
députés vers le Roi par l'assemblée tenue à Châtellerault,
le baron de Courtomer (de Normandie) portant la parole,
viennent, avec lettre de M. de Rosny à M"'® de Montglat,
offrir leur service au Dauphin et donner assurance de
leur fidélité.
Le 13 septembre, mardi, à Saint-Germain. — J'arrive
de Paris (1); ma femme lui donne des petits chiens de
verre et autres animaux faits à Nevers; je lui donne un
puisse fait de poterie. A souper ma femme lai dit : ce Mon-
sieur, vous êtes friand, il pleuvra le jour de vos noces! »
Il lui répond : Hol je serai à couvert.
Le 15, jeudi, -^ Les milords North et Noris, anglois,
jeunes, le viennent voir; il leur donne sa main à baiser;
le milord North lui dit : «Monsieur, tous vos gendarmes
sont allés en Périgord avec le Roi votrç père à la guerre ;
quand vous y voudrez aller, nous serons vos gendarmes,
nous irons devant vous; » ils lui baisent la main, et s'en
vont. — Il se met à écrire avec son crayon, puis plie la
lettre, me fait entortiller la'soie; M"* de Montglat met la
cire, lui Iç cachet, et il dit à M. Boquet : Boquet, allez-vous-
en porter cette lettre à papa, à Orléans, — ce Monsieur,
dis-je , qu'y a t-il dans la lettre ?» — J'écris à papa qui
me vienne voir bientôt.
Le 16, vendredi. — Il chante tout bas :
Bergeronetle raamiette, ^
Bergeronette mon souci,
et montrant ma femme, qui étoit habillée d'unjnanteau
de chambre, dit : La velà.
Le il , samedi, — Il dit qu'il n'est pas puceau, ^oitrc^
(I) Héroard était absent depuis le 29 août.
SEPTEMBRE 1G05. 151
qu'il a couché avec doundoun quand Boquet (1) ny éloit
pas. — Il donne de soi-même le mot à M. de Mansan :
Saint Pauly après avoir été enhardi de ce faire par M"' de
Montglat.
Le 18, dimanche^ à Saint-Germain. — M. deCharapval-
lon lui apporte, de la part de M. de Lorraine, un mous-
quet dansun fourreau de velours vert et une bandoulière
brodée d'or et d'argent, les charges d'or émaillé et la
fourchette, qui étoit un dauphin ; il en est tout transporté
de joie. Là-dessus MM. d'Épernon viennent de Paris pour
le voir; il leur montre son mousquet, les mène au cabinet
de ses armes, les arme tous, les met en garde. Il étoit tout
né aux fonctions de la guerre, tout viril , et je n'ai ja-
mais reconnu en lui , pour si petit qu'il ait été, aucune
foible et féminine action. M. le Chevalier lui dit, en lui
montrant le chevaKer d'Épernon (2), fils bâtard de M. d'É-
pernon : « Monsieur, voici le fils bâtard de M. d'Épernon,
qui vient pour être votre page. » — Un bâtard, un bâtard
être mon page ! répète-t-il plusieurs fois avec véhémence et
abomination. L'apr-ès-dinée jeracontoisce qu'il avoitdit
du chevalier bâtard de M. d'Épernon ; il m'écoutoit froide-
ment et sans en faire semblant, et tout à coup il me de-
mande : Avez-vous écrit cela?
Le 19, lundi. — Il va en carrosse se promener sur la
côte du Pecq, aux vignes d'un nommé La Fontaine,
archer du corps, qui étoit en garde près de lui ; il y ap-
porte une petite serpe et un petit panier, se coujie deux
grappes, les met en son panier. Il mange un gros morceau
de pain bis ; envoyé quérir par M^Me Vendôme chez le gros
Maurice, au Pecq. M"*® de Montglat me racontoit comme
il avoit mangé du pain de M. Maurice ; lui, qui écoutoit
tout et faisoit profit de tout , l'accommodant aux occa-
sions, dit : lia de bon pain bis, Maurice; ce n'est pas le
(1) Mari de sa nourrice.
(2) Il devint lieutenant général des armées du Roi, et mourut en 16)0.
162 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
comte Maurice y qui garde les Espagnols; c'est pas Flandres^
c'est le Pecq,
£e20 septembre y mardi. — Il se joue du bout des doigts
surles lèvres disant : Yelà la basse; puis, élevant la voix,
je dis : « Voilà la chanterelle. )) — Norij c'est la moyenne,
Ilétoit vrai; chose merveil leuse d'avoir su reconnoltre le
le ton et le nom de la corde; il pouvoit l'avoir appris,
l'ayant ouï dire à Boileau ou Indret, ses joueurs de luth.
Le 27, mardi y à Saint-Germain. — Il se joue à jouer du
bonnet de toile d'argent de Madame, le poussant comme
un ballon. Il entend parler dç faire chanter le Te Deum
pour le jour de sa nativité (1), il le presse avec extrême
impatience ; il va à la chapelle , où il fut chanté par le
curé et prèlres du village. Ramené, il voit tirer dans la
. cour des arquebusades et mousquetades, et dit, sans cil-
ler la paupière, à M. de Marisan : nTaine, commandez-
leur de tirer encore. A souper, il dit tout bas à M™* de
Monlglat ; Mamanga, faites ôter la brayette qui est à mes
chausses, maman meprendroit pour un suisse , maman pen-
seroit que je n'aurois pas quatre ans.-
Le 28, mercredi. — Mené à la chapelle où l'on porte
le pain bénit pour le jour de sa nativité, il va à l'of-
frande, donne un demi-écu à son aumônier. M. l'abbé
de Saint-Denis, M™^ de Soisy assistent à son goûter; il
danse la sarabande et la danse qu'il appelle le combat.
La fille de M'"® de Soisy dansoit la sarabande à la liiode
d'Espagne, il dit : Elle danse pas bien-
Le 1^ y jeudi. — Il caresse sa nourrice, la baise, se
pend à son col; elle lui dit : c( Monsieur, gardez de faire
mal au petit enfant : » elle étoit enceinte. Le Dauphin de-
mande : Est-il au coll — c( Non, Monsieur, lui répond sa
nourrice. » Je lui demande : « Monsieur, où est-il? » — Il
est dans votre ventre, dit-il tout bas à l'oreille de sa nour-
rice. — ce Monsieur, lui dis-je, par où est-il entré? » —
(1) Le Dauphin entrait dans sa cinquième année.
0C10BRE 1005. 153
Par l'oreille. — « Paroùsortira-l-il?» — Par Toreille (1).
Le 2 octobre, dimanche , à Saint-Germain. — Il des-
cend à sept heures pour aller au-devant de la reine Mar-
guerite, y va en la cour, puis elle'le reconduit en haut
jusques en sa chambre, où elle lui fait présent de deux
livres de tailles-douces; il en étoit extrêmement amou-
reux (2). A sept heures et demie elle s'en va pour aller
coucher à Argenteuil; il la reconduit jusques à la porte
de la salle, et, voyant qu'on portoitses flambeaux plus
outre pour lui éclairer, il se prend à crier : Je veux pas
qu'on emporte m^s (lambeaux.
Le 4, mardi, -r- Il s'amuse à son livre des chasses; je
lui montre (3^ un cerf qui se grattoit Toreille et un chas-
seur qui le tiroit de Tare. M.* de Gondi vient pour le
voir; il lui montre son livre des chasses où éloient des
chevaux tirés en taille-douce.
Le 6, jeudi. — Il vient à mon étude, et faisant appor-
•ter son livre des chasses, dit : MoucheuHeoua, montrez-
moi ceux qui ont des lunettes , qui étoient dans son livre
de tailles-douces, puis les faiseurs d'horloges, puis les
distillateurs, s'informe de tout, des noms et de Tusage
des choses, demande jusqu'à ce qu'il soit satisfait et ait
appris. Je lui montre la planche où sont les vers à soie,
celle où il y a l'empereur Justinien assis dans une chaise.
— M""® de Montglat vôyoit plusieurs pièces de drap de
soie pour lui faire des habits, et lui demande : « Monsieur,
laquelle est-ce que vous aimez le mieux? » Voyant la pièce
de velours violet à fond d'or, il s^écrie : Ua ! je veux celle-
là, ce sont mes couleurs, il y a du bleu!
(1) Dans VÉvole des femmes Agnès demande à Arnolplie :
« Avec une innucrnce à nulle autre pnrellle,
Si les enfants qu'on fait se faisolent par l'oreille. »
(2) Dans la journée le Dauphin s'était encore amusé pendant deux heures
dans la chambre d'Héroard à regarder les estampes du livre de Vilruve.
(3) Le Daupliin était au lit, un peu malade.
154 JOURNAL DE JKAN HÊROARD.
Le 8, samedi, à Saint-Germain. — Laremueuse du Dau-
phin racontoit du prince de Galles (1) qu'il aimoit Madame
et qu'il avoit répondu au Roi son père que si on ne la lui
vouloit pas donner qu'il feroit la guerre en France, en
prendroit une partie et que pour avoir la paix on la lui
donneroit ; que leRoi répliquantqu'il vaudroit bien mieux
ravoir paisiblement, qu'il repartit qu'il vouloit premiè-
rement faire parler de lui. Ceci avoit été raconté le soir
précédent parM"'^deVilliers-Hotman, qui avoit soupe avec
M™* de Montglat, comme l'ayant ouï dii?e elle-même en
Angleterre, au roi d'Angleterre et au prince, et d'où elle
éloit revenue depuis peu de jours. M. le Dauphin écoutoit
tout ce que nous en disions sai^s en faire le semblant,
comme il faisoit le plus souvent, et entendant parler que
le prince de Galles vouloit faire la guerre, il dit : Hé! f irai
devant pour V empêcher; puis il me demande froidement:
Est-il seigneur y le prince de Galles? — «Oui, Monsieur, c'est
le dauphin d'Angleterre qui aime Madame, et son papa
en voyera vers le Roi votre papa pour le supplier de la lui
donner en mariage ; le voulez-vous pas bien?» — Non. —
<( Mais si papa le veul? » — Sipapa le veut, je le veux bien ;
mais cest le prince de Galles, il est donc galeux ? — « Non,
Monsieur, c'est le nom de sa qualité.; Galles c'est un
pays. »
Le 9, dimanche. — M. de Rouen (2), frère bâtard du
Roi, porté en chaise à cause de sa goutte, le vient voir;
il se joue aux bras de sa chaise à les faire branler.
Le 10, lundi. — M""' de Guise et M"^ de Prouilly, safiUe,
le viennent voir; il se joue à deux chapelets de corail de
M"^ de Guise : Fe/à, dit-il, des chapelets faits à la nouvelle
(1) Henri-Frédéric, fils aîné de Jacques l*"", roi d'Angleterre; il avait alors
neuf ans, et mourut en 1612.
(2) Charles de Bourbon , (ils naturel d'Antoine, roi de Navarre, et de Louise
de la Béraudière; archevêque de Rouen en 1594, mort à Marmoutier, en 1610,
peu après l'assassinat de Henri IV.
OCTOBRE 160». 155
façon; elle portoit un chapelet d'Italie à grains carrés;
il y avoit des peintures dedans.
Le ii, mardi, à Saint'Germaint, — Indret, sonjoueurde
luth, revenoitde la foire de Saint-Denis et racontoit qu'il .
yavoitvu M^'^Briant, marchande de drapsde soie; il de-
mande : Esl-elle mercière? — «Non, Monsieur, elle est
marchande de draps de soie, qui vous baille ces belles
étoffes qu'il vous faut pour vous habiller. » — Pourquoi
Vappelle-t'On Madame? — ((Monsieur^ on les appelle ainsi
à Paris (1). » Il s'amuse à des petites pièces de ménage
de plomb portées de Saint-Denis"
Le 12, mercredi: — Il se joue à des petits jouets et à
un petit cabinet d'Allemagne, fait d'ébène, baisse et
rebaisse le couvercle, l'ouvre et le ferme à la clef. — A
une heure arrive l'ambassadeur de Venise, qui s'en re-
tournoit; il lui souhaite que l'on puisse le voir un jour
en Italie, la lance sur la cuisse, avec une armée de cin-
quante mille hommes. Le Dauphin va sur la terrasse de
la salle, pourvoir l'éclipsé de soleil dans une chaudière
pleine d'eau; l'ambassadeur y étoit présent.
Le 13, jeudi, — Marin, nain de la Reine, arrive; le
Dauphin danse, joue du violon et chante tout à la fois,
se jouant à Marin et courant après lui.
Le ik, vendredi. — Le P. Gontier, jésuite, revenant
du Caire, assiste à son diner; il écoute en s'amusant
Texhortation du P. Gontier sur le Domine, da judicium
Régi et filio Régis justitiam.
Le 17, lundi, — Il voit M. Guérin qui avoit pris du tour
. d'une boite de sapin et en avoit fait deux cercles rais en
croix : Velà, dit-il, le monde. Je lui demande : ce Mon-
sieur, qui vous a dit cela? » — Personne, — « Monsieur, le
monde est-il pas quarré ?» — Non, il est rond. -^ « Qui le
(I) A la Cour on appelait mademoiselle les femmes mariées qui n'étaient
pas nobles ; le Dauphin norpme toujours la femme de son médecin : made-
moiselle Héroard.
156 JOURNAL DE JEAN HÈROARD.
VOUS a dit? » — Personne. Il vient en ma chambre, puis
en mon étude, où il écrit au Roi pour le supplier de faire
donner à sa compagnie une autre garnison que Provins :
Papa, tous les apothécaires de Provins sont venus à moi pour me
prier de vous supplier très-humblement, comme je fais , de donner à
ma compagnie une autre garnison , car mes gendarmes aiment bien
la conserve de roses, et j'ai peur qu'ils ne la mangent toute, et je n'en
aurois plus J'en mange tous les soirs quand je me couche, et je prie
bien Dieu pour vous et qu'il vous fasse venir bientôt, et à moi la grâce
de vous pouvoir faire très-humble service. Je suis, papa , votre très-
humble et très-obéissant lils et serviteur. — Daulphin.
Quand il eut écrit la- lettre du Roi, moi lui tenant la
main (1), il me commanda de la lire, et l'ayant lue :
a Monsieur, dis-je, est-elle bien ? » — Oui, - — Il va en la
chambre où est né le feu roi Charles (2) , où M™*^de Monl-
glat faisoit de la confiture de coings.
Le 19, mercredi. — II vient en ma chambre et à mon
étude; je lui conduis la main pour écrire à la Reine
cette lettre, portée le lendemain par M. de Mansan :
Maman, j'ai bien envie de vous voir et de baiser mon petit frère
d'Orléans (3) , et si vous ne venez bientôt , je prendrai mon pourpoint
blanc et mes chausses et mes bottes , puis je monterai sur mon petit
chevau , et je m'en irai , patata , patata. Maman , je partirai demain
bon matin, de peur des mouches ; maman , l'on m'a dit que vous m'a-
vez apporté queuque chose de beau , je te voudrois bien voir. Venez
donc, ma bonne maman, il fait si beau, et vous me trouverez bien
gentil, et ce pendant je suis, maman, votre très-humble et très-obéis-
sant fils et serviteur. — Daulphin.
Mené au Pecq, passé le bac, mené à la garenne. II y
avoit trois ou quatre pauvres Irlandois et Irlandoises
mendiants ; on le lui dit, il les voit; le voilà le visage tout
de feu décolère : Qu'ion les fasse sortir. Ils sortent; on
lui dit : c( Monsieur, ce sont de pauvres petits Irlandois
(l)'Nou3 ne reproduisons pas i'orihograplie de cette lettre et de la suivante.
(2) Charles iX, né à Saint-Germain, en 1550. .
(3) La Reine était grosse, et accoucha d^une fille- le 10 février suivant.
OCTOBRE 1605. 157
qui demandent Taumône» ; il revient à soi, et la leur fait
donner.
Le 20^ jeudi y à Saint-Germain. < — Il me dit : Allez qué-
rir votre livre jaune. Je lui demande : Est-ce celui où il y a
un Roi qui prie Dieu ». — Oui. —a C'est un livre qui a été
au feu Roi (1), où ilprioit Dfeu. » — i4u /eujRoi? — «Oui,
Monsieur. » — Oii Vavez-vous eu? — « Monsieur, je l'ai
eu à Tours. »
Le'2iy vendredi. — Il vient en ma chambre, et dit : Je
veux écrire à papa; c'étoit par M. le baron du Tour (2) ;
Madame aussi écrit sa première lettre à la Reine.
Le 23, dimanche. — Mené au bâtiment neuf y attendre
la Reine, il court en la galerie, aide à faire le lit de la
Reine; la Reine ne venant point, il est ramené en sa
chambre, où M. de Châteauvieux (3) lui baise les mains; et
comme il s'en retournoit, M"*^ de Montglat le fait conduire
et éclairer avec un flambeau; il court après, et crie : Mon
flambeau, qu'on le rapporte? La Reine arrive à six heures
et demie.
Le 24^ lundi. — M. de Vie, l'ambassadeur, lui donne
rhistoire de Matthieu [k), de la part de l'auteur. A dix
heures, mené au bâtiment neuf, â la Reine, qui éloit encore
au lit; il s'amuse près de la Reine à son habiller, puis à
onze heures et demie va à la messe avec elle ; dîné avec la
Reine.
Le 25, mardi. — Mené à la Reine au bâtiment neuf, il
court en la galerie, vçi le long des lambris, feignant de
cueillir des raisins qui y sont en peinture. Le sieur Al-
phonso Taxis, revenant d'Angleterre ambassadeur, baise
(1) Henri nu
(2) Héroard se conlenle d'analyser cette lettre.
(3) Chevalier d'honneur de la Reine.
(4) Histoire de France et des choses mémorables advenues es provinces
étrangères durant sept années de paix du règne de Henri /F, depuis
1 wa^jusqu^en 1604, par Pierre Matthieu, historiographe de France; — Paris,
1604, in-4°.
168 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
la robe de la Reine et se couvre, puis baise la main de
M. le Dauphin, qui lui demande des nouvelles de l'In-
fante et dit : Apportez-moi son portrait. — L'on parloit
que son baptême se feroit au mois de mai ; M*"® de Mont-
glaf lui demande : «Monsieur, comment voulez-vous que
Ton vous nomme? » — Henry. Je lui demande pour-
quoi. — Papa s'appelle ainsi; je ne veux pas avoir nom
Louis.
Le 26 octobre, mercredi, — La Reine lui donne son petit
coffret d'argent, où elle metioit ses pendanis d'oreille;.
M. deCourtenvaux, revenantdeFlandres,luidonne un pis-
tolet. Il se joue, tenant un portrait du Roi fait en cire, dans
une boite d'ivoire,- et dit : Cest papa. M"^ de Vendôme
lui dit : (c C'est aussi mon papa. » — Non, c'est pas votre
papa. Il va en la chambre de Madame, où il écoute fort'
attentivement M. de Cressy lisant l'histoire de Matthieu,
fait taire ceux qui faisoient du bruit.
Le 27, jeudi. — La Reine part à deux heures et demie ;
il va sur la terrasse de Neptune, d'où il lui voitpasser.le
bac.
Le 28, vendredi. — Il s'amuse à travailler sur de la
cire comme il avoit vu faire au sieur Jehan Paulo (1).
Le 3 novembre, jeudi, à Saint-Germain. — J'arrive de
Paris (2), il court au-devant de moi, me saute au collet,
m'embrasse par deux fois ; je lui donne un petit lion de
poterie et ma femme un homme de poterie.
Le 5, samedi. — Montaigne, chevaucheur d'écurie, ar-
rive de la part du Roi, avec lettre portant commande-
ment exprès de faire, la lettre vue, loger M. le Dauphin
au bâtiment neuf pour causes contenues dans la let-
tre (3); il en est si aise qu'il fait lui-même déménager,
trousser son lit ; il commande et a.le soin de-tout.
(1) Voy. au 20 août 1604.
(2) Héroard élait absent depuis le 29 octobre.
(3) Voici cette lettre, que M. Berger de Xivrey a classéepar erreur à l'année
NOVEMBRE 1605. 169
Le 9, mercredi, à Saint-Germain. — M*"® la marquise
de Verneuil arrive au vieux château (1).
Le 10, jeudi. — Il se fait entretenir par M"' Piolant de
petits contes.
Le 12, samedi. — M. de Verneuil revenoit de voir
M"® la marquise sa mère au vieux château (2); il lui de-
mande 4 D'oii venez-vous? — « Mon maître, je viens de
voir maman mignonne. » — Cest la vôtre, pas la mienne.
Le 13 y dimanche — Il faisoit le fâcheux; Ton fait
abaisser une poignée de verges attachée à une ficelle, àous
la cheminée; Ton lui faisoit croire que c'étoit un ange
qui les portoit du ciel.
Le 14., lundi. — Il va en la chambre de sa nourrice,
où il épluche de l'oseille et du persil pour Je potage de
M. Girard.
Le 15, mardi. — Sa première nourrice le vient voir ;
il lui donne sa main, ne la veut point baiser ne accoler.
— Mené au Pecq et passé Teau pour voir dans un grand
bateau un animal porté du Canada par M. de Monts (3),
1608 : « M»ne de Montglat, je vous fais ce motel vous dépêche ce courrier ex-
près afin qu'il me rapporte des nouvelles de la santé de ma fille de Verneuil
et de celle de mon fils, et de mes antres enfants. Au demeurant, si M>"c de Ver-
neuil va pour la voir, vous la lui lairrez voir et Tirez voir si elle vous en
prie et le désire, lui disant comme de vous-même, si vous voyiez qu'elle
voulût voir mon fils, que vous la priez de ne le faire à cause de la maladie de
sa fille; et incontinent qiie vous recevrez celte-ci ferez mener mon fils avec
tout le reste de mes autres enfants loger au château neuf. Bonjour, Madame de
Montglat. Ce v*' novembre, à Fontainebleau. ( Lettres missives^ VII, 642. )
(1) Le Roi écrivait à M^e de Montglat le 6 novembre : « Pour ce que vous
mandez à Loménie louchant mon fils de Verneuil, je désire que vous le fassiez
mener au châleau neuf avec mes autres enfants, etsi M™^ de Verneuil va à Saint-
Germain et désire le voir, que vous le lui envoyiez au vieil château, où j'en-
tends qu'elle loge pour assister ma fille. » Cette lettre est également classée, par
erreur, dans les Lettres missives^ à l'année 1608.
(2) Voy. encore la lettre du Roi du 10 novembre, dans laquelle il dit à
M"« de Montglat : « Si M^e de Verneuil est là et qu'elle désire voir mon
fils, envoyez le lui au vieil château, et quMI soit avec elle tant qu'elle vou-
dra. » (lettres missives, Vil, 644.)
(3) Gentilhomme de la chambre et gouverneur de la ville de Paris. Il avait
160 JOURNAL DE JKAN HÉROARD.
de la grandeur d'un élan. Il y avoii une petite barque
faite à la mode du pays, avec du jonc, et couverte d'écorce
d'arbre, teinte de rouge, faite en façon de gondole et
ayant les avirons du bois du pays; trois mariniers la
firent voguer devant lui d'une incroyable vitesse.
Le 17, jeudi. — Il écrit au Roi en ma chambre :
Papa, je suis bieD aise de ce que M. de Saint-Aubin m'a dit que vous
vous portez bien et que vous êtes à Paris , pour ce que je pense d'avoir
bientôt l'honneur de vous voir et de vous baiser la maiq. Si j'étois
bien grand je vous irois voir à Paris , car j'en ai bien envie. Hé!
papa, je vous supplie très-humblennent, venez me voir, et vous verrez
que je sids bien sage. 11 n'y a que Madame d* opiniâtre, je le suis plus.
Ma plume est bien pesante Je vous baise très-humblement les mains.
Je suis , papa , votre très-humble et très-obeissant fils et serviteur.
— Daulphin.
Le 18, vendredi. — 11 retourne au château vieux.
Le 19, samedi. — 11 se prend à chanter la chanson
dont il se faisoit endormir :
. Bourbon l'a tant aimée
■
Qu'à la fin l'engrossa,
Vive la fleur de lis.... (1).
A la chanson il y a le sang royal, mais il ne vouloit
pas que Ton dit ainsi, oui bien la fleur de lis. On lui de-
mande : « Pourquoi voulez-vous que l'on dise la fleur
de lis et non pas le sang royal? » Il répond soudain : Pour
jce que ce sont les armoiries à papa, mon frère d'Orléans en
aura des /leurs de lis. — «Oui, dis je, Monsieur, mais il y
aura des Ïambe aux (2). » Il fait dire à M"'*' de Montglat des
proverbes de Salomon, elle en dit plusieurs; entre tous
été envoyé au Canada comme commandant général pour le Roi. Yoy. His-
toire du Canada j par Garneau; Québec, 1859, in-8°, tome l**", pages 39
à 68.
(1) Voy. plus loin une variante de cette chanson.
(2) C'est-à-dire un lambel, par lequel se dislingue le blason des ducs d'Or-
léans.
<,
INOVKMBBE iG05. IGI
il trouva celui-ci le plus beau : « L'homme est heureux
qui a trouvé une femme vertueuse; » il le lui fait redire
souvent.
le 20, dimanche, à Saint-Germain. — Le Roi arrive au
vieil château à cinq heures et demie, revenant du Li-
mousin ; il fait tout ce qu'il peut pour donner plaisir au
Roi. Le Roi va voir M"' de Vendôme, puis M"*de Verneuil.
Le ^i, lundi. — A dix heures mené au bâtiment neuf, au
lever de la Reine. Mené au jardin où étoit le Roi, le Roi lui
dit qu'il avoit été prisonnier dans le château il y avoit
plus de vingt-cinq ans (1), et ajoute : «Je vous veux faira
mettre en prison là dedans. » — Ho ! dit le Dauphin, je
romprai la porte. Le Roi lui demande : « Que ferez-vous
après? » — Je passerai, dit-il, par la cheminée, je me sau-
verai sans me blesser^ et il se met entre les jambes de
M"* de Montglat. Le Roi lui dit : « Voilà le fils de M"»» de
Montglat, la voilà qui en accouche » ; il part soudain, et
se va mettre entre les jambes delà Reine et s'enveloppe
de son manteau si fort qu'il ne montroit que la plume de
son chapeau. — Après souper il se joue avec M. de Ven-
dôme et M. le Chevalier; M. le Dauphin dit qu'il étoit
fils du Roi. « Et moi aussi, dit M. de Vendôme. » -- Vous!
— « Oui, Monsieur, ne m'appelez-vous pas votre féfé? »
— Ho ! ho! mais vous n'avez pas été dans le ventre à maman
comme moi! Qui est votre maman ? — « Monsieur, c'étoit
madame la duchesse de Beaufort. » — Duchesse de Beau--
fort, est-elle morte? — « Elle est bien loin si elle court
toujours, » dit M. le Chevalier (2). .
Le 22, mardi, — A onze heures il se fait lever, les
yeux pleurant de rhume, entoussé; il est vêtu de sa robe
de chambre fourrée, incarnat. Le Roi l'envoie quérir, il
(1) Celte captivité ne peutqu^élre antérieure au 3 février 1576, date à la-
quelle le roi de Navarre s'était évadé de la cour de Henri III. En avril 1574
Henri IV avait subi une sorte de captivité au château de Vincennes.
(2) Gabrielle d'Estrées était morte en 1599.
.BÉROABD. — T. I. 11
162 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
y est conduit avec sa robe. M. de Rosny le vient voir, il
1 embrasse, instruit (1).
Le 23, mercredi. — 11 chante avec sa nourrice :
Qui veut ouïr chanson :
La fille au roi Louis,
Bourbon Ta tant aimée
Qu'à la fin Tengrossit.
Vive la fleur de lis.
Le ^k», jeudi y à Saint- Germain. — A dix heures le Roi le
vient voir, le trouve bandant son pistolet; le Roi dé-
jeûne auprès de lui, s'en va chez. Madame, et de là à la
chasse. A deux heures mené chez la Reine.
Le 25, vendredi. — Mené au château neuf, il s'amuse
dans la chambre de la Reine, puis va à la galerie, tire et
puisse fait tirer dans le petit carrosse ; le bras du carrosse
se rompt; il envoie quérir le menuisier, lui-même y tra-
vaille, puis il se fait remettre dedans et se fait rouler. Il
bâille plusieurs fois, le visage lui blêmit; il dit à M™^ de
Montglat qu'il se trouve mal, se prend à pleurer (2).
L'on le meta bas pour l'emmener; le Roi entre en la galerie
pour le voir, et dès qu'il le voit : «Vousavez pleuré, dit-il,
je vois bien. » M. le Dauphin s'arrête, s'étonne; tou-
tefois, voyant M., de Verneuil être allé au devant du
Roi, il y court et l'embrasse. Le Roi le reprend sur ces
larmes, lui demande pourquoi ilpleureet ce qu'il veut :
Je veux aller en ma chambre , papa. Le Roi se fâche de
cette réponse , lui demande pourquoi ; Pource que fai
froid, — « Ha ! voilà une menterie ! vous êtes un menteur !
Que Ton le mène en sa chambre, vous verrez qu'il se
jouera. » 11 s'en fâche, lui permet de s'en aller; le Dau-
phin, ramené, ne veut point aller en*carrosse ; ilétoitsaisi
de l'appréhension de la colère du Roi. Mené en sa cham-
bre, il ne fait que se plaindre et pleurer; M. de Verneuil
(1) CVst-à-dire qu'on le lui avait recommandé.
(2) Le Dauphin était encore enrhumé.
DÉCEMBRE 1605. 168
le vient voir et, raillant, lui dit qu'il avoît diné avec le
Roi. — C'est pource que papa vous Va dit, lui répond-il
brusquement.
Le 27 novembre y dimanche, — Mené en carrosse
chez le Roi, fort gentil. M"*^ la princesse de Conty se
jouoit à lui, l'appelant : « Mon père grand, mon bi-
saïeul, mon cousin; » il disoit Non à tout, ce Comment
voulez- vous que je vous appelle? » — Moucheu Dauphin.
Le 28, lundi, — Mené en carrosse au Roiy qu'il ren-
contre sur le pavé allant à la chasse; le Roi descend de
cheval, le baise dans le carrosse, et lui dit qu'il allât
trouver maman pour la réjouir ; il va chez la Reine.
Le 29, mardi. — A" huit heures e-l demie le Roi arrive
en sa chambre, y déjeûne; le Dauphin se fait asseoir à
table avec le Roi, qui lui donne une petite beurrée puis
une rôtie sèche, de celles qui avoient été faites pour le
Roi à prendre de rhypocras. M. de Crillon arrive; le Roi
demande au Dauphin : a Qui est celui-là ?» — Le fou. —
M. de Crillon lui dit brusquement s'il vouloit qu'il battit
M. de Souvré. — Non. — « Si je ne le bats point, m'ai-
merez-vous? » — Oui. Le Dauphin ne peut laisser aller le
Roi, il le conduit de chambre en chambre ; le Roi s'en va
à neuf heures et demie de la chambre de M'** de Ven-
dôme.
Le 30, mercredi. — Le Roi part à six heures pour aller
à Paris ; dîné avec la Reine ; à deux heures elle part pour
s'en retourner à Paris.
Le 3 décembre, samediy à Saint-Germain. — La reine
Marguerite le vient voir; il se joue à elle, puis entre en
mauvaise humeur, se va cachera lamelle du lit, regar-
dant M"'* de Montglat, et disant tout bas : Cest pas une
Reine.
Le 13, mardi. — En soupant , M'"^ de Montglat tançoit
Saunier, cuisinier de son commun (1), et, le menaçant de
(1) De la maison du Dauphin.
U4 JOURNAL DE JEAN HÉKOARD.
la prison, conftnandoit au sieur Dupré, exempt, de le y
mettre ; ce pendant le Dauphin ne mangeoit point, écou-
toit; les grosses larmes lui sortent des yeux, tombant
sur lui, sans dire mot, ému de compassion. M""® de Mont-
glat, Tapercevant, lui dit : «Non, Monsieur, il ne y ira
point en prison; qu'il vous demande pardon. » — Noriy
Mamanga, c'est à vous; dites à Dupré quHlne le mène pas
en prison, bien haut; elle l'ayant dit : Dupré, Mamanga
Va dit bien haut.
Le \k, mercredi, — J'arrive (1), il court à moi, me
saule au col, me serre ; il en fait autant à ma femme. Je
lui apporte un cheval et une carte gallicane de Thevet,
il s'amuse à la carte avec transport.; « Voilà M. le Dau-
phin, » lui dit-on en lui montrant le côté des Flandres.
— Cest moi qui bat les Espagnols j répondit-il.
Le 15, jeudi, — Il se fait faire des contes du Compère
Renard, du mauvais riche et du Lazare par sa nourrice.
Je lui attache la carte gallicane de Thevet, que je lui avois
apportée, contre la tapisserie; on lui montre Provins; il
y porte la main en disant : Mangeons de la conserve (2).
Le 16, vendredi. — 11 s'amuse à ouvrir et refermer un
cadenas à lettres (3).
Le 19, lundi, — 11 fait chanter des Noôls à son huissier
de salle, qui les avoit faits, surtout celui où il y avoit :
a Couronne de lauriers. » L'huissier le lui donne par
écrit; il ne veut plus manger,- d'impatience de le lire et
de l'apprendre.
Le 20, mardi, — Il se fait lever puis recoucher plein
(1) Hëroard était parti le 30 novembre, et pendant son absence le Journal
avait, comme d'habitude, été continué par Tapothicaire Guérin.
(2) Voy. au 17 octobre précédent.
(3) Ces cadenas étaient sans doute d'invention nouvelle. Lestoile dit à la
date du 6 septembre 1606 qu'on lui a donné ««un petit cadenas qui ne se
peut ouvrir ni fermer que par quatre lettres qui sont A, M, O, R, qui font
amoTj lesquelles sont gravées avec plusieurs autres audit cadenas. » Le ca-
denas du Dauphin lui avait été donné par Héroard ; le mot était DIOGÈME.
DÉCEMBRE iCOS. 165
de mélancolie et sans sujet, contre son naturel. Il sem-
bloit avoir du ressentiment du danger de la vie où, le
jour précédent, le Roi se trouva, environ les quatre
heures, sur le Pont-Neuf, revenant de la chasse, par....
(I) qui se jeta sur lui, l'assaillant d'un poignard.
Sur les dix à onze heures Ton en fut averti; on lui dit
qu'une bète avoit voulu faire du mal à papa étant à la
chasse; les larmes lui en vinrent aux yeux avec une
grande tristesse. A huit heures et demie, dévêtu, mis
au lit ; l'on parloit de celui qui le jour précédent avoit
voulu tuer le Roi; on disoit que c'étoit un fol; il dit : On
le fera tourner sur mie roue^ puis par des chevauçc qui ti-
reront une charrette.
Le 25, dimanche^ à Saint Germain, — 11 s'amuse à met-
tre un de ses carreaux blancs dans une taie d'oreiller, le
met sur son col, comme son lavandier faisoitle linge sale,
dit qu'il porte un opiniâtre pourlemettreà la lessive, puis
preiid un carreau (2) et le porte sur le bras, l'autre sur le
col, disant : T en porte encore un autre, c'est un opiniâtre qui
est vert. — « Oui, Monsieur, lui dis-je, l'autre est blême. »
— C'est pource quil est mort, 11 se fait, en goûtant, entre-
tenir par M. de Verneuil, qui avoit de jolies inventions
pour le faire rire; il en rioit, encore qu'il ne fût point
rieur de son naturel.
Le 28, mercredi, — M"*^ de Montglatlui dit : « Monsieur,
papa vous viendra voir aujourd'hui, l'embrasserez-vous
pas bien en lui disant que vous avez remercié Dieu de
ce qu'il l'a gardé de ce méchant homme qui l'a voulu
tuer? » — Oui y Mamanga, il est en prison; c'est qu*il est
fou, et papa lui a pardonné. Il va sur la terrasse de sa
chambre pour voir décharger les mulets de la chambre
du Roi; à quatre heures un quart, le Roi, revenant de
(1) Héroard laisse en blanc le nom de ce fou, qui s'appelait Jacques des
Isles.
(2) Un aulre coussin de velours vert.
166 JOURNAL DE JEAN HÉUOARD
Paris, il lui saute au col, le serre, le conduit au grand
cabinet. Madame disoit ses quatrains au Roi et tout ce
qu'elle savoit; M. le Dauphin lui dit ses proverbes;
MM. de Verneuil y étoient; ils donnent le plaisir au Roi
de ramasser des sols qu'il leur jetoit à terre; M. le Dau-
phin rapportoit au Roi ceux qu'il avoit ramassés; il
n'aimoit point l'argent. Le Roi vient en sa chambre; il
l'entretient de tout ce qu'il peut; le Roi sommeilloit, et
lui demande : « Mon fils, voulez- vous bien que je me
couche sur votre lit? » — Oui, papaj dit-il gaiement; il
conduit le Roi jusques au lit, et de soi-même tira le ri-
deau comme il fut couché.
Le 29, jeudi. — Dîné avec le Roi; le Roi se joue avec
lui, et, en la chambre, le Roi demande à M. de Verneuil
s'il vouloit pas aller en poste à Paris avec lui. — Non, je
veux pas, dit M. le Dauphin, a — Comment, dit le Roi,
savez-vous pas que suis le maître?» — Oui, papa, passez,
allez, dit-il à M. de V-erneuil, le prenant par la manche,
et moi aussi papa. Il reconnolt et fait tout ce qu'il peut
pour complaire au Roi, et le va conduire jusques à la
cour, d'où il part à une heure après midi :
Le 30 décembre, vendredi, à Saint Germain. — M'"*' de
Montglat le fait jouer au hère; ce fut la première fois
qu'il joua aux cartes.
ANNÉE ^606.
Étrennes du Dauphin — Souvenir de Fontainebleau. — Étrennes données par
la Reine, remerciement du Dauphin. — Lellre au fils de M"* deMontglat.
— Lettre du prince de Galles. — Présent du duc de Lorraine. — Le Roi
et la comtesse de Moiel à Saint Germain. — Les piques de Biscaye. —
Utilitti du journal d'Héroard. — Comment dînent les laquais. — Habi-
tude du Roi. — Chanson turque. — Parcimonie dans laquelle est élevé le
Daupliin. — Naissance de Madame Christine. — Détail sur la mort de
Henri III. — La géographie de Mérula. — Le Roi à Saint Gei main. — Le
duc de Bouillon. — Premier enfant tenu sur les fonts de baplême. — Do-
nation de la reine Marguerite au Dauphin. — Départ pour Paris. — Visite
à la reine Marguerite. — Dt^parl du Roi pour le siège de Sedan. — La
chapelle de Bourbon. — Visite à TArsenal et à la Bastille; M. de Rosny,
le comte d'Auvergne. — Visite au Palais de Justice. — Lettre au Roi. —
Retour à Saint-Germain. — Précautions pour la sûreté du Dauphin. — La
Castramélation de du Clioul. — M. de Grillon. — Le feu de joie de la
paix. — La nourrice de Charles IX. — Inclinalion aux mécaniques. -^
Modèle du château neuf de Saint -Germain. — Habitude du Roi. — La
belle Corisande. — Le Roi et M. de Bouillon. — Goût du Roi pour Pail.
— Jalousie et opiniâtreté du Dauphin; sa sensibilité. — Premier coup de
feu. — Mœurs singulières. — Députation d'un régiment suisse. — Por-
trait du Dauphin peint par Martin. — Visite de la reine Marguerite. — Le
Dauphin amoureux; encouragements et exemples qu'on lui donne. — Le
connétable de Montmorency. — La belle Gillette. — Le cardinal de Joueuse.
— Produit de la verrerie de Saint-Germain, des Prés. — Le marquis de
Rainel. — Le Roi et son fils. — Accident du bac de Neuilly. — Prière du
Dauphin. — Le président Groulard et les députés de Normanille — Paroles
honteuses. — Le soldat Descluseauk. — Le Dauphin logé au château neuf.
— Hommage des députés d'Auvergne. — Les écus de M. de Sully; avi-
dité de l'entourage du Dauphin. ^ Maladies épidémiques; vision d'une
sentinelle. — L'hiver en été. — Habitude du Roi. — Précautions de salu-
brité. — Le Roi et le prince de Manloue. — M. de Sainl-Aubin-Montglat.
— La Reine et la duchesse de Mantoue. — Jalousie du Dauphin. — Portrait
du Dauphin par Francesco. — L'abbé de Saint-Germain. — Le cardinal de
Joyeuse. — Répugnance du Dauphfn à demander. — Départ de Saint-Ger-
main pour le baptême. — Le prisonnier de Chilly. — Les portraits de M. de
BeaulieiL — Baptême du Dauphin à Fontainebleau. — Présent de M. de
168 JOURNAL DE JEAN HEBOARD.
Lorraine. — Feu d'artifice. — La verrerie de Fontainebleau. — S<*jour à
Cély. — Lettres an Roi. — Le canal de Flenry. — Détail d'étiquette. —
Mœurs des laquais de Fontainebleau. — Le Dauphin entre dans sa sixièmi;
année. — Avidité de M™e de Monlglal. — Ange Cappel. — Songe du Dau-
phin. — Les pages de la chambre; Racan. — Bons mots du Dauphin; son
respect pour la vieillesse. — Visite à la comtesse de Moret. — Le peintre
Le Blond. — La mule de M. de Roquelanre. — Jeux du Dauphin. — Les
députés du Dauphiné. -^ Dispositions pour la chasse. — M. et Min« de
Rosny. — Combat de dogues, d'ours et de taureau. — Engoulevent; ré-
pugnance du Dauphin pour les bouffons. — Mariage du prince d'Orange.
— Ballet du Dauphin. — Reparliesà MM. de Roquelaure et de Bassom pierre.-
— Guerre contre la princesse d'Orange. — La petite Panjas. — Familiarité
avec les soldats. — Le comte de la Roche. — Superstition d'Héroard. —
Jouets de polerie. — Buffet de François l**". — Goût pour le dessin;
première leçon donnée par Fréminet. — Portrait du Dauphin par Fré-
minet. — Amour et attentions d'Héroard pour le Dauphin.
Le V^ janvier y dimanchey à Saint-Germain, — Vêtu de
son manteau, coiffé, peigné paisiblement pour ce qu'on
lui dit qu'il ne falloit pas faire Topiniâtre le premier
jour de l'année, de peur de Tètre toute l'année. 11 tient
le manchon de M"'' de Monlglat, et s'en va à chacun, l'en
frappant gaiement et souriant en disant : Tenez, velàvos
étrennes, et comme honteux de n'avoir aucune chose à
donner à ceux qui lui demandoient. On lui apporte du
ruban bleu; il en donne à plusieurs pour étrennes.
Le 2, lundi. — Il promet à M. de Cressy de le faire un
jour chevalier de l'Ordre, lui ayant donné le jour pré-
cédent le cordon bleu. — Il reçoit par M. Bragelogne,
commis de M. Phélypeaux, trésorier de l'Épargne, une
bourse de jetons d'argent à la devise d'un temple de
Janus avec cette lettre : Clusi cavete, recludam.
Le 3, mardi. — Il chante : Quand le bon homme vécut
de son labourage y etc. 11 dit à M. de Ventelet : Telaiy
contez-moi du grand homme qui a du feu autour de luiy qui
est à Fontainebleau. — « Monsieur, je ne sais qui est cet
homme-là. » — C'est ce grand homme qui est à la salle. —
« En quelle salle? » — A la scille qui est auprès du Jacque-
mart. C'étoit l'élément du feu, qui étoit à la salle du bal.
Le 5, jeudi. — Son huissier de salle se prit à crier : le
JANVIER 1606. 169
Roi boity il lâche soudain la coupe, disant : Noriy je veux
paSy et l'en reprit par deux fois. Je lui dis : a Monsieur,
voulez-vous pas que Von crie le Roi boit quand vous
buvez? » — Non; quand je serai le Roi,
Lely samedi, à Saint-Germain, — La Reine lui envoie
pour étrennes une montre d'horloge et une paire de pe-
tits couteaux; il s'en va à la chambre de M™^ de Montglat,
écrit à la Reine, la remerciant de ses belles étrennes, et di-
sant qu'il regarderoit bien souvent à. sa montre d'horloge
pour savoir les heures qu'il faudroit poser les sentinelles
et qu'il les éveilleroit, les piquant dans les cheveux avec
ses petits couteaux, s'il les trouvoit endormis. — 11 se
joue avec Rom par, son page, qui prenoit Madame pri-
sonnière; il dit que c'est le grand dragon qui prend An-
dromède, et lui Perséus, qui tue le dragon.
Le 8, dimanche, — Il aide à faire son lit comme s'il eût
été le garçon de la chambre (1) , veut seul porter et rap-
porter toutes les pièces, sur sa tête ou sur son épaule. —
M'"® de Montglat le fait écrire à son lîls :
Petit Montglat , voyez de ma part monsieur le grand-duc, mon
oncle, et madame la grande-duchesse, ma tante , et leur dites que je
leur baise très-humblement les mains et que je suis leur très-humble
serviteur. Venez-moi servir à mon baptême et amenez -moi un beau
cheval pour courir la bague, et soyez bien sage, et je serai votre bon
petit maître. Adieu, petit Montglat. Votre bon petit maître,
Daulphin.
Le 9 lundi. — Il va à la salle du bal, danse toutes sortes
de danses; on en rit de le voir si joliment faire, il cesse
la danse incontinent, fâché, et dit : Je veux pas quon
rie, je veux pas donner du plaisir, et ne voulut plus
danser.
Le 10, mardi, — Il vient des violons de la noce d'un
(1) On verra Louis Xni conserver, cette habitude dans un âge beaucoup
plus avancé.
170 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
de ses cuisiniers; il leur commande déjouer, et les écoute
si attentivement qu'il demeuroit immobile. M. Birat, pour
le faire jouer, lui dit: « Monsieur, ce matin il est\enu en
ma chambre une bête si grande, si grande. » 11 lui de-
manda en souriant : Étoit-elle plus grande que vous? A
dîner on fait le conte ci-dessus mis de M. Birat; il se re-
tourne en souriant, et me demande : Lavez-vous mis en
votre registre ?
Le 12, jeudi. — Le sieur Thomas Parry, ancien am-
bassadeur d'Angleterre, lequel conduisoit le sieur Georges
Kerry, ambassadeur demeurant en sa place, présente
à M. le Dauphin une lettre de la part de M. le prince de
Galles, disant, lui ayant tous deux baisé la main, que,
venant prendre congé de lui et lui amenant celui qui
entroit en sa place pour lui baiser bien humblement les
mains, il avoit aussi charge de lui présenter une letlre de
M. le prince de Galles. 11 la prend, et rie voulut jamais
entendre àautre chose qu'ayant lui-même rompu le ca-
chet, il n'eût vu ce qui étoit dedans. On lui demande
qui il vouloit qui lui lût la lettre, il répond : Je veux que
ce soit moucheu Hérouard. 11 me la baille, et en présence
des ambassadeurs, de M. de Souvré, qui les étoit venu
conduire, je la lus. En voici la teneur, écrite et signée de
sa main, et, ce dit-on, de sa façon, le roi d'Angleterre
n'ayant pas voulu qu'un autre que lui y mît la main,
disant qu'il avoit demeuré assez longtemps à l'école pour
la savoir faire, et toutefois que le Roi son frère et non
autre repassât dessus [sic] :
• Monsieur et frère, ayant entendu que vous conamenciez monter à
cheval, j'ai creu que vous auriez pour aggréable une meute de petits
chiens que je vous envoie pour tesmoigner le désir que j'ay que nous
puissions suyvre les traces des Rois noz pères comme en entière et
ferme amitié ; aussi en ceste sorte d'honueste et louable récréation
J'ay supplié le comte de Beaumont, qui retourne par delà , remercier
en mon nom le Roy vostre père, et vous aussi, de tant de courtoisies
et obligations dont je me sens surchargé , et vous déclarer combien
de pouuoir vous avés sur moy, et 'combien je suis désireux rencon-
JANVIER 1606. 171
trer quelque bonne occasion pour moostrer la promptitude de mon
affection à vous seruir, et pour ce me remettant à luy, je prie Dieu ,
Monsieur et frère, vous donner en santé longue et heureuse vie.
Vostre très-affectionné frère et seruiteur,
»
Hekby.
A Richmond, le 25 d'octobre 1605.
A Monsieur et frèr^ Monsieur le Dauphin.
LeiSy vendrediy à Saint-Germain, — A deux heures la
marquise de Verneuil s'en retourne (1).
Le 16, lundi, — Il s'amuse à voir travailler les maçons
qui raccoustroient son àtre, est toujours parmi eux; il ar-
rive un joueur de musette poitevin; il l'écoute assez long-
temps, attentivement et comme immobile, puis dit tout
à coup : Om'ï' s'en aille, allez jouer à la grande salle.
Le 17, mardi, — 11 vient en ma chatnbre, où il de-
mande le livre des oiseaux, puis me demande son livre
rouge; c'étoit l'histoire de la paix de Matthieu, donné par
M. de Vie, ambassadeur, de la part de l'auteur; il le
remporte lui-même en sa chambre.
Le 18, mercredi. — Je lui dis qu'il iroit au-devant de
papa, au bâtiment neuf; il répond : Ho! ho! je veux pas
aller au bâtiment neuf, il tombe tout; quand la gelée vien-
dra tout tombera; il en avoit ouï parler entre nous; il
écoutoit tout, et tout ce qu'il entendoit lui demeuroit en
Tentendement. A onze heures mené au-devant du Roi
sur les terrasses, il le rencontre à la descente qui va au
Neptune; le Roi descend de cheval, le baise, Tembrasse.
Ramené au vieux château et dîné avec le Roi, à midi. —
M. de Lorme, premier médecin de la Reine, baise les
mains au Dauphin delà part de M. de Lorraine, avec
(1) Voy. la lettre de Henri IV à Mme de Montglat, du 4 janvier, dan.s la-
quelle il lui dit : « Madame de Verneuil fait état de s^en aller demain coucher
à Saint-Germain en Laye pour y voir ses enfants. Faites-la loger au château,
et les lui laissez voir; elle ne verra point mon (ils ni ma fille, si ce n'est par
occasion. » {Lettres missives, VI, 573. )
172 JOLR>'AL DE JEAN HËROARD.
commandement de lui dire qu'il lui faisoit faire deux
canons; il demande : Sont-ils grands?
Le 19, jeudiy à Saint-Germain, — Il va chez le Roi, qui
le mène au jardin; dîné avec le Roi. — M. de Loménie lui
donne un petit gentilhomme fort bien habillé d'un collet
parfumé^ enrichi de broderie d'or, les chausses à bande
de même ; il le peigne, et dit ; Je le veux marier à la poupée
de Madame. — Mené chez M"* la comtesse de Moret, où il
se piqua un peu au bout du doigt, en coupant des cartes
avec les ciseaux de M*"* de Monlglat.
Le 20, vendredi. — Mené au Roi, et, à neuf heures, dé-
jeuné avec lui ; il se fait porter aux fenêtres où le Roi
étoit allé pour voir courir un lièvre devant la meute des
chiens courants que le prince de Galles avoit envoyée à
M. le Dauphin. Le Roi part pour aller à la chasse. — Un
honnête homme donna quatre piques de Riscaye, non
ferrées, au Roi; le Roi en donne trois à M. le Dauphin,
lui disant : « Il y en a une pour vous, donnez-en une à
féfé Chevalier et l'autre à féfé Verneuil. » Étant en sa
chambre, M. de Souvré lui dit : a Monsieur, je m'en vais à
Paris; me voulez-vous commander quelque chose?» —
Faites-moi accommoder ma pique, — « Monsieur, com-
ment? Voulez- vous qu'elle pique, qu'elle tue, qu'elle égra-
tigne? Comment la voulez-vous? » — Je veux pas que la
mienne tue, mais je veux quelle pique ^ et je veux pas que
celles de féfé Chevalier et de fefé Vaneuil tuent , et qu'elles ne
piquent, et qu'elles n'égratignent ; mettez y un clou au bout,
— Le Roi revient de la chasse, le Dauphin se trouve à
son diner, fort gentil, obéissant, craignant et respectueux
du Roi. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à deux
heures trois quarts.
Ze22, dimanche, — M"' de Montglat lui dit : « Monsieur,
voyez que Madame a les cheveux beaux et blonds pour ce
qu'elle se laisse bien peigner;» il répond : Les noirs sont
les plus beaux, puis me dit : Allez, allez écrire en votre re-
gistre ce que j*ai dit de mes cheveux.
JAKVIER 1606. 173
Le 23, lundi, — 11 me demande : D'oùvenezvousl —
ft Monsieur, je viens de mon étude. » — Quoi faire? —
« Monsieur, je viens d'écrire en mon registre. » — Quoi?
— a Monsieur, j'étois prêt à écrire que vous avez été opi-
niâtre. » Il me dit, à demi pleurant : Ne Vécrivez pas, —
On le divertit avec son petit ménage d'argent; il y avoit
deux petits chandeliers et de la petite bougie blanche dont
on se sert aux offrandes; ma femme l'alluma. Il la prend
soudain, la souffle, l'éteint, disant : Ho! non, elles^useroit^
faisant en cela ce qu'il voyoit faire et oyoit dire (1).
Le 24, mardi, à Saint-Germain. — Il dit des proverbes
de Salomon abrégés, entre autres ccîut, dit-il, qruej aime
lant : L'homme est heureux qui rencontre une femme ver-
tueuse; il dit trois quatrains de Pibrac.
Le 25, mercredi, — Le savoyard (2) de M. de Verneuil
traversoit sa chambre d'une porte à l'autre; il lui de-
mande : Où allez-vous? — c< Monsieur, à la chambre de
M. de Verneuil. » — Retournez-vous-en par là, ma chambre
est pas un passage.
Le 26, jeudi, — Madame voulant diner debout et ne
s'asseoir pas, il dit : La velà qui veut dîner en laquais.
Le 27, vendredi, — Il se fait armer de ses armes dorées,
vient à nm chambre, demande à voir le lion; c'étoit au
•livre de Gesner.
Le 28, samedi, — Il va en la chambre de M"® de Ven-
dôme, s'avise qu'il n'y avoit point de poutres au plan-
cher et demande : Hé! pourquoi n'y-a- Cil point de poutres
comme à ma chambre? A dîner il mange une côtelette ris-
solée. Il épluchoit le rissolé; je lui dis : «Monsieur, vous
ne mangez que ce qui vous fera devenir colère (3). » —
(1) M"* de Monfglat apportail une grande parcimonie dans les dépenses de
\^ maison du Dauphin.
(2) Il était de Chambéry, et servait de page à M. de Verneuil. Héroard ne
donne pas son nom.
(3) Héroard dit au Dau|)hin quelques jours après que la viande griliée^n-
gendre la colère.
174 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Papa lemange bien. Il disoitvrai, etétoilgrand imitateur
des actions du Roi. Il nettoyoitses gencives avec le doigt,
je lui dis : «Monsieur, il les faut nettoyer avec la langue. »
— Mais ma langue n'est pas assez longue, j'y tâche, mais
je ne saurois.
Le 29 janvier, dimanche. — Il chante :
Guillaume, Guillaume.
Ho ! pauvre Guillaume ,
Te lairras-tu mourir?
puis ce qu'il avoit appris il y avoit plus d'un an du petit
Turc de M. de Vendôme; Houja Criaqué, Chinchin Cria-
quéy Pista, christa Criaqué.
Le 30 lundi. — Sa nourrice regardant à sa bouche la
dent vingt et qnième qui lui étoit percée, il lui fut avis
qu£ sa nourrice lui vouloit faire mal, et, voulant frapper
sur elle, frappa sur Madame, dont il fut si fâché que
soudain il s'en prit à pleurer et à frapper fort sur sa
nourrice, puis va baiser et accoler Madame, puis va ac-
coler sa nourrice, qui en faisoit la courroucée. — L'on
parloit qu'il le falloit apprendre à être libéral, et que l'on
n'en faisoit rien; il écoutoit tout ce qui s'en disoit, sans
faire paroltre qu'il y prêtât l'oreille, et tout à coup et par
boutade il se prend à faire ses libéralités , disant : Je-
vous donne ceci, etc,
ie 10 février, vendredi, à Saint-Germain. — M"^ de
Montglat part à onze heures et demie pour aller au tra-
vail de la Reine, laquelle accoucha entre midi et une
heure de Madame (1).
Ze 11, samedi. — M"*^ de Ventelet lui dit que maman
étoit accouchée; il demande : A-t-on oui le canon? —
c< Non, Monsieur. » — C'est donc une fille?
ic 21, dimanche. — Il vient deux minimes pour le
(1) Chrétienne ou Christine de France, née au Louvre, mariée en 1619 à
Viclor-Amédée, duc de Savoie, morte en 1663.
FÉVRIER 1600. l75
voir; M. de Franchement, archer du corps, les conduisoit
portant sa hallebarde ; il lui demande ; Pourquoi portez-
vous votre hallebarde? — a Monsieur, pource que je n'ai
pas voulu venir aveceuxsans la porter. » — Pourquoi? —
(( Monsieur, pource qu'il y eut un moine qui tua le feu
Roi.» — Quelui fil-on? — «Monsieur le Grand le tua (1). »
Il demeure froid, et n'en dit plus mot. — J'arrive (2) en
la cour à cinq heures; il descendoit en sa chambre; je
le rencontre entre deux portes; il me saute au col, me
demande : Que m'apporlez-vous? — a Monsieur, je vous
apporte un petit arc et des flèches. » lien Iressaultdejoie;
ma femme lui apporta un petit réchaud et une petite
ëcuelle de fayence (3).
Le i3, lundi, à Saint-Germain. — 11 vient en ma cham-
bre, demande à voir le livre des oiseaux, puis je hii
montre les figures de la géographie de Merula (4).
Le 14, mardi, — Mené chez M! de Frontenac, il y joue
du clavecin.
Le 15, mercredi. — A cinq heures le Roi arrive, lequel
il attend avec extrême impatience, s'amuse à Tentretenir
à la chambre, dit qu'il veut souper avec papa , qu'il at-
tendra que son souper soit prêt. Le Roi, qui mangeoit
maigre, se plaignoit d'un peu de douleur à une amyg-
dale. — Papay mangez de la viande, vous êles malade. Le
(1) Il s'agit probablement du grand prévôt de l'hôtel, car au moment de
l'assassinat de Henri 111 celui des hauts dignitaires que l'on appelait M. le
Grand, c'est-à-dire le grand écuyer, le duc d'Elbenf , était arrêté depuis quel-
ques mois comme favorable aux Guises et ne devait être rendu à la liberté qu'en
1591. Ce passage est assez curieux, puisqu'il y est dit que c^est le grand prévôt
qui tua Jacques Clément, tandis que Mézerai et les autres historiens disent
que le Roi lui ayant lui-même porté deux coups avec le couteau qu'il retira
de la blessure, M. de la Guesie le frappa du pommeau de son épée et que deux
ou trois autres personnes, encore phis imprudentes, le tuèrent surplace.
Quand ou eut reconnu qui il était, le grand prévôt fit tirer son corps à quatre
chevaux, brûler les quartiers et jeter les cendres au vent.
(2) Héroard était absent depuis le 30 janvier.
(S) Le Dauphin s'amusait souvent à faire la cuisine.
(4) Paul Merula, de Dordrecht, mort en 1607.
176 JOURNAL DE JliAN HÉKOARD.
Roi lui demande s'il veut aller à la guerre. — Non, papa.
— c< Pourquoi?» — Je suis trop petit. — « Quand est-ce
que vous y irez? » — Mais que je sois grand. — « Quand
serez- vous grand? » — A Pâques, Le Roi va en sa
chambre.
Le 16, jeudiy à Sainl-Germain. — Éveillé à cinq heures
après minuit, il se fait coucher auprès de M™® de Mont-
glat, lui frappe sur la tête chantant ?
Baume sur baume,
L'abbé de Vendôme,
La Castaigne et le merlus
Combien de cornes portes-tu ?
puis, se souriant et battant doucement de sa main sur la
tête de M™^ de Montglat, il dit : Velà la mère aux cornes.
— Mené au jardin; le Roi revenant delà chasse, nxet
pied à terre, va à lui. Ramené au château, il se fait ha-
biller en masque, va chez le Roi danser un ballet, ne
veut point se démasquer, ne voulant être reconnu.
Le 17, vendredi. — Il se joue avec ses animaux de po-
terie (un cheval et un bœuf). — L'on parloit de la guerre
de Sedan , du canon que Ton y menoit , il demande :
Comment le mènet-on? — Mené au jardin, il tire de l'arc;
le Roi le prend pour tirer. Papa, voulez-vous que je vous
montre? le Roi lui dit : a Je sais mieux tirer que vous. » —
Excusez-moi, papa, répond-il doucement et froidement.
Après dîner il va chez le Roi, le voit partir pour aller à la
chasse; à cinq heures mené au Roi revenant de la chasse,
il aide à le détacher; le Roi se couche.
Le 18, samedi. — Diné avec le Roi ; à quatre heures et
demie il va chez le Roi, qui revenoit de la chasse, lui dé-
tache ses aiguillettes, lui sert à boire, puis s'en retourne
en sa chambre; à sept heures et un quart dévêtu, le Roi
y arrive; M. le duc de Montbazon déchausse le Dauphin,
(1) Hercule de Rohan, grand veneur de France, mort en 1654.
MARS 1606. 177
le Roi le baise dormant^ lui disant adieu. Le Roi s'en re<
tourna à Paris à cinq heures après minuit.
Le 19 février j dimanche. — M"' de Montglat parloit de
M. de Bouillon (i), disant qu'il étoit bien mauvais. — Qui,
Mamanga? — v Monsieur, c'estun bouillon qui est fâcheux
à prendre. » — Oui, Mamanga , il faut du canon. — Mené
à la chapelle , il tient à baptême la fille de sa nourrice ;
c'est le premier enfant qu'il a porlé à baptême; il lui
donne nom Henriette.
Le 28, mardi. — M. de Montpensier vient à son lever;
il lui fait bonne chère.
Le k mars, samedi, à Saint-Germain. — Les ambassa-
deurs d'Angleterre le viennent voir, il leur fait bonne
chère.
Le il, samedi. — J'arrive à trois heures et demie (2); je
lui apporte un bracelet d'ivoire pour mettre au bras, à
tirer de l'arc; il le met au bras gauche de la façon qu'il
le falloit; il n'en avoit jamais vu, ni su comme il le fal-
loit mettre que par ouï-dire» — A cinq heures. Madame
la petite arrive; il la reçoit en la cour, au pied de la petite
montée. — Ensoupant; jeluidis : ce Monsieur, papa vous
mande à Paris pour remercier la reine Marguerite du
présent qu'elle vous a fait. » — QuelîM^^ de Montglat lui
dit : ft Monsieur, elle vous a donné tout son bien. » —
Comment dit-on quand on donne tout son bien? Je lui dis :
«Monsieur, elle vous adonné le duché de Valois, le comté
de Lauraguais et le comté d'Auvergne. » — Faudra-t-il
que je sois prisonnier comme le comte d'Auvergne?
Le 12, dimanche. — A sept heures levé, vêtu, il aide
lui-mêmeà démonter son lit. A une heure il part pour aller
à Paris dans la litière de la Reine, va par les bacs, trouve
M. de Souvré au Pecq. Goûté à Chatou. Passant le bac de
(1) Henri de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, maréchal de France,
mort en 1623. 11 tenait alors à Sedan contre les troupes du Roi.
(2) Héroard était absent depuis le 19 Tévrier.
BÉROARD. — T. I. 12
178 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Neuilly il voy oit Madrid : Hélàii-ïl, velàune grande maison
qui chemine ? M. le prince de Condé, M. de Vendôme, M. le
connétable, M. le Grand et grand nombre de noblesse
lui viennent au-devant jusque près du port de Neuilly.
A quatre heures trois quarts il'arrive aux Tuileries, où le
Roi Tattendoît qui, rayant promené jusques à cinq heures
et demie, le mène, par la porte du jardin et la grande
galerie, au Louvre. H va voir la Reine, court à elle qui
s'essaye de l'élever pour le baiser (1) ; ne pouvant, le Roi
rélève; mené au grand cabinet, où il se joue avec des
volants que la Reine lui avoit donnés. Soupe avec le Roi
au petit cabinet de la Reine, il s'endormoit, demande
congé d'aller en sa chambre, où il est mené à sept heures
et demie, sous le cabinet de la Reine.
Le 13, lundi, au Louvre. — A une heure et demie
mené par la galerie aux Tuileries, au Roi, qui lui fait voir
piquer des chevaux ; ramené par le même chemin en sa
chambre. Mené chez la Reine à douze heures et un quart,
et à deux heures et demie le Roi le fait mettre avec lui
en carrosse, à la portière, assis sur un carreau, pour
aller vers la reine Marguerite , logée à Thôtel de Sens,
pour la remercier du don qu'elle lui avoit fait. En chemin
le Roi lui demande : « Mon fils, aurez-vous pas froid?»
— Ho! non, papa, je ne crains point le soleil ni la pluie. 11
dit à la reine Marguerite : Maman ma filhy je vous remercie
très-humblement du présent que vous m^avez fait , je suis
votre très-humble serviteur. Ramené au Louvre à six heures
et demie.
Le 14, mardi, au Louvre. — Mené par la galerieau
jardin , aux Tuileries, il va à la messe aux Capucins (2) ;
ramené par le même chemin en la chambre de la Reine,
puis en la sienne. A huit heures mené chez le Roi et la
Reine, il leur donne le bonsoir.
(1) La Reine n'iHait pas encore relevée de couches.
(2) Le couvent des Capucins se trouvait dans la lue Saint*Honoré.
MARS iÇ06. 179
Le 15, mercredi, au Louvre, — A sept heures et demie ,
le Roi vient lui dire adieu, s'en allant assiéger Sedan, y
est fort peu, le baise, l'embrasse, lui disant ces mots :
« Adieu, mon fils, priez Dieu pour moi, adieu, mon fils,
je vous donne ma bénédiction. » — AdieUypapa, répond
le Dauphin ; il étoit tout étonné et comme interdit de pa-
roles. Soudain M"*' de Montglat lui dit s'il veut pas prier
Dieu : Ouif Mamanga, et il prie Dieu soudain. — Mené
parla galerie aux Tuileries, il joue du palemail sur la
terrasse, ne veut point aller à la messe aux Capucins.
W^ de Montglat lui dit à l'oreille que le Roi lui a com-
maudé de le mener ouïr la messe aux Capucinjs; il y va
soudain. — Mené chez la Reine, il est logé à la chambre
du Roi , aide à porter son bois de lit à la vue de la Reine ;
M"'*^ de Montglat y fait mettre son lit pour y coucher. ïl va
seul en la ruelle de la Reine, y voit M"^ de Renouillère
qui y dormoit, s'en vient doucement à la Reine, et lui de-
mande : Maman, qui est cette béte-là?
Le 16, jeudi, au Louvre. — Mené jusquesà la chapelle de
Bourbon (1) pour ouïr la messe, il n'y veut point entrer :
// y fait noir y on n'y voit goutte! Hé! Mamanga, que j'entre
pas là dedans! Mené au jardin du Louvre, ramené en sa
chambre. A une heure trois quarts mené en la litière de
la Reine à l'Arsenal; il ne veut descendre de la litière
que M. de Rosny ne y fût arrivé; mené par les galeries
des armes sur le rempart, et de là à la Bastille, en la
cour, d'où il est salué du haut des tours par M. le comte
d'Auvergne, qui lui dit : cr Bonsoir, Monsieur, je suis votre
.très humble serviteur » ; il lui répond : Dieu vous garde,
moucheu le comte, 11 étoit accompagné de M™^ de Mont-
glat, de MM. de Souvré, de Châteauvieux; jey élois. Ra-
mené par le jardin en la salle et au cabinet où, à trois
heures et un quart, il fait collation ; M. de Rosny lui donne
(1) L'hôlel du Pelit-Bourbon , démoli sous Louis XIV lors des Iravaux de
la colonnade du Louvre.
12.
180 JOURNAL DE JEAN HÉROAHD.
un canon d'argent. Il demande le nom et l'usage des
outils et des parties, s'en veut aller et par le naême che-
min qu'il étoit entré, ne voulut jamais passer par autre
chemin. Ramené à quatre heures et demie, mené à la
Reine, puis en sa chambre.
Le 17, vendredi^ au Louvre. — Il part en litière à dix
heures^ accompagné de MM. de Souvré, de Châteauvieux,
de Liancourt, va au jardin du Palais par le Pont-Neuf, où
il est reçu par M. le premier président, messire Achille de
Harlay ; il le prie pour une affaire de sa maman Doundoun ;
M. de Harlay lui promet de n'oublier à le servir, au pre-
mier commandement qu'il lui a fait. Monté par le logis
dudit sieur président, il est allé à la Sainte-Chapelle, où
il entend la messe, baise^ la vraie croix, demande les
noms et les usages de tout ce qu'il voit, passe et repasse
porté par le sieur Birat, regarde deçà delà avec gravité
et allégresse de tout le monde. Il se trouva des femmes
qui se portoient à sa robe pour la baiser. Ramené par le
même chemin au Louvre, et à onze heures et demie dîné.
Il va chez la Reine , va en la galerie, où il court un re-
nard avec les chiens du Roi.
Le 20, lundiy au Louvre, — Il va chez la Reine, qui par-
toit pour conduire M"^ Straler^ damoiselle flaniande, et
Gratienne, l'une de ses femmes de chambre, aux Car-
mélines, où elles s'alloient rendre. — Il écrit au Roi par
M. de Vendôme :
Papa, depuis que vous êtes parti , j'ai bien donné du plaisir à ma-
noan. J'ai été à la guerre dans sa chambre : Je suis allé reconnoître
les ennemis : ils étoient tous en un tas dans la ruelle du lit à maman,
où ils dormoient (l). Je les ai bien éveillés avec mon tambour : J'ai
été à votre arsenal , papa : M. de Rosny m'a montré tout plein de
belles armes, et tant, tant de gros canons, et puis il m'a donné de
bonnes confitures et un petit canon d'argent ; il ne me faut qu'un
petit cheval pour le tirer. Maman me renvoie demain à Saint-Ger-
main, où je prierai bien Dieu pour vous, papa, afin qu'il vous garde
(1) Voy. au 15 mars précédent.
AVRIL 1606. 181
de tout danger et qu'il me fasse bien sage et la grâce de vous pouvoir
bientôt faire très humble service. J'ai fort envie de dormir, papa :
Féfé Vendôme vous dira le demeurant , et moi que je suis votre très-
humble et très obéissant Qls et serviteur , Dauphin (1).
ie 21 marSj mardi, au Louvre. — Il va chez la Reine ; la
reine Marguerite y vient, le prévenant en ce que la
Reine le vouloit mener chez elle pour lui dire adieu,
Ze22, mercredi. — Il va chez la Reine, qui lui demande
s'il est pas plus aise de s'en retourner à Saint-Germain
que de demeurer auprès d'elle; il répond : Oui, froide-
ment, lui dit adieu et, à une heure mis en litière, est parti
pour se y en retourner. Arrivé au Pecq, il y trouve Ma-
dame, qui lui étoit venue au-devant, accompagnée de
M. de Verneuil , la fait mettre avec lui dans la litière, la
baise, l'embrasse, la fait asseoir près de lui.
Le 27, lundi, à Saint-Germain. — M. de Souvré; sur
l'alarme de ceux qui avoient couru M. de Mansan, Ton
fait murer les portes des deux petits ponts (2).
Le i^^ avril, samedi, à Sainl-Germain. — J'arrive de
Paris, il me saute au col; je lui apporte un trompette
turc à cheval , qu'il fait manier à courbettes. Il va chez
la petite Madame, qu'il aimoit fort, vient en ma chambre,
où je lui montre les figures de la Castramétation des Ro-
mains par du Choul (3); il y prend plaisir. L'on parloit
(1) L'origioal de celte lettre est conservé à la Bibliolhèque impériale
(fonds Du Piiy ). Elle a été reproduite textuellement par M. Paulin Paris
dans la 3' édi'ion des Historiettes de Tallemant des Réaiix, tome I, page 312,
et par M. Berger de Xivrey dans les Lettres missives , tome VII, p 689. On
ignorait la date de cette lettre, dont nous n^avons pas cru devoir reproduire
l'orthographe.
(2) Héroard est absent depuis le 23, et c^est Guérin qui lient le Journal
d'une manière beaucoup plus concise. Cette phrase obscure nous parait si-
gnifier que M. de Souvré, gouverneur du Dauphin, était venu à Saint-Germain,
sur la nouvelle d^m danger couru par l'ofticier chargé de la garde du Dauphin.
Les bois qui environnaient Saint-Germain étaient alors infestés de bandits.
{Voy. au 27 janvier 1610.)
(3) Guillaume du Choul ^ gentilhomme lyonnais « le plus diligent et le
plus grand rechercheur d'antiquités de son temps », dit La Croix du Maine.
182 JOURNAL DE JEAK HRROARD.
du Roi, qui éloit allé assiéger Sedan ; il demande : Sla-
manga, qui est dedans? — ce Monsieur, c'est monsieur de
Bouillon. » — Je lui couperai la tête.
Le 2, dimanche, à Saint- Germain, — 11 se plaint à M'^'de
Montglai que Ton ne donne de la bougie à sa maman
Doundoun, lesquelles, par ménage, M. de Hontglat
avoit retranchées aux officiers, encore que il en eût de
l'argent du Roi pour les fournir.
Le 5, mercredi, — Sa nourrice parloit d'acheter une
maison, mais disoit n'avoir point d'argent; elle lui en de-
mande. — Je n'en ai points maman, si j'en avais, je vous
donnerais tout. Je lui demande qui le lui gardoit; il ré-
pond en souriant : C'est moucheu de Rosny, — Mené en
carrosse au Pecq pour voir prendre, en la rivière, une oie
par le grosbarbel de M. de Frontenac, il s'amuse à voir
pêcher du poisson, s'en fait donner des petits qu'il met
dans la pelle creuse du batelier, où il y avoit de l'eau ,
fait jeter dans l'eau les plus petits disant : Hé! les pauvres
petits I hél sauvez-les ; jettez-les dans la rivière.
Le 6, jeudi. — Il se fait mettre aux fenêtres du préau ;
il passa un nommé Dumesnil sans le saluer, suivi de
son laquais, qui fit de même. Il demande : Qui est cettui-
là qui passe sans ôter son chapeau ? Bompar, allez arrêter ce
laquais! Il y va, l'arrête. L'on disoit derrière M. le Dau-
phin : « Voilà un homme mal avisé et son laquais aussi» ;
il crie :. Laissez, laissez- le aller, Bompar; il est aussi sot que
son maître, M. de Grillon le vient voir pendant son goûter ;
il ne veut point dire adieu à M. de Grillon; M™^ de Mont-
glat l'en tance dans sa petite chambre : Mais, Mamanga^
c'est un méchant homme. Je suis brave, moi, je suis furieux,
dit-il en faisant les contenances de M. de Grillon (1). —
Il fait allumer un feu au coin de la cheminée; l'on dit
que c'est le feu de joie pour la prise de Sedan : Non, dit-
(I) Voy. aux 19 avril tl 29 novembre 160ô.
AVRIL ICOO. 183
il; c'est le feu de joie de la paix , et avec toutes ses femmes
de chambre il chante : Vive le Roi, à grosse voix.
Le 10, lundi, à Saint-Germain. — Il va en la chambre
de M*"*" de Montglat , qui avoit pris médecine, s'amuse à
un cabinet d'Allemagne, y trouve la chambre du Roi,
les cabinets, la salle du bal, la galerie rouge.
Le a, mardi. — M'"*' de Vitry lui donne des poules et
un renard d'ivoire (1).
Le 12, mercredi, — En se couchant il dit : Mamanga^ je
veux prier Dieu; Mamanga, c'étoit la nourrice du feu roi
Charles qui se levoit toujours matin, et céloit quelle allait
prier Dieu?
Le 16, dimanche. — Il prend son tambour,, et à la tête
de la compagnie de M. de Mansan, quifaisoit la monstre,
il prête le serment, le fait prêter à M. de Verneuil et à
M. le Chevalier, et leur fait donner un sol à chacun. — Il
vient on ma chambre, me demande à voir le livre des
bâtiments (c'étoit Vitruve), demande les noms des ma-
chines principalement et leurs usages, les considère; il
avoit une grande inclination aux mécaniques.
ie 17, lundi. — Il va en la salle du Roi, où il se trouve
dix ou douze soldats de la compagnie de M. de Mansan
qui apprenoient à danser sous Boileau; il leur fait
prendre les armes, les mène à la guerre; le tambour
c'étoit Boileau, qui jouoit du violon. Après avoir fait
quelques tours de salle : Ça, dit-il, dansons; Ton fait
poser les armes, il se met à danser aux branles, et afin
qu'aucun ne le tint par la main, il donne à tenir à son
page Bompar l'une de ses petites manches et l'autre au
sieur de Birat, son valet.
Le 18, mardi. — Mené par le petit jardin du bâtiment
neuf sur la terrasse de Neptune, il va voir un modèle de
pierre que l'on faisoit du bâtiment neuf, s'enquiert de
tout froidement, considère mûrement. — Pendant son
(1) U s'en sert plus tard pour jouer sur un damier.
!84 JOURNAL DE JEAN HEROARD.
souper il fait apporter la guenon et le sapajou de la
Reine, et s'entretient avec celui qui en a la .garde , parle
avec telle ardeur qu'il en bégaye.
Le 20 avril, jeudij à Saint-Germain. — Sa nourrice le
tenoit en son giron ; il la caresse, la baise : Hé! ma folle !
mon eu! ma mère Doundoun! c'est Doundoun qui m^a
donné à téter; elle lui demande s'il veut téter; il s'ef-
force à découvrir son sein ; elle lui tend la mamelle, il
la prend, suçoit et eût tété s'il y eût eu du lait.
Le 22, samedi. — Il voit en la cour un marchand de
toile, le fait monter en sa chambre, veut lui-même avec
une aune mesurer la toile. — A souper il fail du gâchis
avec du pain esmié, disant : Je fais comme papa, et feint
de manger, imitant le Roi lorsqu'il jetoitle jus de mou-
ton sur du hachis sec.
Le 25, mardi, — L'ambassadeuse d'Angleterre, M. de
Nemours, M"*' la comtesse de Guichen (1) le viennent voir.
Le 30, dimanche. — M. le prince de Condé le vient
voir; il lui en conte, lui dit qu'il a un beau canon tout
d'argent, l'envoie quérir, le lui montre.
Le V^ mai, lundi, à Sainl-Germain. — Il s'amuse à
faire mordre les survenants à un œuf de marbre et à faire
sauter une petite grenouille artificielle. A dix heures
mené à la chapelle, puis, par le jardin et le préau, au bâ-
timent neuf; il se joue en la galerie el sur les terrasses,
attendant le Roi, qui arriva à onze heures et demie, et le
reçut au bout de la terrasse de Neptune, du côté de Car-
rière, au milieu, tout vis-à-vis de la petite porte des
pompes de la colonne. Le Roi lui commanda de donner
sa main à baiser à M. de Bouillon et d'embrasser M. le
Grand. A douze heures et demie dîné avec le Roi; voyant
manger au Roi du beurre frai s sur du pain avec des aulx,
il dit qu'il en mangera bien, en avale deux petites tran-
ches, de celles que le Roi lui-même avoit mises sur son
(1) Voy. page 32, noie 3.
MAI IGOG. 185
pain, et s'y forçoit pour complaire au Roi. Mené à la ga-
lerie par le Roi, où il arme sa compagnie; il étoil mous-
quetaire, il entre en garde, se fait mettre en sentinelle
par M. de Vendôme, et à deux heures et demie revient au
château avec le Roi. Meneau devant de la Reine, qui ar-
rive à six heures, il monte avec le Roi et la Reine en la
chambredela petite Madame;le Roi s'étantjouélongtemps
àM. et à M"*' de Verneuil, il en conçoit de la jalousie, part
soudain de la main, et va dans la garde-robe de sa cham-
bre, se met derrière la porte, s'assied sur un coffre, et com-
mande impérieusement à Texempt : Fermez la porte, que
personne n'entre. Je lui demande pourquoi il s'en étoit
ainsi venu : De peur y dit-il, que papa ne me vit pleurer. Il
s'en va en la chambre de M'"^ de Montglat, on ne Ten
peut tirer pour aller en sa chambre souper que par deux
de ces pièces d'or de dix écus de la Reine que M"^ de
Ventelet lui apporta.
Le 2, mardi. — Mené chez la Reine, la Picarde, seconde
nourrice de Madame, tenant au bras son enfant, se jeta
à genoux devant la Reine, les larmes aux yeux; le Dau-
phin en eut tant de compassion qu'il part soudain d'au-
près de la Reine et se met derrière M'"*^ de Montglat, le
visage tout en feu de rougeur, de la force dont il se gar-
doit de pleurer; il saute au col de M'"*^ de Montglat, où il
se tient tant que la Reine ( même qui se leva de son siège
pour cet effet) l'eût assuré qu'elle donneroit de l'ar-
gent à la nourrice; là-dessus sa couleur ordinaire lui
revient. Mené par la Reine en carrosse au bâtiment neuf,
il va à la messe avec le Roi et, à midi, a dîné avec Leurs
Majestés. Le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.
Le kj jeudi, — Il ne veut point déjeuner qu'il n'ait tiré
une harquebusade, se fait mettre de la poudre dans sa
harquebuse à mèche et de l'amorce par M. de Ventelet,
puis, sur la terrasse de sa chambre, avec un petit bâton
au bout duquel il y avoit de la mèche, il y met le feu; la
fumée lui passa sur la main et près du visage; puis il dit
186 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
par grande allégresse à tout chacun qu'il a tiré une
harquebusade et qu'il n'a pas eu peur; c'é toit de la har-
quebuse que lui avoit donnée M. d'Oinville, maréchal
de logis de sa compagnie, et la première qu'il eût (1).
Le 5, vendredi. — Il entend jouer les joueurs de cor-
nemuse du Roi avec attention, et jusqu'au transport; les
joueurs de musette jouent pendant son dîner.
Le 7, dimanche, — M"® Mercier, l'une de ses femmes de
chambre, qui l'avoit veillé, étoit encore au lit contre le
sien; il se joue à elle, lui fait mettre les jambes en haut,
en cornemuse, et des pailles entre les orteils des piedç ,
puis les y fait remuer comme si elle eût dû jouer de l'é-
pinette; après il dit à sa nourrice qu'elle aille quérir des
verges pour la fesser, le fait exécuter; puis sa nour-
rice lui demande : a Monsieur, qu'avez-vous vu à Mer-
cier? » Il répond : fat vu son eu, froidement. — c< Est-il
bien maigre? » — Oui, puis soudain il se reprend : Non^
non, il est bien gras, — « Qu'avez-vous vu encore » Il
répond froidement et sans rire qu'il a vu son conin.
— 11 voit le colonel Berman, du canton de Fribourg, qui
avoit emmené un régiment de Suisses pour le siège
de Sedan , lui donne sa main à baiser et à ceux de sa
compagnie, puis soudain demande son corselet et ses
armes complètes, va en la salle du Roi, où il se lait armer
de la cuirasse, puis prend sa pique, fait mettre près de
lui M. de Verneuil, fait battre le tcimbour, et marche en
garde. A l'arrivée, les Suisses lui firent un petit mot de
harangue parla bouche du colonel Berman, qui étoit, en
somme, pour lui faire entendre qu'ils étoient venus pour
le service du Roi et pour le sien et qu'ils étoient servi-
teurs du Roi et les siens; le Dauphin, sur cette parole ,
répondit : Bien. A la sallcj avant partir. M™* de Montglat
fit porter du vin pour la collation, et dit à l'oreille à M. le
Dauphin qu'il falloit qu'il bût à eux; il dit soudain :
(1) Voy. au 31 octobre 1604.
MAI 1600. Ië7
Qu'on apporte mon verre; on l'envoie quérir, l'on y met
un bien peu devin avec beaucoup d'eau, et il boit à eux;
il ne y fait que tàter. Ils en furent fort aises, disant que
cette action iroit bien loin.
Le 9, mardi, à Saint- Germain. — Mené au bâitiment
neuf, où étoit la mariée du jardinier, qui dansoit au petit
jardin du Roi; Ton y vouloit jeter le coq; il le jeta par
trois fois en la cour, puis il s'en va en la galerie, où il a
dansé en branle où étoit la mariée , dansa la courante
et la bourrée avec M"^ de Vendôme.
Le 10, mercredi, — Maître Martin, son peintre, vient
pour le peindre , le peint armé de son corselet, sous sa
robe de velours cramoisi garnie d'or, l'épée au côté et la
pique delamain droite, la tenant droite, la tète couverte
de son bonnet de satin blanc, d'enfant, avec une plume
blanche; c'est la première fois qu'il ait été ainsi peint.
Il se fait donner des couleurs et un pinceau, imite le
peintre mêlant ses couleurs, regarde parfois la besogne
de son peintre. 11 tenoit sa chienne Isabelle, la caressoit,
la baisoit, l'appeloit sa mignonne, car il aimoit extrê-
mement les chiens; il disoit à son peintre qu'il peignit
sa chienne auprès de lui. M"^ Mercier lui dit : (( Monsieur,
il ne faut pas que ceux qui sont armés aient des chiens
avec eux; w il répond soudain : Mais ce sera pour prendre
les ennemis par les jambes.
Le 11, jeudi. — Il prend en coutume, quand on lui
dit quelque chose, de répondre : Je m'en soucie bien.
Le 12, vendredi. — La reine Marguerite le vient voir;
il permet à M""® de Montglat d'aller au-devant d'elle,
puis il y va, et la salue au milieu de l'allée du jardin qui
est sur le fossé, l'emmène voir faire son jardin.
Le ik, dimanche. — 11 devient amoureux de la nour-
rice de la petite Madame ; il alloit et revenoit à la chambre
de la petite Madame, tout exprès pour la voir en passant,
la guignant de l'œil et se souriant.
Le 15, lundi. — Je lui maniois le pouls, lui ayant dit
188 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
que je reconnoltrois s'il étoit amoureux; il me demande :
Qae fait-il? — « Monsieur, il frétille. » Il se laisse coiffer
pour Tamour de la nourrice de Madame sa petite sœur,
prend plaisir que Ton lui en parle et que l'on lui de-
mande de qui il est amoureux. A dîner il fait les doux
yeux à la nourrice de Madame la petite , fait le honteux
et retourne sa face; M"® de Montglat lui dit qu'il ne faut
point qu'un amoureux soit honteux, — Il se joue en sa
chambre; arriveune femme, revendeuse à Paris, nommée,
à ce qu'elle me dit, Opportune Julienne; elle se prend à
danser devant, à découvrir ses cuisses bien haut, tantôt
l'une et puis l'autre; il regardoit tout cela avec un ex-
trême plaisir, auquel il se laisse transporter, et court
après cette femme pour lui soulever la cotte.
Le 18> jeudi. — Il fait porter son écritoire (i) à la
salle à manger pour 'écrire sous Dumont (2), dit : Je pose
mon exemple ; je m'en vas à Vécole; il fait des 0, fort bien.
Le 2i, dimanche, à Saint Germain, — M. de Longue-
ville le vient voir, a dîné avec lui.
Le 23, mardi. — On lui dit que M. le connétable ve-
noit pour le voir ; le voilà soudain en mauvaise humeur,
et il demande d'aller en la salle du bal. M. le connétable
y monte; le voilà à crier; enfin apaisé. On lui porte son
mousquet, sa bandoulière, et il descend en la basse-
cour, puis au jardin, ayant avec luiM. le Chevalier, M. de
Verneuil, M. de Montmorency et M. le comte de Laura-
guais, armés aussi ; il se met à la tête de la compagnie,
va chez M. de Frontenac pour être à la collation qui se y
faisoit, à cause que M. le connétable tenoit à baptême
un sien fils (3) avec M"^ de Vendôme. M. le connétable
(1) c'était, dit Héroard , une écritoire en forme de cassette, oii étaient son
papier, sa plume et son encrier; elle lui avait été donnée par Mi^e de Lo-
ménie.
(2) Clerc de sa chapelle, qui lui monlrail à écrire.
(3) Henri deBuade, fils d'Antoine de Buade, seigneur de Frontenac, ca-
pitaine des cliâteaux de Saint-Germain en Laye.
JUIN 1606. 189
prend congé de lui, s'en allant en Languedoc; M. de
Montmorency prend aussi congé de lui.
Le 24 mai, mercredi, à Saint-Germain, — M"® Value,
jyjiie Prévost-Biron, M*'^ Gillette (1), maîtresse du feu ma-
réchal de Biron, assistent à son goûter.
Le 26, vendredi. — Arrive M. de Vaudemont, qui baise
la main du Dauphin en la chambre du Roi.
Le 27, samedi. — M. et M™*^ de Montpensier viennent
voir le Dauphin; il leur fait bonne chère. — On lui de-
mande si rinfante est pas sa maltresse, il dit : Non, c'est
la nourrice à ma petite sœur, et défait l'ayant rencontrée,
il lui sauta au col et la baisa.
Le 30, mardi. — M. le cardinal de Joyeuse arrive, au-
quel il donne sa main à baiser. — A huit heures trois
quarts, il avoit envie de dormir, et toutefois il lui prend
une humeur de s'armer, se fait mettre son corselet,
prend sa pique pour se faire mettre en sentinelle par
Hindret, son joueur de luth, quiétoitle caporal. Je lui de-
mandai s'il seroit longtemps, il répond : Deux heures. Ce-
toit l'heure des sentinelles de la garnison qu'il avoit ap-
prise, car il savoit toutes les fonctions d'un soldat. L'on
ne sut jamais le dissuader de cette action ; il y est quel-
que temps, et n'en voulut jamais partir qu'il ne fût re-
levé, se promenant la pique haute.
Le V^ juin y jeudi, à Saint-Germain. — Il récite les
quatre premiers quatrains de M. de Pibrac, qu'il savoit,
comme s'il eût récité une comédie; M. le Chevalier en
faisoit autant, puis M. de Verneuil.
Le 3, samedi. — M"™* de Montglat le tance et lui ar-
rache son tablier, qu'il tenoit à la bouche; le voilà en co-
1ère. Il la bat sur la main ; elle ne disoit mot; il se re-
(0 '«La belle Gillette; elle éloit noire, claire et agréable. » {Note d'Hé-
roard.) Elle se nommait Gillette Sabillottc, demoiselle de Savenière, et
était fille d*un procureur du Roi à Dijon. Le maréchal de Biron, qui mourut
sans avoir été marié, en eut un fils, nommé Charles, mort au siège de Dole, en
1636.
190 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
tourne et lui rue des coups de pied, tant que voyant deux
maçons qui travailloient àfaire Tenceinte delà chapelle,
l'un avec un balai l'autre avec une hotte, il se jette à
genoux : Hé! Mamangay pardonnez-moi! Cependant les
maçons prennent le petit laquais de M. de Mansan et
l'emportent dans la hotte, le mettent dans la chapelle.
Hé ! Mamanga, parlez pour lui !
Le ky dimanche, — Il se joue à une petite fontaine faite
dans un verre, qui lui venoit d'être donnée par les ver-
riers de la verrerie de Saint-Germain-des-Prés, s'amuse
à une vaisselle de poterie où il y avoit des serpents et des
lézards représentés (1), y faisoit mettre de l'eau pour
les représenter mouvants. — ^ 11 appelle Hindret, son
joueur de luth, Boileau, son violon, et un soldat qui
jouoit de la mandore, et lui, prenant un luth, dit : Faisons
la musique; il les fait ranger tous autour de lui, au che-
vet de son lit; il pinçoit son luth comme s'il eût joué
avec intelligence. Il aimoit extrêmement la musique.
Le 5, lundi, — M. le marquis de Rainel, revenant de
Hongrie, le vient voir; il lui disoit : «Monsieur, me ferez-
vous pas un jour grand maître de votre artillerie?» Le
Dauphin ne répondant point, M. de Ventelet lui dit : a Mon-
sieur, c'est M. lé marquis de Rainel qui vous prie de le faire
un jour grand maître de votre artillerie , le ferez- vous
pas? » Il répond : Je le veux bien. J'entendois tout cela,
et lui demandai : « Monsieur, vous plalt-il que j'enre-
gistre cette promesse que vous avez faite à M. de Rainel,
dans mon registre? » — Oui! oui! — Mené au palemail,
il fait démasquer la nourrice de la petite Madame, lui
disant : Démasquez-vous^ je vous veux baiser.
Le 6, mardi. — Il frotte lé derrière de son oreille, en
rapporte une ordure qu'il met en sa bouche, comme il
faisoit souvent, et celles du nez, qu'il avaloit; M^^deMont-
glat l'en rei)rend, il répond : Quoi! est-ce du poison?
(1) Imitation des plats de Bernard de Palissy.
JUliV 1606. 191
Il va en la chambre de la petite Madame^ en baise la
nourrice à la bouche, aux yeux, au front, au nez, aux ter
tons, avec transport, disant : Je vous baiserai toujours. Il
en étoit amoureux par inclination.
Le S, jeudi y à Saint- Germain, — A cinq heures et demie
le Roi et la Reine arrivent de Paris ; il les va recueillir hors
du pied de l'escalier, en la cour. Le Roi lui dit : « Eh bien ,
mon fils, vous avez été fouetté ! >> — Non pas tous les jours,
papa, — (c Qu'aviez-vous fait? » — Rien. Il remonte avec
eux en la chambre de la petite Madame, où il s'assied sur
la fenêtre, et fut fort longtemps à entretenir le Roi ; à sept
heures et un quart soupe avec le Roi . Mené en sa chambre,
le Roi peu de temps après y arrive, et la Reine après; il
danse aux branles, la courante, puis se met au giron de sa
nourrice, s'endort, est mis au lit à neuf heures et demie.
Leurs Majestés se retirent; sa nourrice approchant près
de lui trouve qu'il ne dormoit pas, et lui dit : « Monsieur,
vous ne dormez pas? » — Non, dit-il tout bas, papa s'en
est alTé? — « Oui , Monsieur, pourquoi avez vous fait
semblant de dormir? » — Pource que papa s'en fût pas
allé, et il y avait tant de monde, j'avois si chaud!
Le 9, vendredi, — Il attend avec impatience un cai'rosse
pour aller trouver le Roi aa bâtiment neuf, y va , le
trouve à la chapelle, revient avec lui à la galerie. Armé
de son mousquet, il va à la guerre, assault la ville (c'étoit
la balustre qui étoit autour de Tune des cheminées où il y
avoit des soldats); MM. de Vendôme et de Verneuil, les
deuxfilsdeM. de Frontenac, étoient avec lui. Il fait planter
dans la salle de grands tuyaux de chaume pris des pail-
lasses vidées, dit que ce sont des piquiers, et au-devant,
d'un bout à l'autre, fait faire une traînée de poudre Le
Roi y fait mettre le feu en sa présence et en celle la Reine.
Le Dauphin disoit qu'il vouloit être mousquetaire, et néan-
moins il avoit accoutumé de reprendre ceux qui ne fai-
soient pas bien; leRoilui dit : ce Mon fils, vous êtes mous-
quetaire, et vous commandez ! » A quatre heures le Roi et
192 JOURNAL DE JEAN HÉROAHD.
la Reine partent pour s'en retourner à Paris; étant au port
de Cbatou^ au delà de File, il faisoit glissant à la descente ;
les chevaux reculent, poussent le bac, les roues de der-
rière du carrosse demeurent dans l'eau , et, à la descente
de celui de Neuilly (1), tout le carrosse tomba dansTeau,
à la main gauche de la Reine, étant à la portière, et le
Roi couché du long en dedans, où il s'étoit mis un peu
auparavant pour dormir. Ce fut ainsi que les chevaux
étoient près d^entrer dans le bac; l'un de ceux de der-
rière glisse, le cocher le fouette; se voulant relever, il re-
tombe , tire et fait tomber son compagnon , et le car-
rosse renverse en l'eau , sur la nacelle attachée au bac,
qui s'enfonça mais empêcha que le carrosse n'allât tout
au fond. M. de Monlpensier se jeta le premier dehors,
par la portière qui étoit en l'air environ demi-pied. M. de
l'Isle-Rouet y va, appelle le Roi, qui n'avoit que la tète
et un bras hors de l'eau, lui prend les mains, le met hors
de l'eau, [le Roi] disant : « Que l'on aille à ma femme »,
et en sortant rencontre M. de Vendôme, qu'il met hors de
l'eau. Ce pendant la Reine étoit toute dans l'eau, à la
portière; un valet de pied (2) se y jette, la prend par
sa coiffure qui échappe ; il la prend sous la gorge, et
à l'aide de M. de la Chastaigneraie ils lui mettent la tête
hors de l'eau, et aussitôt [elle] demanda : ce Où est le
Roi? » qui, l'entendant, se jeta dans l'eau pour l'aider
à mettre dehors. M'"® la princesse de Conty fut toute la
dernière, qui avoit du commencement prins le sieur de
risle par la barbe, comme il tiroit le Roi; elle quitta
pour ce qu'elle l'empêchoit (3).
(1) C'esl le troisième accident mentionné par Héroard comme arrivé au
même endroit. {Voy. aux 31 mai 1602 et au 6 avril 1605.)
(2) Héroard a laissé son nom en blanc.
(3) Nous reproduisons textuellement ce récit qu'Héroard a ajouté après
coup, en marge de son journal. Henri IV écrivait le lendemain à Mf^edeMont-
glat : « Ma femme et moi réchappâmes belle hier; mais Dieu merci nous nous
en portons bien. » (Voy. aussi le Journal de Lestoile à cette date.)
JUIN 1G06. 193
Le 10, samedi, à Saint- Germain, — A onze heures mené
à la chapelle; étant sur son carreau, il se. lève, va dire à
M. de Verneuil : Féfé Yaneuil, 'priez Dieu pour papa, quia
failli se nayer, et se va remettre en sa place. — M""® de
Montglat me disoit qu'écrivant au Roi elle avoit dit une
petite menterie; elle vouloit dire que M. le Dauphin avoit
pleuré, ayant su la nouvelle de son danger, bien qu'il
fui vrai qu'il en demeura fort étonné. Lui, qui écoutoit
toujours ce que Ton disoil, la regarde soudain première-
ment sans dire mot, puis tout à coup lui dit : Ha ! vous
avez donc 7nenli! Mené à la chapelle pour y faire chanter
un Te Deum pour l'heureuse délivrance de Leurs Ma-
jestés.
Le 12, lundi — Il dit la prière qui lui plaisoit fort et
qu'il aimoit à dire : « Notre Seigneur Dieu et Père, veuille
moi assister par ton saint Esprit et par icelui me gouver-
ner et conduire à celle fin que ce que je ferai, dirai ou
penserai, soit à ton honneur et gloire, au salut de mon
âme et à l'édification des miens. »
Le 17, samedi, — Le Roi arrive de Paris; il va au de-
vant du Roi, l'embrasse fort, l'accompagne au bâtiment
neuf; il soupe avec le Roi, va en la cour avec lui (1),
Le 19, lundi, — Éveillé à huit heures, il est fouetté
pour avoir fait le fâcheux à la chapelle , le jour précé-
dent.
Le 21, mercredi, — Le Roi arrive de Paris; il va au de-
vant du Roi, l'embrasse, le conduit en sa chambre.
Le 23, jeudi. — Il va trouver en sa chambre le Roi, qui
étoit parti pour aller au bâtiment neuf (2), court sur le
pavé au devant de lui; mené à la chapelle, dîné avec
(1) Héroard était parti le 13 pourYaugrigneuse, et Guérin, qui tient le journal
en son absence, n'a pas la même exactitude pour marquer les heures d^arrivée
et de départ du Roi. Henri lY dut repartir pour Paris le lendemain.
(2) On Toit par ce détail que lorsque Henri lY venait seul à Saint-Germain
il demeurait au vieux château, et que lorsquMl était accompagné de la Reine
et de la Cour il demeurait dans la partie achevée du château neuf.
HÉROARD. — T. I. 13
194 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
le Roi, qui pari à deux heures et demie pour aller à
Paris.
Le 23 jwm, vendredi ^ à Saint- Germain. — Il va mettre
le feu au bûcher de la Saint- Jean, en la basse cour, puis
va chez M. de Frontenac.
Le 25, dimanche. — J'arrive (1); il court à moi gaie-
ment; je lui donne un cheval noir et un gendarme dessus.
Le 26, lundi. — A cinq heures mené par le petit pont
au devant du Roi revenant de la chasse; il est ramené
dans la petite chambre de M*"* de Montglal, où le Roi se
met dans le lit, y fait mettre en chemise M. le Dauphin^
qui se y joue fort privément [sic\. A six heures levé, à
sept soupe avec le Roi; M. Groulard, premier président
de Rouen, y vient; il lui donne sa main à baiser, par com-
mandement du Roi. Le Roi s'en retourne à Paris à sept
heures trois quarts, il le conduit et, en la cour, le Roi lui
montrant M. le premier président et autres députés de
Nornaandie, lui dit : « Voyez-vous ces gens-là, vous les
commanderez après moi; » il répond froidement : Bien,
papa; est fort privé avec le Roi, qu'il craint. Il conduit le
Roi jusques au bâtiment neuf et, en la basse cour, le Roi
lui disant : ce Adieu, mon fils, » il (le Dauphin) devient
rouge et la larme lui vient aux yeux. Le Roi le baise,
l'embrasse, lui disant qu'il s'alloit promener et qu'il
reviendroit incontinent; il s'apaise. Ramené il s'amuse
sur le tapis, entretenu par M™^' de Vitry et de Saint-Georges,
où il dit mots nouveaux et paroles honteuses et indignes
de telle nourriture, disant que celle de papa est bien plus
longue que la sienne, qu'elle est aussi- longue que cela,
montrant la moitié de son bras.
Le 27, mardi. — Mené en carrosse dans la forêt, à la
chasse aux toiles, il voit prendre deux sangliers et un
marcassin, et sauver une biche par-dessus les toiles; il ne
s-ennuie point, y prend plaisir froidement. — 11 prend
(i) Héroard étail absent depuis le 13.
JUILLET 1006. 195
un petit violon, joue en concert avec Hindret, son joueur
de luth, nous fait chanter en concert : Hau! Guillaume,
Guillaume y puis : Maître Ambroisej ho! ho! d'où venez
vous y etc. Il baise sa nourrice, et lui dit : Tentrerai par
voire bouche, DoiinJoun , puis jHrai en votre ventre y vous
direz que vous ê es grosse et puis vous me fairez.
Le ^S juin, mercredi, à Saint-Germain, — Il s'amuse à
son corselet neuf , dit qu'il veut être piquier. Vêtu, coiffé
à bâtons rompus; pour le faire hâter,M. Biratlui dit que le
Rai venoit. Le Dauphin, se retournant et souriant, dit tout
bas à l'oreille de M"*^de Montglat : Mamanga, voyez vous ce
vieux penard qui me veut faire craire que papa vient, Des-
cluseaux, soldat aux gardes, entre après le dîner du Dau-
phin, qui dit en le voyant : Hé! velà mon mignon, venez
mon mignon Décuseaux; ce soldat avoit accoutumé de le
faire jouer. Après souper il se joue en sa chambre, joue du
violon en concert avec le luth, et chante : En m* en retour-
nant, etc., puis danse le ballet des grenouilles, la mo-
risque, fort joliment et en cadence, sans avoir été ins-
truit.
Le 29, je idi, — Il se fait armer, prend sa pique et sort
en la cour, où Ton /ail entrer la compagnie. 11 se met à
la tète, ayant à côté gauche M. de Verneuil, et M. de Lian-
court au milieu, fait deux tours de la cour, puis il veut
prêter le serment, lève la main, et lui étant demandé
par le commissaire Faure s'il promettoit pas de bien
servir le Roi, il répond : Oui, ayant premièrement ôté
son chapeau et son gant de la main.
Le 30, vendredi, — Mené au jardin, il fait .attacher
son canon d'argent avec un jarrelier, et le jarretier au
derrière de la ceinture de vson tablie: , et se promène le fai-
sant rouler après soi; il va ainsi jusques au palemail,
se fâche de ce que les roues se croltent et la bouche aussi^
s'en met en peine pour les faire nettoyer.
Le i" juillet, samedi, à Saint-Germain, — Il s'amuse
à jouer de son petit sifflet d'ivoire et à entendre des
13.
196 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
contes de maître Guillaume (1). Il sème des feuilles de
rose sur le Lanc où étoit assis Descluseaux^ soldat aux
gardes qui le souloit faire jouer, et dit : Cest afin que
votre place sente bon; il aimoit ce soldat. M. de la Court,
exempt aux gardes, arrive; il le reconnolt et par son nom,
après avoir été un an et demi sans le voir.
Le 5, mercredi. — Mené à la chapelle, il ressort du
chœur pour recevoir, dans la chapelle, Tambassadeur de
la Grande-Bretagne, accompagné du sieur Gandaloufin,
gentilhomme de la chambre du roi de la Grande-Bre-
tagne et de son jeune fils, échanson du prince de Galles,
ayant charge de le voir de la pari du prince de Galles; il
lui répondit qu'il le remercioit de la souvenance qu'il
avoit de lui et le prioit de l'assurer qu'il étoit à son ser-
vice. Après souper il monte tout en haut de sa garde-
robe, où il fait prendre ses armes toutes complètes, faites
à Moulins, les fait porter en sa chambre avec la croix (2),
lesfaitaccommoderdessus,ytravaille lui-même, vaquerir
en son armoire son épée rouge et la y fait ceindre, puis
fait apporter sa pique, la met lui même sous le brassai,
toute droite comme s'il eût été en sentinelle.
Le 6, jeudi. — Il tenoit un chapelet de corail que le
fils dé M. de Montglat lui avoit envoyé de Florence; sa
nourrice lui dit : c< Monsieur, donnez-moi ce chapelet. »
Il le lui refuse par plusieurs fois, elle lui dit : « Allez,
vous êtes un gros chiche. »
Le 9, dimanche, — A dix heures il part pour loger au
bâtiment neuf (3). M"*' de Ventelet lui dit : ce Monsieur, il
faut être bien sage pour votre baptême, ou autrement ma-
man auroit un autre Dauphin, qu'elle feroit baptiser; » il
répond froidement : Et puis il m'en soucie bien^ j'en serois
bien aise, jHrois oiije voudrois, on me suivroit point. Il
(1) Fou du Roi.
(2) Le support, en forme de croix, auquel ses armes élaient attachées.
(3) M"*^ de Verneuil avait ia rougeole et la petite yéroie.
JUILLET 160B. 197
s'en va en la cour, le tambour se prend à battre pour
assembler, pensant qu'il dût sortir; il l'entend, et crie tout
haut : Je veux pas sortir , qu'on batte poinl , cest que je
me joue.
Le 10, lundi, à Saint-Germain. — A cinq heures ar-
riva au vieux château M™*^ la marquise de Verne ail.
Le i 1, mardi, — il se fait mettre au lit de sa nourrice,
la baise partout où il peut, avec âpreté. — Il va faire un
tour dans la galerie, où il faisoit faire un fort de briques
dans lequel il faisoit loger toutes les armes qui étoient
dans son armoire ei mettre l'enseigne dans le donjon.
Mis au lit, il demande à se jouer, se joue avec M"^ Mer-
cier, m'appelle me disant que c'est Mercier qui a unconin
qui est gros comme cela (montrant ses deux poings), et
qu'il y abien de l'eau dedans. Je lui demande : « Monsieur,
comment le savez-vous? » Il répond qu'il a pissé sur
maman Doundoun, et me dit : Ecrivez cela dam votre re-
gistre; il rioit à outrance.
Le 13, jeudi. — Après dîner il range les noyaux de
ses cerises sur Tassiette et me dit que c'est un moulin à
vent. Je lui apprends là dessus le nom des vents, qu'il
rumine, et les retient : £"5^, ouest, north, sud, les répète
en lui-même pour les retenir. Après souper il range en-
core les noyaux sur le bord de son assiette, et nomme tout
as : Esty ouest^ north, sud, puis m'appelle : Moacheu
Héoua, velà les quatre vents, comment les appelez-vous en
françois?ie les luinomme : « Levant, ponant, tramontane,
midi » ; il les redit après moi. — Il va avec impatience en
la cour pour voir deux chevaux que le jeune Montglat
avoit emmenés d'Italie.
Le 16, dimanche. — A souper il demandoit sa gelée,
M"'® de Montglat lui dit : «Dites s'il vous plaît ;» il répond :
Papa dit pas s'il vous plaît, pource qu'elle lui disoit sou-
vent qu'il falloit tout faire comme papa.
ie 17, lundi, — Il est fouetté pour avoir, le jour précé-
dent, fait le fâcheux à son habiller. A dix heures arrivent.
f98 JOURxNAL DE JEAN HÉROARO.
conduits par M. le comte de Choisy, chevalier d'honneur
de la reine Marguerite, et de sa part, le président Sava-
ron, président à Clermont en Auvergne, et autres députés
avec lui, pour venir faire l'hommage d'obéissance et de
fidélité comme à leur seigneur, par la donation qui lui
en a été faite dudit comté par ladite Reine. Il les écoute
fort attentivement, froidement et la plupart du temps les
mains sur les côtés, par l'espace d'une demi-heure. — 11
s'amuse à faire une tour avec de la brique, trouve un ais,
dit qu'il en ftiut faire un pont-levis, commande d'aller
chez le menuisier qui travailloit aux offices pour avoir
un virebrequin, afin de faire des trous, dit-il, pour y
passer les cordons. On apporte le virebrequin, il en veut
travailler lui-même, et s'apercevant qu'il ne avançoit
pas beaucoup avant, pour ne tenir assez ferme, il donne
à tenir la main dessus et, lui, s'amuse à tourner.
ie 19, mercredi, — M"*^ de Montglat le fait prier Dieu
puis dire des sentences; à celle-ci : « L'homme fol se fait
connoltre à ses propos, » le Dauphin dit : Velà pour maître
Guillaume; et à celle-ci : « La folle femme fait toujours
beaucoup de bruit » : Velà pour Maihurine.
Le^Oy jeudi. — A midi, M. de Sully (1), revenant de
Rosny, le vient voir. M"'®, de Montglat fait ouvrir la
grande porte de la salle; M. le D.iuphin y est mené en
attendant M. de Sully; comme il est au milieu de la
€0ur, elle le fait courir au devant de lui, pour l'em-
brasser comme il faisoit au Roi. Il s'arme à l'accoutumée,
est piquier, fait armer la compagnie, entre en garde, va
à la charge, fait les exercices. M. de Sully lui donne cin-
quante écus en quadruples, ses soldats les lui arrachent
des mains. Il n'eut presque pas le temps de les manier;
il ne lui en demeura qu'une pièce, qu'il tient ferme
contre Montailler, tailleur de M'"^ de Montglat, dont il s'é-
(i) Le Roi lui avait donné au moiade février précédent les lettres d*ôrec-
iion de la duclié pairie de Sully.
JUILLET lOOC. 199
crie! Hé! maman, MontaiUer me V arrache; elle y vient, la
prend et fait rendre les autres, qu'elle retient (1). 11 n'en
dit mot, ne s'en plaint point, mais peu après il dit : Mais
moi je suis soldat, et je n'ai point eu d'argent! M. de Sully
lui donne un doublon, puis s'en va. — M'"*^ de Montglat
le tançant de ce qu'il étoit tout hàlé et noir dit que la
Reine en seroit bien courroucée , que pour le Roi il ne
s en soucioit pas. « Ho ! Monsieur, lui dit-elle, si vous con-
tinuez à sortir comme vous faites, il vous faudra retenir,
vous seriez tout hàlé ! » Il répond : C'est tout un, papa
veut bien que je sois noir. — 11 avoit fort plu, comme il
fait fort mauvais temps depuis six semaines; M. de la
Court, exempt aux gardes, qui étoit en quartier, lui dit :
« N'allez pas à la cour, il n'y fait pas beau; » il lui répond
en souriant : Si fait, allons, allons, je m'en vas marcher
sur vous, puisque vous êtes la Conr^ Il donne le mot à M. de
Belmont : Sainte-Barbe , puis dit à M. de la Court en sou-
riant : Sainte- Barbe la Cour, lui montrant sa barbe (la
barbe de M. de la Court).
Le 21, vendredi, — M. de Verneuil est revenu, qui avoit
été séparé pour la petite vérolo et rougeole de sa sœur.
— Il y avoit environ six semaines qu'il ne se passa jamais
jour sans pleuvoir et faisoit une saison d'hiver, s' étant
fallu chauffer comme en hiver. — Mis au lit, il s'amuse
à railler, m'appelle et me dit d'écrire dans mon registre
que le conin de Doundoun est gros comme cela, dit-il, en
grossissant sa voix et élargissant ses poings; qu'il l'a
fouetté, qu'il est gras. Puis il me dit encore d'écrire que
le conin de sa mie Saint-Georges est grand comme cette
boite ( c'étoit celle où étoient ses jouets d'argent) et que
le conin de Dubois (damoiselle de M'"^ de Vitry) est grand
comme son ventre, que c'est un conin de bois. Je lui
(I) Héroard ajoute en marge : Nofa. Grande indiscrétion envers lui (le
Dauphin). Mine de Montglat en eut quatre, M. le Clievalier un, Hindret un, etc.
Voy. au 30 septembre suivant, une scène apalogue.
200 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
demande : « Monsieur, n'en avez-vous point? » Il répond
que non, qu'il a une cheville, qui est au milieu de son
ventre, mais que c'est Dôundoun qui a un gros conin au
milieu des jambes. Enfin il prie Dieu, et s'endort à neuf
heures trois quarts .
Le 23, dimanche^ à Saint-Germain, — L'on avoil séparé
quelques-uns des petits enfants qui avoient accoutumé
d'aller à la guerre avec lui, à cause des maladies de pe-
tite vérole, et de la peste de Paris; se jouant en la galerie
et voyant ses armes dans son armoire, il dit à Desclu-
scaux : Je veux vendre mes armes , aslheure que toute ma
compagnie s'en est allée.
Cette nuit, entre minuit et une heure, Canier (1) étoit
en garde sur le perron des terrasses quand il vit, par le
petit escalier à main droite, montera lui un homme
vêtu d'un pourpoint blanc, sans vouloir s'arrêter, quel-
que chose qu'il lui sût dire par la contrainte de des-
cendre en bas pour l'arrêter et lui donner des coups
d'épée qu il rompit sur sa tête, sans dire mot que tout
bas : c(Hé ^ Monsieur! » Le voulant saisir au collet, il lui
vient au nez une si puante odeur qu'il fut contraint
de le lâcher, en étant avis être venue d'une boite qu'il
vit en sa main gauche et un linge autour du bras; quitte
cet homme pour courir à sa pique, et, retournant à lui,
le voit s'en retournant du. côté du Pecq. L'on eut opinion
que ce fut un graisseur ; la peste étoit lors à Paris (2).
Le 24, lundi, — Il se ressouvient d'avoir ouï parler sur
(1) Le nom de ce soldat est peu lisible.
(2) Nous reproduisons textuellement ce récit incohérent qu'Héroard a
écrit en marge de son journal. Lestoile dit à la date du 31 juillet 1606 :
(c La constitution du temps de cette saison fut tellement déréglée, maussade,
pluvieuse, venteuse et froide qu'bn disoit que la Toussaint se rencontroit
cette année en juillet .. Ce qui causa force maladies contagieuses à Paris,
où toutefois Tefiroi étoit plus grand que le mal, avec prédictions de malheurs
à venir qui couroient entre le peuple et Tétonnoient. » Ce graisseur, por-
tant une boîte infecte, nous paraît être un écho des craintes superstitieuses
qui couraient alors dans le peuple de Paris.
JUILLET 1606. 201
le jour (1) du sentinelle [sic] et de ce qui lui étoit arrivé
la nuit précédente, et ayant entendu de quelques-uns
que c*étoit un esprit, il dit : Si j*eusse été senlinelley je
V eusse tué cet esprit. .
Le 25, mardi j à Saint-Germain, — On lui demande s'il
est pas bien fâché de ce que M. le Chevalier s'en étotf allé
(on Tavoit transporté au vieux château, à cause de la pe-
tite vérole qu'il avoit, sans fièvre); il répond : Non. Il
s'amuse à faire des dessins avec du charbon, (repré-
sentant) des forges et des grottes.
Le 26, mercredi, — Il voit ses femmes s'en aller à la
messe, y veut aller, y va; c'étoit le prêtre qui nourris-
soit les petits oiseaux du Roi [qui la disoitj. Il fait quel-
que dessin; il avoit l'imagination du dessin de fontaine
qu'il avoit lait en papier le soir précédent. Il s'amuse à
voir faire un modèle de fontaine de terre de potier par
M. Hindret, son joueur de luth. Il faisoit une journée
froide comme en plein hiver et grand vent du nord; il
y avoit plus de six semaines que la constitution de Tair
étoit comme d'hiver.
ic27, jeudi, — A souper il mange gaiement, et dit :
Je sens la senteur des lapins qui sont dans ce fossé. Je lui
dis : « Mais, Monsieur, ce ne sont pas des lapins, la fe-
nêtre est fermée ». — Je sais pas, mais je sens quéque
chose qui pue; je pense c^est c homme qui voulait passer et
quipotoil cette boîte; je pense qu'il est dans ce fossé —
c( Monsieur, que sentoit cette boite ?'» — Elle sentait le
safran.
Le 28, vendredi. — Il se fait mettre son corselet, son
épée à sa ceinture, en écharpe, prend sa pique et se fait
mettre en sentinelle par Descluseaux, soldat aux gardes,
qui avoit accoutumé de le faire jouer et qu'il appeloit
son mignon; mais il ne vouloit pas qu'il fût assis à table
avec Im^ pource que, disoit-il, il est pas gentilhomme.
^— ^^— — ^^^^^— I ■ — ■ ■■ ■ I— I . ■ ,» , — ■ Il II 1^.
(1) Sur !o malin.
202 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 29, samedi, à Saint-Germain. — Il est fouetté le malin,
et prie M'"*' deMontglat de n'en rien dire. Il va au cabinet,
où il regarde donner le fouet à Bigneux, page de M™^ de
Montglat, crie trois ifois : FoueKezfort; soudain le cœur lui
grossit, et il eut envie d'en pleurer, mais pour assurer
sa contenance il se print à rire; il avoit beaucoup de
peine à s'en garder. Mené au parterre et à la coudraie, il
court, va aux vignes pour cueillir du verjus; montant
la demi-lune, il m'aperçoit entrer au parterre pour
monter par le degré par où, les jours précédents, voulut
passer l'homme à la boite. M. Birat le portoit ; il s'avance
et, avecsoinet crainte que j'eusse du mal, rougit disant :
Moucheu Hérouard, moucheu H érouard , passez pas par
lày c'est par où cet homme a passé; il me le dit plusieurs
fois.
Le 30 juillet j dimanche, — Il donnoit de son pain à son
petit chien ; M™^ de Montglat lui dit : (( Monsieur, il ne faut
pas donner du pain aux chiens, il le faut donner aux
pauvres. » — Les chiens sont-ils riches? — A neuf heures
et demie dévêtu, pissé, il dit : Velà comme pisse papa; il
montroit tout le ventre. Mis au lit, il parle de l'Orphée de
la fontaine, qui joue de la lyre. Je lui demande de quoi
étoient faites les cordes. Il répond : D* airain y ce qui
étoit vrai. Je commençai à lui raconter qui étoit Or-
phée, comme il jouoit bien de la lyre, ce qu'il ensei-
gnoit aux hommes. Je lui représente la figure de la lyre
antique; je lui dis que, après sa mort, sa lyre fut mise
au ciel parmi les autres, il demande : Y a Vif oint de
violon^
Le 31, lundi, — Il va en la chambre de M"® de Ven-
dôme, qui étoit au lit, fait déboutonner les boutons à
queue qui le tenoient ferme, disant : Déboutonnez tout;
sœU'Sœu n'a point de plaisir. Il va en la chambre de sa
nourrice qui étoit au lit, lui saute au col, lui donne des
coups de poin^ sur les joues par caresses, disant : Je
Caime tant que je teveux tuer , en mâchant sa grosse langue
AOUT 1606. ' 203
comme il avoit accoutumé de faire quand il faisoit quel-
que chose avec grande ardeur.
Le 3 août, jeudi j à Saint-Germain, — En se couchant il
dit à M""' de Montglat : Mamanga, me donnez pas le fouet
demain matin (1); elle lui répond : « Monsieur, je vous
ai promis que vous ne l'aurez point. » — Ho ! je sais bien
que si; vous me fairez dire mes quadrains et puis vous-
direz : Ca troussons ce eu.
Le ky vendredi, à Saint-Germain, — Ramené au
vieux château, tambour battant à Fesquadre (2) de la
compagnie, lui à la têtô, ayant son haussecol.
Lel, lundi. — Il se fait donner une enseigne de pier-
reries et de diamants que la Reine avoit baillée à mettre
à son chapeau, s'en joue disant : Velà qui pèse neuf li-
vres, ie lui dis qu'elle ne pesoit pas tant, et qu'il falloit en-
voyer quérir les balances de M, Guérin, son apothicaire,
ïl répond : Oui, oui, Pierre (c'étoit le valet de chambre
de M. de Ventelet). Venez ici, allez dire à Guérin qu'il
m'appote ses petites balances pour peser mon enseigne, puis
il me dit : // pensera que c'est mon enseigne quand j'entre
en garde. On lui met une petite coiffe de toile pour
lui ôter le bonnet d'enfant et lui donner le chapeau.
Je lui dis : « Monsieur, maintenant que l'on vous ôte le
bonnet, -VOUS ne serez [jlus enfant, vous commencerez à
devenir homme; il ne faudra plus faire l'enfant. » Il
m'écoute, et dit : Ho! je nai garde, — Il va au bâtiment
neuf, entre dedans pour y voir les chambres tendues
pour y recevoir M"™® la duchesse de Mantoue.
Le S, mardi, — Sur les deux heures, il vient au pied de
la vis, où il setenoit pour le frais (3), et pour y entendre
(1) Le Dauphin avait fait Popiniâtre <ians la journée. « Cette drfiance, dit
H<^roaiHl, à ia date du 24 aoiU suivant, venoil de ce que par deux diverses fois
Mn^e de Montglat lui avoit promis à son coucher de ne le fouetter point et le
matin elle Pavoil fouetté au lit. »
(2) Sic. Sans doute pour Tescoiiade.
(3) Aux froids précédents avait succédé une extrême chaleur.
204 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
une défense que xM'"*^ de xMontglat fit faire à son de trompe
par Thomas le suisse et proclAmée par Hugues Rabouyn,
huissier de salle, par laquelle, de par le Roi et Monsei-
gneur le Dauphin, il étoit enjoint à toutes personnes,
de quelque qualité, condition ou nation que ce fût, de
n'avoir à faire leurs ordures dans l'enclos du château,
sinon aux lieux destinés pour ce faire, à peine d'un quart
d'écu d'amende applicable : une moitié au;c pauvres et
l'autre au dénonciateur des infracteurs, ou, à faute de ne
la pouvoir payer, de tenir prison au pain et à l'eau par
Tespace de vingt et quatre heures. Il y avoit en ce temps
ici de la peste à Paris et autres lieux circon voisins.
Après le souper M"^ d'Agre surprend le Dauphin pissant
contre la muraille de la chambre basse où il étoit : « Ha !
Monsieur, dit-elle, je vous y prends! Vous payerez un
quart d'écu; » il se trouve surpris, rougit, ne sait que dire,
se reconnoissant avoir contrevenu.
Le 9, mercredi, — L'on vient dire que le Roi arrivoit, il
va en la cour, où le Roi arrive de Paris, pour le voir, court
au devant, lui saute au col. 11 va au palemail, par le petit
pont avec le Roi et un peu auparavant, en la salle du con-
seil, arriva Don Ferdinand de Gonzague, fils puîné du duc
de Mantoue et chevalier de Malte, son cousin germain. Le
Roi le lui fait accoler, puis ils vont au palemail, où il joue
de grands coups jusques à la chapelle (1), où il entend la
messe avec le Roi. Dîné avec le Roi; peu après il a dansé
les branles et autres danses, puis il s'arme de son corselet
et de sa pique, fait armer sa compagnie; M. le Chevalier
étoit le capitaine; M. de Verneuil marchoit avec lui. Il
va en la cour, fait les exercices en la présence du Roi ;
à la fin M. le Chevalier porta au Roi un papier où étoient
les noms des soldats de la compagnie pour le supplier de
(1) Dans son livre De VInstitution du Prince^ Héroard parle de « la cha-
pelle, de ceUe belle et grande allée où est le jeu de palle-mail » {folio 1,
verso ).
AOUT 1606. 205
faire ordonner Je payement; le sieur de Saint-Aubin-
Montglat (1) se trouva là : le Roi lui bailla le papier, di-
sant : ((Tenez, monsieur le commissaire, faites-leur faire
la monStre » ( il étoit homme réputé pour être fort avari-
cieux). Le Roi dit à M. le Chevalier qu'ils seroient payés
comme ilsserviroient, puis, les voyant en bataille, il leur
dit qu'il ne falloit qu'un balai de verges pour faire fuir
toute cette compagnie (2) ; àces motsM. le Dauphin regarde
de côté, se souriant et rougissant. Le Roi s'en va au bâ-
timent neuf, M. le Dauphin retourne en sa chambre;
il presse son goûter pour aller trouver le Roi, qui mon-
troitlebâtimentneufau sieur don Ferdinand de Gonzague.
Le Roi part pour s'en retourner à Paris à quatre heures
et trois quarts.
Le \ 0, jeudis à Saint-Germain. — Je lui demande :(( Mon-
sieur, qui a été le premier, la poule ou Fœuf ? » il répond :
La poule, après avoir tant soit peu songé. Je lui dis que je
Tallois écrire en mon registre.
Le 12, samedi. — Il dit ses quatrains de Pibrac, en dit
quinze, et ses sentences; et en Tune, où il y avoit : (( Celui
qui contient sa langue est sage, » il ajoute, du sien et
de son mouvement : Celui donc qui la lâche est fou. — A
quatre heures mené en carrosse, au bâtiment neuf^ pour
y attendre la Reine, qui y arriva à quatre heures trois
quarts, menant M'"'' la duchesse de Mantoue, à laquelle il
fît grandes caresses; elle lui donna une écharpe de gaze
d'oret d'argent, où pendoit un poignard garni à Tantique,
et le lui mit au col. 11 va en la galerie, où il court, joue
au palemail et envoie quérir ses armes aux vieux château,
s'arme et toute sa compagnie, fait à l'accoutumée. A six
heures et demie, la Reine part pour s'en retourner à
Paris; les dames italiennes le baisèrent. Un quart d'heure
(i) Louis de Hariay, seigneur de Saint-Aubin; il était beau-frère de M™* de
Montglat.
(?) Cette compagnie n'était composée que d'enfants.
206 JOUUINAL DE JEAN HÉKOARD.
après, le Roi arrive, revenant de la chasse, le baise,
Tembrasse; à sept heures soupe avec le Roi. Pendant
qu'il mangeoit le Roi luidemandoits'il lui vouloit donner
à coucher, et lui dit : « Si vous ne mecouchez avec vous,
je coucherai avec maman Doundoun. »
Le 13, dimanche, à Saint-Germain^ — On lui remet son
bonnet parle commandement de la Reinç, quïlui fitôler
ba coiffe à son arrivée. Mené aubàliment neuf, au Roi, qui
le mène à la chapelle, puis aux grottes de Neptune et d'Or-
phée. Ramené, il ne se veut point asseoir pour dîner que
M . de Vendôme ne fût venu de chez le Roi, qui dlnoit ayant
en sa compagnie le sieur don Ferdinand de Gonzague, le
princed'Anhall,M. de Bouillon et M.deMontbazon;enfin
il se meta table sans vouloir manger tant que M. de Ven-
dôme arrive : c'étoit par jalousie de ce qu'il ne y dlnoit
pas. A onze heures le Roi s'en retourne à Paris.
Le 16, mercredi, — Il fait assembler, entre les deux
portes de la chambre et de la salle, tous ceux qu'il con-
noissoit savoir chanter et jouer des instruments, et leur
commande de faire la musique ; il étoit dans sa chambre,
qui les écoutoità travers la tapisserie avec transport.
Le il, jeudi. — Il accommode son écritoire, la porte
en sa chambre, disant qu'il veut étudier; Dumont, clerc
d(B sa chapelle, lui apprenoit à lire et à écrire (1).
Le 20, dimanche. — Le sieur Francesco (2), peintre
du sieur don Ferdinand, puîné de M le duc de Mantoue,
le pourtrait de son long; il s'amuse aussi à peindre et
fait, dit-il, Mistaudin, petit garçon qui servoit le fils de
M. de Liancourt, premier écuyer (3).
Le 21, lundi. — M. de Verneuil lui demande : « Mon
maître, vous plalt-il bien que je dîne avec vous? » Il ré-
pond : Non, brusquement. M""" de Montglatlui démanda
(1) Ces leçons iravaient encore rien de régulier.
{•>.) H(^roard a laissé le nom en blanc.
(3) Héroard a conservé ce barbouillage, qui n*a aucune forme.
AOUT lOOG. 207
pourquoi. — Pource qu il en fer oit coutume, eljeveuxpas. —
« Monsieur, mais pap.i le veut. » — Bien donc, je veux bien*
On le peignoit endinant, et comme il voulut boire, je lui
dis : (( Monsieur, on vous peindra le verre au poing; » il
s'arrête court, me regarde, se souriant et rougit; il ne vou-
loil point boire tant que je l'eusse assuré quejel'avoisdità
petit semblant. Il perdoit patience à se laisser peindre-;
le peintre l'amuse, disant qu'il avoitun petit oiseau dans
sa main.
Le^^, mercredi, à Saint-Germain, — Il va au sermon de
M. de Saint Germain (1), a patience pour un quart d'heure,
ne veut point entendre la messe. M™®* de Martigues et de
Mercœur et M"® de Mercœur le viennent voir; il s'arme de
son corselet, prend sa pique et fait ses exercices devant
ces dames. M™^ de Rannes lui vouloit faire croire qu'elle
étoit un vieil capitaine, mais qu'elle avoit fait couper sa
barbe. Le Dauphin lui demande : Oii est-elle? — « Je
l'ai brûlée. » — Ho! ho! c^est que vous moquez de moi;
vous êtes une femme. M'"® de Saint-Georges lui dit : « Mon-
sieur, où faut-il regarder si c'est un homme ou une
femme ? » — Entre les jambes.
Le 24., jeudi, — Il fait mettre un mouchoir sous les
cordes du luth à Hindret, et lui commande de jouer le
ballet des grenouilles. Il le danse sur le tapis en faisant
les sauts en cadence.
Le 26, samedi, — M™® de Montglat lui fait dire son ca-
téchisme et, à la demande : «Pourquoi Dieu avoit con-
damné Adam et Eve à la mort? » il répondit selon le sens
et non selon la lettre, et de soi-même : Cest pource que
ils avoient mangé de la pomme et Dieu Vavoit défendu. M. le
Chevalier et M"^ de Vendôme s'en alloient à Paris; il
faisoit paroltre en avoir du déplaisir, et peu s'en falloit
qu'il n'en pleurât, disant : Ho! féfé Chevalier va bienvoir
papa, etjen'y vas pas, — M. Birat lui disoit : « Monsieur, il
(0 Voy, la note du 14 août 1605.
208 JOURNAL DK JEAISl HÉROARD.
faudra, quand vous serez grand, que vous alliez prendre
Milan, que Ton a ôté à vos prédécesseurs (1). » Il répon-
dit : Oui, en s'animant.
Le 30 août, mercredi, à Saint-Germain. — Il va au de-
vant de M. le cardinal de Joyeuse, légat pour le tenir à
baptême, le trouve accompagné de M. le duc de Montba-
zon et de M. de Ragny ; il ne faisoit que passer pour s'a-
cheminer à Fontainebleau.
Le k septembre, lundi, à Saint-Germain, — Il y avoit
deux soldats, Dufour et Harivet, qui étoient prisonniers
pour s'être battus dans le quartier et contre les défenses;
^l, de Mansan les vouloit faire juger par les capitaines.
Nous le voulons persuader (le Dauphin) de demander leur
grâce, lui représentant qu'ils seroient arquebuses; cela
le toucha, il rougit, et demande : Quand? demain? —
(( Non, Monsieur, lui dis-je, ce sera aujourd'hui; » il lui
prend de l'inq uiétude , et toutesfois ne veut pas demander la
grâce. Je lui dis: « Monsieur, vous demandez bien la grâce
et faites donner la vie à des mouches et des petits oiseaux,
et vous ne la voulez faire donner pour des braves soldats
qui vous gardent? » 11 répond : C'est qu'on me le fait dire;
je le presse : Non, dit-il, je veux pas, et il eût voulu que
ce fût fait; il en avoit de la peine. Je veux, dit-il, que ce
sait Mamanga, M""* de Montglat arrive; il lui parle bas à
l'oreille : Mamanga, un mot ; dites à Taine qu'il (2)pardonne
à ces soldats; il les veut faire passer par les armes. Il se re-
tourne, rougit et cache sa face quand M""* de Montglat le
demanda à M. de Mansan. On lui dit alors : ce Monsieur,
remerciez-en M. dç Mansan; » il répond : Non, en étant
fort aise et le témoignant par un honteux souris (3).
(1) Il est à remarquer que Ton entretient souvent le Dauphin de celte
question.
(2) Abréviation de capitaine.
(3) Le Dauphin est souffrant du 1^' au 7 septembre, et Héroard note en
marge de son Journal quMI écrit presque tous les jours à M: du Laurens, pre-
mier médecin du Roi, pour le tenir au courant dé la santé du prince.
SEPTEMBRE tCOG. 209
Le 6, mercredi, — Un valet de pied de la Reine ra-
contoit, comme à Fontainebleau, entre le logis de M. de
Rosny, il y avoit soixante hommes artificiels et autant de
diables qui se combattoient (1) : Hé\ hé! dit-il en bé-
gayant d'ardeur, il faut jeter dessus de Veau bénite^ en
jeter à chacun sur la tête , puis il s'enfuiront en leur maison.
Le 8, vendredi, à Saint-Germain. — Jç lui donne six
muscardins (2), où il y entroit du bézoar, de la li-
corne, etc., sur la nouvelle de ce laquais qui étoit mort
de peste en l'écurie de la reine Marguerite, et son com-
pagnon qui Tavoit laissé malade étoit venu avec lui à
Saint-Germain, avec la litière de ladite Reine qui devoit
porter M. le Dauphin (3).
Le 9, samedi, voyage. — A douze heures et demie il est
mis en litière et part de Saint-Germain en Laye pour son
baptême; il arrive à Meudon à quatre heures et demie, est
logé chez M. Garrault, trésorier de TExtraordinaire. Il
étoit conduit par M. de Souvré, accompagné de M. d'Oin-
vi lie, maréchal des logis de sa compagnie, de M. de
Courtenvaux, guidon, de M. d'Annerville, gendarme de
sa compagnie, de M. de Champagne, lieutenant aux
gardes du corps, de M. de la Court, exempt aux gardes du
corps. Je lui disois qu'à Meudon il y avoit un beau
château; il demande : Où est-il? — « Monsieur, il est tout
là haut. » — Pourquoi m'y a-t-on pas logé?
(1) C^était alors la mode de tailler les ifs en leur donnant des formes
d'hommes et d'animaux. ^
(2) C'était une préparation contre la peste. Le 20 septembre suivant, Hé*
roard donne au Dauphin deux muscardins, « à la charge de les laisser fondre
en la bouche ». Le Dauphin lui dit : J'en prendrai quand je passerai où
il y a du mauvais air,
(3) Cette phrase est très-obscure et nous avons dû la reproduire telle quelle*
Voici ce que dit le journal de Lestoile à cette date : « La peste au logis de
la reine Marguerite, dont deux ou trois de ses offîciers meurent» et entre au-
tres un misérablement, dans une pauvre mazure, près les fratU ignoranti, la
fait retirer à Issy, au logis de la Haye, se voyant, à raison de cette maladie,
abandonnée de ses officiers et gentilshommes, v
HÉROARD. — T. I. 14
210 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le iO y dimanche j voyage, — A midi parti de Meudon
en carrosse, ne voulant aller en litière; il arrive à trois
heures à Chailly (1), près de Longjumeau.
Le 11, lundi, voyage. — On lui apporte un placet de la
partd'un prisonnier qui étoit en la tour de Chailly ; il en est
si aise qu'il ne sait en quelle place mettre ce placet, dé-
livre ce prisonnier qui s'étoit battu avec le curé. Mené à
l'église, ramené en sa chambre, M. de la Court, exempt
aux gardes , hausse la tapisserie pour lui faire voir le
portrait de M. de Beaulieu-Ruzié, secrétaire d'État et sei-
gneur de Chailly, étant armé à cheval comme il étoit
à la bataille d'Ivry ; peu après entrant en la salle, il en
voit un autre tableau de son long, demande : Qui est
cettuilà? M.. d'Anges répondit : « Monsieur, c'est M. de
Beaulieu que vous avez vu là dedans à cheval. » — Il a
donc mis pied à terre (2) ? A midi parti en carrosse pour
aller coucher à Villeroy, il arrive à trois heures et un
quart, va aux jardins, aux fontaines, partout.
Le 12, mardi, voyage. — A douze heures et un quart,
il part de Villeroy en carrosse, arrive à Fleury à quatre
heures.
Le 13, mercredi, voyage. — Mené à la messe au prieuré,
il va aux jardins, fait pécher au canal (3) qui est au-dessous
du parterre. A diner M"^ d'Antragues se présente pour lui
baiser la main; il fait le honteux, rougit, se sourit et lui
(1) Ou Chilly , château bâti par Métezeau pour le maréchal d*Ëffiat.
(2) Il existe au musée de Versailles un portraiV«n pied de Martin Ruzé, sei-
gneur de Beaulieu et de Chilly, qui pourrait être celui placé autrefois à Cliiily.
Voy. Notice du Musée impérial de Versailles, par Eud. Soulié, 2* édi-
tion, 3« partie, p. 114, n" 3323.
(3) ]ve château de Fleury appartenait alors à Henri Clausse , filleul du roi
Henri II, grand maître des eaux et forôts de France. Le canal de Fleury servit
de modèle à Henri IV pour celui de Fontainebleau, a L'on tient, dit le P. Dan,
que le sieur de Fleury ayant vu depuis celui-ci beaucoup plus grand, plus
large et plus majestueux que le sien^ y fit écrire ou pour le moins dit ces
paroles : Voluit me vincere Cœsar. » (Le Trésor des merveilles de Fort'
tainebleaUf page 185).
SEPTEMBRE 1606. 211
tourne le dos. Parti en carrosse à une heure pour aller
à Fontainebleau; à une lieue de Fontainebleau arrive
au devant de lui grande quantité de noblesse. Il arrive
àtrois heures et demie à Fontainebleau^ baise etembrasse
le Roi, la Reine, M*"^ la duchesse de Hantoue, va au jar-
din de la Reine, joue à la paume sous la galerie. Soupe
avec le Roi. Mis au lit, il s'amuse à deviser avec MM. d'É-
pernon, leur parle du canal que le Roi fait faire, qui va
jùsques à la rivière.
jLe 14, jeudiy à Fontainebleau. — A huit heures levé,
vêtu de son habit de satin blanc pour le baptême ; à neuf
heures trois quarts déjeuné, mené chez le Roi et la Reine,
puis à la chapelle du Braquemard (1); ramené à onze
heures trois quarts; dîné. Il veut voir sa chambre de pa-
rade, y va, se y ennuie incontinent, craint départir pour
le baptême craignant qu'on lui jetât de l'eau; le Roi loi
en avoit donné l'appréhension, on l'assure (2). A quatre
heures parti de sa chambre avec les cérémonieset ordre
ici inséré (3), donné par M. de Rhodes, grand maître des
cérémonies. Il arrive sous le poêle, où étoient les fonts;
à cinq heures et demie il est baptisé, nommé Louis; M. le
cardinal de Joyeuse parrain, M™* la duchesse de Hantoue
marraine. M. le cardinal de Gondi baptisa, c'est-à-dire fit
les restes des cérémonies. Il l'interrogea et répondit à pro-
pos, ouvre sa poitrine pour y recevoir l'huile ; M. de Mont-
pensier lui baissa le collet pour y recevoir le chrême sur
les épaules ; il se prend à sourire, disant : Velà qu^estfraid.
Au sel il dit : // est avalé y je le treuve bon. Cette cérémonie
dura près d'une heure (4), puis on le relire par la chambre
(i) Ou du Jacquemard ; c'est la chapelle dédiée à la Vierge et à saint -Saturnin.
(2) On ie rassure.
(3) Héroard avait réservé une place dans son Journal pour y insérer Tordre
du cérémonial, mais il ne Ta pas fait. On peut en lire les détails dans le Trésor
des merveilles de FontainebleaUf pages 277 et suiv.
(4) Les deux sœurs du Dauphin, Mesdames Elisabeth et Ctirisiine furent
baptisées le même jour.
14.
212 JOURNAL DE JËAK HÉROARD.
de la Reine et celle du Roi en la sienne. Passant sur là
terrasse, il aperçoit dans la cour Descluseaux qui étoit
en la compagnie, et tout le régiment en la cour; il l'ap-
pelle : Hél mon mignon! Venez mon mignon! Il va en sa
chambre; il lui prend une humeur de vouloir entrer en
garde, se fait bailler sa pique, se fait mettre son hausse-
col. A sept heures et un quart soupe, à neuf heures trois
quarts dévêtu, mis au lit.
Le 15^ vendredi, à Fontainebleau. — Mené au jardin dies
canaux, puis en carrosse à la maison des artifices à feu,
il va chez le Roi et la Reine, est mené en la galerie du Roi
d'où il regarde courir la bague en la basse-cour (1). M. de
Lorraine le vient voir à son souper; il se fait mettre à
bas pour le saluer, le va embrasser; M. de Lorraine lui
donne un fort beau canon. A huit heures et trois quarts le
Roi envoya commander qu'on le menât au pavillon qui
est au bout de la grande salle pour voir les artifices à feu,
faitsen forme defortcarré, défendu par des hommes etas-
sailli par des diables. Il y est mené mais ne y pou voit durer,
s'en vouloit aller; on l'en divertit jusques à ce que le
feu fût donné aux artifices; voyant les diables qui cou-
roient autour du fort : Hé! mon Dieu, quil est joli ! dit-il ,
cela dura longtemps. Ramené à dix heures en sa chambre.
Le 16, samedi. — Il va à la chapelle au bout de
la salle du bal, puis chez le Roi et la Reine, prend
congé de M"*^ la duchesse de Mantoue, puis s'en va au
grand jardin, où il voit faire des verres au fourneau
fait sous une des arcades de la terrasse (2). Après dîner il
(1) Le lendemain du baptême, dit le P. Dan, « se passa à courre la bague,
où le Roi, avec son adresse accoutumée, remporta plusieurs fois. C'est ce
que j'en ai recueilli de Pimprimé qui fut alors ptiblié et de plusieurs personnes
qui y étoient présentes. »
(2) C'est sans doute l'origine de la verrerie royale érigée en 1641, « en fa-
veur du sieur Antoine Clerici, ouvrier de S. M. en terre sigillée. » Voy, le
P. Dan, page 338.
SEPTEMBRE 1606. Î13
va chez le Roi et la Reine leur dire adieu et, à deux
heures, il est parti de Fontainebleau en carrosse pour
aller coucher à Cély, lyaison appartenant à M. de Ron-
neuil de Thou (1). Il arrive à cinq heures, se joue au
jardin, va voir pêcher au canal. A six heures et deniie
soupe en se jouant d'une sarbacane de verre qu'il a voit
fait faire à la verrerie.
Le il y dimanche^ à Cély. — Il va au jardin, où il se joue
diversement, et à trois heures y fait porter sa collation
et fait mettre sa serviette sur une bordure de buis qui
étoit grande et épaisse.
Le 19, mercredi y à Cély. — Il est mené à Courance (2)
(Jans mon carrosse, n'ayant point voulu entrer dans celui
de M. de Fleury, le trouvant trop obscur. Il s'amuse à
ramasser des cailloux au-dessous de la source du bois,
monte à la grande source, goûte dans la salle des palis-
sades, sur la table ronde d'ardoise, puis va voir con-
duire la nacelle sur le grand réservoir. Il est ramené et
arrive à six heures à Cély.
Le 20, mercredi, à Cély. — Mené au parc, il y avoit une
petite planche à passer, où M. de Souvré glissa et donna
d'un pied dans l'eau. Mamanga, dit le Dauphin, gardez
de tomber dedans. Il craignoit pour lui ; on lui dit : « Mon-
sieur, Rirat vous portera, ne craignez point. » — Mais^
dit-il, si Birat tombe dedans l
Le 21, jeudi, à Cély. — Je lui parlois des machines de
guerre et entre autres des échelles, lui disant qu'en haut
il y avoit des poulies revêtues de drap de peur du bruit,
coulant contre les murailles pour prendre les ennemis
(1) René de Tiiou, seigneur de BonneuH et [de Cély, introducteur des
ambassadeurs.
(2) « La blancheur et le cotirant des eaux de ce beau lieu, dit Dargenville,
Tont fait nommer Courance. » Cette seigneurie, comme celle de Fleury, ap-
partenait alors à Henri Clausse; au dix- huitième siècle elle avait passé dans
la famille de Nicolai. {Voyage itioresque des environs de Paris, 1779 in-12,
page 250, )
214 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
qui étoient dans les villes ^ et au bas des pointes de fer
de peur qu'elles ne glissent; il me demande : Papa
en avoit'il pour prendre Sedan. Il veut écrire au Roi qui
s'étoit un peu trouvé mal, écrit, moi ayant Thonneur de
lui conduire la niain comme à toutes les autres qu'il
avoit écrites (1); il m'envoya quérir à mon logis pour
cet office.
Papa Je suis bien marri de votre maladie ; je voudrois bien être au-
près de vous pour vous faire service et vous faire passer le temps, si
vous le treuvez bon ; mais j*aurai besoin de votre carrosse et de celle
de maman, si vous plaît. Je sais faire de beaux jardios^ j'en ai fait un
en cette belle maison , vous le verrez un jour si vou^.y venez. J'ai fait
aussi une belle petite fontaine ; j'ai commencé une petite maison,
mais c'est que je ne l'ai pu achever pource que mon valet Birat a ou-
blié mon marteau et mou ciseiiu à Saint-Germain. J'ai peur de vous
ennuyer, papa, je vous donne le bonsoir et à maman aussi ; ma plume
est bien pesante. Je suis et serai toujours, papa, votre très-humble et
très-obéissant fils et serviteur,
Louis Daulphin.
Il me commanda de lui faire signer Louis; c'est, la
première fois qu'il a signé Louis (2). Il s'amuse à
griffonner sur un papier, fait un corbeau (3).
Le 22, vendredi^ à Cély. — Il lui prend une humeur
de vouloir écrire au Roi; il m'envoie quérir à mon
logis par deux fois coup sur coup. Il écrit; je lui conduis
la main : .
Papa, je loue Dieu de ce que le petit Montglat m'a dit que vous
a ) C'est pour cette raison que nous ne n^avons pas toujours reproduit Tor-
tiiographe de ces lettres.
(2) Dans V Historiette de Malherbe, Tanemant des Réaux raconte que le Roi
lui montra la première lettre « que M. le Dauphin, depuis Louis XIII, lui
avoit écrite et qu*ayant remarqué qu'il avoit signé Loys, sans u, il demanda
au Roi si M. le Dauphin avoit nom Loys. Le Roi demanda pourquoi. —
Parce qu'il signe Loys et non Louis. On envoya quérir celui qui mi»ntroit à
écrire à ce jeune prince pour lui faire voir sa faute, et Malherbe disoit qu'il
élpit cause que M. le Dauphin avoit nom Louis, » ( Les Historiettes, édit.
Paulin Paris, I, 277.) On trouvera plus loin des lettres du Dauphin signées
Loys.
(3) Héroard a conservé ces griffonnages qui n'ont encore aucune forme.
SEPTEMBRE 1606. 216
étiez guéri ; j'en ai fait trois petits sauts, j*en ferai six quand j'aurai
l'honneur d'être auprès de vous, et encore cent ; j'en ai bien envie pour
vous faire très-humble service , parce que je suis votre petit valet; j'ai
retenu ici le petit souda avec son haussecou ; il viendra avec moi s'il
vous plaît, papa ; je m'en vas à la messe prier Dieu pour vous, papa,
et pour maman. Bonjour, papa, bonjour; bonjour, maman, je suis et
serai toujours, papa, votre très-humble très-obéissant fils et servi-
teur,
Louis Daulphin.
A quatre heures et demie il va à. sa nourrice qui étoit
au jardin et fait caca; elle, par faute de linge, Tessuie
avec des feuilles. Le voilà à crier, à pleurer : Ha! la m-
laine! M"* de Montglat arrive qui demande que c'est? —
Cest Doundoun quim'a torché le cul avec des feuilles , etse
retournant vers elle : Ha! la vilaine, et il la frappe d'un
petit bout de houssine. Achevé de nettoyer avec un linge
par M"® de Ventelet, n'ayant voulu permettre que ce fût
la nourrice tant il étoit fâché (1).
Le 23, samedi, à Cély. — A neuf heures trois quarts
parti en carrosse pour aller à Chailly, sur le bord de la
forêt, dîner avec le Roi qui l'avoit mandé, y étant venu
à l'assemblée (2). Il y arrive à onze heures. Dîné avec le
Roi, de la viande duRoi, Le Roi lui fait tâter le goût d'une
huître cuite : Boriy dit-il, j'en mangerai bien encore papa;
leRoil'enrefusa. A une heure et demie il part, va à Fleury-,
voit toutes les avenues, va au grand canal où on lui avoit
fait mettre une roue de moulin pour lui donner du plai-
sir; il faisoit hausser et baisser la bonde alternativement.
Ramené à Cély à quatre heures et un quart; il avoit porté
de Fleury une galère de jonchée, le voilà soudain au
canal pour la faire voguer. — M. de la Court lui dit :
« Monsieur, avez- vous pas bien entendu que papa vous a
dit qu'il vouloit que vous apprinssiez à vous laver les
(1) Nous ne reproduisons cette scène qu^à cause du rool du Roi auquel elle
donne lieu le lendemain.
(2) Au rendez- vous de chasse.
216 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
mains tout seul et à VOUS torcher le cul. — Oui. — aQue
ne lui disiez- vous quUl ne le torcboit pas lui-même ! t
— Je n'eusse osé, il m'eût donné le fouet (1).
Le 24, dimanche, à Cély. — A dix heures et demie il
dit qu'il a faim ; je lui demande s'il vouloit pas dîner :
JVon, dit-il, je veux attendre papa. Le Roi arriva à onze
heures et demie; dîné avec le Roi. Il va en sa chambre,
où le Roi se joue à lui. A deux heures et demie parti de
Cély en carrosse, avec le Roi qui le mèneàFleury; amené
au moulinet du canal. A quatre heures le Roi part pour
aller à la chasse, et le Dauphin à Fontainebleau; il ar-
rive à six heures et un quart, va chez la Reine, est ra-
mené en sa chambre qui regarde Tétanç, vers la grande
galerie.
Le 25, lundif à Fontainebleau. — A neuf heures mené
à la chapelle, puis au jardin de la Reine; monté en la
chambre du Roi et de la Reine, puis à onze heures il va
dîner avec e Roi en sa chambre. Il ne veut pomt de bet-
terave, y ayant tàté; le Roi lui donne du fenouil vert,
il dit qu^il le plantera dans son jardin. Il va chez la Reine,
puis en sa chambre, à une heure se meta la fenêtre du
cabinet, commande aux laquais : Ne faites point de mal
à cette femmCy qui puisoit de l'eau, se ressouvenant y
avoir vu jeter une femme dans la fontaine par les la-
quais, au dernier voyage (2). A quatre heures et demie
mené au grand canal , puis au jardin des canaux, il va
voir Taulruche puis les gazelles; il s'amuse autour de
l'eau, voit les ombres dans l'eau de ceux qui étoientà
(1) On trouve dans le Journal de Lestoile les ?ers suivants sur le Roi et son
confesseur :
J'avols toaloars bien ouY dire, ,
Depuis le temps que J'ai vécu,
Que quiconque étoit notre Sire,
De coton se torchoit le c. ;
Mais notre Roi, par grand merveille,
De Colon se bouche l'oreille.
(2) Héroard n*a pas parlé précédemment de ce détail.
SEPTEMBRE 1C06. 217
Topposite avoir la tête dedans et les pieds eii haut , et
dit : Hé! velà les antipodes! Ramené à six heures, il ren-
contre le Roi qui le ramène en la chambre de la Reine et
souper avec lui.
Le 26, mardi, à Fontainebleau. — Il va par le long du
canal de l'étang au grand jardin , s'amuse à la fontaine
du Tibre à faire donner et arrêter l'eau. Mené chez la
Reine lui donner le bonjour, puis retourné en sa chambre.
Amusé jusqu'à trois heures et demie à peindre, ayant
fait apporter des couleurs. — M. de Sillery, garde des
sceaux, le vient voir.
Le 27, mercredi. — Mené à neuf heures trois quarts au
jardin des canaux où il trouve le Roi, il lui donne le bon-
jour et se y joue jusqu'à dix heures et un quart. Ramené
par le grand jardin à la messe, puis chez la Reine. Il lui
donne le bonjour et, à onze heures et trois quarts, en
sa chambre, dîné.
Le 28, jeudi, — Se jouant avec un fouet de postillon , il
le va passer sur de la fumée de genièvre et dit ; C'est
parce qu'il vient de PariSy je le passe pardessus le feu. La
peste étoit à Paris. — M. de Souvré le vient voir et lui dit :
<( Monsieur, vous aurez aujourd'hui cinq ans, il ne faut
plus être opiniâtre; » il répond gaiement et souriant :
fai tout laissé à Saint-Germahi, dans mon cabinet des ar-
mes. — A midi dîné en la salle du bal avec le Roi.
Le 29, vendredi. — Mené au jardin des canaux, où le Roi
faisoit pêcher des truites. Il va chez la Reine , s'amuse
à écrire disant : Je ferai bien d\n o un a, et il le faisoit.
Le 30, samedi. — Il prie Dieu, dit ses quatrains de Pi-
bracet, à celui où il y a que Dieu, d'un soufle de sa bou-
che, nous peut emporter, M"® de Montglat lui remontre
que, s'il n'éloit sage, que Dieu l'emporteroit bien loin,
d'un coup de son soufle. Eh! dit-il, je m'en retourne-
rois dans le ventre à maman. — Le Roi lui donne un
barbet, il demande : Papa, que sait- il faire"! Comment
s'appelle-t-ill le Roi lui répond : « Il s'appelle Lion. » Il
218 JOURNAL D£ J£AM HÉROARD.
rembrasseetlebaise.M"* de Monlglatren reprend et lui
ditquil ne faut point de chiens, qu'il est si laid. —
J'aime^ dit-il, tout ce qui vient de papa. — Soupe avec le
Roi. Il va avec le Roi en la chambre de la Reine, laquelle
lui donne deux pièces de monnoie d'or; ramené en sa
chambre, querelle pour ces pièces d'or entre M™® de
Hontglat et sa nourrice , lui bien empêché pour les con-
tenter toutes deux; et ses larmes et cris voyant pleurer
sa nourrice [sic] ; enfin apaisé (1).
Le V^ octobrey dimanche, à Fontainebleau, -r- Mené au
jardin des canaux, au Roi, où M. de Vitry emmena la
meute de chiens que le prince de Galles avoit, depuis
quelques mois, envoyée à M. le Dauphin (2) ; le Roi lui
demande : « Mon fils, que lui envoyerez-vous en récom-
pense de ces chiens? » — De petits chevaux, mais que ma
petite jument les ait faits. — Il vouloit aller au rut avec
le Roi et la Reine; il en est diverti , est mené au chenil.
'. — Mené au cabinet de la Reine, où il s'amuse à jouer aux
cartes, au hoc; le petit More (3) l'appelle coquin , il lui
jette ses caries au visage.
Le 2, lundi. — r A neuf heures déjeuné ; M. de Lesdi-
guières y étoit présent qui lui promet des armes de Mi-
lan. Mené au jardin des canaux, Ange Cappel, sieur du
Luat, lui fait la révérence, lui dit qu'il est son très-
humble serviteur; le Dauphin l'ayant vu un peu retiré
dit: Mamanga, il ressemble à maître Guillaume (4), le voyant
chauve et la barbe rase (5). La Reine le mène en carrosse
(1) Voy. au 20 juillet précédent.
(2) Voy, au 12 janvier précédant,
(3) Main de la Reine.
(4) Le fou du Roi.
(5) Ange Cappel, sieur du Luat, était, dit Tallemant des Réaux, une es-
pèce de fou de belles-lettres qui fit imprimer, pour flatter M. de Sully, un petit
livre intitulé : Le Confident, et un autre au frontispice duquel « il étoit peint
comme un ange avec des ailes et de la barbe au menton , et des vers qui
disoient qu^il n'avoit rien d'humain que la barbe. » ( Les Historiettes, édit.
Paulin Paris, l, Ul et 121.)
OCTOBRE iCK)6. 319
dans la forêt au devant du Roi qui étoit allé à la chasse
du chevreuil.
Le 3, mardi y à Fontainebleau. — Éveillé à une heure
après minuit^ en sursaut^ avec un cri haut extrêmement,
et effroyable. Sa nourrice et M"* de Ventelet vont à lui,
demandant ce qu'il avoit : Hél c'est quepapas'enva sans
moiy pleurant et fondanten larmes; hé! je veux aller avec
papa, attendez-moi y papa! Il le songeoit et s'en éveille;
il aimoit fort et craignoit le Roi ; il se rendort à peine ayant
le cœur saisi. Éveillé à sept heures, sa nourrice lui a de-
mandé : a Monsieur, qu'aviez à songer et à crier cette
nuit? » — Doundoun, c'est que je songeois que j'étois à
la chasse avec papa, j'ai vu un grand, grand loup quivou-
loit manger papa et un autre qui me vouloit manger , et j'ai
tiré mon épée^puis je les aï tués tous deux(i). — A huit
heures trois quarts dévêtu. On lui a lavé les jambes dans
de Teau tiède, aubassin delà Reine; c'est la première fois.
Lek^ mercredi. — Il va courant jusquV,n la chambre
de M. de Guise pour donner le bonjour au Roi,^ qui s'en
alloit à la chasse. Mené chez le Roi au retour de la chasse.
Le 5, jeudi. — Il va au jardin des canaux , est ramené
avec le Roi, qu'il ne veut point quitter pour dîner avec
lui.
Le 6, vendredi. — Mené au grand canal où étoit le Roi
qui se promenoitsur la chaussée, parlant à un capitaine
espagnol tout seul ; M™° de Montglat le lui dit, il répond :
S'il vouloit faire mal à papa, je le battrois bien. — Diné
avec le Roi; il prend plaisir à ouïr maître Guillaume.
— Mené chez le Roi et la Reine au cabinet, il s'amuse à
faire des châteaux de cartes; M. de Verneuil lui de^
mande : a Mon maître, cette maison est-elle à vous? » —
Non, je n'en ai point, elle est à papa. — ce J'en ai une,
moi. » — Qui est-elle? — et Verneuil. » — Vous êtes un men-
teur, elle est pas à vous, elle est à votre maman. — Soupe
(1) Héroard a écrit en marge de son journal l'Augurium.
220 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
avec le Roi qui lui fit servir de la viande; il voulut de-
mander au Roi du poisson (1), le Roi lui dit un peu brus^
quement qu'il l'envoyeroit souper en sa chambre s41 ne
mangeoit sa viande ; il se tut tout court et ne demanda
plus rien , et mangea du mouton bouilli ( deux nœuds
de la queue).
Le 7, samedi, à Fontainebleau. — M'"* de Montglat lui
dit : « Monsieur, vous pleurerez bien quand vous ne serez
plus avec moi et que vous irez avec M. de Souvré.» Il lui
répond : Mamanga, ne parlons point de cela. — Il va avec
la Reine au devant du Roi revenant de la chasse.
Le 8, dimanche. — Il va au jardin des canaux, puis en
celui où étoient les gazels (stc), les fait courir et son
chien après eux. Dîné avec le Roi.
Le 9 y lundi. — La Reine le mène en son carrosse jus-
ques à la route de Moret, pensant rencontrer le Roi reve-
nant de la châsse.
Le iO^ mardi. — Mis en carrosse avec LL. MM. pour
aller aux toiles, hors de la forêt, au commencement du
chemin de Melun. Il voit prendre quinze ou seize san-
gliers.
Le 13, vendredi. — Le Roi venoit déjouer et avoit
perdu, et le baisant lui dit : «Mon fils je viens déjouer
tout votre bien. » — Excusez-moi, papa, il n'est pas à
moi, il est à vous, papa. Il va donner le bonsoir à LL. MM.
puis revient en sa chambre où il se joue encore, fait
prendre à Boileau, son violon, un petit fagot de paille
entre les jambes, chantant : a Vous ne me sauriez bou-
teur, bouter, etc.; » lui, avec le flambeau, le suit partout
et y mit le feu par deux fois.
Le iky samedi. — Mené au lever de la Reine et de là
en carrosse pour aller trouver le Roi au grand canal, il
le rencontre en chemin ; le Roi le ramène et le mène au
parterre du Tibre, où, par les sentiers des compartiments,
_ - __■■■_■_ ■ — -
(I) C'était un vendredi.
OCTOBRE 1606. 22t
le Roi court après lui, faisant semblant de lui vouloir
prendre son chapeau sur la lête, puis il court après le
Roi qui se laisse surprendre. — A six heures et demie
soupe; ilyavoit un page de la chambre auquel il de-
manda : Comment vous appelez-vous? — « Monsieur, je
m'appelle Des Ars. » — Vous êtes donc un arc? il vous faut
attacher une corde au nez et au bout des jambes, et puis y
mettre une flèche et tirer. 11 dit d'un autre page de la
chambre qui se nommoit Racan (1) : Mamxingay velà Varc
en ciel, pour ce qu'il tournoit le nom en son entende-
dément imaginant Arcan, et ajoutoil ciel en sa petite
fantaisie; il avoit et se plaisoitàdes pareilles rencontres.
Le 15, dimanche, à Fontainebleau. — A neuf heures et
demie déjeuné. Il flalte M""*" de Montglat, lui baise les
main^, la robe, lui saute au col; c'étoit instruction, non
de son naturel. Dîné avec le Roi. A six heures et de-
mie soupe; il demande à un page de la Reine qui étoit
Italien : Comment vous appelez-vous ? — « Monsieur, je
m'appelle Pettrousse (2). » — Vous appelez donc Trous-
sepet, dit-il soudain.
Le 16, lundi. — Il va chez le Roi en son cabinet, prend
congé de lui; le Roi s'en alloit à Nemours (3) et de là
voir le canal de Briare. Mené chez la Reine , il prend
congé d'elle; la Reine part.
Le 18, mercredi, — Il va à la volière et de là chez M. de
Roquelaure, où il voit manier (4) sa petite mule, qui
même passoit par-dessus un cerceau, à quoi il prenoit
un extrême plaisir.
Le 20, vendredi, — Mené voir M*"^ la comtesse de Moret.
Le 24, mardi. — Mené à la messe; M. Birat le portoit
(1) Honorât dé Bucil , seigneur de Racan, parent de la comtesse de Moret ;
il fut nn des premiers membres de TAcadémie française et mourut en 1670.
(2) Petrucci.
(3) Voy. la lettre du Roi à Mn™e de Montglat, écrite lé 19 de Nemours,
{Lettres missives ^ VII, 19.)
(4) Dresser la petite mule de M. de Roquelaure.
222 JOURNAL DE JEAN BÉROARD.
ayant la tête nue et M. de Belmont marchoit auprès, ]a
tête couverte ; il dit à M. Birat : Mettez votre chapeau. —
« Honsieu^^ je suis bien. » — Non^ non, mettez votre cka^
peau, vous êtes vieil ; ôtez votre chapeau, Belmont.
Le 25) mercredi. — Il est mené à la messe, puis a voulu
•monter à l'horloge y voir le Vulcain Jacquemard (1).
Mené chez H"'^ la comtesse de Horet, puis au jardin des
Mathurins et de là en la chambre de M. Héroard (2).
Le 27 octobre, vendredi, à Fontainebleau. — Je parlois
du Blond (3)^ peintre , disant qu'il faisoit bien les visa-
ges, il demande ; El pour le reste ?
Le 28, samedi. — Mené par le jardin de la Reine en la
conciergerie, voir M"*^ la comtesse de Moret.
Le 29, dim^inche. — Mené à la messe, à la chapelle de Ja
salle du bal, il se dépèche de y aller afin que Madame
ne les autres petits ne y soient pas comme lui. Mené au
jardin du Tibre, il y court le cerf ;-c'étoit M. Birat puis
son page Bompar, puis il se fait le cerf. Il donne à
manger aux cygnes, va.par-dessous la terrasse au logis
ûeuf de M. Zamet, et de là, par la conciergerie et le jar-
din de la Reine, en sa chambre. Mené au jardin des
canaux ; il va voir les autruches et après va voir manier
la petite mule de M. de Roquelaure qui passoit dans un
cercle, sautoit sur le bâton, se mettoit à genoux,
marchoit dessus avec un singe dessus; le Dauphin y
fais'oit monter des laquais et prenoit plaisir à les voir
tomber. A six heures et un quart soupe; les pages de la
chambre du Roi y viennent, le font jouer aux cloches
d'ivoire et le moine dessous, puis aux piliers où Ton
demande : La compagnie vous plaît-elle? (jeu d'enfants
de douze à quinze ans). 11 y jouoit, entendoit le jeu.
(1) Voy, la note du 30 juin 1605.
(2) Héroard, malade depuis le 16, était convalescent; le 27 il reprend le
Journal continué en son absence par Papolhicaire Guérin.
(3) Nicolas le Blond se trouve parmi les peintres portés dans les comptes
de rh6tel de Henri IV de 1605 à 1610.
NOVEMBRE leoe. 223
Le 30 octobre^ lundi y à Fontainebleau. — M. de Gramont^
éciiyer de M. de Roquelaure, lui demande : « Monsieur,
connoissez-vous M. de Roquelaure?» -^Otii. -^ « A quoi
le connoissez-vous? » — Cest qu*il esV borgne (1) ; et il se
prend à rire, mais d'un rire d'hôtelier, car il n'étoît pas
grand rieur. A onze heures trois quarts il dit sa leçon;
il y a bien de la peine à le y faire résoudre ; auparavant
il s'amusoit à chasser des mouches. A six heures et un
quart soupe ; les pages de la chambre du Roi arrivent,
se mettent à jouer à La compagnie vousplait-eUe? puis à
Biscumbiselc. ; il fait le maître aucunes fois, et quand il
ne sait pas dire quelque chose qu'il faut, il le demande;
il joue à ces jeux ici comme s'il avoit quinze ans, joue
à faire allumer la chandelle les yeux bouchés.
Le 31, mardi, — Un homme qu'il avoit fait mettre
. hors de prison (2), le vient remercier; il lui dit : Soyez
homme de bien à l'avenir. Sa partie y étoit x Soyez gens
de bien tous deux et ne vous demandez plus rien, et priez
Dieu pour papa et pour maman.
Le 1" novembre, mercredi^ à Fontainebleau. — Mené à
la chapelle de la salle du bal, il se confesse à son au-
mônier pour la première fois.
Le 4, samedi, — Vêtu, peigné paisiblement; M. Za-
met y étoit, ce qui le retenoit, craignant qu'il ne dit
à la Reine s'il faisoit le fâcheux. — Il se joue à divers
jeux, les pages de la chambre avec lui; ilsdansentle
branle : Ils sont à Saint-Jean des chouxy et se donnent du
♦pied au cul; il le dansoit et faisoit comme eux.
(i) « II perdit un œil d^une épine qui lui perça la prunelle, comme il étoit
à la portière du carrosse, en allant voir M"* de Maubuisson , sœur de Mme de
Beaufort. Or, un jour qu'il éioil en carrosse avec Henri IV, il s'avisa en pas-
sant de demander à une vendeuse de maquereaux si elle connoissoit bien les
jnâies d'avec les femelles : Jésus! dit-elle, il n'y a rien de plus aisé; les mâles
sont borgnes. » {Les Historiettes de Tallemant des Réaux, I, 37.)
(2) Voy. au 1 1 septembre précédent. Héroard a écrit par erreur *« qu'il avoît
fait mettre en prison. »
224 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 5, dimanche, à Fontainebleau, — Il joue aux barres
et entend le jeu et les termes du jeu. A cinq heures le
Roi, arrive, revenant de Montargis; il lui va au devant
courageusement (1) et toujours courant jusques au pied
de Tescalier de la basse-cour, va en la chambre du Roi,
où il se joue jusques à six heures que la Reine arrive;
rayant saluée, peu après il s'en va en sa chambre.
Le 6, lundi, — Il sort avec le Roi, qui s'en alloit prome-
ner ; il pleuvoit, le Roi lui dit : a Mon fils, il pleut; allez-
vous-en. » -^ NonyS'ilvousplaît,papa;je crains pas la pluie.
— c( Mais je crains que vous ne deveniez malade. » — Je
le serai pas, papa, et il le suit. C'étoit d'amour qu'il avoit
au Roi, car il craignoit d'aller à la pluie. Ramené en la
chambre de la Reine , il s'en va en la chambre du Roi,
le y attendant pour diner; M. le prince de Condé prend
la serviette, la lui présente pour la servir au Roi, le
Dauphin Jui dit : Attendez que papa soit venu; gardez^
là, puis je la prendrai; dîné avec le Roi. — Le Roi lui
fait la guerre, lui disant qu'il est amoureux de la Torna-
boni, l'une des filles de la Reine; il en est honteux et
en eût volontiers pleuré; cela lui fait prendre envie de
revenir en sa chambre. — Mené chez le Roi pour lui
donner le bonsoir, le Roi le voulant asseoir sur le lit
vert du cabinet lui dit : « Mon fils, mettez-vous ici entre
maman et moi. » — Excusez-moi, papa, je me mettrai
bien là derrière, dit-il par respect.
Le 7, mardi. — Il s'amuse à mettre en bataille, file à
file, toute sa compagnie de pièces de poterie, et le Dau-^
phin (2) étoit à la tète. — Mené chez le Roi au cabinet,
où il s'amuse, avec de l'encre et une plume, à faire des
oiseaux ; il joue à trois dés, M. de Bassompierre contre
lui, en lui apprenant le jeu.
(1) Ce mot indique sans doute que le Dauphin éprouve encore une cer*
laine crainte lorsqu'il lui faut aller au devant du Roi.
(2) Une figurine qui le représentait ou quMl désignait sous son nom.
NOVEMBftK 1006. 326
Le 8, mercredi, — il dit vingt -cinq quatrains de
Pibrac. Mené chez le Roi, le Roi lui dit qu'il veut que
le petit More (1) couche avec lui. — Ilnoirciroit les drdpSy
papa, n'ayant point voulu dire qu'il ne le vouloit pas.
Le 9, jeudiy à Fontainebleau. — Mené chez le Roi , qui
étoit encore au lit, le Roi le met dessus, lui disant : a Vous
êtes un petit veau. » — Excusez-moi, papa, si vous aviez vu
comme je saute y vous diriez pas que je sois veau, — Il va
chez M. de Rosny, au bout du parterre, est ramené chez
la Reine, puis du balcon de l'escalier il regarde H. de
Créquy et autres qui jouoient au ballon en la cour. — Le
Roi l'envoie quérir pour souper, puis il retourne en sa
chambre pour faire habiller tous ces petits qui étoient
avec lui, avec Madame et M"*' de Vendôme, pour un ballet.
Il n'en veut point être, dit : J'en fairai demain un tout de
garçons, retourne chez le Roi, où il voit danser ce ballet.
Le 10, vendredi. — Mené chez le Roi et la Reine; la
Reine lui demande s'il veut dîner avec elle, il s'en ré-
jouit, n'en peut être dissuadé. Il va à la messe avec la
Reine , et revient avec elle; dîné avec elle à douze heures
et demie.
Le iif samedi. — Mené chez le Roi, où il trouve la
Reine. Le Roi lui dit : « Mon fils, je m'en vais à Saint*
Germain, voulez-vous venir avec moi 'i »-r- Oui, papa. La
Reine lui dit : o Mais papa va en poste. » — Cest tout un,
j'irai à pied, je courrai tant que je pourrai, et s'il va trop
fort je m'arrêterai, et puis je m'en retournerai. Le Roi
lui dit : « Mon fils, me servirez-vous bien? » — Oui, papa.
^-c(Medonnerez-vous bien ma chemise, mon collet, mon
mouchoir? » — Oui, papa ? — «Mais vous ne me sauriez
donner mes bottes? » — Excusez-moi, papa, je ferai tout,
dit-il gaiement. La Reine lui dit : «Mais je veux aussi
que vous me serviez. » — Je le veux bien, maman. — c< Mais
vous ne me sauriez coiffer. » — Excusez-moi, maman;
(1) Nain de la Aeine.
HÉROABD. -^ T. I. 15
226 JOURNAL DE JEAN HËROARD.
puis, reconnoissant qu'il s'étoit mépris, et y ayant songé,
il s'en va droit à la Reine : Maman, ce sera ma soeur.
Le 12, dimanche. — Les députés da Dauphiné loi
^ viennent faire la révérence en corps, lui témoignant leur
fidélité et affection, et le suppliant de les conduire devers
le Roi pour le supplier d^accorder leui^ demande, à la-
quelle il avoit intérêt (c'étoit pour réunir au Dauphiné
la Bresse, donnée en récompense du marquisat dé Saluées)
Il les remercia de leur bonne volonté, leu^ promit là
sienne selon les occasions, mais [leur dit] pour ce sujet
que tout étoit à papa. M. de Lesdiguières lès Conduisit. —
Il va chez la Reine, puis à la Volière, de là chez M. Zàmet,
d'où il voit, en la cour, courir deux renards; il étoit à la
fenêtre d'où il commande : Maître Martin^ lâchez ce chien
blanc, puis celui-ci ou celui-là, les nommant parleur
nom; il commandoit magistralement et à propos.
Le 13, lundiy à Fontainebleav,. — Mené chez le Roi et
chez la Reine, puis à la chapelle de la salle dû bàl ; il
va de là au grand jardin, où il joue au ballon, du poing :
M. de Bassompierre le lui avoit donné; dîné avec le
Roi. — 11 causoit avec Mathurine (1), lui dit que si elle
étoit morte il la feroit mettre en terre; M. FaiÀûônier
lui dit : a Monsieur, vous en ferez donc des reliques? »
— Ho I dit-il en souriant, une belle relique' de folle.
Le 14, mardi. — 11 voit Boileau, son violon, ^ui ca-
ressoit Joron , l'une de ses femmes de chambré, de la-
quelle Boileauétoit amoureux; elle étoit couchée au lit
de sa nourrice : Boileau, venez ici, venez çà, véhéz à moiy
dit-il, impérieusement; et comme il se fut approché :
Qui vous fait si hardi de vous jouer à mes femmes de
chambre? et devant moi! Il s'amuse à ses animaux de
poterie, qu'il met en bataille, Tappelle sa compagnie.
Le 15, mercredi. — Mené chez la Reine; soupe avec
le Roi.
(1) Folle de la Reine.
NOVEMBRE 1606. 227
Le 16, jeudi, à Fontainebleau. — A onze heures et un
quart dîné; il entretient Engoulevent, prince des sots (1) ;
il lui demande : Que vous est papa ? pource qu'il disoit
que le Roi le suivoit et qu'il étoit prince des sots. — Il
prend sa bandoulière et son mousquet , fait armer sa
compagnie; M. de Verneuil, arquebusier, marche
auprès de lui, M. le Chevalier est le capitaine, et il s'en
va ainsi, par la terrasse des deux cours, trouver dans
son cabinet la Reine, qui alloit au devant du Roi
revenant de la chasse. Il fait tous les exercices devant
elle , prête serment de bien servir le Roi , puis sort en
bataille en Tantichambre, où il fait haie et battre ]e
tambour pendant que la Reine passe , puis se désarme et
est mené chez M. de Rosny, au pavillon qui est au bout
du parterre; il le rencontre, puis est mené en la chambre
pour y voir M""' de Rosny. 11 va chez le Roi, veut souper
avec lui; le Roi se met à jouer, le renvoie souper en sa
chambre.
Le 18, samedi. — 11 fait chanter deux jeunes enfants
de la musique de la Reine, lui assis, les écoutant attenti-
vement comme immobile, tant il aimoit la musique. —
M. de Vendôme arrive revenant de la chasse avec le Roi;
il racontoit comme le Roi étoit encore dans la forêt et
que comme, lui (M. de Vendôme), est arrivé dans la
basse-cour, les gardes ont commencé à prendre les armes
et à battre le tambour ; il entend cela, et, se retournant
vers lui, demande : Ont-ils pris leurs armes pour vous?
Le 19, dimanche. — ^^Méné au Roi en la salle du bal,
pour y voir combattre les dogues contre les ours et
le taureau ; un ours ayant mis sous Ijni un des dog'ues,
il se prend à crier : Tuez l'ours y tuez Vours. — Mené
chez la Reine, où, à neuf heures, il assista auxfiançailles
de M. le prince d'Orange ayec M"*^ de Bourbon (2). Ra-
(1) Voy. plus haut, page, 61, note 2.
(3) Éléopore de Bourbon , fille de Henri de Bourbon , l*^** du nom , prince
ir».
228 JOUUNAL DE JEAN HÉROARD.
mené à neuf heures trois quarts, il ne se veut point cou-
cher, se fait mettre sa cotte, se fait tenir par la lisière
pour imiter les dogues qu'il avoit vus tirant la laisse
pour se jeter contre les ours.
Le 20, lundiy à Fontainebleau, — Mené sur les terrasses
de la chambre de la Reine pour voir combattre des dogues,
puis mené en la chambre du Roi, où se trouva M. de Rosny,
aulrementM. de Sully (l).!*"™^ de Montglat lui dit: «Mon-
sieur, Ton dit que vous êtes avaricieux (2), demandez à
M. de Sully de l'argent pour donner. » Il ne dit mcrt, et ne
veut point; il ne demandoit pas aisément, de peur d'être
refusé ; il s'en offensoit. M'"*^ de Montglat Ten presse, et sur
cela il entend que M. de Sully disoit : a II n'est pas encore
temps; » il se retourne soudain, comme dépité, disant :
Cest pas du sien^ cest de celui àpapay et s'en va. M™*^ de
Montglat le retire vers M. de Sully : « Monsieur, dit-elle,
dites à M. de Sully qu'il fasse pour nfioi ce que je lui de-
manderai. » — Qu est-ce? — ce Monsieur, dites-lui seule-
ment cela. » Il demanda toujours ce que c'étoit, et enfin,
fort pressé, dit par acquit et se retournant : Faites cela
pour Mamanga, et s'en va tout dépité.
£<?22, mercredi. — Il commence à apprendre à danser^
apprenant lu sarabande, le branle gai. Il chasse Engou-
levent, bouffon; il haïssoit naturellement les plaisants et
bouffons. M. le prince d'Orange prend congé de lui, s'en
allant à Valéry se marier àM"^ de Bourbon; Engoulevent
étoit rentré en sa chambre, il le chasse, lui donne des
coups de pied. — Mené chez le Roi, il le suit au jardin
de la Reine ; le Roi lui commandant de l'attendre là
de Condé, mariée à Pliilippe-Guiiiaiime de Nassau, prince d*Orange > morte
en 1619. Voy. la lettre de Malherbe à Peiresc, tome III, page 15, de Tédition
donnée par M. Lud. Lalanne. Cette lettre est du 9 décemore, et non du 9
novembre.
(1) Fo^. la note du 20 juillet précédent.
(2) Héroard remarqué plusieurs fois que le Dauphin était mesnager;
mais 11 attribue ce défaut aux exemples de parcimonie qu*on lui donne.
NOVEMBRE 1606. 229
pendant qu'il entre en la galerie des cerfs pour parler
d'affaires, il va dans la volière, fait jouer les robinets,
rentre au jardin. M"° de Monlglat le veut mener au lever
de la Reine, il s'en défend ; elle le presse : Slaù papa
m'a commandé de ne bouger d'ici; elle le veut foriser,
le tire , il résiste disant : Je le veux aller demander à
papa; elle le y mène par force, y va; le Roi le mène
à la messe, puis à midi il a dîné avec le. Roi.
Le 23, jeudi, — Il s'amuse à voir faire un habillement
à la matelote, chausses et jupe pour conduire le ballet
que faisoient M. le Chevalier et M'^" de Vendôme ; vêtu de
chausses à la matelote et d'une jupe de gaze, il est ex-
trêmement content, se fait mettre son épée au côté en
bandoulière, à huit heures est mené chez le Roi.
Le 24, vendredi, — L'ambassadeur du duc de Saxe le
vient visiter de la part de son maître, lui disant en avoir
commandement et qu'il prioit Dieu qu'il fût un jour un
grand prince; M. le Dauphin lui donne sa main à baiser
et l'embrasse , le remercie, dit qu'il est à son service et
qu'il le servira toujours envers le Roi pour le tenir tou-
jours en son amitié et bonne intelligence.
Ze26, dimanche^ à Fontainebleau. — M. de Roquelaure
se jouant à lui l'appelle : Mallre Louis; il repart soudain :
Maître borgne; il Tétoit. M. de Bassompiérre se jouant
à lui lappeloit : Maître badin; il repart sérieusement et
sans rire : Maître sot. Le Roi dit au Dauphin et à M. de
Roquelaure : « Qdi voudra être le mignon de papa il faut
qu'il mouche ce flambeau »; il y saute soudain toijit le
premier, le mouche net et se brûle au bout du doigt
indice, sans s'en plaindre qu'en souriant.
Le 27, lundi, — Mené chez le Roi, M. de Roquelaure
l'appelle : Sergent Louis; il lui répond : Sergent borgne,
— Il entrelient M, de Mansan , lui demande les noms
des capitaines qui doivent entrer en garde, de ceux qui
les relèvent et du lieu où ils entrent en garde; sur le
nom du sieur de Drouët, il dit : Son tambour est gaucher:
230 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
il étoit vrai, et si il y avoit longtemps qu'il ne Tavoit vu.
Il joue au jeu : Je vous éveille, et ne s'éveille que pour
le Roi et pour la Reine , pour M™® de Monte^lat et son fils.
Le 28 novembre y mardi. — M"^ la princesse d'Orange de
Coligny (1) le vient voir ; il entend que l'on lui ramentevoit
comme le soir précédent le Roi. et la Reine lui faisoient la
guerre, et que le Roi la frappant, elle dit comme elle fut
contrainte de se revenger et le frapper. Comment, lui dit
le Dauphin, vous avez battu 'papal Si j*y eusse été je vous '
eusse porté par terre, et il se jette sur elle pour le faire, et
dit animeuseilaent : Je suis bien fort. Elle lui répond qu'il
ne Tétoit pas assez tout seul; J'envoyerai quérir féfé
Vaneuil. Il le fait, et l'attendant il se jette sur elle, tâche
.de lui donner la jambe (2). M. de Verneuil arrive, il le
tiré à part j lui raconte tout bas ce qu'elle avoit fait, ce
qu'ils ont à faire, puis soudain partant du bout de la
chambre : Suivez- moi, et il se prend à courir droit à elle,
se jette sur elle, qui feint de plier.
Le 30, jeudi, — U ne se veut point coucher que la plus
petite Panjas, qu'il avoit envoyé quérir, ne soit arrivée.;
on lui demande s'il veut pas que la petite Panjas couche
aveclui ; il répond : Elle est pas princesse. Je lui demande :
ç( Monsieur, ne coucherez-vous jamais qu'avec des prin-
cesses? » — Non, Elle arrive, il la baise, elle lui ten-
dant sa joue, la considère froidement, puis peu à peu
entre en discours avec elle : le jeu commence à lui
plaire; elle, s'en retournant, lui donne le bonsoir; il s'a-
vance et la baise en la bouche, ce qu'il ne faisoit à per-
sonne. On demande à la petite Panjas si elle vouloit
bien coucher avec M. le Dauphin , elle répond oui; lui,
souriant, dit : Vous êtes donc une garçonnière.
Le V^ décembre j vendredi, à Fotitainebleau. — Mené à
la galerie lambrissée, ayant une épée; le Roi y vient, et
(l) Voij. page 31, note, 3.
{7) Le croc-en-jambe.
DÉCEMBRE 1600. 231
lui dit :.((Quoi, mon fils, vous avez une épée; est-ce contre
moi ?» — Ho! ho! Jésu&! non, papa» A quatre heures mené
chez le Roi et la Reine revenant de la chasse* — Arrivent
deux lieutenants du régiment des gardes; Tun il l'appelle
CroquçLntèt l'autre Harlequin, par raillerie jîl se familia-
rispi|; de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec
toute autre sorte de personnes^ faisant du pair et com-
pagnon avec eux.
Le2, samedi, à Fontairpehleau.'--r- A sept heures et demie
' levé, vêtu (1), peigné,, coiffé paisiblement pour le désir
qu'il avoit d'aller dire adieu au Roi, qui devoit partir
pour aller à Paris et partit sur les neuf heures. Mené
chez le Roi, qui lui demanda quand il vouloit qu'il
l'envoyât q^uerir? — Quand il vous plaira, papa. Il étoit
trisle de ce départ; le Roi le rassura, lui disoit que dans
peu de jours, il le renvoyeroit quérir, et lui commanda
d'avoir soin de son ménage. Il prend congé du Roi, bien
aise d'avoir été seul et d'avoir surpris les autres petits.
La Reine part à une heure après midi.
Le 4j lundi. — M. d'Arquien le vient voir, revenant
de Metz. Il joue aux poules pour enfermer le renard,
avec patience et froideur, demande : Doundouny que
faut-il jouer? et chante en jouant comme une grande
personne qui ne laisse pas de regarder Qt de considérer
son jeu : Mainlenanl que nos cœurs sont pleins d'amour et
que chacun, etc, y avec l'air. Il lui prend une humeur d'é-
tudier, demande son livre pour étudier, appelle Madame
, pour lui faire dire sa leçon ; elle y vient à regret et pleu-
rant, et parloit en pleurant. Sans pouvoir entendre ce
qu'elle disoit le Dauphin dit : Je pense quelle parle
suisse.
Le 5, mardi. — M"™® de Montglat demandoit si le comte
de la Roche étoit encore à la Bastille ; il demande : Qui
(I) Il est à remarquer que jamais, dans ces commencements de journée, le
root lafé ne se trouve indiqué.
382 JOUR JN AL D£ JEAN HÊROARD.
est-il? — «Monsieur, c'estle comte de la Roche. » — Qu'a-
t'il fait? Je lui réponds qu'il avoit été opiniâtre. — Mais je
Vai vu à la BasiUUy croyant que ce fût le comte d'Auver-
gne. — tt Monsieur, vous parlez de M. le comte d'Auver-
gne,m aisMamanga parle de M. le comledela Roche.» —
Est'ilencore à la Bastille le comte d'Auvergne? — a Oui. »
— Pourquoi? — a Pource qu'il avoit été fort opiniâtre. »
— C*e5<|)asceZa, dit-il court et résolu ment. — «Monsieur,
pardonnez-moi.»— C'est pas cela. — « Monsieur, pour-
quoi donc? » — Je veux pas dire, — « Il n'y a pas de dan-
ger de le dire. » Il y songe, puis dit froidement : C'est
parce qu'il avoit voulu faire la guerre à papa. -. — « Mais,
Monsieur, il n'est qu'un homme seul, comment lui eût-
il pu faire la guerre? » — Avec cinquante mille hommes.
T— « Qui le vous a dit? » — Je sais bien ; il n'en voulut
jamais dire davantage. L'on parloit d'aller à Saint-Ger-
main, il dit : J'en suis bien aise y puisque papa est pas
ici. Je lui demandai là-dessus : « Monsieur, où aimez-
vous mieux être, à Saint-Germain , à Paris ou à Fontai-
nebleau? » Il répond soudain : A PariSy papa y est; il ai-
moit fort le Roi, et sans contrainte.
Le 6, mercredi, à Fontainebleau. — Il va par le grand
jardin à la Mi-Voie, à pied, parle long du ruisseau; ra-
mené en carrosse à six heures et un quart , il s'endor-
moit, demande à se coucher, dit qu'il est las (1).
Le 10, dimanche. — Mené à la galerie lambrissée, où il
envoie quêter le cerf, donne le département aux veneurs,
leur fait faire leur rapport, puis va au bois, conduit son
limier et fait donner les chiens; il prend plaisir à ap-
(1) Héroard met ici en marge -. « Ce jour là, le Roi courant à la forêt de
Gros-Bois, le cerf, venant au-devant de lui, saute dessus de furie et fault à le
tuer : où il faut noter la sympathie de ce prince envers les accidents qui advien-
nent au Roi, Tayant observée en plusieurs autres, comme lorsque ce loi se jeta
sur lui passant par le Pont-Neuf, ce prince, sans cau!>e manifeste non plus
qu'à cette loi8, ne voulut point sou|>er. — Voy. au 20 décembre 160ô.
DÉCEMBRE 1606. 333
prendre les termes de tout , les écoute attentivement de
M. de Ventelet.
Ze 11, lundi. — M. de Souvré arrive, avec commande*
ment du Roi de le conduire à Saint-Germain.
Le 12, mardi, à Fontainebleau, — Il est fort aise de voir
tout remuer pour s'en aller à Paris voir papa; sur ces
entrefaites arrive un courrier portant commandement de
ne partir point; il ne le veut point croire, il en pleuroit.
A latin, lui étant dit que papalevouloit, il setut, et ne dit
plus mot. Le contremandement fut une lettre que M"® la
marquise de Guiercheville,par commandement de la Reine,
avoit écrite à M. de Souvré, lui mandant qu'il n'eût point
à faire partir messieurs les enfants, à cause de l'avis que
le Roi lui avoit donné que la peste étoit en deux maisons,
à Saint-Germain en Laye, où le Roi étoit alors. — 11 s'a-
muse à un chandelier de poterie, dont il fait une fontaine,
siffle d'un rossignol de poterie où il fait mettre de l'eau,
s'amuse au buffet du Roi, fait du temps du roi Fran-
çois P% qui s'ouvroit par un marmouset.
Le 13, mercredi. — M™*^ de Montglat entre en la cham-
bre, portant entre ses bras Madame Christienne; le voilà
à crier : Otez-la, ôtez-la, ne voulant point qu'elle la portât.
M'"*' de Montglat l'ayant laissée, le Dauphin lui dit : Lavez
vos mains; elle les lave; lui-même verse de Teau : Lavez
vos bras. Là dessus elle le menace du fouet , il s'apaise.
Le i'*, jeudi. — Il fut longtemps dans son lit, sans
dire mot, étant éveillé; il avoit peur du fouet pour l'opi-
niâtrise du jour précédent. Il demande à M""'' de Montglat
de ne l'avoir point, et que toutlejour je serai bien gen*
til, je prierai Dieu, je dirai mes quadrains, je étudierai, je
peindrai, je vous fairai un beau petit chérubin. — « Ho!
luidit M"™*^ de Montglat, vous êtes un beau peintre! Vous ne
sauriez peindre le beau temps. » — Si fairai. — a Com-
ment ferez- vous? » — Je prendrai du blanc, puis des cou-
leurs de chair et du bleu. — « Mais vous ne sauriez faire le
soleil ne la lune. » — Si ferai. — «Comment ferez- vous
7U JOUR]SAL DE iEAR UÉEOARD.
le soleil? » — Je prendrai du jaune et du rouge y et je les
mêlerai. — « Et la lune? d — Je prendrai du hianc et dm
jaune f je le mêlerai ^ P^^j'y f<^irai un visage, puis ce sera
la lune. Pour flatter davaotage M**^ de Montglat/le Dau-
phin lui demande : Je voudrais bien coucher auprès de
vous. Elle le Caitcoucher entre elle et son mari le sienr
de Montglat. Mené à la chapelle puis en sa chambre, où
il s'amuse à peindre ; y ayant fait venir un peintre qui
lui apprend, il Fécoute et suit ce qu^il lui dit , maniant
aussi dextrement le pinceau que l'ouvrier, et tenant ses
couleurs au pouce (1), comme le peintre qui lui fait
tirer un visage.
Le 15, vendredi, à Fontainebleau. — Il envoie quérir
deux jeunes peintres, dit quMl veut apprendre à peindre;
étant arrivés, il prend les couleurs au pouce, peint des
cerises après le crayon du peintre, demande : Que faut-il
que je fasse ? Faut-il du blanc, du rouge ? et besogne dextre-
ment et avec attention. Amusé jusques à onze heures et
demie ; H. de Hontglat le prend en ses bras, le hausse,
se fait accoler et le baise serré en la bouche (2), puis
part pour s'en aller à Paris.
Xe 16, samedi. — Mené 4 la galerie lambrissée et aux
chambres qui regardent la basse-cour, où il y avoit des
charpentiers qui mettoient des cloisons, il prend plaisir
à les regarder faire, tenant ses deux mains sur les côtés*
Ilaimoit fort les opuvres mécaniques. II demande à écrire ;
Dumont, clerc de sa chapelle, lui montre à faire des a,
il suit l'impression que Dumont en fait sur le papier.
— 11 chante des noéls, en fait chanter; M"*^ de Ventelet
lui représentant le pauvre état auquel Jésus-Christ étoit
né y sans draps, dans une crèche, il se prend soudain à
dire avec élan et ardeur : Si j'y eusse été je lui 0usse
(1) Tenant la palette.
(2) Héroard a écrit en marge de ce passage :• Temerilas et impiidentia.
Voy. ai| 12 [février &ui?ant.
DÉCEMBRE 1606. 285
donné mon lit et mes draps? C'étoit une faveur singulière,
qu^il ne faisoit à personne, et il ne permettoit qu^au Roi
de se mettre dessus son lit.
Le 17, dimçinche,à Fontainebleau, -r- Mené au jardin des
canaux; ramené par la cour du dragon en sa chambre,
où il. montre à M. Fréminet, peintre du Roi, excellent
personnage, les peintures qu'il avoit faites les jours pré-
cédents : J'ai fait ces cerises, j'ai fait cette rose. M . Fréminet
lui dit : « Monsieur, vous plalt-il que je vous fasse faire
un oiseau, avec la plume? » 11 lui répond gaiement : Oui;
Mamanga^ envoyez quérir mon écritoire ; il met son papier
sur sa petite table, prend la plume, et lui-même commence
à faire Foiseau marqué A (1] , commençant de droite à
gauche; les taches noires du milieu, C6 sont, dit-il, les
plumes; puis Vautre oiseau marqué B il le fait, la main tou-
jours conduite par le sieur Fréminet, qui sentoit comme
M.leDauphin poussoitàconduirelamain.M.Fréminetlui
fait le visage marqué C, disant : « Faites un visage comme
celui-là. » — Ho , ho! dit-il en souriant, je ne saroiSy et
ne le voulut point entreprendre; il fait le visage mar-
qué D, conduit toujours par le sieur Fréminet, et le vi-
sage aussi qui est dessous marqué E; puis, en l'autre
face du papier, le- visage marqué F est fait par le sieur
Fréminet, auquel il donna une grosse poire.
Le 18, lundis — M. Fréminet commença de le peindre,
et pour s'amuser il demanda : Mamanga, je voudrois
bien avoir des couleurs, mais je voudrois des siennes, elles
sont plus belles. On lui en envoie quérir au logis du sieur
Fréminet, au jardin des canaux; il s'en amuse avec le
pinceau. A six heures el un quart soupe; tout à coup il
dit : Je suis las, demande à se coucher. Diverti il se joue
à divers jeux comme : Votre place me plaît, à burlurette,
avec des solda.ts, à frappe muin.
(1) Ces dessins sont conservés dans le manuscrit d*Héroard ; ifont été re-
produits dans le Magasin pittoresque^ année I865j, pages 212 et 213.
3S6 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 20, mercredi^ à Fontainebleau. — Sa nourrice le
déshabillant lui tire tant soit peu un cheveu, il s^en prend
à crier et plaindre fort dolentement ; ma femme lui dit :
«Mais, Monsieur, vous criez tant pour- un cheveu, vous
ne sauriez plus crier pour un coup d'épée. b — Je
m'en soucie bien d'un coup d'épée! Ma femme réplique :
a Monsieur, et pourquoi ne vous soucieriez- vous pas d^un
coup d'épée ?» — Pource que je serois mort, dit-il avec
façon, comme ne se souciant et se déplaisant de la vie (1).
Le 21, jeudi, — M. de Saint-Antoine , gentilhomme
françois, écuyer du prince de Galles, salue Madame de la
part de son maître; elle en rougit et en fit la honteuse.
— En allant à la chambre de Madame, M. de Verneuil
éteint une chandelle que Ton laissoit dans le petit cabi-
net de la Reine, pour éclairer aux passants. M. le Dauphin
n^en dit mot, mais étant dans la chambre suivante, où il
y avoit de la clarté, il lui bailla un soufflet, ajoutant la
raison : Pourquoi avez-vous éteint la chandelle?
Le 23, samedi. — M. Fréminet achevoit de le peindre,
lui s'amusant à peindre, et il fit un oiseau sur de la toile
avec de la craie.
Le 24, dimanche. — M. le prince. d'Orange el M™*^sa
femme , fille de feu H. le prince de Condé, viennent
prendre congé de lui, s'en allant à Orange.
Le 25, lundi. — Vêtu de sa robe de lames d'or et d'ar-
gent, et de soie brune, il dit : âla robe me pèse plus der-
rière que devant ; il ne y eut pas moyen de la raccoustrer
à son gré : Olez4a moi, donnez-m^en une autre. Il fut dé-
vêtu et revêtu de celle qu'il avoit le jour précédent, puis
mené à la chapelle de la salle du bal. Après la messe il
va à confesse, se confesse de tout ce qu'il avoit d'opinià-
trise ce matin.
Le 28, jeudi. — Il change de logis, fait déménager et
(1) Héroard ajoute en latin : Mihi extorsii laerymas.
DÉCEMBRE IC06. 237
porter son lit en la chambre du pavillon de la grande
galerie (1).
Le 30, samediy à Fontainebleau. — Il s'amuse à faire le
messager de Fontainebleau qui portoit de la marchan-
dise à Paris, attache un jarretier à un placet (2), y met
dessus ou un chapeau, ou un panier, ou quelque autre
chose, le va traînant d'un bout de la chambre à Tautre
où étoit son lit, décharge en la ruelle, puis s'en retourne
faire nouvelle charge. M. le Chevalier en fait autant
que lui, et le suivoit; Descluseaux les conduisoit. Puis
le Dauphin le fait asseoir, et s'amuse à faire attacher
deux flambeaux d'argent avec un petit chapelet.
Le 31, dimanche. — L'on faisoit la monstre de la com-
pagnie sous la galerie basse de la terrase ; sa viande
étoit servie; il sort de lui-môme pour y aller, je cours
après, 11 alloit descendre la montée sans reconnoUre (3),
j'arrive à point nommé pour le prendre par la lisière. II
y descend , voit prêter le serment.
(1) Voy, la lettre du Roi à M^^ de Montglat, écrite de Saint- Germain, le
28 décembrt^ 1606.
(2) CVst-à dire que le Dauphin attache une jarretière au pied d^un tabou-
ret pour en faire une voiture et le tirer.
(3) Sans voir les marches; Héroard met en note : « Secouru à propos ».
ANNÉE U07.
Caractère moqueur du Dauphin. — Le gâteau des Rois. — M""* de Mont-
glat et M"« d'Agre. — Première signature du Dauphin. — Comment se
tient le Roi. -» Lettre au Roi*. — La Saint'Jean des choux, — Lettre du
Roi. — Dessins et peintures du Dauphin. — Présent de l'archiduchesse
d^Âutriche à Madame. — Oraison du Dauphin. — Présents que lui Tait M. de
Brèves. — Le Roi joue à la paume avec le Dauphin. — Le peintre Dehoey.
— Première leçon de latin. — Lettre de l'Électeur palatin.,--; Le Dauphin
à la cérémonie de la Cène. — M. de Guise. — Naissance du duc d'Orléans:
son thème de nativité — M. de Sully. — Apparition d*un aigle; geste du
duc d'Orléans et augures que Ton en tire'. — Les quatrains dé Pibrac. —
Goût croissant du Dauphin pour la musique et le dessiiK — Decourt fait
de nouveau son portrait. — Vêtement d'été. — Accouchement de la com-
tesse de ' Moret. -^ La n^e Marguerite. '— Réfîevalltes' dé là Reine'. -^
Antipathie pour les Espagnols. — Paillardise du Roh -^Produits <le la
poterie de Fontainebleau. — Portrait en cir/e et méd^illei <)ii Pfiupl)iii par
Paolo et Dupré. —Danse d'Égyptiens ou boliémiens. — Rancune duDau-
phin contre son page. ''—■ Réception d*ùn ambassadeuir tui'c^. -^ Ordres 9n
Roi pour donner le fouet ai| Dauphiu. -» Mortdç Mv de Montglat. •* Le
comte de Moret sauvé du tonnçrre. — Dépa(;t pour Saint-Germfiin^ paç^
sage à Melun , à Crosne /à Paris , à Saint-Cloud /arrivée à Saint-Germain.
— M^oedes Éésàrs. — Familiarités du Dàupfuri. ^ Là pé^te à Saiht*6êr-
main ; départ pour Noisy. -^.Caractère dissimulé du Dauphin. — Le Roi à
Villeprcux. — Lettre et présent du prince de Galles. — r Histoires tirées
de la Bible. — Porltait dh père du Roi. — Peu de goût dû Dauphin' pour
\\i danse. — Il entre dans ^septième innée. -^ Pdrtrait de Louis XIL '-^
Lettres de la famille ducale de Toscane^ — Incendie à Noisy. — Services
d'Héroard sous Henri lU. — Premier seing valable du Dauphin. — Por-
trait de Du Guesclin. — Le duché de Milan. — Pén dégoût du Dauphin
pour rétude. — Lettre au Roi. — Le ballet des Unterniers. -— * Hélour à
Saint-Germain. — Baptême de M. et de M»e de Verneuil. — M. dg^Çési'.
-^ Le livre de Vitruve. .
v."*
" J
Le lundiy l**" janvier^ à ÎFontaineblenu: '- — Mené à là
chapelle de la satle du bal^ il se moqué d'une femme
de village qtii étoit fort bossue, en ricané; sur la fin-dé
240 JOURNAL DE JEAN HÉUOARD.
la messe il va et revient, et retourne près desontiumônier
qui la disoit, le contrefait en riant.
Le 2, mardi. — A deux heures mené au delà du
grand jardin, du côté de main gauche, environ cent pas
allant à la Mi-Voie, pour y planter le premier arbre de
ceux que le Roi y vouloit faire planter ; c'étoit un tilleau.
Le 3, mercredi, à Fontainebleau. — En dînant il en-
tretient, comme une grande personne , maître Martin ,
preneur des renards du Roi, sait le nom de ses chiens.
Le 4, jeudi. — M. le bâton de la Châtre le vient voir,
allant à la Cour. Après souper il joué aux poules et au
renard contre M. deBelmont. En jouant M. le Chevalier
appelle M. de Belmont son lieutenant. Il le regarde en
colère, songe, puis le veut frapper, lui veut jeter les
poules qu'il ramasse, puis Téçhiquier.M. de Belmont, qui
étoit lieutenant de M. de Mansan, lui dit : a Monsieur,
pourquoi voulez- vous le frapper? » — C'est parce quHl
vous a appelé son lieutenant, et vous êtes à moi. — « Mais,
Monsieur, il ne le faut pas battre pour cela. » — Ho 1 mais
c'est qu'il veut tout !
Le 5, vendredi. — A six heures il se assied à table ; on
lui coupe un gâteau de massepain pour lui et pour Ma-
dame et M'"® Christienne; il fut le roi pour la première fois.
Il avoit envie de manger sa portion de gâteau et celle de
Dieu; M""^ de Montglat lui dit: « Si vous voulez manger
celle de Dieu, il faut donner de l'argent. » — Bien, qu'on
en donncy répond-il promptement; Tétai (M. de Vente*
let), donnez de l'argent. -^ « Monsieur, combien? » —
il songe : Cinq écus. Il fut baillé cinq quarts d'écu à
M. Faumônier, qui furent après rendus. Bu à reposées,
il prenoit plaisir à faire crier : Le Roi boit par Ma-
dame.
Le 6, samedi. — Il va aux petites fontaines, où il fait
rompre la glace, se y joue à la casser à coups de poing.
A six heures et un quart on lui coupe un gâteau^ il est
fait le Roi; soupe de sa part de gâteau, il ne veut point
JANVIKR IC07. . 241
que l'on crie : Le Roi boity le fait défendre à M. de Ver-
neuil.
Le 7, dimanche, à Fonlainebleau, — Il prend un grand
luth, fait que Indret met ses doigts sur les touches et lui
il pince les cordes ; il va aux cadences , joue et chante :
Ils sont à Saint-Jean d Anjou, lesgen, lesgen, les gendar-
mes, etc. 11 touche la bergamasque , la sarabande, les
cloches, puis se va jouer sur le tapis de pied, étendu
parmi la chambre, feignant que le tapis fut la mer;
M. le Chevalier faisoit comme lui.
Le 8, lundi. — 11 va à- la salle du bal, où il avoit fait
venir deux épousées du village , les regarde danser, se
moquoit de leur danse. A dix heures et un quart, dé-
vêtu ; mis, au lit, prié Dieu ; il demande quand c'est qu'il
aura un haut-de-chausses? M'"*^ de Montglat lui dit que
ce seroit quand il auroit huit ans. — Comme féfé Che-
valier?— <i Oui, Monsieur. » — /e suis vieuxl — « Oui,
Monsieur, vous avezsix ans. » — Quand aurai-je huit ans?
— c( Dans deux ans et demi. » — Je suis plus vieux que
ma sœur, je suis venu h premier, puis ma sœur, et ma
petite sœur est venue àla queue, — aEtTenfant qui viendra
après, que vous sera-il ?» — Ce sera mon frère.
Le 9, mardi. — Il se fâche contre sa nourrice, lafrappe,
va prendre sa pique, la poursuit pour l'en frapper de la
pointe, en est après marri, est bien empêché à faire la
paix; il la fait enfin, et promet de ne la battre plus. A
huit heures trois quarts déjeûné ; il ne veut point que l'on
fouette en sa présence deux garçons. Pierrot et Champa-
gne : Mamanga, jetez les verges au feu, elles sécheront.
Mené à la chapelle de la salle du bal, puis au jardin du
Tibre , le long des palissades hautes, il dit : Je n ai jamais
passé ici. Il se fait entretenir des chiens quej'avois à
Vaugrigneuse, demande s'ils prennent bien le loup. A
deux heures» monté en la chambre de sa nourrice, il va
voir M. de Verneuil, qui étoit enrhumé, puis descend en
la petile chambre du demi-pavillôn qui étoitsur la 1er-
IlÉROAnD. — T. I, 16
248 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 3, samedi, à Fonlainehleau. — Il fait coucher avec
lui la lettre que le Roi lui avoit écrite.
Le 4, dimanche, — Il se fait marquer une lettre pour
écrire à la Reine. M. de Saint-Géran, prenant congé de lui,
lui demande s'il lui plaît, qu'il dise à papa qu'il lui en-
voie quelque chose, il répond : Ho t non, il faut rien
demander à papa.
Le 5, lundi. — M"** de Montglat lui remontroit qu'il
falloit bien recevoir les étrangers quand ils le vien-
droient voir, et commandoit que lorsque l'on en verroit
à la basse-cour on les fit venir. — Qui ? ces moines ? qu'on
fasse venir ces moines? — dit-il; c'étoient des moines do
poterie dont il jouoit, et il disoit ceci en raillant (1).
Il chanloit; quelqu'un dit que le Savoyard de M. de
Verneuilétoitbon basse-contre, le Dauphin répond : C'est
un basse-contre de village. Je lui dis : a Monsieur, vous
l'éles donc aussi, car vous êtes né à Fontainebleau. » Il
ditsoudain etsec : Je suis né au château ! Mené au jardin
du Tibre, il se promène en la dernière allée, le long de
la muraille. On Tamuse à voir nettoyer un pourceau;
quand le boucher le voulut éventrer il s'en alla, et ne le y
sut-on arrêter.
Ze6, mardi, — Uvaaujeudepaume couvert pour y voir
courir un blaireau. Il fait faire la cornemuse au chien Pa-
taut^ par Indret (2), dont il rioit à outrance, lui qui n'é-
toit pas grand rieur (3). A neuf heures et demie mis au
lit, il se prend à en conter sur les peintures qu'il a faites,
d'un bois, d'une montagne, du ciel ; qu^il n'a voit pas les
couleurs pour faire les ombrages du soleil et de la lune;
ique demain il achèvera, peindra la chasse au blaireau
(1) Nous ne citons ce mot que pour faire connattre les produits de la poterie
de Fontainebleau.
(2) Joueur de luth.
(3) Héroard a consigné plus haut , le 25 octobre 1605, cette observation qui
caractérise déjà Louis ^}]J,
FÉVRIER 1607. 240
pour la présenter à papa; il n'en pouvoil sortir tant il y
prenoit de plaisir.
Le 7, jmercrediy à Fontainebleau. — Il s'assied et ac-
commode une petite toile carrée et la cloue sur un petit
ais pour peindre dessus , ayant auprès de lui le petit-fils
de Tun de ses jardiniers, qui savoit peindre et qui lui
montre. Ille suit avec son pinceau froidement, attentive-
ment, dextrement et avec vouloir et affection d'ap-
prendre. Ce désir l'avoit fait lever plus matin que de
coutume; il yavoit de l'inclination comme aux autres
sortes de mécaniques. Ayant achevé son bocage, il dit au
petit peintre : Faites Vacoustrer, — « Monsieur, lui dit le
peintre, y ferai-je faire un châssis? » — Oui, oui. — « Mon-
sieur, je n'ai point d'argent. » — Mamanga, donnez-moi
de Vargent pour faire un châssis à mon petit tableau. Elle
lui baille deux quarts d'écu; il va au peintre, et lui dit :
Tenez^ velà deux qua d'écu, gardez-en un pour en faire un
autre. A quatre heures et demie arriva le sieur Pierre
Pechius, ambassadeur de TArçhiduc et de l'Archidu-
chesse, infante d'Autriche, lui disant avoir charge et com-
mandement de leur part de venir savoir des nouvelles de
sa santé , de lui baiser les mains et lui dire qu'ils prioient
Dieu pour sa conservation. Il en dit autant à Madame, et
lui présenta de la part de la sérénissime Infante , sa mar-
raine, un présent de reliques qui étoient des os de sainte
Elisabeth (1), à laquelle elle avoit une partictrlière dévo-
tion, etqu'en cette considération, et pour ce qu'elle avoit
le même nom comme elle, la prioit d'y avoir une pareille
dévotion. C'étoit une chaîne de diamants, où tenoit au
bout une enseigne de diamants, en laquelle étoit la re-
lique; le tout pouvoit valoir deux mille écus.
(I) Madame (Elisabeth de France) avait été tenue sur les fonts du baptême
le 14 septembre précédent par Diane de Valois , duchesse d'Angoulême, au
nom de l'inrante Isabelle-Claire- Eugénie. On sait que le nom d^£lisabeth est
le même que celui d^lsabelle.
250 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 9, vendredi y à Fontainebleau. — Il dessine un jardin
carré, fossoyé , dans une allée , l'ordonne, y fait planter
des choux y arrache lui-même des troncs et les y porte.
Ramené en sa chambre, il tire de son pupitre le paysage
qu'il avoit fait avec le petit peintre ; M*"** de Montglat lui
dit : ((Monsieur, il vous faut écrire. » — Nony Mamanga^
qu'on aille guéri le petit peintre; il aimoit la peinture.
Le 10, samedi. — Pendant la messe, le Dauphin montre
à lire dans son livre à Madame, lui apprend et fait dire sa
petite oraison, qu'il aimoit fort : « Seigneur Dieu et Père,
je te supplié de m' assister par ton Saint-Esprit, et par
icelui me conduire et gouverner tellement que tout
ce que je ferai, dirai ou penserai , soit à ton honneur et
gloire, au salut de mon âme et à l'édification des
tiens. » Mené au jardin des pins, il s'amuse à remuer terre
et bois pour faire un jardin et un pont. Après souper
le sieur Outrebon, chantre du Roi, arrive portant
nouvelle que le Roi arriveroit demain. Le Dauphin rou*
git et tressauU de joie et de crainte de ce jardin qu'il
avoit fait. // faut V aller ôter, dit-il, de peur gue papa ne se
fâche. Il fut volontiers parti tout à Theure pour l'aller
ôter.
Leiiy dimanche. — A deux heures trois quarts le Roi est
arrivé; il court au-devant de lui, lui embrasse la cuisse,
puis lui saute au cou ; le Roi le mène à la conciergerie,
où il alloit loger. Il s'est longtemps joué au Roi dans le
cabinet. M. de Brèves, ambassadeur pour le Roi en Le*
vaut, donne au Dauphin un cimeterre avec la cein-
ture , valant huit cents ou mille écus, un vase de terre
sigillée, un lapis-bézoard , un arc turquois et un trous-
seau de flèches.
Le 12, lundi. — Éveillé à six heures, mis dans le lit
de M"** de Montglat entre son mari et elle (1). En priant
Dieu il dit de lui-même gaiement : Dieu doint bonne vie à
(1) Héroard a mis en note, à la marge : Insignis impudenda.
FÉVRIER 1607. 251
papùy mon bon ami. A dix heures et demie mené par la
grande galerie au jardin des gazelles, au Roi ; il court de-
vaut lui après H. de Verneuil, à qui courra le mieux, saute
au saut de l'allemand. Le Roi lui dit : «Mon fils, dites à
M. de Souvré qu'il coure après vous. » — S'il vous plait de
lui commander, papa, répond le Dauphin , doucement^
froidement^ promptement. Le Roi le lui commande par
trois fois ; il fit toujours la même réponse. A onze heures
il entend la messe avec le Roi, qui le mène en la con-
ciergerie, par le jardin , et^ à midi, dîné avec lui. Ra-
mené en sa chambre à une heure et demie, il écrit le rôle
de sa compagnie : La Rose (H. le Chevalier), capitaine;
La Verdure (le Dauphin), mousquetaire; La Violette
(M. de Verneuil), harquebusier. A trois heures goûté;
on lui demande s'il veut pas voir danser la mariée? —
Je m'en soucie bien! belle mariée de village! Il va toutefois
à la salle du bal^ où il la voit danser un quart d'heure j
puis va en la conciergerie, en lachambre du Roi, quiétoit
allé se promener au grand canal. A cinq heures le Roi re-
vient en sa chambre, il lui donne le bonsoir, le Roi le
renvoyant en sa chambre. A huit heures trois quarts dé-
vêtu, mis au lit, prié Dieu : Dieu doint bonne vie à mon
père, mon bon ami, à ma mère, ma bonne amie. M"® de
Hontglat lui demande : « Aimez-vous bien papa? » —
Oui. — c( Comment Faimez-vous? » — Je Vaime plus que
Pataut (le chien de sa nourrice). — « Monsieur, il ne
faut pas dire ainsi ; il faut dire plus que vous-même. » —
Plus que moi-même! eh! il ne faut pas aimer soi-même, il
faut aimer des hommes, mais pas soi-même.
Le 13, mardi. — 11 va voir le Roi à la conciergerie;
diné avec le Roi. Il joue à la paume avec le Roi, et
chaque fois qu'il servoit (l),il baisoit la balle. A six heures
trois quarts soupe avec le Roi ; à sept heures trois quarts
ramené en sa chambre. A huit heures et demie le Roi
(1) Servir, en terme du jeu de paume , signifie envoyer la balle le premier.
252 JOURNAL DE JEAN HEROARD.
y vient pour y voir jouer la comédie de quatre du bourg,
(sic).
Le 14, mercredi, à Fontainebleau. — Mené par les étuves
au Roi; en la conciergerie , il lui dit adieu; le Roi part
pour s'en retourner à Paris à huit heures trois quarts.
Le 15 y lundi. — Il est chaussé de chausses de serge
jauue qui montoient jusques à la cuisse; c'est la première
fois. A dix heures et demie mené à la chapelle puis joué
en la salle, dansé par contrainte, pour ce qu'il y avoit
deux hommes étrangers, et il disoit qu'il ne vouloit
pas danser pour donner du plaisir, en est en mauvaise
humeur, veut faire danser M""® de Montglat, la frappe,
lui donne un grand coup de poing sur la poitrine. A
onze 'heures trois quarts ramené en sa chambre, dîné;
il dit à son page : Bompar, allez faire parler le perro-
quet tout le long du dîner. A trois heures et demie goûté.
Ma femme arrive de Vaugrigneuse ; il lui fait l'honneur
de se lever de sa chaise, et lui porte au-devant sa main
à baiser, lui demandant : Où est la petite Oriane? C'é-
toit une petite chienne; on l'envoie quérir ; il lui fait
mille caresses. Il advient à M. le Chevalier de s'asseoir
dans sa chaise ; il le voit, et lui dit : Otez-vous de ma
chaise, féfé. 11 le dit deux ou trois fois ; il n'en faisoit
rien ; il s'en va promptement à M"* de Montglat, et lui
dit : Mamanga , j'aime mieux ma petite sœur que féfé Che-
valier, parce quil n'a pas été dans le ventre à maman avec
moi, comme elle, et il est assis dedans ma chaise.
Le 16, vendredi. — M. de Gressy disoit à la nourrice
du Dauphin que M. Hoquet, son mari, reviendroit de
Sens, où il étoit allé, sur la mi-nuit; elle disoit que non.
— Cest qu'il songea la coignée, dit le Dauphin; le sieur
Boquetlui avoit promis de lui rapporter une petite co-
gnée à son retour de Sens.
Le 17, samedi. — 11 danse avec Madame la volte, la
courante. A trois heures goûté; bu un bon coup dans
la coupe d'argent doré que M"*' de Loménie lui avoit
FÉVRIER 1C07. 258
donnée. A cinq heures viennent les ambassadeurs des
villes Anséatiques et Teutonique , venant de la Cour et
s'en allant en Espagne.
Le 18, dimanche y à Fontainebleau, — 11 se va promener
en la galerie ; M*"*' de Montglat lui montre la peinture
d'un léopard, lui demande que c'est; il répond : Je sais
pas. — a Monsieur^ c'est un léopard. » — Il ressemble
à de Hoey (1). C'étoit un peintre; il éloit vrai. Il avoit
l'imagination fort bonne. M. de Maleville lui montre une
voile de navire^ et lui demande : <( Monsieur, à quoi sert
une voile ?» — C est pour faire aller le navire , car le vent
le pousse. Il y avoit des H peintes, M™* de Montglat lui
demande : «Quelle lettre est cela? » — C'est un H; quand
je serai grand je ferai mettre des L auprès.
Le 20, mercredi. — Il se fait habiller en chambrière
picarde, masquée, se fait nommer Louise, suit M^^' de .
Vendôme coiffée en bourgeoise, qui dit que c'est sa
chambrière, et se garde de parler de peur d*étre reconnu.
M. le Chevalier les conduit, disant que c'est de la mar-
chandise qu'il emmène du Levant.
Le Hymercredi. — Il écrit au Roi par moi (2), lui en-
voyant la petite Oriane, chienne de ma femme; en écri-
vant au Roi, il a demandé Si maman lui écrirait pas?
On lui a répondu qu'elle n'écrivoit qu'au Roi. — Papa
m'a dit que maman fait force pâtéSy mais si elle m^écriiy
encore qu'il y ait des pâles, je garderai bien la lettre.
Le 22, jeudi. — Il commence à apprendre des mots
latins, qui lui sont appris par M. Hubert, médecin du
Roi , venu pendant mon absence.
Le 23, vendredi. — Il écrit au Roi. A six heures et demie
soupe; il voit jouer une farce à Laforest.
Le 27, mardi. — A onze heures dîné; il se fait habiller
en bergère. A deux heures et demie goûté, dansé, joué;
(1) Claude tle Hoey, peintre du Roi.
(2) Héroard partait pour se rendre à Paris, auprès du Roi.
254 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
il eDtead le tonnerre^ va à M"'' de Hontglat, et lui dit :
Mamanga, faites-moi prier Dieu.
Le 28 fèvrierf mercredi. — Mené à la chapelle de la
salle du bal^ il a pris des cendres.
Le 1*' marSy jeudis à Fontainebleau. — Il dit que quand
il verra qu'il voudra être opiniâtre y il s^en ira mettre
en un coin pour dire son Pater y afin de chasser inconti-
nent le mauvais ange qui le fait être opiniâtre.
Le 2, vendredi. — Éveillé à six heures^ amusé dans son
lit jusqu'à sept heures et demie ; fouetté comme je suis
entré en la chambre. J'ai trouvé M"* de Montglat en co-
lère contre lui et marrie de ce que j'ai rencontré la
chambre ouverte. A onze heures diné ; il est venu un
ambassadeur de la part de l'Électeur Palatin (1) qui lui
a présenté une lettre de la part du comte Frédéric, comte
Palatin , dont voici la copie :
Monsieur, je me persuade que vous ne Taures point desagréable si
je prens la hardiesse de me servir d'une si bonne occasion pour vous
représenter la joye extrême que j'ay de vostre prospérité et vous
donner les asseurances de ma très-humble dévotion à voir fleurir
vostre grandeur. C'est, Monsieur, tout mon désir que d'ensuivre les
traces de mes prédécesseurs au bien et service de la corone de France,
et d'esprouver un jour ceste protestation de mon zèle pour mériter
rhonneur de vostre bienveillance et bonne grâce et demeurer à ja-
mais, Monsieur, vostre plus humble et très-affectionné à vous faire
service. Fbiderich gomtb Palatin.
De Heydelberg, ce 19 de janvier I6O7.
Le 7, mercredi. — Les députés de Bretagne le viennent
voir.
Le 8> jeudi. — Il écrit au Roi une lettre en latin , faite
par H. Hubert, une autre en françois à la Reine.
Le 30, vendredi. — 11 s'est botté pour aller environ
une lieue au devant du Roi^ qui le fait mettre dans son
(1) Frédéric IV, né en 1574, comte palatin du Rhin en 1583, mort à Heî-
delberg, le 9 septembre 1610.
AVRIL 1607. 255
carrosse, où il le ramène au château. Après souper il va
voir le Roi et la Reine (1).
Le 31 mars, samedi. — Il va chez le Roi, lui donne sa
chemise , puis va avec lui se promener au grand canal,
puis à la chapelle. Mené chez M. Zamet, où dinoitle Roi.
Le 5 avril, jeudi, à Fontainebleau. — Mené à la cha-
pelle, puis allé chez la Reine ; le Roi revient de la chasse;
dîné avec le Roi (2). J'arrive à cinq heures (3); il vient
au devant de moi, me demande l'arbalète à jalet que je
lui avois promise. Je la lui doune, il frétilloit après. A
huitheures et demie mené chez LL. MM., il leur donne le
bonsoir.
Le 6, vendredi. — Déjeuné d'un bouillon aux herbes
avec un jaune d'œuf,, M"** de Montglat m'ayant dit que. le
Roi avoit commandé que l'on lui fit manger maigt*e les
vendredis, et qu'il le vouloit
Le M, mercredi. — Il fait des demandes à un faucon-
nier du Roiy qui portoit un faucon volant pour rivière*,
s'entretient avec lui. Mené chez le Roi, qui étoit malade
de fièvre de rhume; à six heures il sert le Roi à souper.
II ne veut point ouïr parler de laver le lendemain les
pieds aux pauvres, et dit : Je neveux point, ils sont puants.
Enfin il se surmonte peu à peu, le Roi lui ayant dit qu'il
vouloit qu'il le fit en sa place, ne pouvant y aller.
Le 12, jeudi. — On lui demande s'il lavera bien les
pieds aux pauvres, il répond : Ho ! que non! je les laverai
(1) Le Roi écrivait à la Reine vers le 20 mars ; « Mon cœur, j*espère vous
voir demain ayant fait ici an petit de Tonds.... Mais bien yous assurerai-je que
Min^^ des Essars n\v a point puisé en passant. » M^e des Essars se trouvait à
ce voyage de Fontainebleau, comme on le verra à la date du 2 août suivant et
au 11 janvier 1608. La première fille naturelle du Roi et de M>nedes Essars
naquit en janvier 1608, et fut légitimée dans le mois de mars suivant.
(2) La lettre du Roi à M"»® de Montglat, datée du 5 avrii à Fontainebleau, et
que M. Berger deXivrey a classée à l'année 1607, doit être antérieure, puisqn'à
cette date M<ne de Montglat est à Fontainebleau avec le Roi et le Dauphin.
(3) Hétoard ét&it absent depuis les premiers jours de mars, et le journal
tenu par rapotliiciire Guériu est beaucoup plus concis pendant cette période.
2S6 JOURNAL DE JEAN HfcROARD.
bien aux filles^ non pas aux garçons. 11 ne y avoit point de
moyen pour le persuader à laver les pieds aux pauvres,
le jour de la Cène : Non, je ne veu^ point; ils ont les pieds
puants. A neuf heures déjeuné; mené chez leRoi| qui lui
demanda sUl feroit bien la cérémonie en sa place, il
répond : Oui, papa. A dix heures mené à la salle du bal,
où il entend le sermon de M. Tarchevêque d^Embrun,
pendant lequel il s^amuse à piquer du papier avec une
épingle, figurant des oiseaux et autres animaux. Après
la cérémonie de Tabsolution , il est conduit sur le
théâtre (1) pour laver les pieds aux pauvres, par force,
accompagné de MM. le prince de Condé, prince de Conty
et comte de Soissons, lesquels servirent à la céré-
monie, comme si le Roi y eût été présent. Quand il ap-
procha du premier pauvre, il reconnut son bassin , où
l'on vouloit verser l'eau pour le lavement; cela le con-
firma en son humeur, et ne put jamais être forcé seule-
ment pour se baisser, reculant et pleurant. Les aumô-
niers en firent l'office devant lui. Au servir de la viande,
il ne voulut jamais prendre ne toucher à aucun service
que Ton lui présentoit, mais bien aux bourses, et les
donnoit fort gaiement. Tout fini, il en fut fort réjoui (2).
(1.) Sur une estrade.
(2) 11 est curieux de lire, après le récit d^Héroard, celui que le P. Dan fait
de la même cérémonie, n Un chacun sait que nos rois très-chrétiens , par une
cérémonie autant remarquable qu'elle est pleine de piété, ont coutume tous
les ans, le jeudi sainte de laver les pieds à treize pauvres, à Timitation du
Sauveur des humains, qui par un excès d'humilité daigna bien faire le sem-
blable à Pehdroit de ses apôtres. Sa Majesté étant donc dans ce lieu de Fon-
tainebleau à pareil jour. Tan mil six cent sept , toutes choses bien préparées
et bien ordonné(;s pour cette cérémonie, et pour en faire ensuite une autre que
Ton appelle la Cène, qui se pratique servant les mômes pauvres en table , le
Roi envoya dire qu'il vouloit que Monseigneur le Dauphin fit ce jour-là cette
action purement royale au lieu de Sa Majesté, et que ses officiers lui déféras-
sent alors les mêmes honneurs et services qu*à sa personne propre.... Ce
commandement reçu, le sieur de Vitry, avec ses gardes, s'en va accompagner
Monseigneur le Dauphin en la salle du bal , où se fait d'ordinaire celte pieuse
et très* louable action. Alors Monseigneur l'archevêque d'Embrun étant monté
en chaire commença celle cérémonie par une belle exhortation , montrant que
AVRIL 1607. 557
Mené chez le Roi, puis en sa chambre, et, à midi, dîné.
Il va jouer à la galerie, y fait courir un levrault par Pa-
tauly l'un de ses chiens, va chez le Roi. M. de Guise lui
montroit son épée, lui disant : «Monsieur, voilà une belle
épée. » — D'oùVavezvous eue! — «Monsieurje l'ai achetée
en Turquie. » — Vous êtes un moqueur. — La Reine voulant
aller faire la Cène lui dit : « Mon fils, voulez-vous pas venir
laver les pieds aux pauvres? » 11 va avec la Reine. M"** de
Montglat lui demandoit pourquoi il n'avoit pas voulu
le matin laver et baiser les pieds aux malades, et que le
Roi le faisoit bien, lui quiétoitle Roi; il répond: Mais je
suis pas le Roi!
toute action du Fils, de Dieu incarné étant notre instruction, et par le lave**
ment des pieds de ses apôtres ayant témoigné une action signalée dMiumilité,
c^éloit donc cette vertu que tous ciirétiens dévoient soigneusement pratiquer.
K L'exhortation achevée, les princes et officiers de la couronne assistant et
servant Monseigneur le Dauphin se présentèrent ; Tun prit le^ bassin et Tautre
Taiguière , tandis que Monseigneur le Dauphin lave , essuie et baise les pieds
des pauvres, lesquels, selon la coutume, avoient premièrement été visités
par le médecin du Roi, pour reconnollre s'ils n'avoient point quelque maladie
dangereuse, et auxquels l'on avoit rasé les cheveux, comme aussi on les avoit
revêtus d^écarlate, avec chacun un grand linge de fine toile qui les couvre
jusque sur les pieds; le fout selon la pratique ordinaire.
« D'abord Monseigneur le Dauphin fil quelque petite difficulté de laver et
baiser les pieds de ces pauvres, son âge tout foiblet ne lui pouvant faire
comprendre cette cérémonie , et croyant que l'on se vouloit rire de lui , sur
ce qu'il voyoit que tous les princes et seigneurs, tète nue, le servoient, et
que lui l'ut ordonné pour jservir ces pauvres; mais aussitôt jetant la vue der-
rière lui et voyant Monseigneur le comte de Soissons tenant sou bâton de
grand maître , qui venoit en cérémonie , suivi de tous les matires d*hôtel du
Roi qui précédoient les mets pour servir et donner à ces pauvres , il corn*
mença à sourire, et se porta alors d'affection à faire cette action célèbre de
piété , reconnoissant quMl n'y avoit point de moquerie.
« Les services de chaque pauvre étant de treize plats , furent tous portés
par des princes ou seigneurs de marque» entre lesquels étoient Mffc|e prince de
Condé, MKr le prince de Conty , Msr le duc de Vendôme et Me^r le duc de
Guise , et quand il fallut donner à chacun de ces pauvres treize écus d'or,
accoutumés leur être alors aumônes, ce fut où Monseigneur le Dauphin témoi*
gna une grande allégresse, et ainsi fmit cette cérémonie et action purement
royale, action que l'on ne lit point avoir été jamais faite auparavant par
aucun Dauphin ou autre enfant de France. » ( Le Trésor des merveilles de
Fontainebleau, p. 285-7.)
BÉROARD. — T. 1. 17
258 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
•
Le 13, vendredi, à Fontainebleau, — Mené au jardin des
pins, il visite son jardin, où il avoit semé des pois et des
fèves, puis travaille avec une bêche pour faire une
coulée à jouer aux œufs de Pâques. 11 va chez le Roi,
qui étoit malade de fièvre de rhume.
Le \k, samedi. — Mené à la chapelle de la salle du bal,
il va à confesse.
Le ih, dimanchey jour de Pâques. — Mené en la chambre
du Roi, d'où il regarde le Roi touchant les malades et
arrivant au droit des fenêtres (1), lui ôte le chapeau et
dit : Bonjour, papa, en contraignant sa ^oix par respect,
ne le voulant pas détourner de la cérémonie.
Le 16, lundi. — La Reine va en la grande galerie
ayant quelques petites douleurs pour accoucher; y étant
arrivée, les douleurs la pressent, elle retourne en sa
chambre, où, ne faisant que d'entrer, les douleurs lui re-
doublent et les eaux se percent. En se couchant le Dau-
phin disoit que si la Reine faisoit un petit frère il feroit
tirer son canon ; mais si c'étoit une fille : Je m'en soucie
bien! La Reine accoucha de Monsieur, duc d'Orléans (2),
à dix heures et demie du soir, fort heureusement, le
vingtième jour de la lune de mars. En le voulant remuer
on lui vit la quille droite, ferme; je l'ai maniée.
Le 17, mardi. — 11 va voir M. d'Orléans , lui fait de
grandes caresses. M. de Rosny vient voir le Dauphin, et
lui demande : ci Monsieur, avez-vous besoin de quelque
chose? demandez-le-moi. » Ayant songé et branlant la
tête, il répond : Rien. Peu après sa nourrice lui dit :
c( Que n'avez-vous dit à M. de Rosny qu'il me fit bail-
ler un lit? » — Hé! Dondon, je Vy ai demandé tant de
(l]t Le Roi toucliait les malades dans une allée du jardin. Voy. Le Trésor
des merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, p. 178.
(2) Cet enfant mourut àSaint-Germain-en-Laye^ le 17 novembre 1611, sans
avoir reçu de prénom; il ne laut pas le confondre avec Gaston, né Paonée sui-
Tante, et qui ne prit le .titre de duc d^Orléans qu'après la mort de ce second
fils de Henri IV.
AVRIL 1607. 259
fois, et il n'en fait rien, dit- il, comme s'en plaignant.
Le 18, mercredi^ à Fontainebleau, — A dix heures il
monte en la chambre de Monsieur pour le voir ondoyer; il
le fut par M. le cardinal de Sourdis. M""" Bélier dit au
Dauphin : « Monsieur, il faut bieh maintenant prier Dieu
pour Monsieur votre frère, qu'il lui fasse la grâce de le
bien garder ; » le Dauphin s'en prit à pleurer, mais douce-
ment. Le sieur Pietro Alsense, commandeur de Malte,
Sicilien, le vient voir; il avoit fait sa nativité (1); puis
je le menai pour voir Monsieur, pour faire la sienne.
Le 19, jeudi. — A neuf heures déjeuné ; M. de Sully
y vient; on le veut persuader à lui demander quelque
chose, il n'y est porté que par force et par acquit. Il prie
pour un lit à sa nourrice; puis, M'^^de Montglat le priant
pour Indret, joueur de luth, et pour M. Birat, M. de Sully
dit : a Monsieur, ne s'en soucie pas. » — Si fait, dit-il sou-
dain; puis M. de Sully lui demande : « Qui sont ceux de
céans que .vous aimez le mieux? » — Il répond soudain :
Indret et Birat, pour les recommander sur cette occasion,
ne lui ayant point voulu parler auparavant. — Cette
nuit, sur les deux heures après minuit, deux sentinelles,
l'un suisse et l'autre françois, ont aperçu en l'air un
grand aigle blanc qui a fait le tour du château et, arrivé
à l'horloge du braquemart , est disparu rendant comme
un coup d'arquebuse. Us l'ont ainsi rapporté au Roi (2).
(0 Son thème de nativité. Malherbe, dans une lettre à Peiresc du 23 mars
16l0y dit en parlant de M. d'Orléans : « De tous les enfants du Roi, c*est
celui, à ce que l'on dit, qui a le plus grand horoscope. »
(2) Héroard a mis en note, à la marge : Meteorum augurium aquila. Voici
comment ce fait est rapporté par le P. Dan. : « Quelques jours après ( la nais-
sance du duc d'Orléans), qui fut la nuit du dix-neof au vinglièmedu même
mois, environ les deux heures du matin, fut vil, ¥enant comme de dessus
la chambre de la Reine, la forme d'un aigle environné d'ime grande lumière,
qui passa sur le jardin près de Thorlogc avec un grand éclat, comme d'un
coup de tonnerre ou de canon; et le rapport en fut fait le lendemain au Roi
par deux sentinelles, Tun françois et l'autre suisse,, qui étoient alors en faction,
et jurèrent avoir vu la chose ainsi. Ce qui (it avancer plusieurs beaux dis-
17.
260 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 20, vendredi^ à Fontainebleau. — Le DaaphiD aper-
çoit le Roi au jardin ; od ne le peut plus retenir, il y
court. Il voit remuer M. d'Orléans, et considérant sa main
dit en souriant : Hél voyez sa petite main! Je lui dis :
a Monsieur, c'est de celte main dont un jour il vous fera
service. » 11 advint qu'à l'instant il haussa le bras droit,
tenant le poing fermé, ce que chacun interpréta à bon
augure, et lui (le Dauphin) Talloit contant à chacun.
Ir€21, samedi. — Il dit ses quatrains et quelques sen-
tences. (1); entre autres M"* de Montglat lui faisoit dire :
a L'humilité est le chemin de l'honneur; » il dit de lui-
même : Vhumililé est le chemin de la gloire qui conduit à
l'honneur.
Le 22, dimanche. — Diné avec le Roi; le Roi mangeoit
coursa Tavanlagede ce jeune fleuron des lys. Les uns {Mathieu en Phis-
toire de Henry IV) disoient que cet aigle étoit un présage de la future
grandeur de ce petit prince, auquel le Ciel sembloit promettre Tempire. et
que f on nom, comme un coup de tonnerre, éclateroit par tout Tunivers. Les
autres en faisoient diverses prédictions non moins favorables; mais la fin a
montré assez quMl ne faiit rien s'assurer sur tels et semblables signes et mé-
téores, car le quatrième an et six mois de son âge mourut ce petit duc d'Or-
léans, à Saint-Germain-en-Laye. Et s'il y avoit lieu de faire jugement sur tel
signe, il y avolt plus d'apparence de dite que, comnie un éclair et un coup
de tonnerre, cet aiglon royal passeioit promplement de cette vie en l'autre. »
( Le Trésor des merveilles de Fontainebleau^ page 275.)
Malherbe écrivait à Peiresc, le 2G avril 1607 : « Il fut vu par les gardes un
certHÎn feu en forme d'oiseau, qui s'éleva du jardin des Canaux, pa<:sa par
dessus le Court du Cheval et pardessus le château, alla crever en le Court
du Donjon, à l'endroit de l'horloge, avec un grandissime bruit; on dit comme
d'un pétard, mais s'il eût été aussi grand, il eût réveillé tout le monde, ce
qu'il ne fit pas. Le Roi, comme cela lui fut récité, s'en réjouit fort, et dit que
souvent, devant des batailles et en des sièges de villes et autres entreprises,
il avoit vu de semblables choses, mais toujours avec bonne issue, et qu'il es*
péroit que s'il avoit la guerreil ferolt bien ses affaires. ^^{Œuvres de Malherbe,
éd. L. Lalanne, I8r>2, iu•8^ t. III, page 33.)
(1) Les quatrains de Pibrac et les proverbes de Salomon. Voici comment
Héroard eu parle dans son livre de V Institution du Prince : n Aussitôt
qu'ils sauront (les princes) tant soit peu lire, je suis d'avis qu'on les exerce
dans les Proverbes choisis de Salomon, les quatrains du sieur de Pybrac,
puis certains auteurs qui ont écrit des petits contes sous des noms feints,
mais qui portent leur sens moraL »
AVRIL 1C07. 261
du revenu du cerf, le Dauphia dit à M"^ de Montglat :
Mamanga,je voudrais bien manger de cela. — « Monsieur,
lui dit-elle, il n'en faut pas demander. » Comme le Roi
eut achevé, le Dauphin lui dit : Papa^ donnez-moi de cela ^
s il vous plaît. — « Il n'y en a plus, lui dit le Roi : que ne
m'en avez- vous demandé? » Le Dauphin lui répond en
hoignantun peu : Papayj'envoulois bien demander, mais
Mamanga na pas voulu.
Le 23, lundi, à Fontainebleau. — Mené chez le Roi,
qu'il trouve dînant et MM. de Vendôme et le Chevalier
avec lui; il s'en pique en lui-même, n'en fait point sem-
blant, se met auprès du Roi, qui le choque sans y penser
ni s'en apercevoir; il se retire et se prend à pleurer, et
pour prétexte de son déplaisir dit qu'il croit que Papa
est fâché contre moi puisqu'il m'a battu. L'on le dit au
Roi, qui l'apaise et le fait diner avec lui.
Le 24, mardi. — Mené chez le Roi, qui venoit d'être
saigné, puis à la chapelle et ramené en sa chambre.
M""** les princesses de Conty, de Martigues (1) et de Mer-
cœur (2) le viennent voir» M™Ma princesse de Conty lui
dit, se voulant jouera lui : ce Monsieur, je veux que vous
m'appeliez Madame. » — Jeveuxpas. — « Je vous appellerai
donc griffon. » — Je vous appellerai chienne. — ce Je vous
appellerai petit renard. » — Je vous appellerai grossebête,
et, montant sur un placet (3), il lui porte sa main vers
le front en faisant les cornes et lui disant : Je vous ferai
porter ces armoiries. — « Ce ne sera pas vous qui me
les ferez porter, » répliqua-t-elle, se trouvant un peu hors
de train.
Le 26, jeudi. — Il va en la galerie, où il fait appeler la
(1) Marie de Luxembourg , duchesse de Penlliièvre, vicomtesse deMnrti-
gués, veuve le 19 février 1602 de Piiilippe-Emmanuei de Lorraine» duc de
Mercœur.
(2) Catherine de Lorraine, veuve de Nicolas de Lorraine, duc de Merc(jeur,
beau- père de la précédente, mort en 1677.
(3) Sur un tabouret.
362 JOURKAL DE JEAN HÉROARD.
musique de la chambre du Roi pour l'entendre; il
aimoit la musique et Faiyoit toujours aimée avec trans*
port.
Le 28 avril, samedi. — Mené voir M. de Montglat, qui
avoit la goutte, il le trouve levé, assis, et son pied sur un
de ses carreaux de velours vert; il s'en aperçoit, s'en re-
tourne tout court, en colère, disant entre ses dents : Ho I
il a son pied sur mon carreau, et puis on le mettra sur mon
visage! M"^ de Montglat ne l'en peut apaiser par aucune
promesse, il s'en va. M. Guérin lui dit : « Monsieur, il
vous lui en faut donner un, puisque vous en avez deux.»
— Ho! c'est un bel homme pour l'yen donner. Indretluidit :
c( Monsieur, il faut que vous les lui donniez tous deux. »
— Je m'en soucie bien; si c'éloil vous, qui êtes pauvre, je
vov^ le donner ois; mais il est riche, qu'il en achète !
Le 29, dimanche. — On parloit du Pape, il demande :
Le Pape est-il pus riche que papa? Quelqu'un répond ;
«Oui». — Je l'aime donc point. — Uétoit dans labalustre,
voyant remuer M. d*Orléans; son aumônier lui demande
s'il vouloit pas bien être cardinal? — Non, ce sera pour cet
homme, dit-il en mettant la main sur la tète de M. de
Verneuil(l).
Le i"mai, mardi, à Fontainebleau. — Il avoit une robe
neuve , vert©; avec du passement d'or et de soie ; il de-
mande : Pourquoi y a-t-ypas du passement tout d'or? Le
nonce du Pape le vient voir, l'embrasse. M""^ de Montglat
lui dit qu'il demande comment se porte le Pape , son
parrain ; le Dauphin, branlant doucement la tête, dit à
demi-voix : Je ne saurois faire cela, il est trop mal aisée
Amusé à peindre en crayon à mesure que M. Decoùrt,
peintre du Roi, le pourlrayoit en crayon ; il demande :
Faut-il mettre du bleu aux yeux ? II aimoit la peinture et
y avoit de l'inclination.
(1). M. de Verneuil était destiné à entrer dans les ordres.
MAI 1607. 263
Le Sj jeudi, à Fontainebleau, — Mené chez le Roi, puis
chez la Reine, il donne le bonsoir à Leurs Majestés (1).
Le 5, samedi, — Il joue assis pour être peint en crayon
par M. Decourt, peintre du Roi ; pour l'arrêter (2) Ma-
thurine fait chanter trois petits garçons; rien ne l'arré-
toit tant que la musique , il l'écoutoit avec transport.
Le 6, dimanche. — On lui avoit fait faire un pourpoint
de toile blanche doublé de taffetas, un haut-de-chausses
de même. J'en veux points dit-il, il est pas beau; ho! j'en
veux point! M"^ de Montglat lui dit qu'il est de même
que celui du Roi ; que ce n'est pas pour le porter toujours,
mais quelques heures du jour, quand il fait chaud. Je
ne le porterai ni aujourd'hui ni tantôt; j'en veux un de
taffetas, comme celui de fefé Chevalier. — Je lui demande
de quelle couleur il le vouloit? — Je le veux rouge. —
a Monsieur, c'est la couleur des Espagnols; voici le mois
de mai, le voulez-vous vert? » — Ho! on diroit que je
serois fou!
Le 7, lundi. — Il joue avec une petite peinture de
Diane, en papier, que le jour précédent il avoit faite ,
remplissant avec la plume ce qu'on lui avoit tracé. Je
lui dis que les femmes portoient la lune en la tète, il ré-
pond soudain : Et les hommes le croissant! — 11 reçoit
une lettre de M. de laTrimouille (3), âgé de huit ans, qui
s'éjouissoit de la naissance dé Monsieur d'Orléans, mais
qui lui offroit son service à lui tout le premier. 11 serre
la lettre en son petit cabinet, puis dit : Je voudrois bien
lui écrire. M""^ de Montglat lui demande quoi? — Je sais
pas. — «Mais dites quoi. » Il songe en se promenant les
mains sur le derrière : Si veut venir avec moi à la guerre
(1 La lettre de Henri IV à M<"c de Montglat, datée du 3 mai à Fontainebleau,
et que M. Berger de Xivrey a classée à Tannée 1607, est de deux ans anté-
rieure.
(2) Le faire tenir tranquille.
(3) Henri de la Trémoille, né en 1599, lils de Claude, duc de Thouars et de
Charlotte de Nassau.
264 JOURNAL DE JEAN HÉROARD. /
qu'il y vienne j sinon quil n'y vienne pas ; s'il ne veut^ quand
je serai grand comme féfé Chevalier j'irai à la guerre avec
papa y je serai toujours avec papa.
Le 8, mardij à Fontainebleau, — Le Roi le mène au
jardin de la Reine, où il se joue jusques à six heures; le
Roi le ramène, et il a soupe avec lui ; il va en la chambre
de la Reine, puis ramené en la sienne il se joue sur le
tapis et chante en compagnie : Quand cette malheureuse
bande et Jean de Nivelle.
Le 9, mercredi. — M'"*' la comtesse de Moret accouche
d'un fils à dix heures (l) ; sur le bruit qui en couroit, on
dit au Dauphin : ce Monsieur, vous avez encore un autre
féfé. » — .Qui? qui est- il? demande -t-il , comme
ébahi. — « Monsieur, c'est M"® la comtesse de Moret qui est
accouchée d'un fils. » — Ho , ho! il n'est pas à papa! —
a Monsieur, à qui est-il donc?» — // est à sa mère y et n'en
voulut jamais dire autre chose, tout fâché et comme s'il
eût voulu pleurer. A midi dîné; il rêve en mangeant, et
demande tout à coup à M"® de Vendôme : Sœu-sœu Ven-
dôme, qui aimez vous mieuco , Mousseu de Longueville bu
Mousseu de Momorency ? — a Monsieur, je ferai ce qu'il
plaira à papa. » — Ho y ho ! vous êtes amoureuse de Mousseu
de Longueville (2). — M"*^ de Montglat l'instruisoit sur ce
qu'il auroit à faire et à dire à la reine Marguerite : Je
serai bien sage y je serai bien sage , dit- il brusquement.
Mené visiter la reine Marguerite, qui étoit arrivée à une
heure après minuit, il fait ses compliments par force;
ramené avec elle chez M. d'Orléans, d'où il s'échappe, il va
en sa chambre,, où il envoie quérir deux renardeaux pour
les faire courir en la galerie par son chien Pataut; il les
fait courir en présence de la reine Marguerite.
(1) Au château de Moret près de Fontainebleau, que Henri IV avait donné à
Jacqueline de Bueil. Cet enfant, légitimé en 1608, est Antoine de Bourbon,
comte de Moret, tué à la bataille de Caslelnaudary, en 1632.
(2) M'ic de Vendôme épousa en 16J9 Charles de Lorraine, duc d'Elbeuf.
MAI 1607. 265
Le 10, jeudi, à Fonlainehleau. — A peine avoit-il les
yeux ouverts qu'il est fouetté pour n'avoir pas fait, le
jour précédent; les compliments à la reine Marguerite.
Il s'en va avec le Roi chez la reine Marguerite.
Le i\, vendredi, — Il se joue de son petit canon, que
la Reine lui avoit donné; je lui demande qui lui avoit
donné ce canon? — Papa Va acheté, et maman me Va
donné. Mené par la galerie au jardin des pins y trouver
le Roi, qui promenoit la reine Marguerite. — Dîné avec
le Roi. — A neuf, heures du soir il est mené chez
Leurs Majestés, et va prendre congé de la reine Margue-
rite, qui devoit partir le lendemain. '
Le 12, samedi, — Il va conduire, jusques au carrosse,
la reine Marguerite s'en retournant à Paris.
Le 13, dimanche. — A souper il a deTimpaiience pour
aller à la fenêtre voir en la cour un cul-de-jalte jouer
du flageolet, et lui crie : Ne vous en allez pas, cul-de-jatte,
je lave mes mains. Il va voir le Roi, qui devoit partir bon
matin, lui dit adieu.
Le 14, lundi. — L'on vient demandera M"" de Mont-
glatsi on porteroit M. d'Orléans à la chambre de Madame;
il en est jaloux, s'en fâche, et le fait porter eç la sienne,
et permet qu'on le couche sur son lit; c'étoit une ex-
trême faveur.
Le 15, mardi. — Il va attendre la Reine en son petit
anticabinet, pour être le premier rencontré à sa première
sortie, relevant de sa couche, l'accompagne jusques à
la chapelle de la salle du bal. A onze heures trois
quarts, diné ; M"® la princesse d'Orange lui disoit : c( Mon-
sieur, qui aimez- vous mieux qui soit votre beau-frère,
ou le prince d'Espagne, ou le prince de Galles? » — Le
prince de Galles. — a Et vous , épouserez -vous Tlnfanle?
— fen veuxpoint. — Je lui dis : ((Monsieur, elle vous fera
roi d'Espagne. » — Non, je veux point être Espagnol. Il va
chez la Reine pour prendre le mot, et le donne aux ca-
pitaines.
266 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le iQ mai, mercredi, à Fontainebleau. — Mené chez la
Reioe et au jardin des pins, où il s'amuse; l'on porta une
cane pour y mettre des barbets après, dans la grande
fontaine; il s'en va, et jamais ne le sut on persuader de
l'aller voir; c'est qu'il ne la vouloit point voir faire
mourir. Il va sur la terrasse, où il voit la chaise percée
de M™' de Montglat, l'appelle, et tenant son nez bouché :
Mamanga, velà un lièvre en forme.
Le 18, vendredi, — Fouetté pour avoir fait le fâcheux
le jour précédent à la messe. A huit heures trois quarts
il va donner le bonsoir à la Reine et prendre le mot.
Le 19, samedi. — 11 va chez le Roi, qui arrivoit de
Paris; le Roi et la Reine viennent voir remuer M. d'Or-
léans; il y va, chasse M. le Chevalier d'auprès d'eux.
Xe21, lundi. — Il vient chez M. d'Orléans pour lui
donner ses premières brassières. A huit heures et demie
menéchez le Roi, il lui donne le bonsoir ; ramené il trouve
un suisse en la salle, assis dans sa chaise, entre en
extrême colère, veut qu'on l'envoie eh prison.
Le 22, mardi. — A six heures soupe; on lui vient dire
que le Roi alloit voir faire la curée du cerf qu'il avoit
pris; il achève de souper avec impatience, va par la ga-
lerie en mangeant son massepain, et va rencontrer le
Roi et la Reine, qui lui font voir la curée. Ramené en
sa chambre , il s'amuse sur le tapis de pied à faire de la
musique, chante lui-même : Ambroise, d'où venez-vous"!
Le 24, jeudi — Il s'amuse à peindre, se fait tracer par
un jeune peintre et remplit après avec un charbon, fort
sûrement; ayant bien commencé, il dit au peintre :
Achevez le demeurant (1).
Le 25, vendredi. — Mené au Roi et à la Reine, qui
soupoient; le Roi jette sur la table à Cadet, son chien,
de la menue dragée; le chien la lèche, M. le Dauphin
la ramasse et la mange.
(1) Ce dessin est conservé dans le manuscrit d'Héroard.
JUIN 1607. 267
«
Le 28 maif luiidi, à Fontainebleau. — Le Roi revient
de la chasse; il le va voir (1).
Le 29, mardi. — Il reçoit une escopette et deux grands
et beaux barbets que lui envoie le prince de Galles. Il va à
la poterie, où il prend plusieurs pièces, chiens, lions,
taureaux, puis revient en sa chambre, où, sur le tapis de
pied, il les fait combattre. A huit heures trois quarts mené
chez Leurs Majestés, il y écoute la musique de voix et de
luths; on ne l'en peut tirer tant il y étoit attentif ; il joue
après aux cartes, au reversis, M. le grand écuyer joue
avec lui; il y jouoit d'affection et comme entendu.
L& 30, mercredi. — A neuf heures du soir mené chez
le Roi, il prend le mot, le donne à M. d'Épernon, colonel
de Tinfanterie, puis à M. de Créquy, mestre de camp du
régiment des gardes; il le refuse à M. de Bouillon, ma-
réchal dft France.
Le 5 juin, mardis à Fontainebleau. — Le fils de M. de
Saint-Luc, âgé de quatre ans, vient dire adieu au Dau-
phin; je lui demande bas à l'oreille : ce Monsieur, vous
plait-il pas de lui donner quelque chose? » — Oui. —
« Monsieur, quoi ?» — Un cheval marin , qui étoit de po-
terie. — c( Monsieur, vous plalt-il que je Taille quérir? »
— Oui, mais ne prenez pas celui qui est cassé; il y en avoit.
Je lui porte l'entier, il le lui donne gracieusement.
Le 6, mercredi f à Fontainebleau. — Il va à l'entrée
de la galerie, où il s'amuse à tirer en cire Descluseaux
pendant que le sieur Paulo le tire en cire; amusé jusques
gi trois heures et un quart; goûté; il s'amuse, avec de la
cire, à faire un visage, pendant que M. Dupré, statuaire
du Roi, le tire pour en faire une médaille; il sait tout ce
qu'il faut faire et travaille fort dextrement, polit, fait
les cheveux, perce les yeux, les oreilles, tout sur la
trace grossière que M. Dupré lui en avoit faite.
(1) Héroard ajoute ici en marge : Pro pudore eriibescU; manu ohducit fa^
ciem[Rex]ostentammanup..Mdïcens : Eccequi (e^talemqiialises/ecU.
268 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 7, jeudi, à Fontainebleau. — Ilconteste contre M"' de
Montglat, dit qu'il ne fera rien de ce qu'elle voudra, et
là-dessus il est fouetté. — Il dit qu'il me veut peindre (1)
en cire pendant que M. Dupré Tachèvera, et qu'il me
fera la barbe pointue comme une épingle (2).
Le9, samedi, — Ahuit heures mené chez Leurs Majestés,
il leur donne le bonsoir; ramené à neuf heures et un quart,
il voit danser les Égyptiens (3) en sa salle, ne veut point
que M. Birat ne pas un des siens danse avec leurs femmes.
A neuf heures trois quarts mené en sa chambre, dévêtu,
mis au lit; Ton parloit de ce qu'il n'avoit permis la
danse aux siens avec ces femmes; je lui demande :
« Monsieur, voudriez- vous bien que j'eusse dansé avec
elles? » — Non, dit-il , je ne voudrois pas que vous eussiez
touché la main à ces vilaines femmes ; elles sont si sales ! Je
ferai allumer dans la salle un grand fagot de genièvre.
Le 10. dimanche. — Mené à la messe en la chambre
de M. d'Orléans, puis chez le Roi, qui avoit la goutte. A
onze heures et demie diné; il ne veut plus manger que
l'on ne fasse sortir trois Égyptiens, disant qu'ils sentoient
mauvais.
Le 14, jeudi. — A dix heures mené à la chapelle puis
chez la Reine et avec elle à la procession (4-) ; le Roi
avoit la goutte. A six heures et demie soupe; il va sur la
terrasse, revient en sa chambre pour y recevoir don
Diego d'ivarra. Espagnol, qui étoit ambassadeur pour le
roi d'Espagne dans Paris, quand le Roi le prit sur la
Ligue; il s'en alloit en Flandres.
(i) Le mot peindre s'employait pour représenter.
(2) Une médaille de Jean Héroard a été gravée par Warin postérieurement
à la mort du médecin du Roi; Héroard portait en effet la barbe en pointe.
Cette médaille est reproduite aans le Trésor de Nunismaligue , médailles
françaises , 2* partie , planche XIX.
(3) C'étaient sans doute des bohémiens qui avaient eu permission de danser
devant la Cour.
(4) De la Fête-Dieu.
JUIN 160y. 269
Le 1 5, vendredi, — Pour n'avoir voulu ôter son chapeau
à des gentilshommes qui Tétoient venus voir, après
qu'ils sont sortis de sa chambre , il est pris par des
femmes de chambre, mis et couché sur le lit et fouetté.
Le 16, samedi, à Fontainebleau. — Mis au lit de M*"*^ de
Montglat avec elle et son mari. A quatre heures et demie
il va chez le Roi, qui le met dans son carrosse et le
mène au grand canal.
Le 17, dimanche. — Mené chez le Roi, qu'il trouve en
son antichambre, prêt à sortir, qui le mène au prome-
noir; il fait le tour entier du jardin du Tibre, entre en
l'allée du chenil , où le Roi le renvoie. Ramené, il veut
battre Bompar, son page, disant que c'étoit pour ne
l'avoir point suivi, taisant la cause qui étoit pour avoir
suivi le Roi, portant sur lui le parasol de M. le Dauphin ;
il retient longtemps cette vengeance. Bompar arrive, il
va à lui à coups de verge, qu'il tenoit en sa main, et à
coups de pied, ne lui veut point pardonner, quelque chose
qu'on lui puisse remontrer, demeure froid et ferme sur
cette opinion. A dlnor, Bompar revient; M*"^ de Montglat
dit au Dauphin qu'il lui commande de sa part d'aller
savoir comme se porloit M. le grand écuyer, qui étoit ma-
lade; il répond : Je veux pas que ce soit Bompar, je veux
que ce soit Charpentier, valet de garde-robe de Madame.
Sur la menace du fouet par M"™^ de Montglat, il dit : Ouiy
oui, allez-y, Bompar; et quand il fut parti il reprit : Mais
quHl soit revenu, je le haltrai bien, je lui donnerai cent
coups de bâton, puis je Venvoyerai à la cuisine. Il dit tout
cela froidement; il ne pou voit oublier son maltalent.
Bompar revient : Allez-vous en, dit-il, et il le chasse.
«Monsieur, lui dit-on, il ira trouver papa, auquel il
dira la cause pour laquelle vous l'avez chassé. » Il songe
quelque peu de temps sans dire mot, puis tout à coup :
Qu^on V appelle. Il revient, et, pour rompre cette opi-
niâtre humeur de vengeance, je lui dis comme Bom-
par rentroit : a Monsieur, faites-lui boire le reste de votre
270 JOURNAL DE JKAN HÉROARD.
breuvage. » Il le fait, se prend à rire, l'ayant vu boire,
et son humeur se passa. ^ .
Le 19, mardi, à Fontainebleau. — Il va par le jardin
des canaux au Navarre (1), pour voir piquer les chevaux
du Roi, y voit la Donzelle, cheval barbe, le Montgom*
mery^ cheval normand du haras de M. de Brueil, qui
étoit le cheval de guerre du Roi.
Le 21, jeudi. — Il se réjouit de ce que M"® de Hontglat
dit que la Reine lui venoit de dire qu'il iroit à Saint-
Germain : Ba ! que fen suis bien aise , moucheu Héoua,
vos grands livres sont-ils encore à Saint-Germain ? —
a Oui, Monsieur. » — Les avez-vous fait serrer? — « Oui,
Monsieur. » — Maître Gille (c'étoit son sommelier), je
m'en vas à Saint-Germuin, il faut que vov^ fassiez serrer
ma coupe, mon verre et mon cadenas; mon bassin, faites le
mettre dans un étui. Et vous. Devienne (son cuisinier), fau^
dra faire serrer ma vaisselle. — Il va en la galerie, où Ton
lui porte un tapis à l'entrée pour se jouer dessus; il fai-
soit grand chaud. Le cardinal Barberini, nonce, et le
sieur Denis Caraffa , évoque, passant de Flandres pour
aller nonce en Espagne, lui baisent la main.
Le 26, mardi. — 11 bégaye fort en parlant. Il entend la
messe en la chambre du Roi, puis va donner le bonjour
à la Reine. Â cinq heures , mené au jardin et chez M. de
Sully.
Le 27, mercredi. — Il voit sur les quatre heures entrer
l'ambassadeur turc Mustapha- Aga, qui a la garde des ha-
bits des enfants du Grand-Seigneur, et autres grands de sa
Cour ; il étoit monté sur un cheval bai de la grande écurie
du Roi, et descendit au pied de l'escalier de la cour
des fontaines, conduit par M. de Brèves et accompagné
d'un janissaire, de deux autres Turcs et de deux esclaves.
Il venoit pour demander au Roi les esclaves turcs qui
(1) L*hôlel de Vendôme appelé aussi le Grand -Navarre. Voy. Trésor des
merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, page 327.
JUIN 1607. 271
avoient été délivrés des galères à la prise de TÉcluse et
mis aux galères à Marseille, ce que le Roi leur accorda (1).
Cependant il prend une humeur à M. le Dauphin de vou-
loir aller chez le Roi pour le y voir ; on ne le peut
retenir. IIp va en la galerie; on suppose un valet de cham-
bre qui lui vient dire de la part du Roi qu'il eût à s'en
retourner en sa chambre ; il y va soudain sans marchan-
der, M. de Souvré arrive pour lui dire que l'ambas-
sadeur Turc le vient voir; le voilà aussitôt à même
pour accommoder le tapis de pied, y travaille lui-même
pour qu'il soit bien tendu, jusqu'à ôter un fétu que
M. de Souvré commandoit à un autre d'ôter. L'on demande
sa chaise : Qu'on m'apporte la grandcy dit-il. On lui
donnoit de fausses alarmes de la venue de Tambassa-
d^ur : Asseyez-moi, asseyez-moi, disoit-il, se jouant avec
M. le comte de Saulx, M. de Courtenvaux et autres jeu-
nes gentilshommes. Assis, il goguenarde encore avec
eux sur les postures des chapeaux sur la tête; l'ambassa-
deur arrivé, il prend sa contenance ferme, froid,
grave, doux, élève et dresse son corps, le regarde assu-
rément comme il s'arrêta au bout du tapis et le consi-
dérant, et se regardoient Tun l'autre. Peu après l'am-
bassadeiir prend du damas vert figuré et mêlé d'autres
couleurs, s'avance et le lui présente, puis développe une
petite chemise à la turque, ouvrée de bouquets, qu'il lui
présente aussi : il reçoit tout froidement. L'ambassadeur
dit en son langage, rapporté par M. de Brèves, que ceux
qui étoient pauvres ne pou voient pas donner beaucoup,
mais qu'ils donnoient l'affection, et qu'il donnoit la
sienne ; puis demanda à lui baiser la main ; il lui baise
la main gauche qu'il tend, puis dit qu'il prioit.le grand
Dieu qu'il lui donnât la volonté de continuer en l'amitié
envers eux, comme avoient fait le Roi et ses prédécesseurs,
(1) Le P. Dan donnç quelques détails sur la réception de cet ambassadeur
( pages 2S7-9); mais il se trompe en la datant du mois de mai iC07.
272 JOURNAL DE JEAN fiEROARD.
et qu'il lui donnât longue vie ; puis il s'en va par la ga-
lerie aux jardins, et de là recoucher à Moret. Le soir, étant
sur le lit de M"* de Montglat, se jouant, je commence à
lui parler de ce Turc, et lui dis : «Monsieur, il faudra que
vous alliez un jour à Constantinople avec cinq Cent mille
hommes. » — Oui, je tuerai tous les Turcs et cettui-ci, et
tout. — « Monsieur, il ne faudra pas tuer cettui-ci, qui
a pris la peine de venir de si loin pour vous voir et
vous faire des présents, y) — Mais les Tuf es ne croient pas en
Dieu. — «Monsieur, pardonnez-moi, ils croient en Dieu,
mais non pas en Jésus-Christ, qui est fils de Dieu. » — En
qui donc? — « En Mahomet. » — Qui est-ce Mahomet? —
c( Monsieur, ce a été un méchant homme qui les a tous
trompés et fait croire qu'il étoit envoyé de Dieu pour
leur faire croire autrement que ce que Jésus-Christ avoit
fait. » 11 songe un peu, puis soudain ; Ho! ho! je les tuerai
tous, mais je ferai dire une messe devant cettui-ci, puis
je le ferai baptiser. — « Ce sera bien fait, mais il le fau-
droit premièrement faire baptiser, puis vous feriez dire
la messe devant lui. » — Pourquoi"! — « Pource qu'il
ne peut être chrétien qu'il ne soit baptisé, ni ouïr la
messe qu'il ne soit chrétien. » — Bien donc. L*on nous
interrompit.
Le 28 juin, jeudi. — Éveillé à huit heures, il se jette
hors du lit à bas, fait fermer les portes, de peur que M*"* de
Montglat ne lui donnât le fouet, qu'il craignoit pour des
fautes faites le jour précédent; elle vient, il y court
pour l'empêcher, j'obtiens grâce , il ouvre.
Le 1" juillet, dimanche, à Fontainebleau. — Le Roi
commande à M. Birat, à M. Guérin, nomme son mignon
ce soldat Descluseaux [sic), puis à M. de Cressy, à M. de
Mansan de le tenir quand M™*^ de Montglat le voudra
fouetter; me fait l'honneur de me commander devant
lui de le reprendre quand il fera quelque faute. Le Roi
et la Reine partent pour s'en aller souper et coucher à
Melun et le lendemain à Saint-Maur-des-Fossés.
JUILLET leoy* 273
Le 3, mardi, à Fontainebleau. — A trois heures étudie;
il écrit à contre-cœur, hausse ses deux jambes, les met
du long sur son papier; les cuisses étoient en Tair, nues.
M"*® de Montglat lui donne un grand coup de verges des-
sus, ne voulant pas les ôter.
Le 4, mercredi. — A deux heures il vient au pavillon
de M. le Grand, où j'étois logé, y joue à la paume; à
trois heures il y a goûté, puis il va en la galerie du jeu
de paume, y joue à la paume avec jugement, frappe de
grands coups. Meneau jardin des pins, en celui des ca-
naux et des fruitiers, où il s amuse à voir des cages où
des poules avoient couvé des faisandeaux; il n'en pou-
voit partir.
Le 6, vendredi. — Aune heure il va chez sa nourrice, d'où
il m'envoie quérir pour étudier; mais ce ne fut pas pour
longtemps. Il fallut marchander pour en dire deux lignes
et demie du Psaultier latin. A deux heures et demie il
consent de descendre en sa chambre pour y apprendre
à écrire puis à danser. A neuf heures trois quarts dé-
vêtu, mis au lit, fort gai; Ton parloit des chevau-légers
du Roi et de Caulet, qui en étoit le chirurgien et qu'il
vouloit qu'on envoyât quérir pour lui panser une écor-
chure qu'il avoit; il demande : Papa n'a-t^que des che-
vau-légers? — Je lui disque non. — J'ai des gendarmes et
des chevau-légers; je veux donner à papa ma compagnie de
gendarmes. — ce Monsieur, papa les vous a baillés pour y
commander pour son service, et quand vous serez grand,
un jour de bataille, vous serez à la tête de l'armée, au
devant de papa, avec votre compagnie de gendarmes. »
— Qu est-ce que tê le? — a Monsieur, c'est le devant de
l'armée qui regarde les ennemis. » Il répond en s'ani-
mant : J'y serai devant papa avec ma compagnie de gen-
darmes , et mes chevau-légers seront devant moi, puis nous
irons tuer tous les ennemis.
Le 7, samedi. — Comme M"*' de Montglat lui donne sa
chemise, elle lui demande : x< Monsieur, quand vous serea
HÉROARD. — T. I. 18
274 JOURNAL DE JRAN HÉROARD.
hors d'avec moi et entre les mains des hommes, et que
j'aille quelquefois à \otre lever, me permettrez- vous de
vous donner votre chemise? » Il lui répond : Neparlons
pas de cela, Mamanga, je vous en prie ; il me semble que fy
suis déjà! — A cinq heures, mené aux jardins, il voit une
femme qui mangeoit du pain bis de la concierge du por-
tail de la chaussée, en veut, en mange un gros morceau..
Ramené, M. Taumônier demande à M""^ de Montglat pour
le faire voir à quelques chanoines de Saint-Quentin : Mais^
Mamanga, mon aumônier ne parle jamais que de chanoines
et que de moines! dit-il, hoignant et hochant la tète.
Le 8, dimanche, à Fontainebleau* — Il écoute, en man-
geant lentement, la musique des luths et des voix avec
transport; aucune chose n'arrêtoit tant son esprit que la
musique. Il va en sa chambre, se fait donner sa trompe,
que M. de Montbazon lui avoit donnée, va en la galerie,
s^amuse à sonner ce qui est de la chasse, parlant dans sa
trompe sans souffler.
Le 10, mardi. — On lui dit que M. Birat étoit revenu
de Montargis, il s'en réjouit, l'envoie quérir, l'attend avec
impatience; il étoit de ceux qui le faisoient jouer. —
Étudié à contrecœur, après avoir bien marchandé.
Leiiy mercredi. -^ M. Caulet, chirurgien aux chevau-
légers du Roi , lui a coupé les cheveux en homme.
Le 14., samedi. — Il pleure fort sur ce qu'il voit pleurer
M"* de Montglat pour les mauvaises nouvelles de son
mari, qui étoit mort (1). M. de Souvré le fait étudier; ce
fut la première fois.
Le 15, dimanche. — Mené sur la chaussée, où il voit
M. du Brocq voltiger sur. un cheval. Il demande d'aller
voir Mamanga, mais je veux pas qu^elle pleure. Il y va :
Bonsoir Uamanga^ je veux pas que vous pleuriez^ riez ; il
la veut emmener pour coucher en sa chambre.
(I) Voy, la lettre de Henri IV à M^e de Montglat sur la mort de son mari.
{lettres missives y tome VU, page 316.)
JUILLET 1607. 275
Le il y mardi, à Fontainebleau, — Il ne veut point que
M. Guérin le serve (à souper), pour ce qu'il avoit touché
à M"*^de Vendôme pour l'asseoir à table ; il se y opiniâtre.
L'on vient à parler du tonnerre, qui le jour précédent,
sur les trois heures, étoit tombé à Moretdans la chambre
où M. le comte de Moret, âgé de deux mois et demi, étoit
entre les bras de sa nourrice, près de la fenêtre, où il
entra sans offenser personne. Je dis que la chambre étoit
pleine d'opiniâtres; il ne dit mot, mais incontinent après
dit : Guérin^ 'prenez la serviette ^ servez moi.
Le 18, mercredi, — J'allai à Moret voir M. le comte de
Moret, qui se portoit bien et avoit été miraculeusement
sauvé du tonnerre, qui entra par les fenêtres de sa
chambre, du côté du midi, à deux pas près de lui, étant
dans les bras de sa nourrice.
Le 21, samedi. — A onze heures dîné; il demande de
la tisane de M"^ de Vendôme à boire , M. Guérin lui dit
que c'étoit du vin : Bien, c'est tout un, donnez m'en, et il
me regarde, et me commande de lui en faire donner. Je
lui dis : « Monsieur, il vous feroit mal y> . — • Papa le veut.
— « Monsieur, c'est quand vous mangez avec lui ». Il
commence à s'échauffer de colère : Vous êtes un homme
de neige, vous êtes laid! — « Oui Monsieur, mais vous ne
boirez pas de vin, car il vous feroit mal ». Sur ce refus
il prend un couteau et, tout ardent de colère, m'en me-
nace. Je lui dis : « Adieu, Monsieur, je m'en vais tout à
fait. » Je pars, et m'en allai en ma chambre; il envoie
plusieurs fois vers moi, et après plusieurs refus je re-
tourne. Il dit qu'il est bien marri de ce qu'il a fait et que
jamais il n'y retournera, demande à boire. On lui sert de
son breuvage, dont il ne vouloit pas, en boit fort peu et
par menace. Il est toujours sur ce vin ; il en vouloit, je
lui résiste encore : Je vous aime point, vous êtes un bel
homme de neige. — « Monsieur, je l'écrirai au Roi, ou je
m'en irai le lui dire ». — Je m'en soucie bien. — ce Bien
donc. Monsieur, puisque je ne vous sers plus de rien,
18.
276 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
adieu, je m'en vais tout à bon trouver le Roi. » Je pars,
il envoie plusieurs fols après moi ; je ne y retourne plus,
cependant il continue à diner. A deux heures il vient en
ma chambre, après s^ètre informé de lui-même si je m'en
allois; on lui dit que oui, et que c'étoiten carrosse: Ho!
son carrosse est à Vaugrigneuse et celui de Mamanga est à
Paris 1 W"^ de Hontglat le conduisoit, il marchandoit à
entrer; il entre, je le salue sans dire mot; il s'en vient
enfin à moi : Je vous prie, ne vous en allez pas! — « Mon-
sieur, que voulez-vous que je fasse ici, auprès de vous,
puisque vous ne voulez pas faire ce qui est pour votre
santé; je ne y sers plus de rien ». — Je ferai plus ; et la
paix fut faite. Sur les trois heures Boileau, son violon, se
présente pour le faire danser, il lui dit des injures , et le
veut frapper; M™^ de Montglat Taperçoit, elle le fait
prendre et tenir par Boileau, et il fut fouetté. — M"* la
comtesse de Moret le vient voir.
Le 23, lundi, à Fontainebleau. — Il se réjouit d'aller à
Saint-Germain, sur la nouvelle qui en étoit venue de la
part de la Reine.
Le^ky mardi. — Il va en la galerie, s'y joue, s'y amuse,
va chez sa nourrice, et à trois heures y a goûté, puis
écrit; en écrivant M. Hoquet (mari de sa nourrice) crioit
après Pataut , son chien, pour ce qu'il faisoit du bruit
pendant que Monseigneur écrivoit : Hé! Boquety savez-
vous pas que c'est une bête, quelle n'a point de raison?
Zre25, mercredi. — M. le cardinal de Joyeuse, revenant
d'Italie pour l'accord du Pape et des Vénitiens, vient voir
le Dauphin. — M™" de Moret lui avoit envoyé un navire;
il disoit qu'étant à Saint-Germain il le mettroit sur la
rivière, et le feroittout charger de lapins.
Le 27, vendredi. -- Ayant appris par le capitaine des
mulets du Roi qu'il avoit amené les mulets pour aller à
Saint-Germain; il presse que l'on serre ses habits, que
Ton fasse les coffres.
Le 28, samedi, à Fontainebleau. — MM. de Souvré et
JUILLET iC07. 277
de Béthune arrivent pour le conduire à Saint Germain ;
aussitôtil va en sa chambre, et disoitpar celles où il pas-
soit : Je m* en vas détendre ma chambrey Mousseu de Souvré
est venu, A six heures et un quart soupe, Use ressouvient,
en parlant de Crosne , d'un grand cabinet rond, dé-
couvert, où il avoit passé il y avoit deux ans dix mois (1)
disant : Cest là où nous fîmes le corps de garde; ilétoit
vrai.
Le 29, dimanche, voyage. — A une heure et demie il est
entré en carrosse à la cour du Cheval-Blanc, et est parti,
accompagné de M. d'Orléans en litière, Madame et
5|ine christienne en litière, M"® de Vendôme en litière; et
dans son carrosse de M. et de M"® de Verneuil et M"* de
Montglat, sa gouvernante; MM. de Souvré et de Béthune à
cheval. A trois heures et un quart goûté dans la forêt, à la
table du Roi. Arrivé à Melun à quatre heures et demie, il
se joue en sa chambre chez M. de la Grange. MM. de la
ville et le lieutenant général le viennent saluer, lui font
présent de pièces de pâtisserie et de leur vin. Il va voir
chez un plombier, près du pont, des moulins où il y
avoit une pompe qui donnoit de l'eau à une petite grotte ;
M. de Souvré le y mena ; il fut ramené à pied par la ville.
Le 30, lundi, voyage, — Parti de Melun à midi, il arrive
à deux heures et demie à Lourcine, où il a goûté , passe
par le pont de Villeneuve-Saint-Georges, et arrive à Crosne
à cinq heures etun quart. Mené au jardin, il se promène
partout, passe sur le pont, qui tourne sur un pivot, fait
abattre des prunes.
Le 31, mardi, voyage. — On le mène au logis de
M. Gobelin ; on lui fait voir la fontaine, le jardin ; il part
à huit heures trois quarts, il est mené à Charenton, chez
M. Cenami, gentilhomme lucquois; parti à une heure et
demie, il entre à Paris par la porte Saint-Antoine. MM. de
Guise, de Nemours, d'Aiguillon et de Sommerivele
^IF
(1) Le 10 novembre 1604.
278 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
viennent saluer et le conduisent jusques à la porte Saint-
Honoré, où ils rencontrent M. le prévôt des marchands
(Sanguin, sieur de Livry) et les échevins, qui lui font la
réception ; hors la porte ces messieurs prennent congé
de lui. Il est mené jusques au Roule, où^ sous un ombrage,
sans descendre de carrosse, il a goûté à trois heures et
un quart. Il passe le pont de Saint-Cloud, porté sur les
bras par M. de Courtenvaux (on racoustroit le pont ); il
arrive à Saint-Cloud en son logis, chez M. de Gondi, à
cinq heures et demie.
Le V^aoûty mercredi^ voyage. — A deux heures et demie
parti de Saint-Cloud, il passe par la levée; il se rencontre
un grand bateau qui montoit et qui tralnoit, attaché, un
petit bateau que les bateliers dirent avoir fait faire pour
lui; il commande de le descendre au Pecq, et arrive à
Saint-Germain-en-Laye à quatre heures et un quart.
Le 2, jeudis à Saint- Germain, — Il va en la chambre
de sa nourrice, puis descend en son ancienne chambre, où
il s'amuse. M. Nicolaï, premier président des Comptes à
Paris et M""® des Essars (1) le viennent voir. Quelqu'un
lui demande : c< Monsieur, qui est cette belle dame? » Il
répond en souriant : C'est la femme de Monsseu de la Va-
renne; il Tavoit vue quelquefois à Fontainebleau et con-
duite par M. de la Varenne.
Le 5, dimanche, — Il bégaye en parlant, se fait coiffer
en paysanne pour jouer une comédie, ayant une épée à
son côté.
Le 7, mardi, — Mené au palemail, il va jusques à la cha-
pelle, fait mener ses petits tombereaux, remuer et trans-
porter de la terre, ordonne, commande, se fait appeler
maître Louis, Il vient en ma chambre, où il s'amuse à la
fenêtre, et y prenoit plaisir à voir travailler les charpen-
tiers et les autres ouvriers, puis entre en mon étude.
(i) Charlotte des Essars, une des maîtresses du Roi. — Voy. Lettres mis-
sives, iomQ VU, pages 138 et 510.
AOUT 1607. 279
demande à écrire, écrit son nom Lois, puis me demande :
Comment faut-il écrire roi? Je le lui montre, il y ajoute
un s, disant : Velà Rois (1).
LeiO, vendredi, à Saint-Germain. — Meneau palemail,
il se fait mettre dans son petit carrosse découvert jusques
à la chapelle, où il entend la messe faisant des gambades
sur son carreau. Il va à son carrosse, y fait mettre dedans
Madame, la petite Vitry et le petit Gramont de la Franche-
Comté.Il dit à l'oreille à Indret, son joueur de luth, qui
le menoit : Je veux être le valet depied^ mais le dites pas.
Deux pages tirent le carrosse, il va à côté branlant les
bras et marchant de l'air d'un laquais, se fait appe-
ler le petit Louis. Mené en sa chambre, il se met sur les
outils de menuiserie; il a deux pages et deux garçons de
la chambre, auxquels il commande , leur fournit la be-
sogne et se fait appeler maître Louis. Il vient en ma
chambre, me demande papier et encre, se met à peindre,
fait un oiseau, puis se meta faire Dondon, sa nourrice;
comme ilfaisoit le npmbril, il tire ce qui est plus bas,
et l'ayant fait, dit : Et velà ce que je veux pas dire (2).
Le 11, samedi. — M. de la Luzerne, le jeune, le vient
saluer; il lui montre ses armes. Mené à la chapelle du
parc, il y entend la messe ayant son papier et sa plume
à écrire; il falloit quelque chose pour contenir son esprit.
Au sortir de là il s'amuse à faire paver l'allée d'une
maison qu'il avoit faite les jours auparavant, y travaille
et apporte lui-même [ ce qu'il faut] ; on ne l'en peut tirer
jusques à ce que je lui dis qu'il falloit que les ouvriers
allassent dîner. Le page de M*"^* de Montglat, Maisonrouge,
demandoit de Targent, menaçoit de ne revenir plus; le
Dauphin lui dit : Venez ce soir; savez-vous pas qu'on paye
les ouvriers le samedi au soir ? Il s'amuse à ses outils de mei-
nuiserie, va en la chambre de M'"*' de Montglat, la prie
(1) Héroard a conservé ce papier griffonné.
(2) Ce dessin est conservé dans le manuscrit d^Héroard.
280 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
de lui donner un grand cabinet d'Allemagne qu'elle
avoit; elle le lui donne, il ne veut point ouïr parler de
donner le sien, qui étoit petit, à M°** de Vitry, qui le lui
demandoit. A neuf heures dévêtu, mis au lit, il s'amuse
à crayonner avec du rouge fort proprement et dextre*
ment.
Le 12, dimanche y à Saint- Germain, — Il monte en la
chambre de sa nourrice, qui étoit accouchée le matin, puis
entre en la mienne, s'amuse à la fenêtre qui regarde le
préau à parler aux passants, et leur demande : Qui êtes-
vous? oii allez-vous? Il fait sauter, courir, danser sur le
pont de la chapelle des pauvres garçons, puis à la fin
leur jette quatre grands blancs attachés à une pierre.
Le 13, lundi. — Il va à la chambre de la Reine, où il
fait faire du feu et y mettre sa petite marmite, dans la-
quelle il met du mouton, du lard, du bœuf et des choux,
appelle et prie chacun pour être à la collation ^ y fait
monter M'**^ de Vendôme. Il s'amuse à peindre en crayon,
n'en peut sortir.
Le 14, mardi. — On lui dit que M. de Verneuil ar-
rive (1); le- voilà de courir jusques au pied de l'escalier
avec grandes exclamations et glapissements de joie; il en
étoit tout transporté, l'embrasse, lui demande : -4 t?cz-
vous soupe? — « Non, mon maître. » — Allez-vous-en sou.
per^ lui dit-il, faisant le maître et l'honneur de[la maison.
Le 16, jeudi. — En prenant son bouillon dans son
écuelle de porcelaine, on lui louoit la porcelaine; je lui
dis que le Grand-Turc buvoit dans des vases de porce-
laine : Ho! dit-il, je veux plus prendre du bouillon là de^
dans, et il repousse son écuelle. — « Monsieur, lui dis-je,
c'est pour ce que le Grand-Turc est un grand prince et
qu'il n'y a que les rois et les grands princes qui en usent. »
(1) La marquise de Verneuil avait demandé au Roi de garder ses enfants pen-
dant quelques jours auprès d'elle. Voy. Lettres missives, tome VU, pages 3t9,
328, 333 et 338, et la lettre de Malherbe à Peiresc du 3 août 1607.
AOUT 1607. 281
Il revient à soi, la reprend et me demande : Papa s'en
sert'ill — « Oui, Monsieur. »
Le 17, vendredi. — Éveillé à six heures et demie; levé
avecimpatience de faire déménager pour aller à Noisy (1),
à cause de la peste qui depuis avoit été découverte sur une
femme , au-dessus du cimetière, ce dont on avoit averti
le Roi, quiétoit à Monceaux; il dépêcha M. de Frontenac,
qui arriva le jour précédent à quatre heures et demie
après midi , portant commandement d'aller à Noisy. II
presse de charger, va lui-même en sa chambre, où il
aide à emballer un matelas; jusques à trois heures c'est
une perpétuelle inquiétude et soin, pour faire partir le
reste des bagages qu'il voyoit en la cour, du dessus de
la terrasse ; il descend , remonte, est mené en la chapelle
à cause du chaud. Enfin, parti de Saint-Germain à cinq
heures, M. de Frontenac étant revenu de Poissy, et ii son
arrivée ayant reçu nouvelles du matin à dix heures, de
Monceaux, de la maladie du Roi. Le Dauphin arrive, fort
gai et ne faisant que chanter, à Noisy, à six heures et
demie. Aussitôt qu'il est descendu il demande d'aller au
jardin, y est mené, va partout. Amusé jusques à neuf heU'
res, dévêtu, mis au lit, M"*^ de Montglat lui dit que l'on
alloit à la chapelle prier Dieu pour papa : Et pour moi
aussi, Mamanga, dit-il promptement et d'affection (2).
(1) Le cliâteau de Noisy-le-Hoi, près de Versailles, appartenait alors au car-
dinal de Gondi.
(2) Le Roi avait écrit à Suliy de Monceaux , le 15 août : « Mon ami, sur
l'avis que je viens tout présentement de recevoir de W^^ de Montglat, comme
la peste est à Saint-Germain-en-Laye , je vous dépêche Frontenac, par les
mains duquel vous recevrez cette-ci, en poste, pour vous dire que je mande à
M<ne(ie Montglat de mener mon fils à Noisy avec mes au très enfants. Mais pource
qu'il n'ont pas de litières, carrosses ni charrettes pour les mener et porter leur
équipage, jcvous prie de leur en envoyer le plus promptement que vous pourrez
afin qu'ils partent aussitôt; car en telles choses la diligence est requise. «> Henri IV
tomba malade deux jours après. <i Ce mois d^août fut extrêmement chaud et sec,
dit Lestoile ; les melons donnent des cours de ventre et dyssenteries dont
plusieurs étant atteints en sont fort malades , entre autres le Roi, qui s'en «
trouva si mal d'un, et tellement affoibli qu'on douta (sans diremot}de8a8anté.«..
282 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
Le 18, samedi y à Noisy. — A huit heures et demie dé-
jeuné ; il me dit : Allons promener, mousseu Héroua ; vou-
lezrvous bien que je vom montre la grotte. Il me va montrant
tout ce qu'il avoit vu le jour précédent, ayant remarqué
jusques aux moindres choses. Ramené, et à neuf heu-
res medé à la chapelle. A cinq heures mené au parc puis
au jardin; à six heures trois quarts ramené, il veut haus-
ser le pont levis. M°* la marquise de Ménelay (1) le vient
voir. Dévêtu , mis au lit, il donne le mot àÀIM. de Mansan
et de là Court : Saint Jacques.
Le 19, dimanche, à Noisy. — M. du Tost, mari de la
nourrice de Madame , lui apporte une pie-grièche qu'il
avoit dressée à voler le moineau ; il se fait donner son
gant de fauconnier, la prend sur le poing, et, dans la salle
haute, la lâche foi*t à propos après un moineau , lui en
fait voler deux. Il veut aller aux Cordelièrs ouïr vêpres;
sur la fin la patience lui échappe, et il s'en va aux orgues,
puis remonte au château, prend la pie-grièche, lui fait
voler un moineau en la salle. L'on présentoit la collation
à M™* la marquise de Ménelay ; M'*'' de Ventelet dit au Dau-
phin : «Monsieur, que n'allez-vous? on y fait collation. »
— Ho ! Mamanga, mousseu Héroua y sont ; ils ne f croient
que me gronder, j'aime mieux y aller pas ; c'est qu'il crai-
gnoit d'être contrôlé devant M"*' la marquise. Mené au
parc, où il se fait porter du papier et de l'encre pour y
écrire une lettre au Roi par M. de TIslc-Rouët. A six heures
et demi soupe; il va sur la première terrasse hors la
cour, danse avec les filles, leur dit des chansons gras-
ses, puis* tout riant les quitte et danse avec M. de Ver-
Un docteur de Sorbonne fit en ce temps le procès du melon à cause da mal
quMl avoit fait au Roi. » (Registre journal de Henri IV, édition Michaud et
Poujoulat, tome I, 2^ partie, page 434.)
(1) Claude- Marguerite de Gondi, fille d'Albert de Gondi, duc et maréclial
de Retz, veuve de Florimond de Hallwtn , marquis de Maignelais ; morte en
1650, à l'âge de quatre-vingts ans. Dix jours plus tard, le 28 août, le Dauphin
s^amuse à copier son portrait.
AOUT 1607. 283
neuil, M. de Mansan , M. de la Court et moi; il chante :
En revenant de cette ville, etc., on ne l'en peut tirer.
Le 24-, vendredi y à Noistj, — 11 lui prend humeur de vou-
loir aller à la chasse, commande à M. de Ventelet : Tetayy
faites atteler le carrosse, je veux aller à la chasse, Taine,
faites tenir prêts les oiseaux; il commande sérieusement et
avec action et passion. A quatre heures et demie il entre
en carrosse pour aller à la chasse (c'est la première fois),
est mené aux environs du moulin de pierre allant vers
Versailles (1), voit prendre près de lui un levraut avec
deux lévriers, cinq ou six cailles à la remise chassées par
le haubereau, et deux perdreaux, dont un pris par son
épervier; l'on vit un grand renard qui se sauvoit vers le
moulin. Ramené à six heures trois quarts, il raconte en
soupant ce qu'il a vu de la chasse. M'"® de Vitry lui vient
porter un bouquet, disant que demain est Saint-Louis, sa
fête, et qu'il faudra qu'il paye sa tarte pour tous ; il s'en
met en colère, et la chasse de sa chambre.
Le 25, samedi, — On lui apporte morte sa pie-griè'che,
où il prenoit fort grand plaisir; il ne s'en émeut pas
beaucoup , mais lui fait ôler la longe et les sonnettes ,
disant froidement : Ce sera pour une autre , encore
qu'en son âme il en fût marri, mais ne vouloit pas faire
paroltre son déplaisir.
Le 26, dimanche, — Il presse M. de Ventelet pour lui
faire porter la tarte qu'il avoit commandé de faire pour
sa fête Saint-Louis, que M*"^ de Montglat avoit remise à ce
jour d'hui, parce que le jour précédent, qui étoit laSaint-
Louis, elle faisoit faire un service aux Cordeliers pour la
quarantaine après le décès de M. de Montglat.
Le 28, mardi, — Il s'amuse à crayonner, fait cette
(1) Il est curieux de voir Louis XIIl enfant chasser au toI pour la première
fois, sur remplacement du grand parc acluel de Versailles , à peu de distance
de l'endroit où plus tard, attiré par le même goût, il devait faire construire le
château agrandi depuis par Louis XIV.
284 JOURNAL DE JEAN HEROARD.
copie (1) de M"® la marquise de Menelay, fille de feu
M. le maréchal de Retz y sans aide aucune. — Il va à la
ferme , trouve des petits enfaats du fermier, s'amuse à
les entretenir, puis leur donne de Targent.
Le 29 août, mercredi. — Mené aux jardins du côté de
Bailly (2), il visite tout, monte à la grotte. A neuf heures
mis au lit, il entre en mauvaise humeur.; M"* deHontglat
lui montre des verges : Hé! Mamanga pardonnez-moi y et
se prend à pleurer. M°**deMontglatlui dit : «Ne pleurez
point. » — Vous me voulez fouetter y et vous voulez pas que
je pleure! Il continue, et est fouetté.
Le 5 septembre^ mercredi^ à Noisy. — A dix heures le
Roiarive; il lui va au devant, le rencontre hors du
powt-levis; à onze heures trois quarts dîné avec le Roi;
il mène le Roi se reposer sur son lit. A quatre heures et
demie le Roi part pour s'en aller coucher à Ville-
preux (3), le Dauphin pleure; on le met dans le carrosse
de M"® de Montglat, et il suit ainsi le Roi jusques près de
de Villepreux, où il vouloit aller avec le Roi, vers lequel
il envoya M. de la Court, exempt au corps et servant près
de lui, pour savoir s'il lui plaisoit pas de lui permettre
d'aller à Villepreux. Il rapporte que le Roi ne le veut
pas: Hé! je le veux moi, dit-il impérieusement; touche,
carrossier, touche! L'on fait insensiblement tourner le
carrosse vers Noisy, lui faisant croire qu'il alloit à Ville-
preux, de façon que se voyant près de Noisy il entre en
colère, accuse M. de Verneuil, qui étoitdansle carrosse ,
au cul des chevaux : Ha! c'est fé/é Véneuil qui l'a dit
au carrossier ; fouettez-le, Mamanga, et je vous promets que
(1) Ce dessin est conservé dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale;
il a été reproduit dans le Magasin pittoresque, année 1865, page 214. Voy,
au 18 août précédent.
(2) ÂujourdMiui ferme et village de Tarrondissemenl de Versailles.
(3) Villepreux, comme Noisy, comme Saint-Cloud, comme Versailles, ap-
partenait au cardinal Henri de Gondi, qui tenait ces héritages de son père le
maréchal de Retz.
SEPTEMBRE iG07. 285
jamais je ne serai opiniâtre. Enfin il arrive àNoisy; Thu-
meur lui passe.
Le 6, jeudi, à Noisy, — Le Roi arrive de Villepreux,
l'envoie quérir et mener au Cordeliers; dîné avec le Roi;
il va en la chambre de Madame , s*y joue devant le Roi,
qui à onze heures trois quarts part pour aller courir le
cerf et coucher à Villepreux; il pleure fort pour le dé-
part du Roi.
Le 8, samedi, — Il dit ses quatrains de Pibrac. Mené
dehors, il s'amuse à la petite grotte sèche, à Tenlrée du
parc. Mis au lit, il me commande de lui montre? ma
montre, de monter la sonnerie, demande la raison des
mouvements, veut savoir tout.
Le 10, lundi. — MM. de Souvré, de Béthune, baron de
Lux, de Gondi , le viennent visiter, et,. peu après, le car-
dinal Barbarini, nonce du Pape, qui s'en retournoità
Rome. Mené aux parterres du côté de la grotte, il se joue
dans la salle qui est dessus, sort, entre, court, n'en peut
partir. — L'on parloil d'un mulet sur lequel un des offi-
ciers étoit allé aux champs : Il a des cors aux pieds, dit
le Dauphin ; c'est qu'il avoit le boulet enflé : il savoit et
remarquoit tout.
Le 11, mardi. — Le sieur du Glasl, gentilhomme an-
glois, écuyerdu prince de Galles, le vient visiter de la part
de son maître, avec une couple de petits pistolets qu'il lui
envoie, accompagnés d'une lettre dont* la teneur ensuit :
Monsieur et frère, le Roy mon père envoyant un des miens vers Sa
Majesté, je luy ay commandé vous saluer de ma part, vous présen-
tant deux petits bidets lesquels j'ay pensé qu'auriez agréables pour
Tamour de moy, qui vous supplie croire qu'il n'est aucun plus dési-
reux d'estre favorisé de vos bonnes grâces et de rencontrer quelque
digne sujet pour les pouvoir mériter que celuy qui s'est voué vostre
très-affectionné frère à vous servir.
Henry.
Nonsuch, 22 juiUel 1607.
Le voilà amoureux de ces pistolets , il les met dans son
cabinet d'Allemagne.
286 JOURNAL DE JEA.N HÉROARD.
Le 12, mercredi, à Noisy. — Le Roi arrive à dix heures ;
à dix heures trois quarts dîné avec le Roi. Le Roi part
pour aller à la chasse.
Le 13, jeudi. — Mené au devant du Roi revenant de la
chasse (1) , puis à midi dîné avec lui. Il va en sa chambre,
et, cependant que le Roi se repose, il va chez Madame, où
ilse joue jusques à deux heures qu'il lui prend une se-
cousse de mal aux dents; il se fait coucher sur le lit de
Madame. A trois heures le Roi y vient, le baise, et s'en
retourne à Paris. Amusé doucement jusques à six heures,
ayant été au galetas des meubles et des peintures où il
s'étoit le plus amusé.
Le 14, vendredi. — Il s'amuse à peindre et faire peindre
par Boileau.
Le 15, samedi. — M™® de Montglat disoit qu'elle alloit
envoyer vers la Reine, qui s'étoit trouvée mal, et qu'il
falloit qu'il lui écrivit pour apprendre de ses nouvelles.
Qui y envoyez-vous? demande le Dauphin. — «Monsieur,
je y envoyerai un homme de pied. » — Un homme de
pied; que n'y envoyez-vous le Bernet? C'étoit un honnête
homme, qui avoit été à feu M. de Montglat. — M™^ de Vitry
avoit un pelit mortier de marbre; il désire de l'avoir, le
lui demande à donner; elle le fait un peu marchander :
Si vous ne me le donnez^ je dirai que vous êtes ciche.
î Le 16, dimanche. — 11 me dit : Tai envoyé quérir mon
gros canon. — ce Monsieur, lequel ? )> — Cest Dondon^ sa
nourrice (2). Il monte en la chambre de sa nourrice, où il
se joue doucement, le petit Grandmont, parent de M. de
Saint-Georges , avec lui et Louise, sa sœur de lait.
Le 17, lundi. — Il s'amuse à regarder Boileau, qui fait
des crayons (3), et il dit ses quatrains de Pibrac en mu-
sique.
(1) Le Roi continuait de coucher à Villepreui, près deNoisy.
(2) Elle était restée à Saint-Germain à la suite de ses couclies.
(3) Des dessins aux trois crayons.
SEPTEMBRE 1607, 287
Le 18, mardiy à Notsy. — Il s'amuse à voir peindre par
Boileau, sait les noms de la matière des couleurs» A trois
heures trois quarts dévêtu, mis au lit. On lui faisoit des
contes de Mélusine; je lui dis que c'étoient des fables^ et
qu'elles n'étoient pas véritables. M°' de Montglat lui faitle
conte de Daniel jeté aux lions; il y prend gi»and plaisir. Je
lui fais celui de la tour de Babel et de la confusion des
langues, il demande : Yavoit-il des François? — « Oui,
Monsieur. » — Les François faisoient le mortier , et ils
bailloient de la pierre. Puis je lui fis celui de David
quand il tua Goliath ; il me le fait redire plusieurs
fois, me demande si David étoit bien aussi grand que
M. le Chevalier, si sa fronde étoit de corde , si la pierre
étoit pierre de liais ; c'est qu'il avoit retenu ce mot ayant
vu à son promenoir une grande table de pierre de liais,
au jardin, et entendu dire qu'elle étoit bien dure. Il
demande si Goliath étoit bien grand , s'il étoit plus haut
que sa chambre, si son cheval étoit bien grand, de quel
poil il étoit, s'il eût bien porté six hommes, si Goliath étoit
bien pesant, s'il montoit tout seul dessus sans aide , et^
de tous ces contes, demande : Cela est-ilvrai? — «Oui,
Monsieur, lui dis-je, ils sont dans la Bible (1). » — Je les
veux apprendre , puis je les conterai à papa, car ils sont
vrais, ils sont dans la Bible de Mamanga. Ma sœur fera
des contes de la mouche guêpe qui a piqué la chèvre au
culy qui ne sont pas vrais, mais je ferai ceux-ci qui sont
vrais. Mamanga, avez-vous ici votre Bible? — «Non, Mon-
sieur. » — // faut Vavoiry et quand nous serons en car-
rosse vous mêla lirez.
Le 19, mercredi. — Il s'amuse à regarder Boileau, qui
(1) On reconnuit encore ici l'influence d^Héroapd, qui dit dans son livre
De l* Institution du Prince : « On peut faire de même, les mettant (les
princes) sur les autres livres historiaux contenus en la Bible, où ils liront avec
plaisir et profit tout ensemble , s'égayant par Tbistoire et s'instruisant en
beaucoup de clio.ses qui doivent ôtre sues par des enfants cbrétiens, tel^ que
nous les voulons faire. »
288 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
peignoit le père du Roi (1). Je lui demande : a Monsieur,
lequel aimez-vous mieux, ou é.tudier ou danser? » —
JTaime mieux étudier; il n'aimoit point la danse de
son naturel.
Le 23, dimanche, à Noisy. — Amusé avec de la craie, il
écrit contre la porte Loys , assez bien, m'appelle pour me
le montrer. Mené à la chapelle, puis à onze heures trois-
quarts dîné. Il entre en mauvaise humeur, et ne veut
point que M. de Verneuil dîne avec lui ; M"® de Montglat
le y fait dîner. Madame, assise au bout de table, fait des
remontrances au Dauphin : HalJésusl Monsieur^ il faut
pas faire cela; on vous reconnoîtroit pas pour le fils du
Roi seulement. Il faut pas avoir des fantasies; on les halie
par le cw, Monsieur y mais on les halie pas comme la terre;
on fait ainsi: ChaCy chac. Il faut pas avoir des humeurs^
Monsieur, Mamanga vous fouetteroil (2). Il n'osoit dire
mot, l'écoutoit sans faire semblant de l'entendre; elle
lui dit encore : Ha! Monsieur, il faut pas dire cela, il
faut pas parler ainsi aux gouvernantes, celanest pasbeaUy
Monsieur; c'est qu'il disoit à M*"® de Montglat qu'il ne
feroit pas ce qu'elle vouloit, — Mené par la cour au jar-
din des orangers, ramené à six heures.
Le 25, mardi, — Il s'amuse à écrire et peindre, m'ap*
pelle pour me montrer son ouvrage , et me le donne
en intention de le mettre dans le registre (3).
Le 26, mercredi. — Il écrit au Rôi, lui ayant im-
primé (4) lés lettres. Commej'écrivois ceci. Monseigneur le
(i) Antoine de Bourbon, roi de Navarre. Il s'agit sons doute d^un portrait
aux trois crayons, analogue à celui publié par M. Niel dans les Portraits des
personnages français les plus illustres du XVP siècle, tome II.
(2) Madame est alors âgée de près de cinq ans; Héroard reproduit son
langage enfantin, qui, on le voit, était aussi grossier quelquefois que celui du
Dauphin.
(3) Ce papier est conservé dans te manuscrit d'Héroard. On y lit : Loys,
Dauphin, sera bien sage,
(4) Tracé.
OCTOBRE 160^. ^m
Dauphin est monté ici en ma chambre, m'a fait quitter
l'écriture pour l'aller promener (1).
Le 27 septembre, jeudi. — A goûter on lui sert une tarte
aux pommes, à cause du jour de sa nativité (2). Mené à
vêpres, aux Cordeliers, pour ouïr chanter le Te Deurn à
cause du jour de sa naissance, et ayant vu un cordelier
tenant un grand fouet à chasser les chiens, il en a peur,
s*en va dehors sous Tormoie ; on ne le peut ramener.
Le V^ octobre y lundi y à Noisy. — Mené à la noce de la
fille du concierge, il y a dansé.
Le 3, mercredi. — Il est vêtu de sa robe à haut collet,
robe de satin gris; c'est la première qu'il a portée de
cette sorte, et on lui aôté sa bavette.
Le 9, mardi. — A neuf heures et demie parti pour
aller à Saint-Cloud trouver LL» MM., il y a diné; ramené
à Noisy à huit heures (3).
Le 14, dimanche. — A neuf heures et demie il part
pour aller aux Cordeliers pour ouïr une première messe ;
il en sort , dit que la messe est trop longue. M. de Bé-
thune arrive, cela ne l'émeut point; il est fouetté devant
le logis du jardinier, Descluseaux le tenant; il y va
forcé.
Le 15, lundi. — Il s'amuse à voir peindre Boileau, au-
quel il faisoit copier en crayon le roi Louis douzième*
Mené en carrosse à Villepreux, en la maison de M. le car*
dinal de Gondi, il s'amuse à des régales (4) qu'il y avoit
en la chambre. M"* de Montglat lui demande en reve-
nant quel, de Noisy ou de Villepreux, il aimeroit le mieux;
(i) On voit par ce passage qu'Héroard tenait note des actions du Dauphin à
tontes les heures de la journée.
(2) Le Dauphin entrait ce jour- là dans sa septième année.
(3) Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, du 8 octohre. ( Lettres mis*
sives, VI r, 370. )
(4) Un des plus considérables jeux de l'orgue, qu'on appelle autrement i)oiû6
humaine. On fait aussi des épinettes organisées, qui ne consistent qu'en un
jeu de régale ( Trévoux).
HÉROARD. — T* I. 19
290 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
il répond : Villepreux, — « Monsieur, pourquoi ?» —
Pour ce qu*il y a des orgues. — « Monsieur, il y en a aussi
aux Cordeliers de Noisy. '» — Ho Ij! aime point ceux-là;
il y avoit été fouetté.
Le 19, vendredi^ à Noisy. — Le comte deGatinara, dé-
péché vers le Roi de la part de M. de Savoie pour la nais-
sance de M. d'Orléans, le vient saluer, lui disant en avoir
commandement de son maître. Il va en sa chambre, et de
son mouvement fait ôter de la tapisserie tous ces
crayons en papier qu'il y avoit fait attacher, faits par
Boileau ; il commence lui-même à les ôtèr, reconnoissant
qu'ils n'étoient pas bien faits, et par ainsi ne vouloir être
vus par l'ambassadeur : Je les veux, dit-il, montrer seu-
lement à papa. A deux heures et demie Tambassadeur
prend congé de lui. — Mené au parc, il va jusques à la
ferme des Essars, maison autrefois appartenante, au
sieur des Essars (1), traducteur de VAniadis de Gaule, et
qu'il a traduit en ce lieu •
Le 20, samedi. *— Il s'amusoit avec la clef de ses ta-
blettes à ouvrir celles de M"® de Montglat ; il les ouvre, et
* soudain s'écrie : Hé ! Mamanga, je m'en vas vous montrer
un miracle. La clef de mes tablettes ouvre les vôtres. -^
A onze heures arriva, conduit par Hv de Béthune, le
marquis de Bevilaqua, venu de la part du Grand-Duc
vers le Roi, pour la naissance de M. d'Orléans, et vers le
Dauphin pour lui remettre des: lettres du grand-duc,
delà grande-duchesse et du prince de Toscane (2) que
(1) Nicolas d'Herberay, sieur des Essars; il virait sous François 1er et
Henri II ; il est aussi traducteur de VHistoire de Josèphe sur la guerre des Juifs.
(2) Héroard donne le texte de ces troi» lettres ; celles du grand^^iiic fet du
prince de Toscane sont en italien. Voici celle.de la grande<ducbesse ( Chris- .
tine de Lorraine, fille. du duc Charles II[ ) : .
a Monseigneur, Taffection avec laquelle je vous reveris et chéris à rendu en
toute perfection l'estreme contentement que j'ay receu que Diea Tooa aye
accompagné d'un frère, parquoy Je m*an rejouis avec V. Â. coipe celle qpi
TOUS aime plus que son fils, et pardoner à mon amour si je] suis tent pre-
sontéueusc comme je ne sede a créature du monde qui soit plus toti*e ti*e8-
OCTOBRE 1607. 291
Tambassadeur appelle grand prince en parlant au Dau-
phin, lui disant que tous trois se recommandoient à ses
bonnes grâces.
Le 21, dimanche y à Noisy. — Il voit danser en la salle
l'épousée du fauconnier de M. de Paris (1) .
Le 23, mardi. — Mené par le haut du parc à Bailly, il
voit la maison de H. Yeillard et de M. de Laistre.
Le 25, jeudi. — Éveillé à une heure après minuit
par le bruit qui fut fait pour le feu qui s'étoit mis au lit
des femmes de chambre qui couchoient dans la garde-
robe, où lors couchoit M"** de Montglat pour avoir pris mé-
decine le jour précédent. Il ne y avoit que la muraille
entre deux de la garde-robe et de la chambre du Dau-
phin. Sa nourrice, tout en chemisci, le prend et le porte
en la chambre de M. d'Orléans, située sous la sienne; il
fut couché avec sa nourrice, au lit de M"* de Ventelet, tout
tremblant. M"® de Vendôme y fut portée et couchée. Il
renvoyoit au feu tous ceux qui le venoient voir, disant :
Allez vous-en aider à éteindre le feu, — A deux heures
mis en carrosse, mené à l'abbaye de Saint-Sixte; goûté à
trois heures^ confitures, pain et biscuit de l'abbesse. Il
va en l'église comme par force, s'en veut retourner, est
ramené à quatre heures à Noisy. M. le marquis de Renel
et moi parlions , dans le carrosse, des voyages où nous
nous étions vus aux armées du temps du féu Roi (2), con-
humble seruante et quand il luy plaira m^onorer de ses comandemenl elle
conoittera que persone ne m'auansera d'afection et en c'est maime volonté
j'eleue mes afans lesquelles avec leur mère vous baise très humblement les
mains, prian Dieu, Monseigneur, vous donné 1res longue et très heureuse tie»
vous croissant en toutes ses vertus comme désira
« Vostre très humble et très obéissante tante et seruante.
« Chrest»*, g. D«' »
Et au'dessùs est écrit :
« A Monseigneur,
« Monseigneur Daulphin.
(1) Henri, cardinal de Gondi, évèque de Paris.
(2) Henri lll.
19.
295 JOURNAL DE JEAN HÉROARD.
duites par feu M. de Joyeuse ; il écoute à l'accoutumée,
attentivement, sans dire mot; M""' de Montglatlui de-
jnande : ce Monsieur, vous ne dites mot ; oyez-vous bien
tout ce qu'ils disent? » Il répond froidement : Ty songe.
Le 26 octobre j vendredi ^ à Noisy. — A neuf heures dé-
jeuné ; il fait parfumer par où avoit passé Le Borgne, son
portefaix, l'ayant fait mettre hors de la chambre, et disant
qu'il puoit, en bouchant son nez. C'étoit d'autant que Le
Borgne Tappeloit houtefeu, disant qu'il avoit mis le feu
en la maison de M. de Paris. A neuf heures trois-quarts
mené à la chapelle où le sieur de La Vigne , archer har-
quebusier aux gardes du Roi, répondit à la messe, tenant
sa harquebuse , ayant sur le poing le haubereau chape-
ronné de vçlours vert qui étoit à Monseigneur le Dau-
phin. Mené promener au bout de l'ormoie, sur la haie
du grand chemin , il regarde passer les poulaillers qui
vont à Paris, venant de Normandie, leur demande d'où
ils sont, ce qu'ils portent.
Le 28, dimanche. — Il fait parfumer de fumée de ge-
nièvre par où Le Borgne, portefaix, avoit passé portant
le bois dans sa chambre, pource qu'il disoit qu'il puoit;
mais c'étoit de haine pource que Le Borgne lui faisoit la
guerre , l'appelant brûleur de maisons et qu'il avoit mis
le feu en la maison de M. de Paris. — Louise Joron, l'une
de ses femmes de chambre , a été accordée dans sa cham-
bre ; il a signé les articles après la trace qui lui en a été
faite ; ç^a été son premier seing valable. Il va en la cha-
pelle, aux fiançailles.
Le 29, lundi. — Il s'amuse à regarder attentivement
Boileau, auquel il faisoit tirer en crayon une copie de
Bertrand du Guesclin. A dix heures viennent M. de
Lussan, gouverneur de Blaye, conduisant MM. du Bernay
et de Guilleraigues , conseillers en la cour de parle-
ment de Bordeaux , députés vers le Roi, qui l'assurèrent
de leur très-humble service. Les ayant écoutés atten-
tivement, et les ayant remerciés, il dit : Allons voir
NOVEMBRE 1607. 293
ma sœur y se met devant et les y mène. S'en étant partis,
M""* de Montglat lui dit : « Allons voir la mariée, si elle
est habillée. » — Non, j'y veux pas aller parce qu'on se
moqueroit de moi. U n'aimoit point à être raillé ni mo-
qué. Il regarde danser, ne veut point danser; rien ne
le y peut persuader jusques à ce que M"* de Montglat lui
dit : (c Bien donc, Monsieur, allons étudier. » Il part tout
soudain de la main, et se jette à corps perdu au branle,
entre Madame et M"* de Vendôme, et en fit plus que
Ton ne vouloit. Il goûte à la collation de la mariée. Après
souper il danse encore, surtout la Saint- Jean des choux.
Le 30, mardi. — Il s'amuse à peindre gaiement en
la présence de M. de Souvré (1). A cinq heures il des-
cend chez M"* de Vendôme, dit qu'il veut coucher avec
elle, envoie quérir ses flambeaux, sa cassette, son ca-
binet, sa chaise percée.
Le 2 novembre, vendredi, à Noisy. — M. de Saint-Remi,
conseiller au Parlement, étoit à son coucher et disoit à
M"' de Montglat qu'il avoit démarié M"' la comtesse de
Moret (2). Monseigneur le Dauphin l'entend, et demande
pourquoi? Guérin (3) lui répond : c( Pource qu'on lui avoit
noué l'aiguillette. » — JVon, c'est pas cela ; c'est parce
qu'il est châtré.
Le 6, mardi. — Il va en la chambre de Joron (4), sœur
de sa nourrice, pour la fouetter ainsi que son mari, puis
M. Boquet, mari de sa nourrice.
Le 7, samedi. — Il me commande (5) de lui tracer des
(1) Ce dessin est conservé dans le manuscrit de la fiibliolhèc|ue impériale.
(2) Jacqueline de Bueil avait été mariée pour la forme à Philippe de Harlay,
comte deCési, mais de manière à ce qu'il ne fût son mari que de nom. Aus«
sitôt après la naissance du comte de Moret, on s'occupa des formalités né-
cessaires pour casser ce mariage. Elle épousa, en 1617, René du Bec, marquis
de Vardes.
(3) Héroard était parti pour Yaugrigneuse le 31 octobre, et en son absence
Guérin continuait le Journal.
(4) La nouvelle mariée.
r (5) Héroard était de retour depuis le jour précédent.
294 JOURNAL DE JEAIS HÉROARD.
mots en latin pour les remplir avec la plume. Dansé^ re-
cordé un ballet. — Madame parloit de l'enfant dont la
Reine étoit grosse; M"^Piolant lui demanda si ce seroit un
fils ou une fille , le Dauphin répond promptement :
Non, ma sœur; il y a assez de garçons.
Le 18, dimanche^ à Noisy. — A onze heures et demie
M. de FresneS'Canaye , revenant de Venise, ambassadeur
pour le Roi, arrive ; il Fécôuie attentivement; il lui faisoit
entendre les bonnes volontés des Vénitiens etautresgrands
d*Italiey Tintérét qu'il avoit au duché de Milan, qui ap-
partenoit au Roi, quUl le lui falloit demander quand il
seroit grand pour en aller chasser les Espagnols. —
M. du Tost lui avoit apporté un leurre (1) ; il leurre son
haubereauy puis se met à courir, dit qu^il vient de Paris,
qu'en chemin il avoit pris un coq d'Inde ; c'étoit le leurre
de maroquin incarnat, avec des rubans bleus. — A
neuf heures dévêtu , mis au lit, M. Dupré, exempt aux
gardes, lui demande le mol; il le lui refuse : Je veux
attendre que tous les lils soient faitSy car vous fermeriez
la porte. Il avoit soin de$ garçons de la chambre qui
dressoient les lits des veilleuses, afin qu'ils ne fussent
point enfermés dans le château, eux qui couchoient
dehors. Les lits étant dressés, il le donne.
Le 19, lundi. — Il monte aux chambres de la mariée,
de sa nourrice et de celle de Madame pour les fouetter
étant couchées avec leurs maris.
Le 20, mardi, — M'"° de Montglat lui dit qu'il faut
étudier, il cache son livre dans son chapeau; elle l'aper-
çoit, et lui demande './(Monsieur, ouest votre livre?» —
La petite du Lux Va emporté. — « Voyons votre chapeau ; »
il est fouetté sur le sujet du mensonge (2) , et dit à Des-
(1) Morceau de cuir façonné en forme d'oiseau , dont les fauconnier s se
servaient pour attirer et rappeler les oiseaux.
(2) M'ne de Montglat suivait les ordres du Roi, qui lui écrivait le 14 no-
vembre : « Je me plains de vous de ce que vous ne m'avez pas mandé que
NOVEMBRE 1607. . 295
cluseaux : Ne dites pas au corps de garde que jai eu le
fouet. . .
Le 2^Ày jeudi, à Noisy. — Il dit ses quatrains et sentences,
demande à étudier, en dit plus qu'on ne veut ; il appelle
les mots entiers sans faillir. M. Tévèque de Paris et M. de
Danlpîerre, son frère (1), le viennent voir. — Il écrit
sans trace ni aide : a Papa et maman je vous aime bien,
j'a